Le 01 octobre 2011

Quelle approche environnementale à l’école ?

Comment mieux agir sur l’environnement ? Proviseure d’une école secondaire, l’auteure de la présente analyse montre, à partir d’une expérience menée dans son établissement, comment l’école en général peut participer à la sensibilisation des jeunes. L’expérience menée les aide à réfléchir à des enjeux globaux et transversaux. Le fil rouge de la démarche, c’est une réflexion à propos de plusieurs questions pertinentes : quelles sont les caractéristiques de l’environnement/du monde dans lequel nous vivons actuellement ? De quel ordre est le rapport à l’environnement ?… Autant de questions qui soulignent l’importance de rechercher des informations, de les comprendre, de les traiter et de développer un esprit critique pour déboucher sur des mises en œuvre concrètes. 

Nous vivons dans un environnement que nous avons reçu en héritage et que nous transmettrons aux générations suivantes. Quand la presse annonce le triste record de la Belgique dans la catégorie « pays pollués », les drames écologiques liés à une mauvaise gestion des déchets, la désertification grandissante en Afrique, les pertes énergétiques inutiles,… nous sommes interpellés par l’état de l’héritage que nous laisserons.

Notre environnement subit des dommages et des dégradations qui peuvent laisser des traces indélébiles et influencer notre empreinte écologique. Comment agir, comment mieux agir sur cet environnement ?  Une des pistes qui nous a semblé évocatrice pour engager la réflexion avec des jeunes est la notion de « crise écologique » et surtout ce qu’elle implique lorsque nous lisons les propos de Charlotte Luyckx Verdin[1]. Celle-ci mentionne que « ce dont nous avons besoin pour affronter la crise écologique, c’est un changement des individus dans leur rapport au monde ». Il y a là une ouverture à investiguer pour aborder la problématique.

Face à ces constats et à leur complexité, comment l’école peut-elle participer à la sensibilisation des jeunes ?  Comment peut-elle les faire réfléchir à des enjeux globaux et transversaux ?  Quel(s) est(sont) le(s) moyen(s) de communication le(s) plus pertinent(s) ?…

Penser autrement le rapport à l’environnement
 

Rappelons les suggestions d’Edgar Morin[2] dans le monde de l’éducation : pour faire face aux défis futurs, il est essentiel d’insister sur l’importance d’une perspective systémique et interdisciplinaire afin de donner sens aux apprentissages des jeunes dans un environnement naturel, social, technique complexe.

C’est dans cette perspective que C. Jacmin, professeur de géographie[3], a mené une  réflexion sur l’environnement avec les élèves de deux classes de rhétorique. L’initiative a rassemblé plusieurs professeurs de disciplines différentes. Les objectifs sont multiples : travailler en interdisciplinarité une problématique complexe pour apprendre à établir des liens entre les disciplines, renforcer l’ancrage disciplinaire, développer la dimension citoyenne mais aussi relier les informations dans une perspective personnelle plus large, notamment celle d’un choix de vie.

Au point de départ de la réflexion, deux journées sur le terrain sont organisées (la première à la fin du mois de septembre, la seconde au début du mois d’octobre de cette année) pour rencontrer des personnes-ressources et visualiser des lieux aux caractéristiques diverses. L’activité sera ensuite prolongée par un travail individuel et une réflexion collective par classe (notamment sur le rôle de l’être humain dans l’exploitation des ressources de la terre et plus particulièrement de celles de l’énergie) pour déboucher sur le rôle que chacun peut jouer.

Rapport aux besoins énergétiques
 

Partons à la découverte des sites visités. Il s’agit de montrer aux jeunes des lieux de production et de consommation d’énergie mais aussi d’utilisation particulière de l’énergie produite sur place. Sans entrer dans les détails techniques des installations, il est pertinent de constater l’évolution du type d’énergie produite au fil du temps, les méthodes de production, l’impact environnemental mais aussi les caractéristiques économiques engendrées (la concurrence, l’extension du marché, l’investissement, les facteurs de localisation, …). Aussi, les sites sont-ils listés[4] non pas en fonction du trajet emprunté mais en fonction de leur date d’installation ou de construction. La chronologie donne des indices sur l’évolution des priorités politiques
 

Centrale de Tihange

La visite du site de la Centrale nucléaire de Tihange (construite dans les années 1970 près des berges de la Meuse) a permis aux rhétoriciens de repérer et de comprendre le rôle des différents bâtiments dans la production d’électricité mais aussi d’expliquer les facteurs de localisation.
 

BioWanze ou la problématique des biocarburants

BioWanze (mise en service en 2008) est le plus gros producteur de bioéthanol en Belgique. L’usine optimisée en CO2 utilise des matières premières renouvelables (blé, betteraves) afin de produire du bioéthanol pour le secteur du carburant (ce qui garantirait la mobilité à l’avenir), évitant ainsi jusqu’à 70 % d’émissions de gaz à effet de serre, si l’on compare avec le combustible fossile.

Ces matières premières sont soumises à de nombreux tests de qualité qui garantissent leur traçabilité. L’entreprise bénéficie d’atouts de localisation, notamment la proximité de la Meuse mais aussi une construction sur l’infrastructure d’une ancienne sucrerie.
 

Parc à éoliennes à Villers-le-Bouillet

Treize éoliennes sont dispersées sur les trois communes de Verlaine, Villers-le-Bouillet et Wanze. Elles desservent 13.600 familles en électricité verte. Les observations sur le site ont entre autres l’objectif d’apprécier et de comparer les quantités d’électricité produites en regard d’autres productions.
 

GreenWatt et Forcerie de chicons Joluwa

GreenWatt (mise en service en 2010) et l’entreprise De Paepe, situées à Nivelles, associent l’installation de la biométhanisation avec la forcerie de chicons Joluwa. La technologie de biométhanisation/co-génération est basée sur le procédé « en deux étapes » : méthanogénèse et acidogénèse séparées.

Les racines des chicons apportent aussi de l’électricité qui est en partie revendue à une imprimerie proche de la forcerie.

En 2006, le responsable a reçu un prix pour une agriculture raisonnée, la culture de chicons (spécialité belge) hors sol. Ce type de culture telle que développée à Nivelles consomme 9.000 m3 par an dont un tiers est recyclé. En outre, il s’agit d’un phénomène naturel : la dégradation de végétaux (d’abord en liqueur acide) est ensuite transformée par d’autres bactéries en biogaz, lequel peut contenir entre 50 et 60 % de méthane.

La technologie de GreenWatt domestique ce processus. Les résidus sont transformés en biogaz, brûlé dans une installation de co-génération qui produit électricité et eau chaude. L’exploitant en tire un triple bénéfice : une image verte (renforcée), une solution durable pour ses déchets et un bénéfice économique. Pour information, une tonne de racines génère 60 m3 de biogaz (soit une économie de 35 litres de mazout). En une année, le dégagement de 440 tonnes de CO2 est évité.
 

Les visites ont débouché sur la comparaison des énergies (la non équivalence des méthodes de production, les différentes conséquences sur l’environnement et sur l’homme, …) et sur des questions plus larges : consommons-nous plus que ce que la terre peut supporter ?  Quel est le rythme de la consommation ?  Est-il strictement nécessaire de trouver une nouvelle forme d’énergie avant la pénurie d’une autre ? … Autant d’informations à comparer, trier, classer, apprécier, … Cette étape permet de procéder à une analyse « critique » des types de production d’énergie (la non équivalence des méthodes de production, les dangers du nucléaire, les différentes conséquences sur l’environnement et sur l’homme, les effets pervers de l’utilisation des sols pour le biocarburant ici comme dans d’autres régions du monde, …)

Rapport à un mode de vie

Entre les visites de lieux de production et de consommation d’énergie, les jeunes ont eu l’opportunité de rencontrer des personnes dont le rapport à l’environnement a des implications sur des conceptions sociales ou comportementales.
 

Helia

Helia est une Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP)[5]. Une AMAP naît en général de la rencontre d’un groupe de consommateurs et d’un producteur prêts à entrer dans la démarche. Ils établissent entre eux un contrat pour une (souvent deux) saison(s) de production (printemps/été et automne/hiver). La diversité et la quantité de denrées (viande, légumes, fruits, …) à produire sont définies ensemble.

Contrairement à la grande distribution, les consommateurs en AMAP accordent moins d’importance à la standardisation des aliments. Tout ce qui est produit est consommé.

Ce principe est d’une part très valorisant pour le producteur, et d’autre part, il permet de diminuer le prix des denrées en reportant les coûts sur la totalité de la production. Le groupe de consommateurs et l’agriculteur se mettent également d’accord sur les méthodes agronomiques à employer.

Les AMAP participent ainsi à la lutte contre les pollutions et les risques de l’agriculture industrielle et favorise une gestion responsable et partagée des biens communs. Les avantages peuvent aussi se regrouper selon les trois axes : écologiquement sain, socialement équitable et économiquement viable.

L’échange que les jeunes ont eu avec un maraîcher et un consommateur a débouché sur l’éthique d’une AMAP, ses objectifs, son fonctionnement, les raisons d’un tel développement, les fondements d’un engagement dans ce type d’initiative, l’appréciation de la dimension sociale et plus particulièrement le lien entre ce type de visite et l’énergie,…
 

Collège du Biéreau à Louvain-la-Neuve

Le Collège du Biéreau à Louvain-la-Neuve est un bâtiment scolaire, indépendant, répondant au standard de la maison passive.

« Ce choix, rationnel et économique, se veut aussi un engagement citoyen. Il offre aux enfants un lieu d’accueil et d’enseignement confortable. Mais il leur permet surtout de vivre, au quotidien, dans un milieu porteur de solutions pour les défis écologiques de leur futur »[6].

Baptisé Métis (Maîtrise Énergétique et Technologique d’une Institution Scolaire), le projet croise plusieurs enjeux. Développé par une école où se côtoient de nombreuses nationalités, Métis vise quatre objectifs : économique, écologique, énergétique et éducatif.

Lors de cette visite, les jeunes ont eu l’opportunité d’aborder divers aspects : le coût plus élevé par rapport à une construction classique, l’amortissement de l’investissement, les subsides de la Communauté française, la contribution dans la sauvegarde de la planète, la notion de qualité de confort (température, humidité, air), le rapport entre surfaces de déperdition et volume favorable (le facteur de compacité est favorable aux constructions les plus grandes), le taux et la densité d’occupation, … En d’autres termes, les informations transmises ont participé à l’élaboration d’une liste de  facteurs pertinents et déclencheurs pour prendre une décision.
 

Villers-le-Bouillet, une commune kyoto-dynamique

L’échevin de l’environnement et de l’aménagement du territoire de la commune a présenté les caractéristiques de cette commune hesbignonne, montré l’engagement de la commune dans le développement durable (Projet de constructions d’habitations écologiques…) et son rôle en matière d’aménagement du territoire ainsi que les interactions avec la Région wallonne, …
 

Maison passive

L’architecte d’une maison passive a expliqué comment il l’avait conçue pour que la construction soit la moins consommatrice en énergie.

Notons également que, lors de la visite de GreenWatt, le responsable a exposé les raisons qui l’avaient poussé à développer cette entreprise. Il a détaillé son parcours personnel en précisant ce qui l’avait incité à modifier son choix de vie et en même temps son choix professionnel. Ce fût un moment fort pour les jeunes qui entendaient le cheminement réflexif et l’argumentation d’une personne qui s’était positionnée et avait construit autrement sa vie

Rapport au paysage
 

Les jeunes ont également procédé à des observations de paysages, d’habitats et de lots de terrains à bâtir à Vieux-Waleffe, Villers-le-Bouillet, Huy, Dreye,…

Sur le terrain, ils ont déterminé la qualité paysagère en utilisant la grille de l’Adesa (Action et Défense de l’Environnement de la vallée de la Senne et de ses Affluents). Une des préoccupations de cette association est la préservation des paysages remarquables. Aussi, celle-ci a mis au point une grille d’analyse que les rhétoriciens ont appliquée à deux lieux dans la commune de Villers-le-Bouillet.  Ils devaient relever l’écoute sélective (autoroute-trafic, éolienne, nature) et la représenter en graphique (intensité faible, moyenne, forte en ordonnée et lot en abscisse).

Envisager concrètement le rapport à l’environnement
 

En classe, plusieurs activités sont prévues dans les semaines à venir pour prolonger la réflexion mais aussi pour encourager le jeune à aller plus loin, notamment dans la manière d’envisager l’avenir pour agir …

Un premier type d’exercice en lien avec la visite des lots de terrains à bâtir leur est proposé. Les jeunes sont répartis en plusieurs groupes. Chaque groupe reçoit un rôle : pour/contre l’extension d’un parc à éoliennes. A chaque groupe de récolter les informations en fonction du rôle reçu et d’élaborer une affiche pour justifier le choix. C’est là tout un exercice d’argumentation collective à mettre en œuvre.

D’autres exercices seront organisés dans plusieurs cours, notamment un exercice d’argumentation personnelle, une réflexion alimentée par une philosophe, des activités conférences en présence de spécialistes (urbaniste, bio-ingénieur, …), …

A travers cette démarche qui relie l’individuel et le collectif, le jeune est encouragé à mettre en réseau des informations économiques, sociales, éthiques, politiques,… Pour comprendre l’environnement dans lequel il évolue, il doit pouvoir modifier ses savoirs et représentations en y intégrant les éléments neufs qu’il découvre. D’un consommateur d’informations, il devient acteur de sa recherche et décideur de ses engagements futurs. L’objectif des activités prévues ces prochaines semaines est de mettre en perspective la dimension de l’engagement pour le changement. Il s’agit de relier les constats, les propositions,… pour décider et s’engager…

Notes :

  • [1] Le Soir du 10 août 2007, Carte blanche « La véritable révolution verte est d’abord une révolution intérieure ».

    [2] MORIN E., Relier les connaissances : le défi du XXIè siècle,  Paris, Editions du Seuil, 1999.

    [3] C. Jacmin enseigne à mi-temps au Collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud. L’analyse des expériences menées dans une école permet de poser des questions généralisables à l’école prise au sens large.

    [4] Tous les lieux ne sont pas décrits avec le même sens du détail. Plusieurs d’entre eux sont bien connus. Néanmoins, pour d’autres, il nous a paru opportun de proposer au lecteur des informations ciblées.