Le 21 décembre 2012

Solidarité & responsabilité politique.

Un défi pour la démocratie

Préface

En explorant les possibilités de travail d’analyse que nous offrait notre thème d’année, à savoir « solidarité et réalisme politique », il nous est très vite apparu qu’un problème majeur de nos sociétés est le pouvoir démesuré que l’économie et la finance exercent sur le politique. Ce pouvoir est tel que le politique semble tout à fait subordonné à l’économique, à la finance. On le voit en cette période de crise, les considérations économiques et financières règnent en maitre, au détriment de la poursuite du Bien commun, de l’intérêt général.

Le peuple, lui, veut autre chose. Pourtant, il a du mal à se faire entendre. La démocratie connaît une crise de légitimité. Le mouvement des « indignés » ou celui de « Occupy Wall Street » nous le montrent avec force… Leurs slogans cristallisent le manque de légitimité des démocraties représentatives : « Nous sommes les 99% », ou encore l’éloquent « Ils ne nous représentent pas ».

Dans cette étude, nous avons voulu aborder cette question de la crise de légitimité de la démocratie. Pour ce faire, Jean Marie Faux commence par faire une sorte d’ « état des lieux » de la planète : où en est-on en ce qui concerne les grands défis que sont la pauvreté, la rencontre des cultures et les problèmes environnementaux ? Autant de défis qui ont une dimension transnationale et face auxquels nos démocraties semblent bien impuissantes, alors même que nos sociétés se reconnaissent dans les grands principes que sont les Droits de l’Homme, et que l’on reconnaît que les Objectifs du Millénaire pour le Développement sont tout à fait réalisables. Jean Marie Faux poursuit donc en proposant une analyse approfondie de cette impuissance qui caractérise la démocratie. Il aborde cette question par deux maux qui caractérisent la démocratie par rapport aux enjeux économiques : d’une part le retard du politique sur l’économique (le temps de la démocratie est long, celui des marchés est court… Aussi, si l’économie est mondialisée, la gouvernance, elle, ne l’est pas), et d’autre part, la connivence du politique avec l’économique (le pouvoir de l’économie sur l’organisation sociale résulte de choix politiques). Pour compléter cette analyse, Jean Marie Faux propose une analyse du fonctionnement de la démocratie : ses faiblesses et difficultés structurelles, mais également son refus qui prend la forme de populismes et autres replis.

Si nous pensons que la démocratie représentative est incontournable, nous estimons par contre indispensable, pour qu’elle retrouve de la légitimité, qu’elle soit corrigée, complétée par des dispositifs de démocratie participative. C’est la raison pour laquelle Claire Wiliquet propose une analyse approfondie de deux initiatives de citoyens qui tentent de se réapproprier le pouvoir qui leur a été confisqué : la coopérative politique VEGA et le plus médiatisé sommet citoyen G1000. Nous verrons les perspectives offertes par ce type d’initiatives, mais également leurs limites.

Pour terminer, il nous est paru essentiel de nous poser la question de la représentation des plus vulnérables de la société. C’est pourquoi Claire Brandeleer s’attache à voir en quoi les initiatives de démocratie participative sont attentives (ou non) à les inclure. Elle approfondit ensuite les conditions qui favorisent la participation des plus fragiles. Cela pose toute la question de la conscientisation et de l’éducation citoyenne des classes populaires, mais plus largement de l’éducation permanente de tout citoyen. A ce titre, elle explore en quoi la manière de procéder du mouvement ATD Quart Monde est féconde et offre des pistes pour une société plus inclusive.

Chapitre 1er : Notre monde à l’aune de la justice et de la solidarité
 

En introduction, nous voudrions faire une sorte d’état des lieux. Où en est notre monde à l’aune de la justice et de la solidarité ? Nous aborderons successivement l’état de la pauvreté et des exclusions, les divisions et tensions culturelles et les questions environnementales, et cela aux différents niveaux : mondial, européen, national. Ce qui devrait ressortir de ce rapide tour d’horizon, c’est le décalage entre la réalité qui s’en dégage et les principes généraux dont nos sociétés se réclament : les Droits de l’Homme, la Paix, le développement durable.

L’état de la pauvreté

Une bonne approche pour évaluer l’état de la pauvreté dans le monde nous paraît être le degré de réalisation des « Objectifs du Millénaire pour le Développement ». Ceux-ci ont été approuvés en 2000 par les Nations Unies. Tous les pays du monde s’engageaient à unir leurs efforts pour réaliser à l’horizon de 2015 un ensemble de huit objectifs, dans huit domaines d’intervention visant à faire reculer, sinon éradiquer l’extrême pauvreté. Des progrès ont certes été réalisés, en particulier dans les grands pays émergents. Pourtant, à trois ans de l’échéance, non seulement aucune des cibles définies n’a été atteinte mais sur plusieurs points la situation s’est plutôt aggravée. En 2005, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (un dollar par jour) était encore de 1,4 milliard, il s’est accru de 100 millions en 2008 et 2009, en raison de la crise alimentaire déclenchée par la crise financière de 2008. Et surtout l’évolution reste très différente suivant les régions. L’Afrique subsaharienne reste à la traîne. La plupart des progrès statistiques enregistrés sont redevables aux pays émergents mais ils s’accompagnent d’un creusement des inégalités à l’intérieur de ces pays, entre régions parfois, entre les diverses couches de la population surtout[1]. C’est cette évolution qui est sans doute le phénomène le plus inquiétant : nous vivons dans un monde où le fossé entre les riches et les pauvres s’élargit de plus en plus.

C’est aussi le cas à l’échelle de l’Europe. La crise financière et économique et les politiques d’austérité par lesquelles la plupart des États ont voulu y faire face ont entraîné une détérioration généralisée des conditions de vie des moins favorisés. En même temps que le taux de chômage augmente (jusqu’à plus de 40% par exemple en Espagne), les politiques d’aide sociale se font de plus en plus restrictives. Un rapport de l’European Anti Poverty Network de mars 2012 est particulièrement édifiant[2]. La situation n’est pas partout aussi dramatique qu’en Grèce mais partout ce sont les plus pauvres qui sont les plus touchés.

Et notre pays ne fait pas exception. On estime qu’à l’heure actuelle, environ 15% des Belges (un sur six) vivent sous le seuil de pauvreté (800€ par mois)[3]. Malgré la volonté proclamée et sans doute bien réelle des autorités politiques de lutter contre la pauvreté, celle-ci persiste d’année en année, tend même, d’une part à s’étendre et d’autre part à se faire toujours plus lourde pour ceux qui en sont victimes. D’une part, il y a une précarisation de la classe moyenne, de l’autre « l’indigence qui devient véritablement misère »[4].

Quel que soit le niveau où l’on se place et même si l’ampleur des problèmes est bien différente d’un lieu à l’autre, force est bien de constater que la pauvreté dans le monde et toutes les souffrances qu’elle engendre ne reculent pas, que le nombre des exclus est en croissance continue, que ce soit dans les pays moins développés, dans les pays émergents ou dans les pays industrialisés, que les inégalités surtout se creusent, avec le sentiment de profonde injustice qu’elles engendrent.

L’état des conflits

Après ce constat d’échec de l’égalité, qu’en sera-t-il de la fraternité, de la paix entre les peuples et de la bonne entente dans les sociétés ?

Nous avons certes franchi un seuil historique avec l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la guerre froide. Fukuyama a pu saluer alors « la fin de l’histoire », entendant par là son achèvement indépassable dans l’économie de marché et la démocratie[5]. Mais il n’a pas fallu longtemps pour que, dans les réajustements qui suivirent, des antagonismes ancestraux revivent et donnent lieu à des conflits sanglants : pensons aux déchirements de l’ex-Yougoslavie. Ou, dans l’actualité la plus brûlante, aux tensions qui renaissent, à propos d’un petit bout d’île, entre la Chine et le Japon. Ou encore à l’impuissance de la communauté internationale devant l’évolution tragique de la situation en Syrie : derrière les camps qui s’affrontent, des alliances secrètes, des intérêts inavoués, des passions se nouent qui rendent impossible la plus élémentaire « assistance à peuple en danger »[6].

En évoquant la Syrie, nous sommes naturellement amenés à nous interroger sur une nouvelle ligne de fracture, susceptible aux yeux de certains d’engendrer une nouvelle situation de guerre froide (avec, comme l’autre, des foyers brûlants) : la fracture entre le monde islamique et le monde occidental. Les attentats du 11 septembre 2001 ont semblé apporter une confirmation à la thèse de Samuel Huntington sur « le heurt des civilisations »[7]. Le président Bush n’a pas hésité à prêcher la guerre sainte contre les « États voyous ». Heureusement son successeur s’est nettement démarqué de cette position. Mais la vague de violence anti-américaine qui vient encore de traverser le monde musulman à la suite de l’absurde provocation d’un film, exprime la profondeur du fossé culturel qui sépare deux univers. Ce clivage marqué religieusement se superpose, en lui apportant une coloration précise, à un autre phénomène plus étendu, celui que Jean Ziegler a appelé « la haine de l’Occident »[8], le ressentiment profond d’une grande partie des peuples du monde à l’égard des anciens colonisateurs ou encore actuels pays avancés qui, tout en se faisant les champions de la démocratie et des Droits de l’Homme, ne les ont que très peu reconnus aux populations colonisées et les violent encore souvent aujourd’hui. D’un point de vue un peu différent, l’analyse de Benjamin Barber, dans son livre « Jihad vs McWorld », voit le monde partagé entre deux tendances contradictoires : le capitalisme consumériste comme « culture » mondialisée et les « intégrismes religieux ou tribaux » où de plus en plus de groupes et de personnes cherchent à se reforger une identité[9]. Des identités trop souvent « meurtrières » car elles isolent et opposent. Nous faisons ainsi allusion au titre d’un célèbre livre d’Amin Maalouf ; dans un autre livre, celui-ci exprime sa crainte d’une certaine vision de l’avenir : « celle d’une humanité partagée entre tribus planétaires, qui se combattent, qui se haïssent, mais qui, sous l’effet de la globalisation, se nourrissent, chaque jour davantage, de la même bouillie culturelle indifférenciée »[10].

À l’échelle de l’Europe, la crise économique et financière, non seulement, fait apparaître les lacunes d’une construction communautaire inachevée mais a mis aussi en évidence la difficile solidarité entre les États. Par ailleurs, les sociétés européennes peinent toujours à assumer leur réalité « ethnique » ou multiculturelle, résultant des immigrations. Le geste fou de Breivik en Norvège a montré jusqu’où pouvait aller l’idéologie de l’intégrité culturelle. Il a heureusement fait apparaître en réaction la maturité démocratique de tout un pays. Breivik est un cas limite mais il s’inscrit dans une vague de fond qui, à des degrés divers, a touché la plupart des pays – même si elle est peut-être un peu en reflux maintenant, comme le montrerait le revers du leader islamophobe Geert Wilders aux dernières élections néerlandaises. Mais à un niveau plus populaire, les violences xénophobes éclatent toujours facilement à l’égard de communautés différentes, les demandeurs d’asile pourchassés par les nationalistes en Grèce, les Roms victimes d’exclusion un peu partout en Europe.

Pour la Belgique enfin, la longueur exceptionnelle de la crise gouvernementale qui a suivi les élections de 2010 a montré l’acuité de la question communautaire. Mais le courage civique de ceux qui ont enfin formé un gouvernement et mené à bien un aménagement de l’État démontre au contraire une traditionnelle bonne volonté de compromis pacifique. Le même contraste se retrouve en ce qui concerne « le pluralisme culturel », celui qui permettrait une convivialité harmonieuse entre les populations issues de l’immigration, en particulier non-européenne et la population d’origine[11]. De nombreux efforts sont faits, y compris du côté des autorités, pour favoriser l’entente : on pensera en dernier lieu aux « Assises de l’Interculturalité » organisées tout au cours de l’année 2011 et dont le Rapport final suggère un certain nombre de compromis réalistes[12]. Mais ces propositions sont restées jusqu’ici lettre morte. Les tensions demeurent, notamment entre une part au moins de la communauté musulmane qui s’estime rejetée et discriminée et revendique sa différence et une part au moins de la société belge qui a peur de l’islam et veut à tout prix le contenir. De temps en temps, à l’occasion d’un fait divers de quartier, le feu qui couve s’allume et la polémique éclate, révélant les réflexes les plus populistes.

Entre la situation économique et ses crises d’une part et l’exacerbation des tribalismes d’autre part, il y a évidemment un lien. La précarité économique favorise le repli identitaire, qu’il s’agisse d’ailleurs des groupes les plus exclus ou d’autres catégories de la population qui veulent préserver des situations acquises. L’interaction des deux dynamiques – la concurrence économique et la rivalité ethno-culturelle – crée des situations inextricables.

L’état de la planète

C’est sans doute la question la plus fondamentale, puisqu’il y va de notre survie à tous. Mais c’est aussi la moins sensible et la moins saisissable parce que nous n’en avons pas une perception directe. Il y a certes déjà, en bien des endroits du monde, beaucoup de victimes directes des dérèglements du monde, cataclysmes soudains ou lente détérioration. Mais le lien entre ces phénomènes et leurs causes humaines n’est pas de l’ordre de l’évidence immédiate. La part de l’interprétation est grande : parmi les experts eux-mêmes, l’appréciation de la gravité des phénomènes, de leur évolution prévisible, de leurs causes et surtout des mesures à prendre est loin d’être unanime. On ne peut non plus sous-estimer le poids que des intérêts et des conservatismes qui n’ont rien de scientifique peuvent faire peser dans le débat. Quant à la prise de conscience du problème au niveau du grand public, elle est réelle certes mais encore bien limitée, comme une vague peur souvent oubliée, volontiers refoulée, en tout cas sans beaucoup d’effets pratiques.

Pourtant les faits sont là. Avec notre manière de vivre et de consommer, dans la routine de nos habitudes industrielles, nous détruisons la terre qui nous porte et nous la rendrons bientôt inhabitable. Le calcul de « l’empreinte écologique » fait percevoir de façon parlante à quel point le fonctionnement de nos sociétés « avancées » – et aujourd’hui des pays émergents – épuise les ressources naturelles. On peut évoquer les déforestations, le développement des cultures industrielles – notamment la production de biocombustibles au détriment de l’alimentation – la surexploitation des pêcheries… La détérioration de l’environnement est plus évidente encore. L’accumulation des gaz à effet de serre entraîne un profond changement climatique aux multiples effets. Sans compter les différentes pollutions : de l’air, de l’eau, des sols[13].

La prise de conscience de l’urgence environnementale est relativement récente. C’est en 1972 que se tint à Stockholm la Conférence des Nations Unies pour l’environnement humain qui produisit la Déclaration de Stockholm et approuva la création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement. En 1987 fut publié le Rapport Bruntland Notre avenir à tous. La Conférence de Rio de Janeiro, en 1992, élabora « l’architecture institutionnelle », à savoir l’ensemble des structures internationales d’étude et d’action qui concernent l’environnement et le développement soutenable. Depuis ce moment, les « sommets » internationaux se sont succédés avec des issues diverses – de l’échec complet (Copenhague 2009) au succès mitigé (Rio+20, 2012). La connaissance des problèmes et de leur gravité est aujourd’hui largement reçue. La réaction politique est loin d’être à la hauteur. Le peu d’engagement des dirigeants des grands pays à Rio, par exemple, est significatif : les chefs d’État et de gouvernement européens étaient, au même moment, réunis pour faire face à la crise financière qui frappe l’euro. S’il est possible de parler, pour Rio+20 de « succès mitigé », c’est grâce à la ténacité du gouvernement brésilien qui, en obtenant un accord, fût-il minimal, a rendu confiance dans un système de négociation qui s’était vu disqualifié lors de la Conférence de Copenhague[14].

Si le contraste entre la gravité des problèmes et la faiblesse des réactions fait percevoir l’absence de moyens de décision à l’échelle de la planète, on n’est pas beaucoup plus avancé ni plus déterminé à l’échelle de l’Europe ni des divers pays dont le nôtre. En témoignent les hésitations de la politique à l’égard du nucléaire, les difficiles progrès des énergies renouvelables, les aléas de la politique agricole ou de l’aménagement du territoire…

Ainsi l’urgence environnementale ajoute une dimension nouvelle aux problèmes de la justice et de la paix dans le monde : ce que le Conseil Œcuménique des Églises avait défini, dès 1983, en termes de « sauvegarde de la création »[15]. Cette dimension, d’une gravité toute nouvelle, n’est encore bien perçue, nous semble-t-il, que par une minorité, toutefois de plus en plus importante, de la population. Elle est au moins assez présente à la conscience de la société pour qu’on ne puisse plus l’ignorer ; peut-être pourra-t-elle jouer le rôle d’une sorte de médiation, de terrain de rencontre entre les intérêts et les passions contradictoires qui rendent si difficiles les progrès de la justice et de la paix…

Un monde en contradiction avec ses propres idéaux

Voilà où nous en sommes en ces premières années du XXIe siècle. Le tableau n’est pas très réjouissant. Nous voudrions souligner ici brièvement la contradiction entre cet état des lieux et les principes dont se réclame, plus ou moins ouvertement, notre société contemporaine.

Après le bouleversement de la seconde guerre mondiale, le « concert des nations » a produit la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948). Rappelons que le nombre des pays signataires était encore fort réduit, une grande partie de l’Asie et presque toute l’Afrique étant encore colonisées. L’étape suivante fut effectivement la décolonisation. En 1963, dans sa belle encyclique Pacem in Terris, le pape Jean XXIII célébrait avec joie ce « signe des temps » : « Plus de peuples dominateurs et de peuples dominés […] les hommes de tout pays et continent sont aujourd’hui citoyens d’un État autonome et indépendant, ou ils sont sur le point de l’être »[16]. Dans la foulée de la Déclaration Universelle, d’autres Déclarations ne cesseront d’éclore, pour appliquer, préciser, compléter la Déclaration Universelle, à l’échelle de pays ou de groupes de pays, ou pour des catégories de personnes. Pour le premier cas, qu’il suffise de mentionner la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950 et l’institution qui est chargée d’en vérifier l’application par les États, la Cour européenne des Droits de l’Homme située à Strasbourg. Comme Déclaration « catégorielle », mentionnons la Déclaration des Droits des Travailleurs migrants[17]. Et spécifions bien que ces Déclarations « ratissent large », qu’elles n’englobent pas seulement les droits civils et politiques (ce qu’on appelle les droits de première catégorie) mais aussi les droits économiques et sociaux, et même les droits culturels. Il y a là l’évidente expression d’un idéal de justice et d’égalité, une avancée indéniable de la conscience des peuples.

Un peu plus de quarante ans plus tard, nous assistons à la défaite du monde communiste. Même s’il subsiste quelques États autocratiques (tels que les monarchies du golfe) et un nombre indéterminé d’autres où elle est plus nominale que réelle, on peut souscrire au jugement d’Amartya Sen selon qui « l’émergence de la démocratie est l’événement majeur du XXe siècle »[18]. En principe donc, les mécanismes sont en place pour mettre en œuvre tous ces droits et les rendre accessibles à tous les citoyens. C’est vrai à chaque niveau de vie, local, régional, national, international (l’Europe a depuis longtemps ouvert la voie) et même mondial. L’Organisation des Nations Unies existe et c’est une réalité imposante et respectable. Ses Assemblées régulières sont un lieu de parole et d’échange accessible à tous sur pied d’égalité. Ses « grands messes » périodiques débattent de thèmes cruciaux pour l’avenir de l’humanité. Avec toutes les institutions annexes, FAO, Unicef, Unesco…, elle est engagée effectivement pour la vie du monde, aux trois points de vue que notre tour d’horizon a successivement évoqués : la justice économique et sociale, la paix et le développement durable. Les Rapports annuels du Programme des Nations Unies sur la Développement (PNUD) représentent un corps de doctrine et un projet politique d’une rare qualité… Alors…

Alors comment expliquer le décalage entre les principes et l’idéal affirmés et la réalité que nous avons dû constater. Comment expliquer ce paradoxe ? Faut-il nous enfermer dans la critique et dénoncer un mensonge, une imposture ? Nous ne prendrons pas ce chemin qui serait un chemin de désespoir. Nous croyons plus juste de parler d’impuissance de la démocratie, d’impuissance du politique. Nous voudrions, dans cette étude, discerner les raisons de cette impuissance pour chercher à y porter remède, au moins à tracer quelques pistes.

Chapitre 2. L’impuissance du politique ?
 

On pourrait dire que ces raisons s’inscrivent déjà en filigrane dans la sommaire description de l’état du monde que nous avons brossée en introduction. La mondialisation a représenté un changement d’échelle dont a profité pleinement la dynamique économique et dont le politique s’est trouvé largué : c’est le retard du politique. Mais cette prise de pouvoir de l’économie n’aurait pu avoir lieu sans la complicité active, voire l’impulsion d’une partie au moins du monde politique : nous parlerons donc d’une connivence du politique. À partir de là, c’est le fondement même du pouvoir politique, sa légitimité démocratique, qui est mis en question. Nous parlerons donc du fonctionnement de la démocratie, de sa faiblesse structurelle et des difficultés particulières qu’elle rencontre aujourd’hui. Nous en viendrons enfin à ces formes extrêmes de désaffection ou de refus de la démocratie que sont les populismes et autres groupes sectaires.

Le retard du politique ou l’économie triomphante

Nous sommes affrontés ici à ce phénomène complexe qu’est la mondialisation. Le soubassement, si l’on peut dire, de celle-ci, ce qui la rend possible, c’est d’abord un ensemble de progrès technologiques, qui créent sans cesse de nouveaux produits et de nouveaux modes de production et seuils de productivité. Et surtout, comme l’écrit Philippe de Woot, « les technologies de l’information progressent de manière continue et nous dotent de réseaux de communication mondialisés et flexibles, […] facilitant des réactions de plus en plus rapides et des interactions de plus en plus nombreuses ». Le même auteur constate que ce sont « les entreprises (industrie, service, finance) et ceux qui les contrôlent (fonds de placement) […] qui se sont le mieux adaptés à cette évolution ». Elles ont « réussi à franchir simultanément tous les seuils de la globalisation » et il énumère le seuil de la dimension, le seuil de l’horizon temporel, celui de la complexité, celui des informations et des communications. Et il conclut : « par leur dynamisme concurrentiel et leur esprit d’entreprise les firmes se sont adaptées plus vite à la globalisation que la plupart de nos institutions politiques, sociales, éducatives »[19].         

L’aspect le plus visible de cette avance est évidemment la dimension mondiale : l’ouverture universelle du marché et la montée en puissance des entreprises transnationales laissent sur la touche le pouvoir politique. On ne pense pas seulement aux nombreux pays moins développés dont le PIB est largement dépassé par les revenus des grandes transnationales. Ce sont tous les États qui sont concernés, ainsi qu’au niveau international, le pouvoir politique comme tel. D’une part, dans le jeu de la compétition mondiale, il devient très difficile, voire impossible, à un État, de quelque taille qu’il soit, de déterminer une politique économique propre. D’autre part, il n’y a pas encore de véritable gouvernance au niveau mondial, aucune autorité capable de fixer des règles au jeu économique et financier.

Un autre aspect de l’avance de l’économique est ce qui a été évoqué sous le terme de « complexité » (et aussi de « communications et informations »). Le fonctionnement de l’économie et, en particulier, les interactions financières, utilisant les technologies de l’information les plus innovantes, ont atteint un tel degré de complexité qu’elles deviennent presqu’inaccessibles aux profanes, en ce compris le personnel politique[20]. On touche ici un aspect bien particulier des sociétés d’aujourd’hui, celui du rôle croissant (et largement incontrôlé) des experts. La Revue Nouvelle vient de consacrer à l’expertise un dossier bien intéressant qui souligne son ambiguïté et le problème que sa montée en puissance pose à la démocratie[21]. Double difficulté pour l’homme politique : celle d’avoir un accès suffisant à l’information pour lui permettre d’en percevoir la pertinence éventuelle ; celle de la rendre accessible à ses mandants. Sans parler de la tentation de s’abriter derrière la haute technicité d’un problème pour faire passer des mesures difficiles.

Ce que nous constatons ici, c’est spécifiquement le retard du pouvoir démocratiquement partagé, le retard de la démocratie. « Une société démocratique est essentiellement ouverte, évolutive, vouée à se remettre en question et à se transformer pour s’adapter aux circonstances. […] Il y a donc, structurellement, un décalage, un retard de la décision démocratique par rapport aux évolutions économiques et sociales » [22]. Dans une perspective historique de longue durée, il s’agit bien de savoir qui exerce le pouvoir (et donc assume ou est censé assumer la responsabilité du bien commun). La démocratie antique des cités grecques fut conquise sur l’aristocratie. La démocratie moderne sur le pouvoir des monarques et de leurs administrations et les privilèges de la noblesse. La Révolution française proclame la devise : Liberté, égalité, fraternité. La bourgeoisie nouvelle va mettre à profit la liberté – concrètement la levée des entraves mises jusqu’alors à la concurrence (corporations, etc.) – pour organiser l’essor économique que permet la première révolution industrielle (la machine à vapeur). Toute l’histoire du XIXe et de la première moitié du XXe siècle peut être caractérisée par le long combat des masses populaires pour plus d’égalité par un partage du pouvoir. On peut estimer qu’un certain équilibre put être réalisé pendant une trentaine d’années après la seconde guerre mondiale (les trente glorieuses), encore que dans une partie limitée de la planète : le « premier monde » des pays « développés », États-Unis et Europe occidentale. La troisième révolution industrielle et la mondialisation ont rompu ce relatif état d’équilibre.[23] Malgré l’adhésion de principe de la plus grande partie des pays du monde au régime démocratique, c’est en réalité une aristocratie qui domine encore le monde, celle des possédants et de leurs chargés de pouvoir. Nous serions dans une situation semblable à celle des débuts du capitalisme industriel. Mais la partie ne se joue plus dans le cadre relativement restreint des pays qui s’ouvraient alors à l’industrie mais aux dimensions du monde entier. Le retard est énorme et la tâche immense.

La connivence du politique ou l’idéologie néo-libérale

En situant ainsi l’évolution des trente dernières années dans une perspective historique à long terme, nous introduisons déjà le point suivant : la connivence ou la complicité du monde politique. Si, par leur dynamisme et leur souplesse, les entreprises ont été les premières à profiter des progrès technologiques qui permettaient la mondialisation, elles ont aussi été aidées par la présence dans la classe politique de décideurs qui partageaient leurs intérêts et leurs idées. Nous touchons ici le phénomène simplement humain de la classe dominante ou aristocratie dont Michel Serres écrit : « Ces aristocraties qui, sous des masques divers et souvent mensongers, gouvernèrent les peuples de tous temps, clergé, noblesse, possédants d’argent ou d’expertise »[24]. La frontière entre le monde des affaires et le monde politique et surtout, plus spécifiquement, le personnel politique, les politiques de métier, cette frontière est tout-à-fait poreuse. Cette influence réciproque est assez naturelle et, même si le mot « connivence » que nous avons donné comme titre à cette section, a une connotation un peu péjorative, nous pensons qu’elle peut être parfaitement honnête et positive. On rejoint ici la question de l’expertise dont nous avons déjà parlé plus haut. L’idée qu’une élite, jouissant d’une expertise en politique économique et éventuellement responsabilisée par son avoir sera le mieux à même de définir le bien commun d’un pays et la politique à suivre, peut être et est sans doute effectivement défendue par des personnes sincères. Nous prenons donc acte de cette connivence du pouvoir politique et du pouvoir économique : la permanence, sans doute à travers des formes renouvelées, d’une aristocratie ou oligarchie dominante, semble bien être une constante de l’histoire humaine.

Dans l’évolution des trente dernières années, le rôle de personnalités politiques a été déterminant. La connivence a pris ici la forme et la consistance d’un programme politique franchement assumé. Il s’agit en particulier des tournants politiques intervenus aux Etats-Unis avec Ronald Reagan et en Grande-Bretagne avec Margaret Thatcher et de l’engagement résolu de ces deux leaders pour une politique ultralibérale. Ils accèdent au pouvoir (Thatcher en 1979, Reagan en 1981) dans un temps de crise où l’expansion économique continue des pays occidentaux après la seconde guerre a pris fin sous l’action conjuguée de causes conjoncturelles comme le « choc pétrolier » mais surtout du changement structurel qui s’amorce, à la suite de la « troisième révolution industrielle », celle des technologies de l’automation et de l’information qui rendra possible la mondialisation. Ronald Reagan est mû par la volonté de rendre à son pays un leadership que les dernières années ont écorné. Sur le plan stratégique, Reagan lance le projet dit de la « guerre des étoiles », ce bouclier capable de protéger définitivement le sol américain de la menace nucléaire. Son option économique pour une libéralisation totale du marché s’inscrit dans le même contexte de confrontation avec le monde communiste[25]. L’effondrement de ce monde communiste dans les années suivantes sera interprété comme la confirmation historique du bien fondé de l’option. Si la prise de position du président américain et celle, aussi déterminée de Madame Thatcher (dont on connaît la formule : « There is no alternative », TINA), ne sont pas les causes profondes des évolutions ultérieures, elles leur ont donné une justification, on pourrait dire, une légitimité politique. Dans l’option libérale, libertarienne, déterminée de Reagan et de Thatcher et de tous ceux et celles qui, plus ou moins ouvertement et totalement, s’inscrivent dans leur lignée, le pouvoir politique, responsable du bien commun, s’en remet de la réalisation de celui-ci à « la main invisible du marché ». Ils font leur le principe libéral que Friedrich von Hayek formule ainsi : « Le marché est un processus impersonnel qui permet de satisfaire les besoins humains plus abondamment que ne pourrait le faire aucune organisation délibérée »[26]. À ce niveau, la connivence est pleinement assumée, idéologisée en quelque sorte. La liberté absolue du jeu économique est considérée explicitement par ces dirigeants comme le meilleur régime pour le bien du pays dont ils sont responsables et même du monde entier.

Ce libéralisme assumé a profondément marqué la vie du monde dans les décennies qui s’achèvent. La crise financière de 2008 et ses prolongements en chaîne le mettent en question mais n’ont pas réussi jusqu’ici à amorcer de réels changements de politiques. En même temps qu’ils renflouaient les banques, les États ont affirmé leur volonté de mieux contrôler à l’avenir les opérations financières mais on n’a guère avancé jusqu’ici. « Le ‘plus jamais ça’ du G20 s’est mué en reprise du business as usual »[27]. Dans la crise de l’euro notamment, les pouvoirs bancaires gardent la haute main sur les décisions à prendre. Les États continuent à trembler devant les avis des agences de notation dont l’indépendance et la compétence sont pourtant assez unanimement contestées. Et certes ces questions ne sont pas simples comme le montre bien l’ouvrage déjà cité plus haut (note 20), « Vingt propositions pour réformer le capitalisme », en particulier la proposition 10 : « Pour une finance au service de l’économie ». Avec les progrès de l’informatique, les possibilités des opérations financières se sont accélérées et diversifiées quasi à l’infini, échappant à tout contrôle ; chaque mesure envisagée pour les réguler peut avoir des effets secondaires défavorables… Devant cette complexité, on comprend que les politiques éprouvent un sentiment d’impuissance. Mais on penserait plutôt parfois à la paralysie du lapin face au cobra…

C’est ce qui explique sans doute l’extrême prudence du monde politique dans son ensemble à l’égard d’une réforme profonde du fonctionnement économique. Les critiques de fond se multiplient, elles dénoncent une crise de civilisation – au nom de la triple impasse que nous avons décrite dans notre introduction, sociale, culturelle et environnementale – mais l’inféodation des décisions politiques aux impératifs économiques et financiers se poursuit comme avant, à quelques nuances près… Les revendications syndicales, la défense des salaires et des régimes de sécurité sociale apparaissent presque comme des relents d’extrême gauche irresponsables. Pensons au tollé qu’a soulevé un propos, pourtant bien modéré, de Madame Onkelinckx suggérant qu’on pourrait limiter un tout petit peu les restrictions budgétaires exigées par la Commission européenne pour ne pas étrangler complètement l’emploi… Le tabou est particulièrement puissant en ce qui concerne la fiscalité[28]. Il est avéré aujourd’hui, sur la base d’études sérieuses, que de nombreuses entreprises importantes paient moins d’impôts que des particuliers, quand ce n’est pas rien du tout – et cela en toute légalité, grâce à des montages de toutes sortes. Mais on n’ose pas ou on ne veut pas y toucher parce que cela les ferait fuir ailleurs, parce qu’il faut rester compétitif… Nous reconnaissons volontiers que la tâche des politiques n’est pas simple : la santé de l’économie reste la condition fondamentale du bon fonctionnement d’une société et du bien-être général et dès lors on ne peut essayer d’y toucher et d’en contester les mécanismes qu’avec une grande circonspection. Nous reviendrons dans la prochaine section sur la faiblesse structurelle de la démocratie. Nous voulions seulement constater ici le poids que continue à faire peser sur la pensée et l’action politique la vulgate libérale du tournant des années 80.

Dernière connivence, largement partagée : celle de la société tout entière. Trente ans de mondialisation libérale ont profondément marqué les mentalités. L’économie de l’offre a progressivement marqué les esprits et les comportements et créé ce qu’on dénonce aujourd’hui comme la culture consumériste[29]. Le consumérisme est devenu un mode de vie et de pensée, il a « colonisé » tous les domaines de la vie : les relations sociales, la culture, la santé, voire la spiritualité et même la sexualité[30]. Le consumérisme dispose d’une arme particulièrement efficace, la publicité. L’influence de celle-ci est universelle et par elle, l’idéologie de la consommation et de la réussite atteint même ceux qui ont le moins de moyen d’en profiter, les « hommes à 1 euro », selon l’expression de Jacques Blamont (opposés aux « hommes à 50 euros »), « ces deux milliards (qui seront bientôt cinq milliards) qui voient chaque jour à la télévision le paradis des pays industrialisés et qui pensent : pourquoi eux et pas moi ? »[31] L’issue sera-t-elle un jour, comme l’envisage cet auteur, une révolte violente ? Pour le moment, le besoin de consommer et l’idéologie du prestige et de la réussite individuelle restent les traits dominants de la « culture » universelle, qu’on en jouisse plus ou moins largement, qu’on en ramasse seulement des miettes ou même qu’elle ne soit qu’un rêve et qu’un mirage …

Le difficile fonctionnement de la démocratie

Parlant du retard du politique, nous notions le décalage inévitable de la décision démocratique par rapport aux évolutions économiques et sociales. Parlant de la connivence du politique, nous constations la permanence des phénomènes d’accaparement du pouvoir par des oligarchies. Nous voudrions maintenant analyser de plus près le difficile fonctionnement de la démocratie qui constitue en quelque sorte sa faiblesse structurelle.

Le choix de l’électeur

La démocratie, dans sa forme moderne, est représentative. Le citoyen l’exerce essentiellement par son vote qui désigne, à intervalles réguliers, ses « représentants » ou « chargés de pouvoir ». Dans certains pays (USA, France…) le chef de l’État est élu directement, au même titre que les membres des assemblées législatives qui contrôlent sa gestion. Dans beaucoup d’autres, le vote des citoyens porte directement sur la composition de ces assemblées dont émaneront en fin de compte ceux qui exerceront le pouvoir exécutif. Quoi qu’il en soit des différents systèmes – comme aussi des différents niveaux du pouvoir (local, régional, national…) – la démocratie représentative est inéluctable dès qu’il s’agit de collectivités publiques[32]. Il est important de développer des formes de démocratie participative pour permettre un meilleur fonctionnement global de la société mais il sera toujours important de les articuler aux mécanismes de la représentation. Une certaine manière, assez répandue aujourd’hui, d’opposer une « société civile » pleine de ressources à un « monde politique » suspect ou dépassé, est souvent injuste et certainement simpliste. Il nous faut donc examiner d’un peu plus près le fonctionnement de la démocratie représentative pour percevoir ses faiblesses et chercher des issues.

Idéalement, l’électeur est censé choisir comme représentants les personnes qui leur paraissent le plus aptes à gérer les affaires publiques dans la direction et selon les principes et les aspirations qui sont les leurs. Certes ces principes et ces aspirations sont aussi divers que le sont les personnes et ni les uns ni les autres ne sont d’égales valeur et pertinence. Mais laissons cela pour l’instant et parlons d’abord de la communication. Comment l’électeur va-t-il choisir ? De quelles informations dispose-t-il pour juger des convictions, des choix et des capacités des candidats à son vote ? Les candidats présentent des programmes, soit personnels, soit de leur parti. Une première difficulté réside dans la difficulté d’exprimer avec assez de clarté et de simplicité un programme de gouvernement qui, par définition, concerne des réalités compliquées et de haute technicité – une politique économique et budgétaire par exemple. Il faut passer entre les deux écueils du langage technique incompréhensible et de la simplification à outrance ; idéalement le politique devrait expliquer, clarifier, aider l’électeur à comprendre pour qu’il se détermine le plus possible en connaissance de cause. Même dans l’hypothèse d’une parfaite honnêteté de part et d’autre, ce n’est déjà pas facile. La plupart du temps, l’électeur se détermine en fonction d’un accord sur les orientations générales du candidat ou du parti auquel il appartient. Mais le coefficient de confiance personnelle joue aussi un grand rôle – qu’il soit fondé sur une relation plus ou moins directe, comme c’est souvent le cas dans des élections locales ou sur la réputation du personnage connu à travers les media, dans le cas d’élections nationales. Ce facteur confiance est particulièrement important dans le cas de l’élection directe du chef de l’exécutif (USA, France…). Mais il est aussi très prégnant dans le cas des élections locales (comme en témoigne l’attention accordée aux « voix de préférence »). L’intervention de ce facteur est parfaitement légitime : il est normal que la confiance manifestée par le vote ne se fonde pas seulement sur un programme mais aussi sur ce qu’on peut juger de la personnalité et des talents de ceux qui devront les mettre en œuvre. On perçoit bien toutefois la fragilité intrinsèque de la démocratie représentative et à quel point le haut degré de vertu civique que son bon fonctionnement requiert est difficile à réaliser.

C’est ici qu’apparaît la tentation de la démagogie. La démagogie est la perversion de la démocratie : au lieu d’exprimer le pouvoir du peuple, elle le confisque : le démagogue conduit le peuple, l’asservit en prétendant traduire ou porter sa volonté. La démocratie, en son aspiration et son fonctionnement corrects, fait appel à ce qu’il y a de meilleur en l’être humain ; la démagogie utilise ses pulsions les plus immédiates et quelquefois les plus suspectes. Il y a, bien entendu, des degrés dans le maniement démagogique, depuis ce qui n’est peut-être qu’une certaine paresse ou une désinvolture jusqu’aux mécanismes les plus pervers.

Un premier degré serait celui de la simplification journalistique ou publicitaire. On est assez effrayé quand on reçoit les échos de la campagne présidentielle aux Etats-Unis, les énormes sommes dépensées, la commercialisation généralisée de la propagande électorale… Au petit pied, on sourit peut-être plutôt quand on voit, aux abords des élections communales, fleurir à la vitrine de tant de magasins de nos quartiers les portraits des candidats conseillers communaux et maïeurs. En cherchant bien, au revers d’un tract on trouvera bien quelques grands traits de programme mais finalement c’est la binette sympathique ou le visage imposant qui donnera confiance et captera le vote. À la limite, l’électeur est abordé comme un consommateur invité à choisir le produit le plus attrayant.

Un autre aspect de la démagogie est la promesse inconsidérée. Il est normal et même nécessaire que les candidats fassent des promesses. Par définition, en se présentant devant l’électeur, ils promettent de gérer pour le mieux la chose publique, ils promettent de mettre tout en œuvre pour réaliser leur programme qui est, par lui-même, une promesse. Et il est même normal qu’ils ne puissent tenir toutes leurs promesses : comme nous le verrons plus loin, le poids de la réalité, la nécessité de composer, les circonstances…, tout cela fait que, jamais, un homme politique ne peut tenir toutes ses promesses ; jamais le bilan ne réalise tout le programme… Il y a démagogie quand la promesse est mensongère ou au moins non fondée sur une probabilité raisonnable.

Un pas plus loin, nous rencontrons tout ce qui, de près ou de loin, relève de ce qu’on appelle le clientélisme. Très généralement, le clientélisme qualifie tout échange personnalisé de faveurs, biens ou services contre un appui politique et un vote. Cela peut aller de relations amicales encore assez naturelles et innocentes jusqu’à un véritable régime d’achat des votes. On peut encore mentionner le vote ethnique, une variante en somme du clientélisme, en vertu duquel on choisit tel candidat non en fonction de son programme ou de ses aptitudes bien connues mais en fonction de son origine. Dans tous ces cas, l’intérêt personnel ou de groupe devient le motif du choix : le vote est instrumentalisé.

Enfin la forme la plus dangereuse et la plus détestable de la démagogie est celle qui fait appel plus ou moins directement à ce qu’il y a de moins bon dans l’être humain : replis égoïstes, défense bornée d’intérêts particuliers, pulsions élémentaires de peur, de rejet et de violence. Les partis dits extrêmes n’en ont pas l’exclusive. Et elle peut s’entourer de toutes sortes de précautions et d’astuces, prendre les dehors du bon sens, du réalisme courageux qui a enfin le courage de « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Elle n’en est que plus dangereuse…

La promesse à l’épreuve de la réalité

Nous avons ainsi fait un tour – bien sommaire – de tout ce qui peut biaiser le bon fonctionnement des élections, élément clé de la démocratie représentative. Nous voudrions maintenant aborder ce qui se passe après : comment l’élu tient ou ne tient pas ses promesses, comment il tient informé de sa gestion l’électeur – le peuple souverain – et même l’implique dans ses décisions. Même s’il n’a pas fait de promesses inconsidérées, s’il a vraiment un programme et que son succès lui donne la possibilité de le réaliser, l’homme politique devra compter avec le temps, avec éventuellement des circonstances nouvelles, avec toutes les complications d’une société moderne. Il y aurait lieu ici de distinguer les cas de figure selon les degrés de pouvoir et selon les structures de gouvernement. Nous nous bornerons à distinguer deux grands types de démocratie – qui d’ailleurs n’existent nulle part à l’état pur – : la démocratie de concurrence et la démocratie de concordance[33] .

Fondée sur le scrutin uninominal majoritaire, la démocratie de concurrence permet de dégager une majorité pour un parti ou un ensemble de partis réunis autour d’un programme déterminé : droite-gauche, conservateurs-travaillistes, républicains-démocrates… Le parti vainqueur pourra, dans le temps de la législature, s’appliquer librement à réaliser son programme. Ce régime a le mérite de la clarté aux yeux de l’électeur. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Il y a la résistance des réalités économiques et sociales. Il y a aussi, nécessairement dans l’alternance, l’héritage du prédécesseur : il n’est jamais facile, il n’est pas toujours possible justement d’alterner, de prendre du jour au lendemain des décisions qui rompent avec la politique que le vote a sanctionné. Qu’on pense à l’héritage que, dans son premier mandat, Obama a reçu de Bush. La déception était inévitable et ce n’est pas pour rien qu’on salue aujourd’hui comme un exploit sa réélection. Sans oublier d’ailleurs que le président réélu doit compter avec une majorité républicaine à la Chambre des Représentants… Si la démocratie de concurrence permet une plus grande clarté, elle est aussi structurellement soumise aux difficultés de l’alternance et elle n’échappe surtout pas à la complexité de la société moderne et à toutes les pesanteurs que la décision politique doit vaincre pour s’imposer. Et dans ce cas de figure, si l’électeur ne se retrouve pas, il sera d’autant plus déçu et menacé par la désaffection.

La démocratie dite « de concordance » est fondée sur le scrutin proportionnel plurinominal. Celui-ci permet sans doute une représentation plus équitable de la variété des opinions d’une population (en pratique le multipartisme) mais oblige à la négociation et au compromis pour la constitution d’un gouvernement, l’adoption et la mise en œuvre d’un programme. C’est le régime que nous connaissons en Belgique – où l’éventail des partis se complique encore, au niveau fédéral, par la scission et les évolutions divergentes de chacun d’eux entre le Nord et le Sud du pays. Il n’est pas besoin de rappeler les 541 jours requis pour la formation du gouvernement di Rupo, la plus longue crise gouvernementale de l’histoire des démocraties… La même nécessité de compromis ardu et de négociation perpétuelle pèse sur la mise en œuvre du programme, même bien clarifié, et sur les décisions politiques qu’impose l’actualité. L’électeur qui a choisi un parti et des représentants risque de ne plus s’y retrouver. L’explication est plus que jamais nécessaire mais difficile à réaliser. S’il n’est pas bien au clair dans son choix d’un parti ou sa fidélité à tel ou tel candidat, l’électeur risque d’aller voir ailleurs : mais il n’y a pas beaucoup d’ailleurs dans une démocratie de concordance qui fonde le gouvernement sur une coalition de diversités. On se tourne vers les partis extrêmes ou c’est la désaffection. À quoi bon voter, si l’on ne voit pas l’effet de son vote ? Même en Belgique où le vote est en principe obligatoire, on a noté, lors des dernières élections communales, une proportion croissante d’absentéisme, ainsi que de votes blancs et nuls.

Ce qui ressort de ce rapide tableau de la démocratie représentative, c’est la difficulté de la relation entre le peuple mandant et les élus, ses mandataires, l’écart entre la volonté que le vote entend exprimer et sa réalisation dans le gouvernement. Un écart est inévitable par la force des choses mais nous avons aussi envisagé les dysfonctionnements, les déviations qui peuvent l’accentuer. Pour réduire l’écart, il conviendrait de corriger ou compléter le système par des éléments de démocratie participative. Nous en distinguerons trois : le recours au referendum, les différentes manifestations de la société civile et l’action des corps intermédiaires.

Représentation politique et société civile

Périodiquement des voix s’élèvent pour réclamer sur certaines questions délicates une consultation populaire qui viendrait confirmer ou infirmer les choix des décideurs politiques et éventuellement les faire sortir d’atermoiements qui paraissent des jeux de politiciens. On sait l’importance qu’ont en Suisse les consultations populaires, parfois organisées à l’initiative des autorités, parfois aussi sur initiative d’un certain nombre d’habitants (50 ou 100.000 selon les cas). On sait aussi comment ce genre de consultation, par le caractère même du choix binaire qu’elle suppose, radicalise les positions, favorise les décisions simplistes et risque d’introduire dans une collectivité des divisions profondes. Paradoxalement, cette forme de participation risque d’exclure radicalement une forte minorité des citoyens.

On évoque souvent, à côté du monde politique, voire en opposition avec lui, la société civile. La notion est assez floue ou, si l’on préfère, inclusive. C’est en somme l’ensemble des citoyens de toute collectivité, locale, régionale, nationale ou internationale, considérés dans leurs opinions, leurs initiatives et leurs organisations au delà des rapports purement économiques et en dehors du cadre de l’État. La notion est assez voisine de celle d’opinion publique mais elle dit quelque chose de plus actif et surtout de plus circonstanciel. Par définition, ses manifestations se situent en dehors des mécanismes de la représentation politique. Elles peuvent être occasionnelles et de plus ou moins grande portée. Elles sont le plus souvent suscitées par un gros problème de société par rapport auquel les pouvoirs publics paraissent dépassés. La plus impressionnante manifestation de la société civile belge dans les dernières années a sans doute été la « marche blanche » pour Julie et Mélissa en 1996. Mais on pensera aussi à diverses manifestations qui ont germé lors de l’interminable crise ministérielle de 2010[34]. À un niveau plus général, on peut considérer les diverses expressions de l’alter-mondialisme comme des expressions de la société civile, depuis les premières contestations de l’OMC à Seattle en 1999 jusqu’aux récents « mouvements des indignés » ou au Sommet alternatif qui a accompagné Rio+20[35]. Mais la société civile ne s’exprime pas seulement par des manifestations publiques, elle le fait aussi par des écrits, des manifestes, des pétitions, le plaidoyer. Toutes ces expressions constituent un bon baromètre de l’état des sociétés et de la plus ou moins bonne réception des décisions politiques. Elles peuvent exprimer le meilleur, ouvrir de nouvelles voies, faire avancer les choses ; c’est dans ce sens et pour cette raison que, dans un prochain chapitre, nous reviendrons plus en détail sur quelques expressions récentes de cette forme de démocratie participative. Elles peuvent aussi résulter d’analyses sommaires et de passions viscérales. Pas plus que le referendum, la société civile n’est la panacée ni ne peut dispenser du fonctionnement ordinaire de la démocratie représentative.

Les corps intermédiaires – syndicats, organisations patronales, organisations professionnelles, monde associatif, etc. – peuvent être considérées comme la forme permanente et institutionnalisée de la société civile. Dans les sociétés complexes qui sont les nôtres, il est important que les responsabilités et les pouvoirs ne soient pas concentrés dans une seule machine hiérarchique comme dans les États totalitaires mais soient partagés entre organismes de différents niveaux, autonomes dans leur secteur et en négociation permanente entre eux pour le bien général. Ces organismes sont avant tout responsables des secteurs et des personnes qu’ils ont en charge et représentent, ils défendent assez naturellement leur intérêt spécifique mais le jeu des interactions, des négociations et des compromis entre tous ces agents sociaux est normalement bénéfique pour le bon fonctionnement de la démocratie et la sage gestion de l’État.

Il ressort clairement de ce rapide examen que, si diverses formes de démocratie participative peuvent compléter, voire corriger la démocratie représentative, elles ne peuvent la remplacer. En dépit de sa faiblesse structurelle, la démocratie représentative demeure incontournable dans la société moderne. Sa faiblesse tient à la réalité humaine, trop humaine. Son bon fonctionnement requiert, des hommes politiques avant tout, mais en réalité de tous les citoyens, une honnêteté et un engagement qu’on peut résumer en termes de vertu civique. Elle fait appel à ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain et doit donc compter avec ce qu’il y a de moins bon – de plus obtus et surtout de plus intéressé. La faiblesse de la démocratie est ainsi structurellement liée à sa dignité et la confiance dans la démocratie ne peut être fondée que dans la certitude que, dans l’être humain ce qui est bon et intelligent est en fin de compte plus important et plus fort que tous les replis et les instincts de domination. Croire en la démocratie, c’est croire en la sagesse et en la bonté foncière de l’être humain contre toutes les apparences et presque évidences du contraire[36]. Ce qui nous interpellait plus directement dans cette analyse des retards, des connivences et de la faiblesse de la démocratie, c’était ce paradoxe qu’expriment de façon imagée les manifestations newyorkaises contre la domination du 1% : comment est-il possible que l’immense majorité des habitants de la planète, et en particulier la masse des plus pauvres laissent se perpétuer et même pour beaucoup viennent à la rescousse d’un système qui les asservit ? La conjonction de tous les facteurs et mécanismes que nous avons examinés fait un peu comprendre. Ce qui en ressort en tous cas comme le chemin à suivre, c’est, d’une part, de renforcer et d’améliorer toutes les formes de participation démocratique et d’en inventer de nouvelles, d’autre part de développer l’éducation citoyenne de tous, en particulier des plus exclus. C’est à ouvrir des pistes dans ces deux domaines que les chapitres suivants de notre étude s’emploieront.

Le populisme, une alternative ?

Nous ne pouvons clore cet examen du difficile fonctionnement de la démocratie sans parler d’un phénomène qui est assez communément perçu comme sa mise en question radicale alors qu’il est présenté par ses protagonistes et reçu par ses adeptes comme l’alternative salvatrice : le populisme. C’est une notion floue et surtout le terme n’est employé que par ses adversaires et dès lors toujours connoté négativement[37]. Aucun parti ou homme politique ne se déclare populiste ; par contre tous ceux qu’on qualifie ainsi ont en commun de se référer au « peuple ». Le peuple, ce peut être « notre peuple », la nation (ethnos) par opposition à un pouvoir étranger ou « le petit peuple » (demos) par opposition à une oligarchie dominante, ou simplement « les gens ordinaires » par opposition aux politiciens[38]. Ou encore une combinaison des trois… Le discours populiste entend défendre ce peuple censé « homogène, majoritaire et travailleur contre une élite hétérogène, minoritaire et paresseuse »[39] ou profiteuse. Il prend appui sur les problèmes réels que vivent les gens, sur leur incompréhension face à la complexité des problèmes et à l’opacité du jeu politique, sur leur désaffection à l’égard de dirigeants qui ne sont pas à la hauteur des situations… Après tout ce que nous avons analysé dans les sections précédentes, on peut comprendre cette désaffection. Et c’est bien pourquoi il importe de serrer d’un peu plus près cette notion de populisme et de ne pas s’en servir comme d’un repoussoir utile pour éviter les questions embarrassantes. La publication presque simultanée de deux dossiers approfondis sur le populisme dans Politique (mai-juin 2012) et dans La Revue Nouvelle (septembre 2012)[40] invite à prendre au sérieux le phénomène.

Ce qui caractérise le discours populiste, c’est son simplisme. Les dysfonctionnements de la société ont une cause, le complot de dirigeants corrompus, qui ne cherchent qu’à protéger leurs intérêts et à perpétuer leur pouvoir. Et il y a un remède, c’est de faire confiance à un leader charismatique ou à un programme clair, à une solution miracle – telle que quitter l’Union européenne ou chasser les étrangers. Un tel discours est normalement inopérant, parce qu’il ne mord pas sur la réalité, il n’aide pas à la comprendre, il ignore le temps politique. Au mieux ou au moindre mal, le flux populiste se perdra dans les sables… En bien des cas, le détour par le populisme débouche effectivement dans la désaffection.

Il devient dangereux dans deux cas de figure. Le premier s’il se polarise sur un leader qui incarne la solution : faites-moi confiance et tout ira bien. L’issue, bien entendu, dépend de la compétence et de la conscience de ce leader. Il n’est pas besoin de remonter aux aventures fascistes des années trente pour percevoir les risques de cet abandon de responsabilité. L’autre danger, plus grave encore, c’est le repli sur une identité particulière qui s’accompagne habituellement de la désignation d’un « autre » comme bouc émissaire. C’est le cas des populismes d’extrême droite qui ont trouvé une nouvelle efflorescence en Europe depuis deux décennies. On rejoint alors ce que nous avons repéré dans notre premier chapitre comme « intégrisme tribal ». Cette dérive a trouvé un paroxysme dans la démarche meurtrière d’un Breivik, aussi absolument cohérente dans sa logique propre qu’elle est humainement aberrante.

Le populisme ne peut pas être une alternative à la démocratie. Mais il importe de ne pas taxer tout de suite de populisme les tentatives d’alternatives[41]. En toute hypothèse, le discours qui se teinte de populisme, ou qu’on est tenté de qualifier comme tel, est toujours l’indice d’un malaise, une sorte d’appel au secours. C’est pourquoi, comme le titre le dossier de La Revue Nouvelle, il faut « pour la démocratie, prendre au sérieux le populisme ». Mais il faut aussi prendre les moyens de dépasser son simplisme et chercher les véritables alternatives, les procédures possibles d’une participation démocratique et l’accès de tous les citoyens, même les plus pauvres et les plus exclus, à la responsabilité politique. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les deux derniers chapitres de notre étude.

Chapitre 3. La démocratie participative
 

La démocratie représentative connait aujourd’hui une crise de légitimité. On se souviendra du slogan des dizaines de milliers d’indignés « ce n’est pas une démocratie mais une dictature » ou encore « ils ne nous représentent pas », s’insurgeant contre un système politique où les décisions sont prises par une élite politique professionnalisée à laquelle est reproché de délaisser les intérêts des citoyens au profit des intérêts économiques. La critique d’une démocratie de plus en plus bancale nous semble fondée. L’étape suivante est d’explorer les possibilités de remettre en selle l’idée d’un pouvoir qui appartiendrait au peuple. Pour ce faire nous nous sommes intéressés à des initiatives où des citoyens, composante de ce peuple, reprennent ce pouvoir qui leur a été confisqué.

Lorsqu’on s’intéresse aux initiatives qui réinventent la démocratie, apparait très vite une multitude d’actions qui permettent au citoyen de s’impliquer dans l’influence des politiques publiques. Ces actions prennent diverses formes très différentes les unes des autres. Il y a celles qui sont insufflées par les pouvoirs publics avec plus ou moins de bonne foi[42], et celles qui sont à l’initiative des citoyens. Il y a les initiatives qui visent à organiser une communauté restreinte et celles qui visent l’organisation sociale dans son ensemble, de là se déclinent les initiatives aux différentes échelles de l’organisation collective, du quartier à l’Europe… Il faut ajouter à cela la participation plus classique aux décisions politiques des corps intermédiaires, cette professionnalisation de citoyens, syndicats et associations qui font du plaidoyer pour influencer les politiques publiques dans le sens d’une plus grande justice sociale. Toutes ces initiatives mettent en défaut l’assertion d’une dépolitisation de la société, même s’il faut bien le dire cet engagement reste le fait d’une partie de la population, souvent une élite socio-économico-culturelle, ce qui pose la question de la représentativité et donc de la légitimité. Cette question sera abordée dans le quatrième chapitre de cette étude.

De cette multitude de projets, nous avons choisi d’en explorer deux. La coopérative politique VEGA et le G1000. Très différents l’un de l’autre : le premier a choisi de s’inscrire dans le cadre électoral alors que le second veut créer un espace d’expression à côté de ce cadre. Ils ont cependant un point commun, celui d’être tous les deux ascendants. Ils sont de l’initiative de citoyens qui ont voulu se mêler de l’organisation collective et non une consultation de la population par les pouvoirs publics. Cela nous paraissait particulièrement porteur de créativité, d’autonomie citoyenne, signe que la démocratie n’est pas morte, que la population ne s’est pas complètement détournée de la politique mais au contraire, qu’il existe des citoyens pour la réinventer, pour s’y creuser une place, pour créer des espaces où être entendus. D’un constat d’inaction, d’un sentiment de déception vis-à-vis des pouvoirs publics naissent des projets initiés par des citoyens qui entendent réinventer la démocratie.

VEGA, une alternative à l’abstention

Pour découvrir cette initiative nous avons rencontré l’un de ses initiateurs, François Schreuer. Le projet est né en été 2011 d’un petit groupe impliqué dans l’associatif liégeois qui, à l’approche des élections communales, a voulu saisir l’occasion pour se constituer en acteur et influer d’une façon ou d’une autre sur le débat public. Le 14 janvier 2012 le projet devient la coopérative politique VEGA, contraction de Vert et à Gauche. Le terme « coopérative » est une façon de se démarquer du fonctionnement des partis jugés trop hiérarchiques en insistant au contraire sur l’égalité des coopérateurs dans leur démarche. Ceux qui participent à VEGA sont invités à être coopérateurs plutôt qu’adhérents, c’est-à-dire réellement actifs et pleinement légitimes dans l’orientation donnée au mouvement.

Après des discussions au sein de la coopérative où différentes pistes d’action pour influer sur les élections ont été envisagées, VEGA a choisi de présenter une liste aux élections communales liégeoises du 14 octobre 2012. Le choix fut difficile en raison de la défiance par rapport au jeu politique mais le pragmatisme l’a emporté : le jeu politique avance quoi qu’il arrive, autant être de la partie et pousser les questions qui semblent essentielles dans le débat public communal. Beaucoup dans la coopérative sont fatigués d’années de militance avec peu ou prou de résultats, du manque d’écoute des pouvoirs politiques, même de ceux qui se disent de gauche. Ceux-ci ne se font pas le relais des préoccupations associatives que le secteur souhaiterait leur voir faire, mais au contraire manquent de courage face à la « déferlante austéritaire ». Peu à peu la politique néo-libérale se constitutionalise. En résulte une désaffiliation à la politique d’une partie de la gauche pourtant militante et un taux d’abstention que François Schreuer juge regrettable. Parce que l’organisation collective de l’Etat a un impact important sur nos vies, on ne peut pas ne pas s’y impliquer. VEGA, considérant que le discours « tous pourris » est le discours qui arrange le mieux les « vrais pourris », a voulu se poser en alternative à l’abstention où les militants de gauche déçus par la politique partisane pourront présenter leurs idées[43] dans le jeu institutionnel.

L’initiative VEGA est la volonté de recréer le relais entre revendications de la société civile et représentants politiques en s’impliquant là où se joue la lutte pour la prise de décision : la sphère électorale. Pour insuffler du changement, le passage par la sphère électorale semble une étape indispensable mais pas suffisante. Indispensable car dès que l’on souhaite qu’une action sociale soit menée, que des changements soient impulsés, une prise de décision est nécessaire, quelques-un(e)s doivent à un moment donné dire, sur base de toutes les options qui sont présentées : « maintenant c’est cela que l’on va mettre en place ». Pour ce faire, pour VEGA, il n’existe pas de meilleur moyen que le suffrage universel : une personne une voix. Sans ce passage obligé par le suffrage universel, ceux qui perdent leur voix sont souvent ceux qui ont un bagage socio-culturel moins élevé. Cela dit, le suffrage universel qui prend la forme aujourd’hui d’élection de représentants qui prendront pour nous des décisions pendant plusieurs années, n’est pas la seule qui existe. Le référendum est par exemple une autre forme de suffrage universel. On pourrait également imaginer des personnes élues pour un mandat beaucoup plus limité dans le temps et dans l’objet. Mais le passage par la sphère électorale n’est pas suffisant car les mouvements sociaux, la protestation, le travail associatif, syndical, culturel est nécessaire pour porter les réalités de terrain dans les débats publics et assurer un contre-pouvoir. Contre-pouvoir dont VEGA se veut d’être une voix alternative aux jeux politiques classiques au niveau communal, terrain propice aux initiatives concrètes. Sans prétendre pouvoir tout changer tout de suite, la coopérative veut agir dans les interstices.

La coopérative fonctionne avec différents groupes thématiques qui réalisent un travail approfondi sur l’urbanisme et la mobilité, l’enseignement, le logement et le CPAS, une réflexion est également lancée sur des sujets tels que la culture, la santé ou encore les finances communales. Cette réflexion est orientée vers les compétences communales, en ciblant les questions qui touchent le quotidien des gens afin de l’améliorer : offrir à tous un logement décent, la capacité de se déplacer, un environnement de qualité… et avec l’idée de service public comme notion centrale. Ces groupes thématiques ont permis d’aboutir à des mesures très concrètes. Par exemple, en ce qui concerne la mobilité, il serait possible de faire des abonnements de bus à un euro par mois pour tous les Liégeois, financés par une taxe sur les parkings commerciaux. Ou encore il serait possible d’ouvrir 400 places de crèches publiques qui manquent à Liège en ne remplaçant pas les policiers qui partent à la retraite jusqu’à arriver à 48 policiers pour 10.000 habitants[44] ce qui est la proportion d’une grande ville comme Bruxelles. Ces propositions novatrices, qui mettent l’écologie et la redistribution au centre, ont pour objectif de venir oxygéner un débat électoral éculé et secouer une politique de gauche classique devenue frileuse.

Par ailleurs, comme le rappelle le manifeste de VEGA, il n’existe pas de politique émancipatrice sans éducation populaire. C’est pourquoi, au-delà des élections politiques, VEGA entend aussi développer un volet éducation populaire en se constituant en organisation politico-culturelle, en un lieu où l’on se rencontre, où l’on apprend, où l’on réfléchit, où seraient organisés des formations, une bibliothèque, des rendez-vous réguliers autour de projections, de débats, de concerts,… Partant du principe que la politique n’est pas une affaire de spécialistes mais que tous nous pouvons y apporter notre expérience, VEGA serait un lieu de mise en réseau des énergies, des savoirs et des expériences de chacun. La fonction d’éducation permanente consisterait également à proposer à celui qui veut de venir au conseil communal et de réfléchir à ce qui s’y passe. Beaucoup de choses restent encore à imaginer dans le développement de la coopérative naissante mais prometteuse.

Suite aux élections communales, la coopérative a obtenu 3,6% des voix et obtient donc un siège au conseil communal, un franc succès pour une si jeune initiative. La coopérative aura pour défi de rester attentive à ce que le délégué communal reste le représentant de la coopérative, qu’il y ait un va et vient systématique entre les groupes thématiques et le conseil communal et ainsi incarner l’idéal démocratique que la coopérative défend.

G1000, recherche et développement pour la modernisation démocratique[45]

Le projet est né en plein crise institutionnelle belge d’une idée lancée par David Van Reybrouck, chroniqueur au Morgen, et rattrapée par Paul Herman, celle de redonner la parole au citoyen. Les deux hommes ont réuni un petit groupe composé de chercheurs et d’acteurs de la société civile, autour du constat suivant : la crise que connait la Belgique n’est pas uniquement une crise institutionnelle mais une crise de la démocratie, qui n’est d’ailleurs pas propre à la Belgique mais touche l’ensemble des pays occidentaux. Les élus, aujourd’hui sans cesse soumis au regard sans pitié des media, sont pris dans un jeu électoral qui paralyse l’action politique et « corrompt nos démocraties en dictatures des élections »[46]. A partir de ce constat, ils se sont posé la question suivante : Comment réanimer la démocratie à l’agonie ?

Ce groupe de citoyens, après de longues réflexions, s’est lancé dans ce projet fou de mettre sur pied une délibération citoyenne à l’échelle du pays qu’ils ont appelé G1000. Le nom fait référence au G8, G20… le nombre symbolique 1000 met l’accent sur une démocratie qui fait défaut dans ces conférences au sommet. C’est sans doute aussi un pavé jeté dans la mare : une mise dans la balance de quelques puissants qui se réunissent pour discuter de l’évolution du monde sans avoir été mandatés pour le faire, ce qui est somme toute fort peu légitime, d’une part, et d’autre part les citoyens qui sont en premier lieu concernés par ces évolutions et qui ne sont que fort peu consultés.

L’idée, et les promoteurs du G1000 insistent, n’est pas de remplacer le système représentatif existant mais de l’améliorer, de le réajuster à notre société. Nous sommes héritiers d’un système de représentation politique qui n’a pour ainsi dire pas changé depuis le XIXème siècle alors que la société, elle, a énormément changé : les citoyens ont aujourd’hui la possibilité de réagir instantanément à chaque évènement, chaque décision prise, chaque inflexion dans le débat public grâce aux nouvelles technologies mais leurs opinions ne sont pourtant que très peu intégrées au processus de décision tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Ils peuvent réagir en direct alors qu’ils ne peuvent agir -au travers de l’élection- qu’au bout de plusieurs années. Pour reprendre les termes du manifeste du G1000 « le citoyen aujourd’hui n’a jamais été aussi averti et émancipé et à la fois aussi impuissant »[47]. En d’autres termes, dans une société de l’information et de la connaissance, le système d’élection ne suffit plus.

Le G1000, c’est la volonté de faire évoluer une démocratie qui ne peut plus se limiter au système du vote, de la remettre en phase avec son temps en ouvrant un espace d’expression où les citoyens peuvent s’exprimer entre deux élections et de cette façon, appuyer le travail des élus. Il permet de canaliser cette déferlante de prises de position en offrant un espace où les affiner et les formaliser et ainsi de construire leur pleine légitimité. C’est ce qui est appelé la démocratie délibérative : le peuple n’est plus simplement représenté mais prend également part aux processus de délibération sur l’avenir de la société. Avec cet avantage de taille que les promoteurs du G1000 mettent en avant : les citoyens n’ont pas à « mettre en balance les intérêts nationaux et les intérêts électoraux »[48]. La délibération se distingue du débat caractérisé par la volonté d’avoir raison, de la consultation populaire initiée par les pouvoirs publics qui écoutent mais gardent le contrôle sur la décision finale, elle se distingue également de la recherche de compromis où chacun cherche à maintenir un maximum son avantage. La délibération est, quant à elle, la recherche de consensus sans nier les conflits.

Les promoteurs du G1000 sont ainsi mus par la conviction que les citoyens qui ont l’occasion de se documenter suffisamment peuvent discuter, argumenter et trouver des compromis tout à fait rationnels qui concilient leurs intérêts propres avec l’intérêt général[49]. La formule diffère ici du referendum ou de la consultation populaire où il est demandé à un grand nombre de citoyens de voter sur un sujet que peu connaissent, la démocratie délibérative, elle, implique un petit nombre de citoyens préalablement informés qui délibèrent en profondeur.

Si on a peut-être eu tendance à assimiler le G1000 au sommet citoyen qui s’est déroulé le 11 novembre 2011 à Tour et Taxis, c’est en réalité – et c’est là sa véritable originalité – un processus en trois phases complémentaires. La première phase, ouverte en juillet 2011, a consisté en une large consultation publique via Internet, où tous ceux qui le souhaitaient pouvaient déposer des suggestions de sujets qui seraient mis à l’agenda du sommet dans une boite à idées. La volonté était de ne pas imposer les thèmes mais qu’ils soient choisis par les citoyens, en fonction de leurs préoccupations[50]. Près de 3.000 propositions ont été déposées sur le site, qui pouvaient être appréciées grâce à un système de vote. Ces 3.000 propositions ont ensuite été catégorisées en un top 25 des thématiques les plus populaires, ensuite ces 25 thématiques ont été elles-mêmes remises au vote du public pour qu’enfin émergent les trois thématiques discutées lors du sommet citoyen : la sécurité sociale, la redistribution des richesses et l’immigration. Si l’initiative est née de la crise institutionnelle et que le projet venait d’une préoccupation sur l’avenir de la démocratie, ces thèmes n’ont finalement pas été choisis pour être discutés lors du G1000, au regret des organisateurs. Les thématiques les plus populaires sont finalement celles qui touchent le quotidien des gens et leur niveau de vie.

La deuxième phase fut le sommet du 11 novembre 2011 proprement dit. Les 704 citoyens réunis ce jour-là ont d’abord écouté des experts sur les thématiques, pour ensuite échanger par groupe de 10 aidés par un facilitateur[51] de table et ont élaboré une série de propositions de réponses aux trois thématiques abordées et pour lesquelles ils ont ensuite voté[52]. Un scénario de la journée particulièrement cadenassé a permis à tous, malgré la grande mixité des participants, d’exprimer leur opinion, ce qui a suscité l’enthousiasme général. Selon les observateurs internationaux présents lors du G1000, une des caractéristiques la plus impressionnante du G1000 est la diversité des participants au niveau du genre, de l’âge, des préférences politiques, de la profession et du bagage culturel[53]. Au niveau des résultats proprement dits, la diversité des propositions témoigne de la mixité des opinions des personnes rassemblées à Tour et Taxis le 11 novembre et, on peut l’imaginer, de la société belge. Aucune proposition n’a remporté l’unanimité ni même la majorité et rares sont les propositions qui ont recueilli un suffrage de plus de 40%. On ne constate pas non plus de tendance clairement positionnée sur le spectre politique gauche/droite. Ces éléments témoignent d’une opinion publique très hétérogène. Cette absence d’homogénéité a peut-être amené une certaine déception des media face à l’initiative qui, après le sommet, l’ont critiquée. C’est peut-être parce que ce pluralisme est difficilement traitable par les media, qui auraient sans doute préféré une réponse monolithique ou quelques slogans chocs… mais qui refléteraient bien moins la diversité au sein de notre population et la complexité et les nuances dont est faite notre société.

La troisième phase du G1000 a réuni 32 personnes durant trois week-ends d’automne 2012 autour de la question suivante : Comment aborder le travail et l’absence de travail dans notre société ? Question qui permet également d’aborder les deux autres thématiques du sommet, à savoir la répartition des richesses et l’immigration. Les participants ont divisé le thème en six axes : agir pour une rémunération plus équitable, les coûts salariaux (comment les prendre en compte dans la création d’emploi), comment faciliter l’accès au travail, le travail et nos générations futures – réflexion autour du début et de la fin de carrière –, travail et qualité de vie et enfin la discrimination en matière de travail. Pour chacun de ces thèmes les panelistes ont mis en commun leurs idées et positions de départ, pour ensuite formuler les questions qu’ils souhaitaient poser à des experts dans le but de formuler à partir de là des recommandations aux politiques sur les six thèmes. Ces recommandations proposent toute une série de mesures plus ou moins précises telles que de développer une meilleure adéquation entre offre et demande de travail en développant une meilleure connaissance du marché de l’emploi et des systèmes de formation adéquats, la simplification de l’accès au travail, le revenu universel, la participation des travailleurs sur leur lieu de travail,…[54] Ces recommandations ont été remises aux présidents des assemblées.

Dans l’avenir, les promoteurs souhaiteraient que le G1000 devienne une plate-forme permanente de démocratie délibérative. Son expertise d’innovation démocratique pour devenir un outil pour les citoyens qui souhaiteraient se faire entendre, pour les organisations, ou même pour les pouvoirs publics qui voudraient consulter les citoyens… tout l’enjeu sera alors de conserver sa neutralité et de ne pas être instrumentalisé.

L’initiative a suscité un engouement qui n’a d’égal que l’attente des citoyens qu’elle rencontre. La participation a été importante et multiple. Ainsi, en plus des 704 personnes qui ont débattu le 11 novembre 2011 et du noyau d’organisateurs au cœur de l’initiative, de nombreux citoyens se sont faits ambassadeurs du projet auprès des personnes tirées au sort, leur expliquant ce qu’on attendait d’eux. Nombreux également ont été les bénévoles qui ont permis le bon déroulement le jour-même du sommet. Des G-Offs ont également été organisé ce jour-là pour permettre à ceux qui n’avaient pas été tirés au sort de débattre en suivant le scénario du sommet. Et une application en ligne appelée G-Home permettait également de participer de chez soi. Selon une enquête réalisée à la suite du sommet, l’ensemble de ses participants se sont dits satisfaits de leur participation au projet et de la tournure que prenait celui-ci. Peu à peu, malgré des opinions et des horizons différents, s’est tracé le diagramme de la volonté de compromis des citoyens unis par la volonté de prendre part au débat qui oriente l’organisation sociale.

Quant aux pouvoirs publics, leur réaction n’est pas donnée d’avance. A priori, ils n’ont rien demandé, donc rien ne les oblige à tenir compte des recommandations issues du processus délibératif. Cependant, lors du sommet en automne 2011, les 7 présidents d’assemblées ont écouté ce que les citoyens avaient à dire. Par ailleurs, les pouvoirs publics montrent une ouverture tout au moins symbolique en ouvrant les parlements et le sénat aux 32 délibérateurs lors des 3 week-ends de la phase finale. Au-delà de l’oreille politique prêtée au G1000, rien n’assure que les revendications vont être prises en compte, si ce n’est l’espoir que les résultats d’une initiative qui suscite un tel enthousiasme citoyen ne peuvent être balayés d’un revers de la main. Le peuple a repris la parole mais trouvera-t-il une oreille attentive auprès de ceux à qui revient la prise de décision ?

Au-delà de son impact politique, le G1000 est un prototype inédit. Si l’idée d’une délibération citoyenne n’est pas neuve, c’est la première fois qu’elle a été initiée, créée et portée uniquement par des citoyens s’impliquant bénévolement. Il est la preuve qu’il est possible que des initiatives structurées par et pour les citoyens existent. Sans être un modèle clé-sur–porte, le G1000 est là pour donner des idées à ceux qui veulent créer de la démocratie. L’objectif des promoteurs est que cette initiative essaime, qu’elle soit appropriée par des citoyens désireux de faire vivre la démocratie. Que d’autres G éclosent un peu partout à côté d’autres initiatives qui renouvellent la démocratie. C’est là finalement qu’est l’idéal politique qui fonde le projet. De dépoussiérer une démocratie représentative sclérosée, en y intégrant la participation de citoyens et en leur donnant la possibilité de donner leur avis informé et construit.

Aller plus loin

Nous nous sommes attardés sur des initiatives qui existent. Si elles existent, c’est parce qu’un jour, des personnes les ont imaginées et les ont construites pas à pas en les rendant réelles. Pourquoi donc ne pas rêver d’aller encore un peu plus loin ? Par exemple pourquoi ne pas rêver de systématiser des délibérations telles que le G1000, et que tout en gardant cette indépendance salutaire, l’intégration des résultats de ces délibérations soit rendue obligatoire dans l’orientation des politiques publiques, pour peu que ces recommandations aient été élaborées selon un scénario défini qui respecte entre autres les principes de transparence, de dignité, de diversité, d’ouverture et d’indépendance. Ou encore pourquoi ne pas imaginer qu’une partie du sénat soit composé de citoyens tirés au sort, que les mandats de nos élus soient ciblés sur une ou quelques tâches et non renouvelables. Rêver d’une politique qui n’appartiennent plus à des professionnels mais que chaque citoyen s’y investisse, jusque dans la prise de décision.

Par ailleurs, quand on parle de participation politique, un bémol apparait très vite : celui du temps que cela nécessite. En effet, qui est prêt à aller passer plusieurs week-ends par an entre deux semaines de travail ou des soirées après de longues journées, pour aller discuter de sujets parfois conflictuels, souvent compliqués, plutôt que de les passer en famille ou entre amis ? Il y en a bien sûr qui sont prêts à le faire de manière ponctuelle voire même plus régulière mais le fait est que cela demande un gros investissement, que même si l’on aimerait participer aux décisions collectives qui nous concernent, on a souvent plus envie d’allouer notre temps libre à d’autres loisirs. Le temps est un bien précieux et son allocation nécessite des choix qui impliquent des sacrifices. C’est un réel problème si l’on rêve d’une démocratie où tous nous prendrions part d’une manière ou d’une autre.

A la suite de Bruno Théret[55], nous proposerons à ce problème l’analyse et la piste de solution suivante. De façon assez générale, notre temps est principalement alloué à des activités économiques : le temps passé au travail pour gagner sa vie, et à des activités domestiques : le temps consacré à sa famille, corvées et plaisirs confondus… Une grande absente dans cette répartition est l’activité politique. L’organisation sociale du temps est telle qu’il ne reste que peu de temps au citoyen à consacrer à celle-ci. Il est plus que pertinent de remettre en cause le bien-fondé d’une organisation du social qui favorise la participation à l’activité économique et délaisse l’activité politique, qui assigne à la population des rôles de producteurs et de consommateurs et non de citoyens. S’il y a bien sûr des exceptions à cette règle – des personnes qui choisissent de travailler moins afin de développer leur citoyenneté –, cette tendance reste marginale et n’est de toute façon pas facilitée par l’organisation sociétale.

Bruno Théret propose un rééquilibrage entre le temps consacré aux activités économiques, domestiques et politiques. Pas question de toucher au temps domestique mais bien de transférer une partie du temps consacré à l’activité économique vers des activités politiques citoyennes. Il envisage de jouer sur la triade réduction du temps de travail-fiscalité-monnaie. L’idée serait de diminuer le temps de travail, le temps ainsi libéré serait alloué non pas à des activités domestiques mais à des activités politiques. Pour ce faire, l’Etat démonétiserait une partie de sa fiscalité pour la transformer en impôt temps : au lieu de donner notre impôt en argent nous donnerions du temps à l’Etat en exerçant des activités citoyennes. L’intérêt serait également que les personnes sans emploi pourraient aussi prester cet impôt-temps et en contrepartie bénéficieraient de services publics (par exemple les transports en commun gratuits…). On allie donc ici renforcement de la citoyenneté et justice sociale. Si cette proposition est loin d’être à l’ordre du jour, elle nous parait néanmoins porteuse et mérite d’être connue dans la mesure où elle met en place les conditions préalables à une évolution de la démocratie : libérer du temps afin que la population puisse exercer sa citoyenneté.

Pour finir, toute évolution de la démocratie, à moins de prendre la tournure sanglante de la révolution française, ne se fera pas sans la coopération des pouvoirs publics. C’est dans les sphères de pouvoir que se décident les règles d’exercice et de répartition du pouvoir. Dans les deux exemples, les citoyens créent un débat public mais ne participent pas à la prise de décision qui pour l’instant reste verrouillée, la clé est dans les mains des représentants. Ils gardent le dernier mot. Cela peut avoir comme conséquence l’inertie et la reproduction du système politique[56]. Or, pour que la démocratie évolue, il est indispensable que les pouvoirs publics abandonnent une partie de leur pouvoir aux citoyens. Une démocratie qui ne se joue que dans l’arène politique n’est pas une démocratie. Si la société est devenue aujourd’hui trop complexe et que nous sommes trop nombreux pour que tous, nous participions tout le temps à toutes les décisions, le fait que nous déléguions tous les pouvoirs à peu de personnes pour une période qui, dans une société de l’immédiat, est fort longue, provoque une crise de légitimité. Les crises, c’est bien connu, sont des terrains fertiles pour les alternatives, avec cette boussole : la démocratie par définition se réalise par la participation de la population dans l’organisation collective qui la concerne. Cette démocratie n’est jamais acquise : si le pouvoir est au peuple, le peuple doit exercer activement ce pouvoir. Dès qu’il s’arrête – de gré ou de force – la démocratie s’arrête. Dans sa forme idéale, la démocratie est non-avenue, il ne faut pas nous reposer sur nos acquis mais ne cesser de tendre vers cet idéal en plaçant notre confiance dans l’intelligence collective, en notre capacité à trouver ensemble une société où tous pourront s’épanouir.

Chapitre 4. Quelle voix des personnes défavorisées en démocratie ?
 

La démocratie : le pouvoir du peuple ?

Le mot démocratie, étymologiquement, indique que le pouvoir (kratia, en grec) est exercé par le peuple (demo). On peut aussi penser à la célèbre phrase d’Abraham Lincoln : « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Il s’agit là du fondement même de la démocratie : le pouvoir de tous. Comme le disait avec force Paul Ricœur : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage ». Considérant cela, nous pouvons légitimement nous poser les questions de savoir si, dans nos démocraties représentatives, tous (et toutes !) ont le même pouvoir de peser sur les décisions ? Ou si les intérêts de tous et toutes, c’est-à-dire du peuple entier, sont bien représentés ? Malheureusement, nous ne pouvons répondre par l’affirmative à ces questions. Les décisions prises en ce temps de crise illustrent de manière toute particulière que les intérêts de certains – les plus nantis – sont privilégiés au détriment de ceux des plus fragiles de notre société. La logique derrière certaines décisions est effectivement loin d’être la recherche du Bien commun et de l’intérêt collectif, puisque l’intérêt des personnes en situation de précarité ou de pauvreté n’est pas pris en compte. Pensons aux mesures d’austérité prises en Europe depuis le début de la crise en 2008… et parallèlement à cela, pensons au sauvetage des banques, qui depuis ont bien silencieusement renoué avec les profits.

Certes, il est vrai que chaque citoyen a une voix lors des élections. Mais il reste que l’organisation sociale repose sur le schéma « centre/périphérie »[57]. Aujourd’hui, il s’avère que, au centre, ce sont les considérations économiques et surtout financières qui règnent en maître et ordonnent l’organisation sociale… reléguant à la périphérie les intérêts des plus vulnérables de la société. Si, par nature, la démocratie est un lieu de tension et de rapport de forces, concrètement, les plus faibles sont marginalisés, et le rapport de forces apparaît comme très inégal. Face à cette organisation sociale, nous l’avons vu dans la première partie de cette étude, le pouvoir politique apparaît bien impuissant. Or, comme le résume Loïc Blondiaux, « Qu’est-ce qu’un régime qui se prétendrait démocratique et aurait renoncé à son principe fondateur ? Il ne saurait y avoir démocratie sans égale possibilité pour chacun d’influencer le pouvoir de décision. C’est cette promesse que nos démocraties ont trahi. C’est avec elle qu’elles doivent renouer »[58].

Quelle participation des personnes en situation de précarité ou de pauvreté ?

Pour renouer avec cet idéal, de nombreuses initiatives fleurissent ici et là, se réclamant de ce qu’on appelle la « démocratie participative ». Souvent, elles opèrent à un niveau local, le quartier ou la commune (budget participatif, comité de quartier, etc.). Comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre de cette étude, elles peuvent prendre diverses formes. Le sens de la participation est en tout cas de mettre en place des mécanismes afin d’associer les personnes concernées par une politique publique à l’élaboration, l’application, et idéalement l’évaluation de ladite politique. Une réelle opportunité donc pour que la voix de tous et toutes soit entendue ! En théorie, c’est l’idéal affiché… Cependant, la plupart des tentatives de démocraties participatives, aussi louables soient-elles, reproduisent, voire renforcent, les inégalités politiques existantes dans la société[59]. En effet, la plupart du temps, les personnes qui participent ou en tout cas celles qui ont le plus de chance de se faire entendre au sein de ces dispositifs participatifs sont celles qui sont les plus favorisées en termes de capital social et de capital culturel. Nous nous associons à Loïc Blondiaux pour dénoncer ce non-sens : « La démocratie participative n’a de sens que si elle contribue à enrayer les logiques d’exclusion sociale qui caractérisent aujourd’hui le fonctionnement ordinaire de nos démocraties […] Si, à l’inverse, la démocratie participative ne constitue qu’une continuation de la politique traditionnelle par d’autres moyens, si elle en reproduit les limites et ne sert qu’à ceux qui ont déjà voix au chapitre, à quoi peut-elle servir ? »[60].

Destinés à faire participer les citoyens au processus de décision politique et élaborés comme une réponse à la crise de légitimité de la démocratie, ces dispositifs sont conçus sur le modèle classique de la discussion politique : y participent des personnes assez semblables à celles qui prennent part habituellement à des formes traditionnelles d’engagement politique (partis, syndicats, etc.). La discrimination liée au genre serait la seule à échapper à cette reproduction de l’ordre inégal établi : les femmes y sont bien représentées, parfois même plus que les hommes. Par contre, les classes populaires, les jeunes et les populations d’origine étrangère n’y sont pas ou peu représentées, et si ces groupes le sont, les personnes issues de ces groupes ne prennent que peu la parole[61].

Pourquoi donc ce genre de dispositifs censés offrir une occasion de faire entendre sa voix ne résulte bien souvent qu’en un renforcement de la logique excluante ? De multiples éléments de réponse peuvent être avancés pour répondre à cette question.

Tout d’abord, le type de dispositifs mis en place repose essentiellement sur la prise de parole en public et la rhétorique. Or, les groupes cités plus haut n’ont bien souvent pas développé ces aptitudes. Plus largement, on peut dire à la suite de Paolo Freire qu’à force de stigmatisation, ils ont intériorisé leur position sociale de dominés. En résulte un manque de confiance en soi, une autodépréciation et la conviction de ne pas être entendus ou d’être déconsidérés : « Ils ont tellement entendu répéter qu’ils sont incapables, qu’ils ne savent rien, qu’ils ne peuvent rien comprendre, qu’ils sont malades, indolents et que pour toutes ces raisons, ils ne produisent rien, qu’ils finissent par se convaincre de leur incapacité »[62].

Au-delà du seul langage, les codes mobilisés dans les structures participatives ne leur sont pas familiers. La conception et la mise en œuvre descendante de ces dispositifs suppose que ce sont les plus vulnérables qui doivent s’adapter aux codes dominants et non l’inverse. La domination par les codes langagiers et d’expression se revit donc à l’intérieur même de ces dispositifs créés pour se faire plus proche de la population ! Le sentiment d’exclusion s’en trouve renforcé, là où l’intention était plutôt de favoriser l’inclusion.

Il y a aussi le fait que la culture institutionnelle est « intégrée » : les politiques publiques sont élaborées de façon centralisée, même si elles sont opérationnalisées à un niveau local. Cette manière de faire est en quelque sorte intégrée par les citoyens, a fortiori par les personnes en situation de précarité ou de pauvreté aussi[63].

Ensuite, il ne faut pas négliger l’aspect du temps que demande ce genre d’investissement. Or, bien souvent, les populations les plus démunies font face à des problèmes plus urgents et sont dans une logique de lutte pour simplement vivre leur quotidien.

Enfin, la méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics est souvent forte au sein des catégories sociales marginalisées, du fait que leurs besoins les plus urgents ne suscitent pas la mobilisation prioritaire des autorités.

Pourquoi faire participer les marginalisés ?

Ce constat est navrant dès lors qu’on le met en parallèle avec les bénéfices qu’offre une participation réelle des personnes en situation de précarité et de pauvreté. Si l’on en croit Matthieu Angotti, les impacts positifs de la participation sont en effet pluriels.

Tout d’abord, il y a le fait que les politiques publiques élaborées avec le concours de personnes vivant une forme de marginalisation sont plus cohérentes, plus pertinentes et dès lors plus efficientes[64]. L’expérience du labyrinthe que peuvent représenter les divers dispositifs d’aides sociales vécus par les personnes concernées ne peut que contribuer à la recherche de plus de cohérence entre ces divers dispositifs sociaux et prestations. Les personnes en situation de pauvreté sont aussi le mieux à même de juger de l’adéquation entre leurs besoins et la manière dont les politiques publiques tentent d’y répondre.

Ensuite, il en va également de la légitimité des politiques publiques. Même si le pouvoir de décision revient en définitive aux autorités publiques, les décisions ne seront légitimes que si les élus se confrontent à la réelle participation des divers acteurs concernés[65].

Un autre impact significatif est le bénéfice qu’en retirent les personnes en situation de pauvreté elles-mêmes. Cette démarche de participation peut leur être bénéfique en termes d’exercice de leur citoyenneté, contrastant avec le processus rampant de dislocation du lien social. Aussi, pouvoir réellement prendre part à un dispositif de démocratie participative joue sur le sentiment de pouvoir agir sur sa propre vie, de (re)devenir acteur à part entière, de prendre ses responsabilités et de pouvoir poser des choix, de se positionner dans le débat et de s’affirmer. C’est ainsi un bon moyen pour lutter contre l’auto-dévalorisation et favoriser le renforcement des capacités d’action des personnes, qui deviennent acteurs de débats, là où habituellement elles sont cantonnées au fait d’être sujets de débat[66].

A propos de développement de la citoyenneté, Marion Carrel fait un pas plus loin en raisonnant de manière collective, plutôt qu’en termes de bénéfices individuels : « la participation des plus vulnérables est également un vecteur d’éveil et de mobilisation du sens politique du grand public. La coconstruction des politiques publiques avec des citoyens suscite en effet intérêt et curiosité pour tous les autres, ainsi qu’un sentiment d’être partie prenante pour tous les autres »[67].

Matthieu Angotti ajoute que les personnes à qui il revient de mettre en œuvre les politiques publiques (notamment les assistants sociaux) trouvent leur travail ainsi facilité.

Finalement, nous pensons qu’au-delà de ces impacts concrets, il s’agit aussi de se positionner sur le plan des valeurs et du sens. Ainsi, dès lors que l’on défend le Bien commun et que l’on poursuit l’intérêt collectif, il s’agit, pour les élus, mais également pour toute personne engagée en politique – au sens large de chose publique – de rechercher la cohérence entre les valeurs que l’on défend et la manière dont on les fait exister concrètement. Si l’on croit en la démocratie, alors il faut tout faire pour que, comme le souligne Paul Ricœur, la participation à la décision soit assurée à un nombre toujours plus grand de citoyens[68].

Comment favoriser la participation des marginalisés ?

Pour qu’un nombre toujours plus grand de citoyens, y compris les plus marginalisés, puisse participer au processus d’élaboration et de décision des politiques publiques, il s’agit de dépasser certains obstacles ou freins et de poser quelques balises.

Tout d’abord, ce qui nous apparaît comme le plus important, c’est qu’il s’agit bien d’une affaire de volonté politique. La démocratie participative est à la mode. L’intention de faire participer les exclus aussi : signalons, à titre d’exemple, le souci du Conseil de l’Union européenne de favoriser « la participation et l’expression des personnes en situation d’exclusion, notamment sur leur situation, sur les politiques et sur les actions développées à leur endroit »[69]. Quel(le) politicien(ne) pourrait aujourd’hui affirmer d’emblée qu’il ou elle n’y est pas favorable ? C’est dans l’air du temps mais, comme le soupçonne Loïc Blondiaux[70], on peut se demander s’il n’en va pas simplement d’un effet d’annonce. En effet, si les personnes des catégories les plus défavorisées de la société se mettaient à exercer activement leur citoyenneté et à faire de la politique, si les sans-voix se mettaient à prendre réellement la parole, il est vraisemblable que l’ordre social établi s’en trouverait pour le moins remis en question, voire chamboulé ! Si du côté des autorités publiques, il s’agit d’une stratégie de communication vide de sens et non d’une réelle volonté politique de rechercher et construire l’idéal démocratique, alors cela fera pire que rien. Pour Matthieu Angotti[71], la volonté politique doit être continue pour éviter les phénomènes d’usure. Si l’on avance par la pédagogie des petits pas, en ayant des objectifs de long-terme en vue mais allant de petits projets en réalisations concrètes, cela permet de tenir sur la durée. En bénéficiant des impacts positifs de la participation, cela permet à chacun de se rendre compte que le jeu en vaut la chandelle.

Un autre obstacle à dépasser pour favoriser la participation des plus vulnérables de la société est certainement les formes de débat mobilisées par les dispositifs participatifs. La créativité est donc de mise, pour éviter de se limiter aux formes traditionnelles de négociation. Aussi, considérant le temps à consacrer à ce genre d’initiatives, pourquoi ne pas tout faire pour se rapprocher des publics les plus précaires et les plus marginalisés ? En se déplaçant dans leur quartier, en adaptant les horaires, etc. Loïc Blondiaux propose de rémunérer la participation. Nous l’avons vu dans la partie précédente, Bruno Théret imagine jusqu’à adapter le temps de travail pour permettre la participation. Si pour Blondiaux, ces quelques « règles du jeu » ne garantissent pas la participation des personnes ciblées, leur mise en place témoignerait cependant d’une forte volonté politique de ne pas se limiter à la participation de personnes déjà sensibilisées à l’utilité de tels dispositifs[72] et donnerait la possibilité réelle de participer.

Un autre frein handicapant la participation des personnes défavorisées est la posture adoptée par « ceux qui savent », les politiques et autres experts. Il leur faut opérer un changement fondamental d’attitude et dépasser les préjugés pour instaurer une relation d’égalité. Avec Paul Ricœur, ils devraient pouvoir dire : « Sur les problèmes essentiels, les experts n’en savent pas plus que vous ». Pour Loïc Blondiaux, il en va de la conception-même du pouvoir : « une conception dans laquelle les citoyens ne sont plus considérés comme des enfants à la recherche d’un père ou destinés à demeurer sous la tutelle d’experts, mais comme des sujets politiques capables de raisonner et de produire des jugements dignes d’être pris en compte »[73]. Ce n’est qu’à la condition que leur parole soit considérée comme tout aussi légitime que les personnes les plus pauvres pourront dépasser leur autocensure pour faire profiter tout le monde de leur « fine expertise politique » dans un climat de confiance réciproque. Pour que ce climat de confiance puisse être développé, il est primordial que l’initiative s’inscrive dans une perspective de long-terme.

Pour que la confiance puisse être instaurée, le processus doit pouvoir se déployer dans le temps, à l’abri des échéances électorales. Il en va de la confiance réciproque entre les diverses parties prenantes du projet, mais également de la confiance en soi des personnes dont le capital socio-culturel est faible. Aussi, il est essentiel d’associer les personnes ciblées par la politique publique dont il est question dès le début du processus et de les garder comme partenaires du dispositif de participation jusque dans les phases finales, y compris le suivi et l’évaluation des politiques.

Ici intervient le rôle des associations et des divers corps intermédiaires. Ces derniers ont un rôle important à jouer dans le travail de préparation en amont de l’implication et de la prise de parole des personnes marginalisées. Non pas en téléguidant leur parole ou en se substituant à eux, mais bien de « permettre aux sans-voix de prendre conscience de leur situation et de se mettre en état d’articuler cette prise de conscience collective »[74]. Cependant, comme le note Matthieu Angotti, la préparation de la prise de parole ne doit pas aller trop loin, au risque de cadenasser l’opinion et de ne pas permettre le débat d’idées et de positions et de casser la créativité. Formation donc, mais pas formatage[75]

Certaines associations ont l’habitude de travailler de cette manière. Nous pensons spécialement au Mouvement ATD-Quart-monde. Nous reviendrons sur leur travail et la philosophie sous-jacente à leur manière de procéder. Mais pour d’autres associations ou organismes qui ont plutôt l’habitude de parler au nom des sans-voix, il sera important de se laisser bousculer dans certaines habitudes institutionnelles et dans leur fonctionnement interne… bref, il faudra dépasser la crainte de perdre ce rôle de « porte-parole »[76].

Un autre élément essentiel, comme le note Loïc Blondiaux[77], est de mettre en jeu la décision. Si les participants n’ont pas de réelle prise sur la décision, il résultera de leur implication une désillusion qui ne fera qu’alimenter leur méfiance, voire leur cynisme vis-à-vis des autorités publiques. En lien avec cette balise, il est donc important de clarifier les objectifs de la participation, de préciser le rôle des différentes parties prenantes du dispositif de participation, bref, de bien poser le cadre[78]. A l’avance, il faut donc définir et expliciter la façon dont on tiendra compte du résultat de la négociation. Il est également essentiel de fournir une information claire et compréhensible par tous (éviter donc les codes langagiers trop techniques) et de la diffuser largement[79].

Enfin, il est important de se doter de structures, de procédures et donc de dispositions légales pour s’assurer que la participation des personnes pauvres soit possible[80]. En Belgique a été instauré l’« accord de coopération entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la continuité de la politique en matière de pauvreté »[81] en 1999. De cet accord est issue la mise sur pied du « Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale », créé au sein du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme[82]. L’accord de coopération prévoit explicitement dans la manière de procéder du Service que celui-ci « associe d’une manière structurelle et continue à ses travaux les organisations dans lesquelles les personnes les plus démunies s’expriment, en faisant usage de la méthodologie basée sur le dialogue »[83].

Conscientisation et éducation citoyenne

Bien sûr, à tout cela on pourra opposer la (soi-disant) apathie politique des classes populaires. Certes, la désaffiliation politique est forte. D’où le succès des discours populistes dont il a été question dans le deuxième chapitre de cette étude. Cependant, si le cynisme vis-à-vis de la politique est plus marqué chez les personnes plus pauvres, c’est précisément parce que le système politique ne répond pas à leurs besoins les plus urgents. Comment donc sortir de ce cercle vicieux ? C’est là où intervient, à notre avis, tout le travail d’éducation citoyenne et de conscientisation pour que les plus faibles dans nos sociétés s’organisent collectivement pour être entendus. Le rôle des associations de toute sorte, notamment celles qui s’inscrivent dans le champ de l’éducation permanente, est ici essentiel pour favoriser l’empowerment des classes populaires, c’est-à-dire le travail de sensibilisation aux enjeux que connaissent nos démocraties pour exercer ses responsabilités de citoyens de façon juste au regard de ces enjeux, pour retrouver ses capacités d’agir et de se prendre en main individuellement mais aussi collectivement, afin de pouvoir faire des choix de société qui soient porteurs pour toutes et tous.

Notons que si nous parlons en premier lieu de l’empowerment des classes populaires, cela ne veut pas dire que nous estimons que seules les personnes en situation de pauvreté ou de précarité doivent apprendre à exercer leur citoyenneté de façon responsable. Chaque être humain est appelé à la responsabilité au regard des défis actuels qui nous ont été rappelés dans le premier chapitre de cette étude. Chaque citoyen(ne) est appelé(e) à contribuer à la construction d’une société plus juste et plus humaine, où chacun ait sa place… Pour cela, nous devons être en mesure de contribuer au débat et à la négociation dans les choix collectifs pour que ceux-ci nous portent en avant et soient libérateurs et transformateurs de l’organisation sociale. Par ailleurs, si l’on pense à la crise financière et à la crise de la dette actuelles, d’aucuns se sentent démunis pour saisir les termes des enjeux et débats. La complexité des problèmes, l’abondance des informations (ou désinformations) ne facilitent pas l’exercice d’une citoyenneté responsable. D’où l’importance d’un travail d’éducation permanente s’adressant non pas exclusivement aux classes populaires, mais à tous les citoyens adultes, afin de susciter la réflexion et de favoriser une prise de responsabilité pour agir pour une société plus juste.

Comme le disait déjà Paolo Freire, « personne ne libère autrui, personne ne se libère seul : les hommes se libèrent ensemble »[84]. A cet égard et considérant tout ce que nous avons mis en relief dans ce quatrième chapitre, nous voudrions terminer en mettant en lumière une pratique qui nous paraît faire sens pour relever le défi de la crise de la démocratie : celle d’ATD Quart Monde et des « Universités populaires » où se pratique le « croisement des savoirs et des pratiques ».

D’aucuns décrient l’apathie politique des classes populaires… La matrice de la manière de procéder du mouvement ATD prend le contre-pied de ce jugement : c’est la foi en l’expertise politique des plus pauvres, « la conviction que les personnes très pauvres ont un savoir d’expérience sur elles-mêmes et leur condition, sur le monde environnant qui leur fait vivre ces situations de pauvreté, sur ce qu’il devrait être pour ne plus exclure les plus faibles » et que ce savoir ignoré doit pouvoir se construire et devenir communicable[85].

Dans cette perspective, ATD Quart Monde a créé les Université Populaires Quart Monde[86]. Le processus pourrait tout à fait s’inscrire dans une démarche de démocratie participative qui relève le défi de donner réellement la voix aux sans-voix : la première étape est d’aller à la rencontre des personnes là où elles sont, solliciter leur avis et leur expérience. Cela permet la prise de conscience qu’elles ont un savoir d’expérience qui est intéressant pour les autres. La prise de confiance en soi ainsi générée permet de faire ensuite le pas de rejoindre un groupe local où l’on risque une prise de parole. La rencontre d’autres qui vivent des expériences similaires permet d’analyser les situations avec un autre regard, en dépassant le sentiment de culpabilité. En partant d’échange à propos du quotidien, la démarche permet la prise de conscience collective et ainsi de faire mouvement. Cette prise de conscience collective est essentielle dès lors que la représentation politique suppose une identité collective.

Le mouvement ATD Quart Monde a fait un pas de plus en organisant également des programmes où se croisent les savoirs et les pratiques de personnes d’horizons divers : personnes en situation de grande pauvreté, militants d’ATD, chercheurs universitaires, formateurs professionnels. Dans cette dynamique, comme le résume Marie-Cécile Renoux, déléguée d’ATD Quart Monde auprès de l’Union européenne, « la mise en présence et la confrontation originale des acteurs provoquent des prises de conscience transformatrices. […] Le Croisement des savoirs déconstruit des préjugés, des analyses incomplètes, voire erronées, pour construire une connaissance plus juste de la réalité, et par là faire évoluer les pratiques professionnelles, institutionnelles, sociales, politiques, pour assurer à tous l’accès aux droits de tous. Les personnes très pauvres devenues co-chercheurs, co-acteurs, les rôles de chacun sont bouleversés. Une action de croisement des savoirs préfigure une société où chacun a sa place »[87].

Une société où chacun a sa place. Où les rapports de force permettent à chacun de se sentir bien, utile, reconnu et valorisé dans l’organisation sociale. C’est bien là notre désir profond. L’espérance qui nous anime.

Postface

Notre étude est partie de l’étonnement ou du scandale que provoque l’écart entre l’état de notre monde et les idéaux dont il se réclame : droits humains, démocratie… Le politique échoue à assurer le Bien commun, le bien solidaire, dont il est censé être responsable, tant au niveau des États et des collectivités particulières que pour l’humanité dans son ensemble. C’est, avons-nous titré, un défi pour la démocratie. Car, seule, la démocratie peut relever ce défi. La démocratie est un exercice difficile, exposé à bien des dérives, depuis sa confiscation par des oligarchies jusqu’à sa dérision dans les populismes. Mais elle est inéluctable ; les défauts de la démocratie ne peuvent être corrigés que par plus de démocratie. Par plus de responsabilité des mandataires, plus de clarté des programmes et des procédures, plus de participation surtout, et une participation plus éclairée, plus responsable des citoyens, de tous les citoyens. Les deux derniers chapitres ont ouvert deux voies – voire même les deux voies essentielles – pour aller vers ce plus de démocratie : les expériences de démocratie participative qui corrigent, soutiennent, éclairent la démocratie représentative instituée et l’éducation citoyenne de tous, à commencer par les personnes les plus précarisées, pour rendre possible leur participation à la gestion de la cité.

L’Union européenne a fait de 2013 « l’année européenne de la citoyenneté ». Gageons que cela donne de l’élan à toutes les personnes de bonne volonté pour construire une société plus juste, plus solidaire et plus démocratique. Gageons surtout qu’une logique inclusive soit la dynamique qui prévale dans les choix politiques et dans nos actions citoyennes, afin que toute personne puisse œuvrer à sa mesure, là où elle est, à un monde plus humain.

N’oublions pas que la citoyenneté peut et doit s’exercer à différents niveaux. Si nous trouvons plus évident de l’exercer dans un quartier, une ville, un pays, nous sommes aussi conviés à la déployer comme citoyens européens, voire comme citoyens du monde !

C’est ainsi que nos sociétés, et nous, citoyens, pourrons vivre en cohérence avec nos idéaux. Si l’on croit en la démocratie, il s’agit effectivement de s’investir et de s’y engager pleinement, pour lui redonner vigueur et légitimité. Plus fondamentalement, il s’agit de redonner, peut-être redécouvrir pleinement son sens.

Notes :

  • [1] Sur tout ceci, voir Claire WILIQUET, Le monde a faim. Constats et solutions, analyse du Centre Avec, juillet 2012, (www.centre.avec.be), Amy POLLARD, « Les Objectifs du millénaire pour le développement : une fin et un nouveau commencement », dans En Question, n°101, juin 2012, pp.8-11.

    [2] Voir Robin HANAN, « Crise de l’euro : la facture sociale, », dans Projet n°331, décembre 2012, pp.70-75.

    [3] Sur base de la plus récente enquête EU-SILC, 15,3% de la population belge se situait en risque de pauvreté en 2010 (contre 14,9% en 2009). De même, 5,7% de la population se trouvait en situation de privation matérielle grave et 10,6% de la population vit dans un ménage à très faible intensité de travail (voir notamment www.luttepauvreté.be). Si l’on regarde les disparités régionales, le risque de pauvreté était de 9,8% en Flandre 19,2% en Wallonie pour 2010.

    [4] Voir Pierre DEFRAIGNE, « Intolérables inégalités. Approche macroéconomique des causes de la pauvreté » dans En Question, n°96, mars 2011, p.27.

    [5] Francis FUKUYAMA, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

    [6] Voir Frédéric ROTTIER, Interrogations de nos discours face aux conflits étrangers : le cas syrien, analyse du Centre Avec, octobre 2012 (www.centreavec.be).

    [7] Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations (traduit de l’anglais : The Clash of civilisations and the Remaking of World Order, 1996), Paris, Odile Jacob, 1997.

    [8] Jean Ziegler, La haine de l’Occident, Paris, Albin Michel, 2008.

    [9] Benjamin BARBER, Jihad vs McWorld, Paris, Hachette Littérature, 1996 (collection Pluriel).

    [10] Amin MAALOUF, Le dérèglement du monde. Essai. Paris, Grasset, 2009, p.276. Voir aussi Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.

    [11] L’expression « pluralisme culturel » a été introduite par la Commission du Dialogue interculturel dans son Rapport final, mai 2005. Voir Jean Marie FAUX, « Étapes de la réflexion politique en Belgique », dans De la société multiculturelle au dialogue interculturel, Centre Avec (Collection Perspectives), 2010, pp.15-24.

    [12] Interculturalité. Assises de l’Interculturalité. Rapport final, novembre 2010.

    [13] Pour une introduction à la problématique de l’environnement, voir Claire BRANDELEER, Environnement et justice sociale. Invitation à une spiritualité engagée, étude du Centre Avec, 2011 (avec une bibliographie) (www.centreavec.be).

    [14] Voir Jose Ignacio GARCIA, « Rio+20, une nouvelle opportunité pour le développement durable », dans En Question, n°102, septembre 2012, pp.12-13.

    [15] Le programme « Justice, paix et sauvegarde de la création » fut lancé en 1987 par le Conseil Œcuménique des Églises, lors de son assemblée mondiale à Vancouver et fut particulièrement l’objet de l’assemblée de Séoul en 1990.

    [16] Encyclique Pacem in Terris, 43.

    [17] La « Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles » a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1990 et est entrée en vigueur en 2003 après sa ratification par 20 États membres. Mais à ce jour, aucun État de l’Union européenne ne l’a encore ratifiée.

    [18] Amartya SEN, « La démocratie comme valeur universelle » dans La démocratie des autres. Paris, Payot, 2005, p.49.

    [19] Philippe de WOOT, « Défis de la globalisation économique : entreprises, concurrence et société », dans Jacques DELCOURT et Philippe de WOOT (dir.), Les défis de la globalisation. Babel ou Pentecôte ?, presses Universitaires de Louvain, 2001, pp.46-59.

    [20] C’est ce que mettent bien en relief plusieurs chapitres de l’ouvrage publié sous la direction de Gaël GIRAUD et Cécile RENOUARD, Vingt propositions pour réformer le capitalisme, Nouvelle édition, Paris, Flammarion, 2009 (Champs Essais).

    [21] « Le dossier : On engage experts… en démocratie », dans La Revue Nouvelle, octobre 2012, pp.26-71. Voir en particulier Albert BASTENIER, « La démocratie inachevée, les experts et les think tanks », pp.29-45.

    [22] Jean Marie FAUX (dir.), La démocratie, pourquoi ? Réflexion philosophique et chrétienne sur les fondements de la démocratie, Charleroi, Couleur Livres, 2006, p.23.

    [23] Sur cette problématique, voir Hélène LAIGNEAUX, Mondialisation. Quelles responsabilités pour plus de solidarité ?, étude du Centre AVEC, 2008, (www.centreavec.be).

    [24] Michel SERRES, Temps des crises, Paris, Le Pommier, 2009, p.73.

    [25] Voir Michel ALBERT, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Seuil 1991, chapitre 1 ; « America is back », pp.27-46. Voir aussi Hélène LAIGNEAUX, op.cit., note 22.

    [26] Friedrich von HAYEK, La route de la servitude, Presses universitaires de France – PUF, 2002 (original en anglais, The road to serfdom,1944).

    [27] Cette phrase est reprise de la présentation (4e de couverture) du livre cité plus haut (note 20) : Vingt propositions pour réformer le capitalisme.

    [28] Voir Guy COSSEE de MAULDE, Pour une plus grande justice. La question de l’harmonisation fiscale en Europe, analyse du Centre AVEC, décembre 2011 (www.centreavec.be).

    [29] Voir Benjamin BARBER, « Le consumérisme dans la culture américaine » dans En Question, n°102, septembre 2012, pp.22-25.

    [30] Claire BRANDELEER, Environnement et Justice sociale, loc.cit. note 13, p.25.

    [31] Jacques ARNOULD, Jacques BLAMONT, Lève-toi et marche. Propositions pour un futur de l’humanité, Paris, Odile Jacob, 2009, p.101.

    [32] Excellent dossier sur la démocratie, ses différentes formes et ses structures : « Demokratie », Informationen zur politischen Bildung, 284, 3.Quartal 2004.

    [33] Voir Hans VORLÄNDER, « Strukturenverschiede und Probleme » dans Informationen…, op.cit., pp.45-46.

    [34] Voir plus loin, ce qui concerne les origines du G1000.

    [35] Voir Claire WILIQUET, Les voies des alternatives, analyse du Centre Avec, novembre 2011 (www.centreavec.be). Sur les « indignés » : Oscar MATEOS et Jesus SANZ, « 15 mai. De l’indignation à l’espérance », dans En Question, n°99, pp.4-7. Sur Rio+20, J.I. GARCIA, art. cit. note 14.

    [36] Voir Jean Marie FAUX (dir.) , La Démocratie, pourquoi ? op.cit. note 22, pp.45-49.

    [37] Nous nous référons à l’analyse de Jérôme JAMIN, « Image du peuple, image de l’élite », dans Politique, n°75, mai-juin 2012, pp.32-34, ainsi qu’à l’ensemble du dossier que ce numéro de la Revue consacre à ce phénomène sous le titre : « Les nouveaux habits du populisme » (pp.30-55).

    [38] La distinction entre ethnos et demos est mise en relief par Marc JACQUEMAIN, « Wallonie : un populisme sans nationalisme ? », ib., p.36 , la triple distinction par Dirk JACOBS, « Flandre : le retournement », ib. p.48.

    [39] Jérôme JAMIN, loc.cit., p.32.

    [40] Pour Politique, voir note 37. Pour La Revue Nouvelle : « Pour la démocratie, prendre au sérieux le populisme » (coordonnateur du dossier : Albert BASTENIER), La Revue Nouvelle, septembre 2012, pp.35-68.

    [41] Le recours trop facile à l’accusation de populisme pour disqualifier des discours critiques ou des mouvements alternatifs et en fin de compte « délégitimer les classes populaires » est bien mis en relief par Daniel ZAMORA, « De quoi le populisme est-il le nom ? », dans Politique, loc.cit., pp.50-54. Voir aussi Albert BASTENIER, « La démocratie et le populisme dans l’arène politique », dans La Revue Nouvelle, loc.cit., pp.40-49.

    [42] Loïc BLONDIAUX analyse la mise en place de processus participatifs, parfois réelle volonté politique de consulter la population, parfois juste façade démagogique, dans Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, La républiques des idées, Seuil, Paris, 2008.

    [43] Ces idées sont reprises dans le manifeste de VEGA : http://vega.coop/IMG/pdf/manifeste.pdf.

    [44] Aujourd’hui la proportion à Liège est de 54 policiers pour 10.000 habitants.

    [45] Pour découvrir cette initiative, nous avons rencontré Min Reuchamps, l’une des chevilles ouvrière du G1000.

    [46] Manifeste du G1000 : www.g1000.org/fr/manifeste.php.

    [47] Idem.

    [48] Idem.

    [49] Idem.

    [50] Les différentes thématiques ainsi que le top 25 ont été publiés sur le site www.g1000.org/fr/resultats_phase_1.php#themes.

    [51] Animateur qui facilite la prise de parole.

    [52] Les résultats sont détaillés sur le site du G1000.

    [53] Rapport des observateurs internationaux sur le 11 novembre 2011: www.g1000.org/documents/7_Le_rapport_des_observateurs_internationaux_FR.pdf.

    [54] Pour l’ensemble des recommandations, vous pouvez consulter le rapport final du panel citoyen : www.g1000.org/documents/9_Panel_Citoyen_Rapport_Final_FR.pdf.

    [55] Bruno Théret, intervention au Collège de Belgique, Bruxelles, 17 novembre 2011.

    [56] Un bon exemple est la difficulté à abolir le cumul des mandats : cette mesure qui fait perdre des avantages à ceux qui doivent la prendre.

    [57] Il s’agit d’un modèle de développement mettant en relief les inégalités et dans lequel on distingue un centre dominant et une périphérie dominée et dépendante.

    [58] Loïc BLONDIAUX, « Faire participer les pauvres, pourquoi, comment ? », in Bruxelles Informations Sociales, Les pauvres font de la politique, mérites et limites de la participation, n°164-165, décembre 2011, p.52.

    [59] Dans le chef de VEGA, selon François Schreuer, il n’y a pas de volonté inclusive. Comme il l’a affirmé : « La coopérative regroupe des gens qui ont du temps et la possibilité de s’impliquer politiquement. On n’est pas un mouvement de base qui organise des sans-voix, on est un mouvement politique qui entend défendre un certain nombre d’idées et de publics ». Le G1000, quant à lui, évite en principe ce biais par le système de tirage au sort mis en place et par le cadre posé pour permettre la participation de ceux qui sont présents.

    [60] Loïc BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, La République des Idées, Seuil, 2008, pp.109-110.

    [61] Idem, p.71.

    [62] Paolo FREIRE, Pédagogie des opprimés, Paris, Petite collection Maspero, p.42.

    [63] Matthieu ANGOTTI, « La participation des invisibles », in Esprit, n°388, octobre 2012, p.70.

    [64] Idem, p.68.

    [65] Loïc BLONDIAUX, « Faire participer les pauvres. Pourquoi, comment ? », op. cit., p.52.

    [66] Matthieu ANGOTTI, op.cit, pp.68-69.

    [67] Marion CARREL, citée par Matthieu ANGOTTI, op. cit., pp.69-70.

    [68] Paul RICOEUR, « Ethique et politique », in Esprit, n°101, mai 1985, pp.1-11.

    [69] Conseil de l’Union européenne, Bruxelles, « Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Définition des objectifs appropriés », 2000, p.9. Voir http://ec.europa.eu/employment_social/social_inclusion/docs/approb_fr.pdf

    [70] Loïc BLONDIAUX, « Faire participer les pauvres, pourquoi, comment ? », p.49.

    [71] Matthieu ANGOTTI, op. cit., p.73.

    [72] Loïc BLONDIAUX, « Faire participer les pauvres. Pourquoi, comment ? », p.52.

    [73] Loïc BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, p.99.

    [74] (Collectif) Démocratie et pauvreté. Du quatrième ordre au quart monde, Paris, Ed. Quart Monde Albin Michel, 1991, p.49.

    [75] Matthieu ANGOTTI, op. cit., pp.78-79.

    [76] Matthieu ANGOTTI, op. cit., p.71.

    [77] « Faire participer les pauvres. Pourquoi, comment ? », p. 52 et Le nouvel esprit de la démocratie, p.78.

    [78] Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, « Bilan de dix ans de fonctionnement », pp.186-187. Disponible www.luttepauvrete.be/publications/10ans_fr-pauvret%C3%A9.pdf.

    [79] Fanny COOLS, « La démocratie participative, une opportunité pour encourager la participation des personnes en situation d’exclusion », Working paper du think tank européen Pour la Solidarité, janvier 2012. Disponible sur www.pourlasolidarite.eu/La-democratie-participative-une?lang=nl.

    [80] Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, « Bilan de dix ans de fonctionnement », p.187.

    [82] Un service public autonome. Pour les origines du Service, voir www.luttepauvrete.be/presentationorigine.htm

    [83] Voir l’accord de coopération, disponible sur www.luttepauvrete.be/accordcooperation.htm.

    [84] Paolo FREIRE, Pédagogie des opprimés, Paris, Petite collection Maspero. Cela fait également écho au témoignage de Pauline Gérard (interview le 27 juillet 2012) qui a travaillé une année à ATD Quart Monde.

    [85] ATD Quart Monde, « Bâtir une pensée avec les personnes les plus pauvres. Les universités populaires quart Monde et le croisement des savoirs », in EAPN (Réseau Européen Anti Pauvreté), Briser les barrières, générer le changement. Construire la participation des personnes en situation de pauvreté, études de cas, janvier 2012, p.82. Disponible sur www.atd.org.pl/IMG/pdf/2012-participation-book-fr.pdf. Voir aussi le témoignage de Pauline Gérard.

    [86] Pour ceci, voir ATD Quart Monde, « Bâtir une pensée avec les personnes les plus pauvres. Les universités populaires quart Monde et le croisement des savoirs », pp.81-86.

    [87] ATD Quart Monde, « Bâtir une pensée avec les personnes les plus pauvres. Les universités populaires quart Monde et le croisement des savoirs », p.84.