Le 01 décembre 2012

Solidarité et engagement à l’âge de la retraite

Le temps de la retraite peut être bien plus qu’une addition d’activités auxquelles on n’a jamais eu le temps de s’adonner et que le retraité est bien plus qu’une charge sociale ou un baby-sitter expérimenté. La retraite, en effet, peut être considérée autrement : la poursuite d’une vie active grâce à l’engagement social volontaire et un plus pour la société. Engagement d’autant plus important aujourd’hui compte tenu de l’espérance de vie qui ne cesse de s’allonger grâce aux progrès de la médecine[1]Saisissant l’occasion, en ce mois de décembre 2012, de la clôture de l’année européenne du « vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle », l’analyse aborde la retraite sous un angle solidaire en revenant sur les différentes aides mises en place pour franchir ce cap qui peut paraître difficile pour certains et sur les diverses solidarités qu’il est possible de mettre en place à travers des associations et des lieux de rencontre.
 

Le passage à la retraite est l’une des grandes étapes de la vie. On quitte le monde professionnel, lieu de stabilité, de structure et de valorisation de compétences pour un monde instable : tout est chamboulé, le rythme de vie se modifie, il faut apprendre à vivre différemment avec des ressources plus limitées et plus de temps libre.

Cette étape est d’autant plus difficile que la société moderne est obsédée par l’efficacité et le rendement et qu’elle ne se soucie de l’homme que quand il rapporte, qu’il est rentable et qu’il lui profite. Au mieux, les retraités sont vus comme des personnes pour lesquelles il faut organiser des services, avec lesquelles les générations « actives » doivent être solidaires. Au pire, ils sont considérés comme des charges financières. 

La retraite, une période de transition difficile
 

Arrêter de travailler n’est pas facile, même pour celui qui s’en réjouit. La difficulté de bien vivre sa retraite peut découler de différents facteurs.

Le changement radical de rythme de vie en est un exemple. Il incombe maintenant au retraité de gérer son emploi du temps qui dorénavant n’est plus dicté par des horaires, des agendas et des rendez-vous.

La solitude peut aussi découler de ce changement de vie. Pour certains, il s’agit d’un retrait forcé du monde social, une inactivité inévitable et la fin de tout ce qui avait été mené dans la vie professionnelle.

La difficulté peut également venir d’un sentiment d’injustice lié au manque de ressources disponibles face aux besoins ressentis : les ressources ne permettant dorénavant plus de vivre « matériellement » comme pendant la période de travail. Des statistiques montrent en effet qu’un pensionné sur quatre vit sous le seuil de pauvreté en Belgique[2].

Les problèmes de santé peuvent apparaitre à l’âge de la retraite et peuvent entraver les déplacements ou la communication.

Enfin, il y a chez certains retraités une perte de sens et un sentiment d’inutilité.

Solidarité à l’égard des retraités
 

Même si cette nouvelle étape de vie peut paraître difficile à aborder, des formes de solidarité existent au travers de diverses instances, qu’elles soient locales (famille, village, profession, entreprise) ou globales (région, Etat, Europe, monde).

La première solidarité est organisée par l’État. Par une série de mécanismes (aide sociale, aide intergénérationnelle[3], fonds de pensions…), l’État met des ressources à la disposition des personnes retraitées. La part du financement des retraites représente à ce jour plus de 10 pourcent du PIB belge. Avec l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom, il est à prévoir que soit cette proportion augmentera, soit les réformes de pension limiteront le financement des pensions légales – en augmentant l’âge effectif de la retraite ou en diminuant les pensions. C’est exactement ce que font les réformes des systèmes de retraite dans la plupart des pays européens.

Au niveau européen, notons l’initiative, émanant du Parlement, de déclarer l’année 2012 comme « année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle». Cela nous rappelle l’importance de mettre des structures et de nouvelles politiques en place afin de « permettre aux personnes âgées de réaliser leur potentiel de bien-être et de participation à la société, tout en leur fournissant la protection, la sécurité et les soins adéquats en cas de besoin. Un « vieillissement actif » implique de développer davantage l’éducation et l’apprentissage[4] tout au long de la vie, des conditions de travail favorables à l’âge et un soutien aux personnes âgées au niveau de la vie de famille et de la société dans son ensemble »[5].

Une deuxième solidarité est organisée par profession, par entreprise, par famille, par communauté, par commune… Les réunions d’anciennes et d’anciens sont bien connues. Cette solidarité permet de maintenir des relations sociales où la personne retraitée trouve sa place.

Une troisième solidarité est organisée par une série d’associations de volontaires[6] couvrant tous les aspects de la vie – repas, soins, accompagnement, activités de détente, de marche, activités sportives, culturelles… – sortant la personne retraitée de son isolement et la maintenant « en activité ». A Bruxelles, différentes associations de ce type ont vu le jour : l’« Union Chrétienne des Pensionnés »[7] par exemple ou encore la « Fédération Indépendante des Séniors »[8]. Elles permettent, entre autres, d’encourager la participation et l’engagement des aînés dans la vie sociale, culturelle, économique et politique en mettant en place des actions collectives pour  la construction d’un monde plus juste.

Les retraités, acteurs de solidarité
 

Si des aides sont mises en place, nous l’avons vu, tant au niveau local que global pour passer plus facilement le cap de la retraite, l’engagement social participe également à la démarche de solidarité et d’épanouissement de chaque personne.

L’engagement social est caractérisé par la volonté de donner de son temps afin d’améliorer le vivre ensemble dans la société. Ce concept est donc lié à des notions de mutualité, d’association et d’entraide. Les formes d’engagement social sont multiples et caractérisées par des activités qui relèvent soit de la solidarité familiale (aide financière, garde des petits-enfants, accueil dans la maison de vacances, etc.), soit de bénévolat informel ou de proximité (citons, par exemple, la démarche de passer régulièrement chez ses voisins, leur assurant l’apport en vivres, la distribution de leur courrier, en étant à leur écoute et en les aidant à sortir de leur solitude) soit encore de bénévolat associatif ou d’engagement collectif.

La forme la plus courante d’engagement collectif est le volontariat[9]. Il permet de se libérer des contraintes accumulées pendant la vie professionnelle et de choisir ce qu’on l’on aime prioriser. Cette dimension du plaisir et de liberté est ce qui distingue le volontariat choisi et solidaire de cette tendance qu’a l’Europe de profiter de la meilleure santé des personnes âgées pour les faire participer à la croissance. Le volontariat est donc source d’apaisement, de bonheur, d’épanouissement de vie pour les personnes qui s’y engagent et pour les personnes aidées.

La Belgique compte parmi les trois premiers pays européens à densité forte au niveau du monde associatif et le travail bénévole reste la colonne vertébrale de ce secteur[10]. Si l’on devait imputer une valeur monétaire au volontariat et au bénévolat, ce qui est un exercice équivoque, on en arrive à une part du produit intérieur brut (PIB) très importante. Il est clair que la disparition de ces « emplois » serait catastrophique, tant le volontariat tient sa place dans les secteurs culturels, sportif, éducatif, humanitaire, des mouvements de jeunesse, des groupements politiques, des personnes handicapées, etc. Même la monétarisation de ces « emplois », c’est-à-dire le fait de rémunérer ce travail comme un travail salarié, provoquerait une crise budgétaire bien plus importante que la crise financière. Cela signifie bien que le volontariat est un énorme pilier non seulement dans la société – le travail volontaire est un acte social et relationnel – mais également dans l’économie.

Deux domaines d’engagement possible
 

Parmi toutes les initiatives créées en Belgique au sein d’associations diverses, nous voudrions relever deux types de rencontres : interculturelles et intergénérationnelles

Les rencontres interculturelles permettent le mieux vivre ensemble en faisant se rencontrer des personnes d’horizons différents, facilitant ainsi la compréhension de l’autre et l’acceptation des différences. Leur objectif est de rapprocher les communautés au travers des différents modes de vie, cultures ou histoires. L’Association Cultures et Progrès (ACP)[11] a, notamment, mis en place, suite à l’initiative émanant du Parlement de déclarer l’année 2012 « année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle », un projet de forum intergénérationnel dans le but de promouvoir le dialogue entre les différentes générations de migrants en Wallonie et à Bruxelles[12].

Les rencontres intergénérationnelles[13], quant à elles, ont comme but de promouvoir une société dans laquelle chaque personne, peu importe son âge, a une place et peut jouer un rôle actif.

Citons, par exemple, l’association « 1 toit 2 âges »[14], spécialiste dans le logement intergénérationnel [15] étudiant/sénior et qui a des antennes à Bruxelles, Namur/Louvain-La-Neuve, Mons, Liège et Charleroi. Les avantages de cette cohabitation sont nombreux : pour l’étudiant, un logement économique pour ses études et pour le sénior, une présence rassurante, une compagnie quotidienne et un complément de revenus.

Ou encore l’association « Courants d’Ages »[16], qui œuvre pour plus de générosité entre les générations en organisant notamment des tables rondes et des séminaires sur le thème des relations intergénérationnelles, en mettant sur pied des festivals permettant la rencontre entre des personnes de différents âges et en créant des outils de sensibilisation pour parler de cette thématique.

De même, « Coup de pouce lecture et langage »[17] est une association dont le but est de faire rencontrer des bénévoles retraités et des enfants qui ont des difficultés à l’école que ce soit en lecture ou en expression orale. Le bénévole est présent pendant deux heures par semaine en moyenne et aide les enfants pendant les cours. A Bruxelles, environ 700 enfants bénéficient de cette action grâce à la collaboration de 65 volontaires[18].

Enfin, parmi les diverses activités que proposent l’association « Espace Seniors[19] », est mis en place le projet « les papys et mamys, conteurs de rêves ». Ceux-ci vont à la rencontre des enfants hospitalisés ou hébergés dans des centres d’aide à la jeunesse pour leur raconter des histoires. Ce projet apporte donc plaisir et bien-être aux enfants, aux parents, au personnel des hôpitaux et centres d’aide et bien évidemment aux papys et mamys eux-mêmes !

Conclusion
 

Autrefois, dans les sociétés traditionnelles, les personnes âgées étaient considérées comme des personnes d’expérience et de sagesse, la mémoire vivante de leur peuple, les sociétés étaient même gouvernées et influencées par elles.

Aujourd’hui, le nombre de personnes âgées ne cesse d’augmenter[20] et leur expérience est malheureusement trop souvent dévaluée.

Pourtant, l’implication de tous, jeunes ou âgés, dans la construction d’une société plus démocratique et plus solidaire est aujourd’hui essentielle et indispensable.

Nous espérons que l’année 2012, déclarée « année européenne du vieillissement actif » et qui visait à souligner l’importance de la contribution des personnes plus âgées dans la société et à encourager les décideurs et acteurs concernés à agir pour favoriser la solidarité entre les générations, continuera à porter ses fruits[21] année après année.

Notes :

  • [1] En Belgique, l’âge moyen de la retraite est à 60,7 ans, tandis que l’âge légal de la retraite est de 65 ans tant pour les hommes que pour les femmes[1]. Il est à prévoir que cet âge va progressivement augmenter au cours des années à venir. L’espérance de vie d’un Belge est estimée à 78,54 pour les personnes nées en 2000, à 80,52 ans pour ceux nés en 2010 et à 86,43 pour ceux à naître en 2050 d’après les statistiques du SPF Economie.

    [3] En Belgique, les différentes réformes des systèmes de retraite font diminuer le poids de la solidarité intergénérationnelle pour garder un système de plus en plus basé sur l’autofinancement des retraites. Cela signifie que la part des pensions légales payées par l’Etat est de plus en plus insuffisante dans le financement des charges financières des personnes retraitées et doit être complétée par ce qu’on appelle les autres piliers de pension, à savoir les cotisations patronales extralégales (assurance-groupe et fonds de pension) et les pensions individuelles complémentaires. Or, tout le monde n’est pas égal devant un tel système. Tous les employeurs ne sont pas aussi généreux au niveau des cotisations patronales extralégales et tout le monde n’a pas de quoi mettre de côté pour ses vieux jours. En outre, tout le monde n’est pas propriétaire de sa maison ou de son appartement et beaucoup doivent donc payer un loyer. Autant de facteurs d’inégalité qui devraient diminuer la solidarité institutionnelle dans les années à venir.

    [4] L’université du troisième âge (www.u3a.be/) à Liège met en place un éventail d’activités pour les personnes de plus de 50 ans et à Bruxelles, l’Université des aînés (http://www.universitedesaines.be/index.php) dispense des formations tout au long de l’année.

    [6] Une association comme « Poursuivre » (www.poursuivre-asso.org/), par exemple, a pour but l’éducation permanente des personnes en âge de fin -ou de post- activité professionnelle et qui se tiennent fidèles à 4 attitudes : se tenir à jour, vivre son âge, être utile et rechercher le sens.

    [9] Il existe 4 types de volontariat différents : de service, d’animation, de militance et de gestion. Pour plus d’informations : www.yaquasengager.org

    [10] Le Centre d’Economie Sociale de l’ULg publie régulièrement des ouvrages et études sur l’état du volontariat en Belgique. Ainsi, en septembre 2007, elle a étudié avec le HIVA (Hoger Instituut voor de Arbeid, KULeuven), la « mesure du volontariat en Belgique en analysant les sources statistiques du volontariat dans le secteur associatif belge ». Plusieurs auteurs académiques considèrent le nombre ou la proportion de volontaires dans une société comme une des mesures de son état de santé. Et est appelé volontariat une multitude d’activités indemnisées ou non, reconnues ou non, récurrentes ou non, au profit des autres ou de la société,… Le nombre de volontaires en Belgique varie au minimum entre 1 million et 1,5 millions selon les estimations et études, soit entre 10 et 20 pourcent de la population belge. L’évolution dans le temps est globalement stable.

    [13] Sur tout ceci, voir Anne-Sophie HUBAUX, L’intergénérationnel au cœur du vivre ensemble, analyse du Centre Avec, juin 2009 (www.centreavec.be).

    [15] Voir Xavier LEROY, De l’habitat groupé participatif ou : comment des « vieux » entrent en « kot à projet», analyse du Centre Avec, juin 2008 (www.centreavec.be).

    [18] Ages et transmissions (op.cit.)

    [21] Le budget accordé à cette année européenne du vieillissement actif était de 5 millions d’euros. Ceci a permis de mettre en place de nombreuses initiatives telles que la journée européenne de la solidarité entre les générations, le partenariat européen d’innovation pour le vieillissement actif et en bonne santé, un soutien de l’UE aux acteurs locaux et régionaux, un programme pour l’assistance à l’autonomie à domicile, le programme Grundtvig, un programme d’appui stratégique en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC). Pour retrouver toutes les initiatives : http://europa.eu/ey2012/ey2012.jsp?langId=fr