Le 02 mars 2006

Pour que vive la démocratie : une campagne associative…

La menace de l’extrême droite sur le fonctionnement de la démocratie est réelle. Après avoir analyser l’électorat des partis d’extrême droite, on aborde les motivations d’un vote pour de tels partis. Ensuite, est présentée une campagne associative, Pour que vive la démocratie, qui vise à interpeller les citoyens et à appeller les reponsables politiques à prendre leur responsabilité face à un phénomène qui n’est pas une fatalité. 

Une progression lente et constante

Depuis de nombreuses années, lentement et, parfois, sans inquiéter, l’extrême droite a engrangé des résultats qui aujourd’hui ne peuvent plus laisser indifférents. Tous les pays d’Europe occidentale sont atteints par ce mal pernicieux qui constitue un réel danger pour nos démocraties.

Or, les succès électoraux des partis d’extrême droite ne peuvent être considérés comme un phénomène détaché de la réalité sociale et politique du pays ou de la région concernée.

En effet, pour que l’extrême droite connaisse un développement électoral significatif, il faut deux conditions : d’une part, des crises ou ruptures dans le champ politique, économique ou social. Et, d’autre part, une domination d’un parti dans le camp extrémiste de droite. En effet, si l’extrême droite se retrouve morcelée en plusieurs partis, le choix des électeurs ne peut être que marginal. 

Lorsque ces deux conditions coïncident, le potentiel extrémiste de droite, latent au sein de la société, peut être activé et l’extrême droite devenir un acteur du système politique. En Belgique, l’ascension du Vlaams Blok, devenu aujourd’hui Vlaams Belang, vient confirmer ceci. Mais les progrès électoraux du Front National dans la partie francophone du pays ne doivent pas être minimisés. En effet, quand dans certaines villes ce parti obtient plus de 16% des votes, il y a de quoi réagir ! A l’heure actuelle, comme l’indique un récent sondage (La Libre Belgique du 27 mars 2006), ces partis sont crédités respectivement de 25% et de 9,4 % d’intentions de vote. Devant une telle situation, on ne peut rester sans réagir. Pour cela, il convient de bien cerner l’électorat de ces partis extrêmes et de comprendre les motivations de son vote.

Électorat et motivations

Quand on aborde l’électorat, on peut dire que l’on a affaire à trois types d’électeurs différents:

Tout d’abord, les perdants de la modernisation, c’est-à-dire, des groupes défavorisés, marginalisés, ceux qui sont exclus de la croissance économique et souvent du marché du travail. Le ressentiment qu’ils développent par rapport à la société de consommation dont ils sont exclus peut les conduire à écouter les sirènes ‘rassurantes’ de l’extrême droite. Ensuite, nous trouvons des électeurs issus de milieux plus aisés ou franchement favorisés. Certains ont peur de la régression sociale ou économique. Ce sont ceux qui, à la limite, ont durement acquis une aisance et ont peur de la perdre ou de la partager.  Enfin, d’autres groupes, hétérogènes, qui ont en commun de placer au cœur de leur système de valeurs un « syndrome protestataire autoritaire » ainsi que l’individualisme. Ce sont ceux qui sont notamment attirés par le discours sécuritaire et répressif de l’extrême droite et estiment que chacun n’a qu’à s’aider soi-même. Se retrouvent également dans cette catégorie les nostalgiques d’une certaine époque…

Dans les motifs déclarés pour lesquels des personnes votent pour l’extrême droite, nous avons deux catégories : des motifs qui déterminent un vote protestataire et d’autres un vote volontaire. Le vote protestataire s’explique par le désir des électeurs de disqualifier les partis politiques traditionnels et de manifester une méfiance vis-à-vis des institutions. La classe politique traditionnelle ne trouve plus grâce à leurs yeux, étant par eux réputée incapable de résoudre les problèmes économiques et sociaux, installant un fossé de plus en plus grand entre elle et les citoyens, favorable au clientélisme politique.

Le vote volontaire, lui, s’explique par l’hostilité fortement affirmée des partis d’extrême droite à l’égard des étrangers. C’est même en général la première motivation apparente. Les contacts avec l’électorat d’extrême droite révèlent un public souvent très raciste, faisant état de problèmes de sécurité liés à l’immigration. Et ces partis extrêmes n’hésitent pas dans leurs discours à rendre les étrangers coupables de tous les maux dont souffre la société.

Des stratégies diverses

Pour lutter contre l’extrême droite, nous pouvons déceler deux niveaux d’actions.

Tout d’abord, il y a la perspective de combattre les partis extrêmes en visant à les faire disparaître de l’offre politique. Dès lors, on attaque leurs structures, leur financement, leurs capacités d’action. Cette stratégie peut prendre différentes formes : par des moyens légaux, comme c’est le cas en Belgique, en votant une loi qui supprime à certaines conditions le financement de ces partis ; par l’établissement d’un cordon sanitaire, tant au niveau du dialogue politique qu’au niveau des médias, cordon sanitaire qui vise à isoler l’extrême droite ; enfin, par la dénonciation des pratiques, criminelles parfois, de ces partis et leur condamnation au plan judiciaire.

Cette stratégie peut être utile mais est une voie inefficace à moyen et long terme, si elle ne s’accompagne pas d’autres moyens de lutte. D’autres partis d’extrême droite naîtront, si le contexte y est « favorable »  et les mesures précitées n’ont pas d’effet sur l’électorat de ces partis. Or, s’il y a potentiel électoral, il y a risque de poussée de l’extrême droite.

Une autre stratégie consiste à essayer de diminuer ce potentiel électoral. Cela se peut, dans un premier temps, en dénonçant le vrai visage de ces partis. En faisant connaître le contenu des programmes, on peut sortir de leurs discours récurrents. Cela se fait en décrivant, par exemple, leurs positions face aux syndicats, leur conception de la place des femmes dans notre société, leur proposition de suppression de certains acquis sociaux… Cette manière de faire, si elle montre son efficacité, n’est valable qu’à très court terme et doit donc être entreprise juste avant un scrutin. De plus il faut veiller, en cherchant à le dénoncer, à ne pas répandre le discours, souvent haineux, de ces partis sur les « immigrés » et les étrangers.

A cela doit s’ajouter une incitation à se tourner vers les partis démocratiques, de quelques tendances qu’ils soient. Cette invitation sera opérante si l’électeur potentiel de l’extrême droite est sensible aux arguments rationnels et n’est pas submergé par ses « impressions ». En effet, si l’on essaye d’expliquer à cet électeur potentiel que les chiffres de la délinquance diminuent alors qu’il éprouve un sentiment d’insécurité, cela ne servira à rien…

Dans un second temps, l’objectif de diminuer le potentiel électoral de l’extrême droite doit s’orienter vers la solution des crises ou ruptures qui affectent les domaines politique, économique, social.

Le rôle de la société civile est, dans cette perspective, de renvoyer les mandataires publics à leur responsabilité.

Tout d’abord en appelant à une éthique de l’action politique. Trop souvent encore, et les affaires récen­tes dans les sociétés d’habitations sociales en Wallonie le confirment, il y a des manques dans la transparence, le contrôle et l’évaluation des actions engagées. Ensuite en recréant un lien entre le « monde politique » et les citoyens. Il conviendrait que les responsables politiques redescendent sur le terrain, dans les quartiers, les cafés, les fêtes populaires… Et encore, en mettant en place des mesures favorisant la participation des citoyens dans la gestion de la cité, en organisant des réunions de quartiers sur des thèmes relevant de la vie locale, en délocalisant des réunions des Conseils communaux…

De plus, il est nécessaire de recréer des liens entre les citoyens au sein des quartiers, de rétablir du dialogue et des contacts sociaux, de faire diminuer les barrières et les peurs, de favoriser des événements interculturels et intergénérationnels.

Ensuite, au plan culturel et éducatif, il apparaît que la jeunesse est peu attirée par les questions politiques et ne fait souvent pas la distinction entre gauche, droite, extrême droite… C’est, le plus souvent, par manque de formation citoyenne.  C’est pourquoi il conviendrait qu’une éducation active à la citoyenneté et au fonctionnement de la démocratie soit organisée.

Enfin, le malaise économique engendrant aussi des sentiments d’insécurité peut conduire également à voter pour un parti d’extrême droite.  C’est pourquoi il est essentiel de chercher des alternatives pour remédier à la crise de l’emploi, à la crise du logement et à la paupérisation. Cela se fera notamment en luttant pour la sauvegarde des droits sociaux actuels et en essayant de faire disparaître les effets, parfois néfastes, du néo-libéralisme.

Cette stratégie est la plus efficace à long terme puisqu’elle agit en profondeur sur la société. Mais elle est très complexe : elle envisage presque tous les domaines de la vie en société et relève d’une multiplicité d’acteurs.

Une plate forme associative

Le monde associatif a une responsabilité importante en matière de défense des acquis de la démocratie et de construction d’une société plus humaine et plus juste. En effet, le monde associatif est, à plusieurs égards, un intermédiaire entre le citoyen et le monde politique. Il a un rôle d’éducation permanente et notamment, d’éducation à la citoyenneté. Il est, bien plus que le monde politique, en contact avec les réalités de terrain et peut, à ce titre, relayer vers ce dernier, les aspirations de la société. De l’avis de plusieurs politologues, là où le tissu associatif est important, le risque de vote en faveur de l’extrême droite est moindre.

Forte des enseignements tirés des campagnes bruxelloises mais aussi de l’expertise qu’elle a engrangé  sur le plan de l’analyse ces dix dernières années, la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie (CNAPD) a lancé, dès le mois de septembre 2004, la plate-forme « Pour que vive la démocratie ».

La mise en réseau est un des rôles centraux de la plate-forme. Les associations, qu’elles soient communautaires, régionales ou locales vont elles-mêmes développer des campagnes, des actions de sensibilisation ou de terrain en vue des élections communales et provinciales d’octobre prochain. Il peut s’agir de campagnes de dénonciation du vrai visage de l’extrême droite, tout comme d’actions d’éducation à la citoyenneté… Les associations sont très demandeuses de savoir qui fait quoi, de se contacter, de développer des collaborations et un échange d’expériences.

La campagne « Pour que vive la démocratie » assure ce rôle de mise en réseau permettant l’échange d’informations.

Un des premiers objectifs de la plate-forme  a été de réunir un maximum d’acteurs associatifs des terrains culturel, social, syndical…. A ce jour, près de deux cents associations l’ont rejointe. Pour interpeller le monde politique, un manifeste a été rédigé et est largement diffusé. Après avoir exprimé son inquiétude, dressé des constats sur la situation sociale, économique et politique et dénoncé les caractéristiques des partis d’extrême droite, la plate-forme déclare son engagement dans la lutte contre l’extrême droite et adresse au monde politique des revendications[1] :

« Nous, associations, syndicats, centres culturels, ONG, institutions (…)

Nous nous engageons à :

  • combattre l’extrême droite sur tous les fronts, y compris sur le plan électoral, où ses progrès sont les plus visibles ;
  • en vue des élections communales et provinciales de 2006, nous mènerons des actions communes qui mettront l’accent sur :
  • la dénonciation du vrai visage des partis d’extrême droite ;
  • le rétablissement de la confiance entre le citoyen et les acteurs politiques en valorisant la parole, la participation et l’action au niveau local.
  • un changement de climat politique, social et culturel, les succès de l’extrême droite n’étant que le symptôme d’un malaise plus profond, la partie visible de l’iceberg…  La démocratie relève de plusieurs pôles : le politique, le social, le culturel, l’économique et l’environnemental. Nous devons agir sur ces cinq pôles ainsi que sur les médias, l’éducation et la justice.

Nous demandons aux responsables politiques

  • le maintien ferme du cordon sanitaire autour des partis d’extrême droite ;
  • l’application de la loi sur la suppression du financement public des partis à caractère raciste ;
  • l’adoption de propositions législatives et décrétales rendant inéligibles les responsables d’organisations condamnées sur base des lois réprimant le racisme et le négationnisme ;
  • d’être attentifs à ne pas développer une rhétorique ambiguë, pouvant donner du crédit aux programmes et solutions des partis d’extrême droite ;
  • de renouer le contact avec les citoyens, de les reconnaître comme interlocuteurs et d’encourager leur participation dans la gestion de la cité en organisant davantage de rencontres et de débats dans les quartiers ; de prendre le temps de dialoguer avec les citoyens sur le fondement et les objectifs des décisions politiques et des nouvelles lois ;
  • de s’engager à se questionner sur leur fonctionnement et à proposer des normes, règles et modes d’action novateurs en termes de transparence, de contrôle et d’évaluation des politiques menées et des pratiques mises en œuvre ;
  • que soient organisés, à tous les niveaux de l’enseignement secondaire, des cours et des sessions permettant de former les jeunes au sens de la citoyenneté responsable et développant leur esprit critique ; que soient utilisées les pédagogies participatives et que soient appliquées les mesures de participation dans les écoles ;
  • le développement d’une véritable pédagogie basée sur la reconnaissance des identités culturelles, la recherche des convergences traversant les différentes cultures, l’analyse de l’insertion de celles-ci dans le développement démocratique de la société ; l’inscription, au programme scolaire de l’histoire de l’immigration ;
  • que soit mise en œuvre, à l’intention des travailleurs du secteur privé et public et, en particulier, des administrations, des forces de l’ordre et des enseignants, une politique d’information et de sensibilisation à la réalité multiculturelle et à la promotion d’une dynamique interculturelle dans notre pays ;
  • que le dialogue interculturel soit aussi encouragé au niveau local par le soutien à des initiatives de terrain. »
     

Comme on le voit à la lecture de ce manifeste, le projet est ambitieux. Les élections communales et provinciales du 8 octobre prochain viendront dire si la plate-forme a atteint son but. Toutefois, comme il a été souligné, c’est aussi dans le long terme que  se vit le combat contre l’extrême droite et pour la démocratie. Si les responsables politiques rencontrent les revendications de la plate-forme, il est probable que la démocratie dans notre pays en soit raffermie. C’est cela que nous souhaitons, c’est pour cela que nous nous engageons, pour que vive la démocratie !

Notes :