En Question n°137 - juin 2021

Région de Bruxelles-Capitale : vers une Assemblée Citoyenne permanente

Un mouvement citoyen dans le parlement

Agora[1]Brussels est un mouvement citoyen qui veut mettre en place une Assemblée citoyenne composée de Bruxellois.es tiré.e.s au sort, avec le même niveau de pouvoir que le Parlement de la région Bruxelles-Capitale.

Le mouvement a pris la décision de participer aux élections régionales bruxelloises de 2019 en vue d’atteindre cet objectif. Au programme, obtenir un siège parlementaire pour y représenter une Assemblée Citoyenne Bruxelloise et pour préparer les instances politiques à son instauration permanente.

crédit : Edwin Andrade – Unsplash

Défi relevé, puisque ce mouvement a très vite attiré des dizaines de bénévoles. Récolte de signatures, porte-à-porte, théâtre de rue, affiches sans photo, la campagne électorale a été un succès. Le 26 mai 2019, 3.629 personnes n’ont pas voté pour un programme politique mais pour donner leur voix à des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort. Le lendemain, Pepijn Kennis entrait au Parlement comme député Agora et porte-parole de l’Assemblée Citoyenne Bruxelloise.

Une Assemblée Citoyenne organisée par des bénévoles

Fin novembre 2019, Agora a créé sa première Assemblée Citoyenne Bruxelloise. Après un an de travail, cette Assemblée a déposé une résolution sur le logement à Bruxelles. Le chemin fut intense et animé. Voici comment les choses se sont passées.

Le tirage au sort

6.000 adresses bruxelloises ont été tirées au sort pour constituer une première sélection de candidat.e.s. 120 bénévoles ont déposé, à chaque adresse, une lettre contenant une invitation pour l’assemblée. Environ 400 personnes se sont inscrites, un taux de réponse encourageant.

À partir de ce groupe d’inscrits, Agora a appliqué des quotas prenant en compte le quartier de résidence, l’âge, le genre, le niveau d’études. Ainsi, sur les 400 inscrits, 89 personnes reflétant la diversité de la population bruxelloise ont finalement été retenues. Autant que le nombre de députés bruxellois.

Il était important que chaque participant.e puisse prendre part au processus sans contraintes. Animation pour enfants, aide au transport, rémunération financière, facilitation professionnelle et traduction des textes et supports jusqu’en cinq langues ont donc été mis en place. 

Le choix du thème

Le premier défi de ces 89 citoyen.ne.s, désormais appelé.e.s “assemblistes”, a été de choisir le thème sur lequel ils/elles allaient travailler. La thématique du logement a finalement été retenue car la problématique semblait urgente et touchait le plus directement au bien-être des Bruxellois.

L’exploration du sujet avec l’aide d’experts

Les assemblistes ont réfléchi aux contenus à approfondir et ont indiqué quels types d’intervenants pourraient les y aider en fonction de leur expertise. Sur cette base, Agora a fait une sélection équilibrée en invitant tant la cheffe de cabinet de la secrétaire d’État que des associations critiques de la politique, des promoteurs, le syndicat des locataires et encore celui des propriétaires et copropriétaires.

La délibération en temps de pandémie

L’Assemblée Citoyenne Bruxelloise devait à l’origine présenter sa résolution citoyenne fin avril 2020. La pandémie en a décidé autrement. Après avoir marqué un temps d’arrêt, Agora a décidé de mener à bien ce projet en ligne. 

Travailler en ligne n’était pas facile pour tout le monde. C’est pourquoi Agora a mis en place un processus d’aide pour accompagner les personnes en difficultés. Les bénévoles du mouvement ont aussi fourni des ordinateurs ou des services de traduction.

Les assemblistes ont souhaité concentrer leur travail sur 4 grands thèmes, relevés après un premier tour de délibération, sur la base de leur vécu et suite aux exposés des intervenants. Les thèmes choisis : les personnes en situation de précarité, la rénovation des logements locatifs, la lutte contre les bâtiments vides et la régulation du marché locatif. Quatre groupes se sont constitués pour en discuter avec l’aide d’une personne ressource du mouvement pour répondre aux questions.

L’écriture collective

Les 4 groupes thématiques ont ensuite rédigé leurs propositions. Tous les assemblistes les ont validées en passant d’un groupe à l’autre. Ce processus s’est clôturé par un vote et l’adoption à la quasi-unanimité d’une résolution citoyenne sur le logement[2]

La présentation de la résolution

Décembre 2020, les assemblistes ont remis leur résolution citoyenne à Pepijn Kennis, le député Agora, en présence de différents acteurs de la vie politique bruxelloise. 

La fin de cette assemblée fut un moment d’intense émotion. L’agilité et la résilience du mouvement et des assemblistes étaient des facteurs clés pour y arriver. Sans oublier les bénévoles qui se sont donnés à 200% pour changer la démocratie.

« J’ai appris plein de choses, comme la tolérance, l’écoute et la solidarité. Je vois le monde différemment maintenant. Tout le monde me manquera. Je suis vraiment émue. » – Habiba, assembliste.

Et maintenant? 

En commission du logement au parlement bruxellois, Pepijn Kennis a déjà pu présenter la résolution citoyenne. Le contenu a été favorablement accueilli par les autres député.es. La commission ne vote pas sur le texte en entier dont le contenu est trop vaste, mais l’équipe parlementaire travaille sur des propositions d’ordonnance ou de résolution pour chaque proposition citoyenne des quatre thématiques.

Une Assemblée réactive

Dans l’immédiat, Agora poursuit sur sa lancée, en mettant sur pied, en 2021, une Assemblée Citoyenne Bruxelloise réactive. Plutôt que de choisir une thématique et de développer des propositions, celle-ci donne son avis sur les ordonnances et résolutions qui seront votées au parlement.

Dix textes déposés au Parlement ont été sélectionnés sur base des critères suivants : pas uniquement techniques ; déposés par la majorité et l’opposition ; variés dans les thématiques traitées. La nouvelle Assemblée Citoyenne réactive se prononcera sur cinq des textes en parcourant des étapes de vulgarisation, information, délibération et décision.

Déjà le processus est lancé : un nouveau tirage au sort a abouti à la sélection de 40 assemblistes qui ont tenu leur première réunion en ligne ce 20 avril 2021. Ils et elles ont sélectionné les textes et les analysent actuellement sur la plateforme digitale créée pour cette fin.

La finalité est de commenter ces textes, proposer des amendements et décider de les voter ou non par voie du député qui s’est évidemment engagé à défendre ce qui sortira de ce processus. 

Objectif final

Agora vise toujours la mise en place d’une Assemblée permanente avec un pouvoir équivalent à celui du parlement. Le mouvement a déjà mis en place une Assemblée ‘proactive’ qui a choisi le logement et qui a prouvé que les Bruxellois.e.s peuvent produire des propositions concrètes et intelligentes. À son tour, l’Assemblée réactive permet de tester à présent la relation entre une Assemblée Citoyenne et le Parlement élu. L’Assemblée permanente qui reste l’objectif final sera quant à elle à la fois proactive et réactive, alliant un pouvoir d’initiative et de contrôle.

L’assemblée telle que rêvée par Agora n’est pas encore instituée. Il reste encore quelques étapes à entreprendre, notamment une modification de la Constitution belge qui ne permet pas encore qu’une telle Assemblée Citoyenne dispose d’un pouvoir décisionnel contraignant.

La Belgique se dirige vers plus de démocratie citoyenne. À Bruxelles, des citoyen.ne.s peuvent délibérer avec des député.e.s dans des commissions mixtes. En communauté germanophone, un conseil citoyen permanent au sein du Parlement peut décider des thématiques pour une délibération citoyenne. Que cette démocratie citoyenne soit contraignante, délibérative et inclusive, cela représente un challenge qu’il importe de remporter. Au risque, peut-être, pour Agora de devoir se représenter aux prochaines élections.

Notes :

  • [1] Dans la Grèce Antique, l’Agora était un lieu de discussion publique entre citoyens, souvent tirés au sort pour occuper un mandat politique.

    [2] Le texte complet se trouve sur www.assemblee.brussels.