Le 04 décembre 2023

Lutte et Contemplation

« Lutte et Contemplation » est un nouveau collectif français qui s’est structuré durant l’été 2023 pour « porter une voix chrétienne dans les luttes écologiques et sociales de notre époque » (www.lutte-et-contemplation.org). Comme son nom le laisse entendre, ce collectif repose sur deux pieds : la méditation et la mobilisation. Il organise des plaidoyers auprès des responsables économiques, politiques et ecclésiaux, et mène des actions militantes de terrain, dans un esprit de convivialité, de joie, de créativité et d’espérance.

Collectif Lutte et Contemplation - crédit : Claire Riobé
Collectif Lutte et Contemplation – crédit : Claire Riobé

Il est 8h30, un mardi matin comme un autre dans le quartier de La Défense à Paris. Des milliers de travailleurs bien habillés défilent comme dans une véritable ruche, un écouteur dans l’oreille et une mallette sous le bras, se pressant de rejoindre chacun l’une des immenses tours qui dominent le paysage. Un lundi ordinaire… ou presque : au pied de l’un des plus grands bâtiments, celui de TotalEnergies, un rassemblement inhabituel se déroule en silence. Une vingtaine de personnes se tiennent debout, en cercle, autour d’une bougie dont la flamme vacille au gré du vent. Elles tiennent des panneaux en carton dans le dos : « Stop EACOP », « Ayons le courage d’arrêter les énergies fossiles (pape François) », « Notre silence est un cri ». Un cercle de silence, un cercle de prière. Humble et inutile en apparence, il interpelle les centaines de salariés qui défilent en démarrant leur journée de travail. Quelques flyers expliquent la démarche :

« Nous sommes un groupe de jeunes chrétiens engagés pour la justice sociale et écologique. Nous sommes convaincus que le projet pétrolier EACOP, en Ouganda et en Tanzanie, est néfaste pour les populations locales, pour l’environnement et pour le monde. Il participe à aggraver le dérèglement climatique qui nous affecte tous, qui compromet le futur de paix et de justice auquel nous aspirons.

Le pape François nous le rappelle : ‘Nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre le prochain sommet international : la terre brûle, aujourd’hui. Et c’est aujourd’hui qu’il faut changer. […] Ayez le courage d’abandonner les sources d’énergies fossiles !’

Ensemble, nous formons un cercle de silence pendant une heure, au pied de la tour Total. Ultime action de prière et de silence, elle est le signe de notre engagement contre ce projet. Inutile en apparence, elle prend son sens dans cette inutilité même qui interpelle. Se lever, face à l’injustice, rester debout, en protestant silencieusement. Notre silence est un cri ».

Une soif d’engagement

Je m’appelle Marielle, j’ai 28 ans, et j’ai participé à ce cercle de silence contre le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline Project), le 16 mai 2023. De cette action, parmi d’autres, a émergé un groupe de jeunes chrétiens qui souhaitaient continuer à agir ensemble, ne pas laisser retomber l’énergie investie. Nous cherchions surtout un engagement avec un sens profond, qui réponde à notre exigence de chrétiens et soit à la hauteur de nos inquiétudes et de notre espérance.

Forts de nos expériences diverses, nous sommes partis du constat de deux échecs dans la lutte contre la crise climatique et les inégalités qui en découlent. Dans le monde associatif d’une part, beaucoup de militants s’épuisent dans des batailles qui semblent perdues d’avance et peuvent manquer de profondeur et d’espérance. Dans le monde chrétien d’autre part, bon nombre de croyants ne prennent pas la mesure du changement climatique et se contentent de petits pas personnels sans agir sur les causes structurelles[1].

Nous sommes particulièrement sensibles à ce manque d’engagement des chrétiens. Fidèles, communautés et clercs ont fait beaucoup de chemin depuis la sortie de l’encyclique Laudato si’ du pape François sur l’écologie intégrale, mais un décalage se creuse entre les enjeux colossaux du changement climatique d’une part, et les discours centrés sur la conversion écologique individuelle et non structurelle d’autre part. De nombreux croyants s’abstiennent de s’interroger sur leur travail au sein de structures qui ne remettent pas en question notre modèle économique et politique. Nous savons, par exemple, que nombre de nos institutions ecclésiales investissent dans les énergies fossiles. Tout cela paraît incohérent.

La crise écologique et climatique est centrale. Elle menace l’équilibre de notre planète, entrave la fraternité entre les peuples et compromet le futur de paix et de justice auquel nous aspirons. Les jeunes chrétiens doivent y répondre en ayant le courage de témoigner de leur espérance et de leur engagement pour répondre à ce défi environnemental avant qu’il ne soit trop tard, et tracer des chemins de conversion. Les communautés chrétiennes peuvent être les ferments d’une résistance courageuse et créative.

« Tout est lié », nous dit le pape François. Ces crises sont profondément significatives : elles traduisent une crise spirituelle, une perte de sens qui pousse nos sociétés à une croissance effrénée, sans but. Elles ont une dimension structurelle, liée à la concentration du pouvoir et des richesses, à la recherche permanente de profit et de productivité ou encore à l’extension du marché à toutes les sphères de la vie. Loin de nous paralyser, ces difficultés doivent nous pousser à inventer des manières plus justes de vivre en société, plus interdépendantes, plus à l’écoute « de la clameur des pauvres et de la clameur de la Terre ».

Les jeunes sont sensibles à cet appel : beaucoup y retrouvent la cohérence et l’espérance d’un message chrétien qui les incite à suivre le Christ dans le service des plus pauvres et du bien commun. Nombre d’entre eux s’avèrent cependant dépassés par l’ampleur de la tâche et n’osent pas s’engager radicalement.

La création du collectif Lutte et Contemplation

Nous pensons que la transformation du monde s’opère par une action collective mais aussi dans la contemplation et la prière.« Lutte et Contemplation » est né ainsi. Le nom du collectif fait référence au livre de frère Roger, de Taizé, qui décrit la lutte et la contemplation comme deux pôles entre lesquels nous sommes conduits à situer toute notre existence. La lutte, pour la défense des plus pauvres et la libération de tout être humain. La contemplation, source de la lutte, inscrite au creux de l’homme, là où il touche à l’essence de son être. Nous ressentons profondément la complémentarité entre ces deux pôles : notre lutte doit s’enraciner dans la prière pour être juste et pleine d’espérance, et notre contemplation doit se traduire en actions concrètes. Cet engagement propose une réponse cohérente, à la fois spirituelle et ancrée, militante et contemplative, qui nous permette de garder et de vivre l’espérance, une espérance engagée.

Le collectif cherche à répondre à ces deux attentes qui sont liées : il veut être, d’une part, un lieu de ressourcement et de prière pour les chrétiens engagés dans les luttes écologiques ; et, d’autre part, il entend favoriser l’action commune pour la défense d’une écologie intégrale, par l’action militante et le plaidoyer. Nous avons vu récemment comme une confirmation de notre intuition dans l’exhortation apostolique Laudate Deum écrite par le pape François. Critiquant explicitement le capitalisme qui concentre le pouvoir dans quelques mains, il défend « les actions de groupes fustigés comme ‘radicalisés’ », qui « comblent un vide de la société dans son ensemble qui devrait exercer une saine ‘pression’ » (n° 58). Dans cette recherche, nous voulons particulièrement trouver un mode de plaidoyer et de militantisme chrétien, qui vise à se réconcilier avec nos opposants politiques et à nous nourrir intérieurement, qui soit joyeux et créatif. Nous avons ainsi formé des cercles de silence, une chorale militante, créé des pancartes originales lors de plusieurs manifestations, etc.

Nos actions

Lutte et Contemplation est un tout jeune collectif, qui s’est structuré durant l’été 2023. Alors, par quoi commencer ? Nous avons choisi de nous concentrer d’abord sur l’aspect contemplatif et la vie fraternelle. Depuis septembre, à Paris mais aussi à Lyon, nous proposons toutes les deux semaines une soirée conviviale, autour d’un bon repas, ainsi qu’un temps de prière et de louange. Ouvertes à tous, ces soirées permettent de cultiver nos liens : entre personnes engagées ou préoccupées par les questions climatiques, et avec Dieu. Nous avons déjà expérimenté qu’elles permettent de reprendre de l’énergie par le biais de la prière, et dans des échanges à la fois simples, vrais et porteurs de projets.

Nous avons ensuite concentré notre énergie sur des luttes qui nous semblaient prioritaires et porteuses de sens. Un grand défi est l’abandon des énergies fossiles, dont l’extraction est au cœur du dérèglement climatique qui nous affecte tous. Les cercles de silence au pied de la tour Total, contre le projet EACOP, entrent dans cette dynamique. Notre spécificité reste néanmoins le plaidoyer adressé aux évêques de France, les appelant à se positionner contre ce projet. Nous nous appuyons pour cela sur les paroles du pape François, qui appelle à « avoir le courage d’abandonner les énergies fossiles »[2]. Ce plaidoyer n’a pas encore porté les fruits escomptés, mais il montre bien le mode d’action que le collectif souhaite continuer à déployer : une action militante accompagnée d’un plaidoyer auprès des décideurs, politiques et économiques, mais surtout ecclésiaux. Dans la lignée des appels répétés du pape François, et en accord avec de nombreux travaux et expérimentations de chrétiens dans le monde entier, il nous semble que la conversion écologique est urgente et que les responsables ecclésiaux doivent avoir le courage de se positionner. Nous demandons par exemple aux diocèses de France de désinvestir des énergies fossiles.

Nous avons également choisi de lutter contre la publicité, omniprésente dans notre environnement.  Elle est un rouage essentiel de la société de consommation contre laquelle nous nous battons : elle envahit notre quotidien et nos esprits, gaspille une énergie précieuse pour faire vendre des produits qui nous détournent souvent d’une vraie croissance humaine, elle nous déresponsabilise et contribue à entretenir les inégalités. Nous rejoignons ainsi régulièrement des actions d’affichage, de décrochage et d’extinction de panneaux lumineux.

Enfin, nous voulons aussi rejoindre les luttes écologiques déjà existantes, notamment celles ancrées dans nos territoires : les manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline au printemps 2023, contre la construction d’une portion d’autoroute (A69) entre Castres et Toulouse en octobre, contre un autre projet autoroutier de contournement de la ville de Valence en novembre… Nous souhaitons être aux côtés de ceux qui luttent, et témoigner de l’engagement des chrétiens dans ces combats.

Ainsi, nous supportons l’inéluctable combat aux côtés des plus pauvres et du vivant, dans un engagement qui me semble réellement cohérent. Personnellement, j’y vis une croissance intérieure profonde qui unifie les différents aspects de ma vie, et j’y défends un développement humain joyeux et véritable pour les femmes et les hommes, bien loin de la croissance économique effrénée de notre monde qui en a perdu le sens.

Notes :

  • [1] Voir le sondage de l’IFOP auprès des catholiques et protestants français sur le climat, 22 juin 2023 (www.ifop.com/publication/sondage-aupres-des-catholiques-pratiquants-sur-le-climat).

    [2] Pape François, 24 septembre 2022, à l’occasion de la rencontre « L’Économie de François » à Assise.