Le 19 mai 2014

Les impacts environnementaux du gaspillage alimentaire

Outre ses implications éthiques, sociales et économiques, le gaspillage alimentaire a également son « empreinte écologique ». Partant des constats dressés par la FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) dans son rapport « Food Wastage Footprint : Impacts on Natural Resources » sorti en septembre 2013, l’analyse présente des pistes d’action concrètes pour lutter contre ce problème. 

En septembre 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, Food and Agriculture Organisation) a publié un rapport[1] sur les impacts environnementaux du gaspillage alimentaire : « Food Wastage Footprint : Impacts on Natural Resources ». On y pense moins, mais outre leurs impacts en termes de coûts économiques (qui représentent une perte de l’ordre de 750 milliards de dollars par an), les pertes et les gaspillages alimentaires ont également leur « empreinte écologique ».

Quelques constats du rapport de la FAO
 

Pour commencer, trois données permettent de saisir l’ampleur de la problématique. La FAO estime que la quantité de nourriture produite mais non consommée représente 1,3 milliard de tonnes chaque année. Nous ne pouvons que joindre notre voix à celle de José Graziano da Silva, le directeur général de la FAO quand il déclare que « nous ne pouvons tout simplement pas permettre qu’un tiers de toute la nourriture que nous produisons soit gaspillé ou perdu à cause de pratiques inadéquates lorsque 870 millions d’êtres humains sont affamés chaque jour ».

Venons-en aux impacts environnementaux. L’organisation onusienne met bien en lumière que les pertes et le gaspillage alimentaires « portent aussi un grave préjudice aux ressources naturelles dont l’humanité dépend pour se nourrir ». En effet, non seulement les impacts sont colossaux pour le climat (avec le rejet dans l’atmosphère de 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre), mais également en termes de biodiversité, d’utilisation vaine des terres (1,4 milliard d’hectares, soit près de 30% des terres arables au niveau mondial) et de quantité d’eau requise (« la nourriture produite sans être consommée engloutit un volume d’eau équivalant au débit annuel du fleuve Volga en Russie », c’est-à-dire 250 km³, ou encore trois fois le volume du lac Léman !).

Une précision de vocabulaire : le rapport distingue les pertes alimentaires et le gaspillagealimentaire. Les premières sont involontaires et essentiellement dues à des problèmes d’infrastructures, de logistique, de technologies, de compétences, etc. (par exemple la nourriture non récoltée ou endommagée lors du stockage ou du transport), tandis que le second concerne des aliments comestibles jetés intentionnellement.

On voit donc que la non-consommation de nourriture produite concerne tous les maillons de la chaine alimentaire : à un niveau mondial, 54% des pertes se passent en amont, c’est-à-dire aux stades de la production, de la manutention et du stockage, et les 46% restant se passent en aval, c’est-à-dire aux phases de la transformation, de la distribution et de la consommation. On peut s’en douter : les pertes ou gaspillages alimentaires ayant lieu en fin de chaine alimentaire ont un impact environnemental plus grand qu’en début de chaine (en raison du coût environnemental du transport, du stockage, de la transformation, etc.). Le rapport note également que les gaspillages ayant lieu en toute fin de chaine (vente au détail et stade de la consommation) sont bien plus élevés dans les régions à revenus moyens ou élevés (31 à 39% des pertes et gaspillages totaux) que dans les régions à revenus faibles (4 à 16% du total).

Le rapport précise la méthodologie utilisée pour arriver à son ensemble de données détaillées, réparties en fonction des régions mais aussi du type d’aliments et du stade de la chaine alimentaire. Cela permet à la FAO de poser des priorités en termes d’actions à mener pour améliorer la sécurité alimentaire mondiale et diminuer les coûts environnementaux.

Dans un guide[2] accompagnant son rapport, la FAO s’adresse aux gouvernements, aux agriculteurs, aux industries de l’agro-alimentaire et aux consommateurs pour explorer les actions à privilégier pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Trois voies sont présentées et déclinées en propositions concrètes. Par ordre de priorité, la FAO préconise de : (1) réduire les pertes et le gaspillage alimentaires (via des campagnes de sensibilisation[3] à destination de toutes les parties prenantes, en favorisant une meilleure communication tout au long de la chaine alimentaire pour mieux faire correspondre l’offre et la demande, etc.), (2) réutiliser la nourriture (dons d’aliments propres à la consommation humaine, utilisation des aliments non propres à la consommation humaine comme nourriture animale), et (3) recycler et récupérer (compostage, incinération avec récupération d’énergie, etc.). Le guide est ponctué de dizaines de présentations de cas de « bonnes pratiques » (initiatives de terrain, campagnes, actions publiques, mesures législatives, etc.) repérées de par le monde.

Et en Belgique ?
 

Qu’en est-il en Belgique ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au stade de la consommation, un Belge jette en moyenne 15 à 20 kg de nourriture par an. En termes de pertes économiques, cela représente environ 174€ par ménage par an[4]. Lutter contre le gaspillage alimentaire est donc rentable du point de vue économique. Une étude du CRIOC[5] met en avant deux autres données mesurant les pertes et le gaspillage alimentaires sur l’ensemble de la production alimentaire (et non pas uniquement au stade de la consommation finale), pour l’ensemble de la population européenne : une première étude conclut à un total de 280kg par personne par an. Une autre étude, commanditée par la Commission européenne, conclut à un total de 179kg par tête, sans inclure le secteur agricole. (Le manque d’harmonisation dans la manière d’enregistrer les pertes alimentaires explique les différences des données).

Que faire concrètement ?
 

Au niveau des ménages ou des groupes et communautés locales (écoles, etc.)

Le guide de la FAO, entre autres idées, propose aux ménages de faire un « audit » de leur gaspillage alimentaire[6] : pendant une période déterminée, mesurer d’une manière ou d’une autre les aliments jetés (quantité/poids et type d’aliments jetés), évaluer la situation à la fin de l’ « audit » et adapter ses comportements d’achat en fonction des résultats. Cela peut se faire au niveau d’un ménage bien sûr, mais également au niveau d’une école, par exemple. Le guide de la FAO met en lumière l’exemple d’un concours de réduction du gaspillage alimentaire dans lequel s’étaient engagées quatorze écoles d’une municipalité britannique[7]. L’expérience montre que les effets positifs sont permanents : les habitudes et les attitudes changent et la réduction du gaspillage se pérennise. Ce qui est également intéressant dans l’expérience, c’est que cela a été traduit au niveau politique : deux fois par an, toutes les écoles doivent faire un audit du gaspillage alimentaire au sein de leur cantine.

Un problème souvent constaté est la mauvaise compréhension des indications concernant les dates de péremption et les dates limites de consommation. S’informer à ce sujet peut aider :

« A consommer de préférence avant le… » précise la limite d’utilisation optimale. Un produit dont la date d’utilisation optimale a été dépassée ne présente normalement pas de danger mais certaines propriétés telles que le goût, la couleur et la texture peuvent avoir été altérées (blanchissement du chocolat, ramollissement des biscuits,…). Ce sont par exemple des denrées alimentaires séchées, les conserves, les produits à teneur élevée en sucre, les denrées alimentaires fortement acides, le lait UHT,… Elles peuvent être conservées à température ambiante et demeurent souvent comestibles après leur date de péremption.

« A consommer jusqu’au… » précise la date limite de consommation. Cette inscription se trouve sur les denrées hautement périssables d’un point de vue microbiologique. Ceci implique qu’un produit dont la date limite de consommation est expirée peut présenter un risque pour la santé. Ce sont principalement des produits frais devant être conservés au frigo. Ces produits sont par exemple la viande fraîche, le poisson, le poulet, le lait pasteurisé, les légumes prédécoupés, les repas préparés, les salades prêtes à l’emploi…

Source : www.copidec.be/Gaspillage-Alimentaire.pdf

D’autres trucs et astuces à suivre pour s’engager dans une réduction du gaspillage alimentaire : faire une liste de courses en fonction d’un inventaire de ses provisions et de menus prévus à l’avance, ne pas aller faire ses courses le ventre vide (pour limiter les achats impulsifs), placer les aliments qui doivent être mangés en premier à l’avant du frigo ou de l’armoire, respecter la chaine du froid, conserver les restes en les congelant, les accommoder en usant de sa créativité, etc. Sur le mode de l’humour, mais de façon tout à fait sérieuse, la FAO nous encourage à acheter et manger des fruits et légumes « laids et biscornus » : quantité d’entre eux sont jetés car ils ne correspondent pas aux normes esthétiques des consommateurs, alors qu’ils sont parfaitement bons !

Par ailleurs, s’approvisionner dans des circuits courts permet également de réduire le gaspillage alimentaire ainsi que l’empreinte écologique de la chaine alimentaire (moins de transport et de stockage, etc.) : adhérer à un GAC (groupe d’achat commun) ou un GASAP (groupe d’achat solidaire de l’agriculture paysanne) facilite la démarche pour consommer local et de saison en achetant directement au producteur[8].

Au-delà des arguments économiques, environnementaux et de justice sociale qui peuvent influencer nos comportements de consommateurs, n’oublions pas l’aspect de socialisation lié au fait de se nourrir : s’interroger sur son gaspillage alimentaire est une bonne occasion de questionner ses habitudes de consommation et de mettre des choses en place pour retrouver le plaisir de manger bon et savoureux, dans la convivialité.

Enfin, quand le gaspillage est inévitable, l’impact environnemental peut être quelque peu limité grâce au compostage (dans son jardin ou dans des composts collectifs de quartier mis en place par les communes).

Au niveau politique

L’initiative de la commune d’Herstal, en région de Liège, est particulièrement intéressante : l’objectif de la commune était d’obliger les supermarchés à donner les denrées alimentaires non périmées mais invendues à des associations actives dans le champ de l’aide alimentaire. Elle y est parvenue, en juillet 2012, en mobilisant une directive européenne (2008/98/CE – transposée en décret wallon et en ordonnance à Bruxelles) qui impose un ordre prioritaire dans le traitement des déchets. A la base, cette directive est d’ordre environnemental (elle n’impose pas ipso facto le don des invendus alimentaires), mais la commune d’Herstal est parvenue à faire d’une pierre deux coups et à l’utiliser à des fins sociales également, en conditionnant le renouvellement du permis d’environnement des supermarchés au don de leurs invendus encore consommables. Si le permis d’environnement n’est pas arrivé à échéance, la commune peut négocier avec le supermarché pour arriver à conclure un avenant au permis.

L’expérience pionnière de la commune d’Herstal a fait tache d’huile. En se basant sur le permis d’environnement également (en y intégrant une clause sectorielle), le parlement wallon a adopté, le 12 mars 2014 une proposition de décret obligeant les grandes surfaces de plus de 1.000m² à proposer leurs invendus consommables à au moins une banque alimentaire ou à un CPAS. Un arrêté a déjà été pris pour les grandes surfaces de plus de 2.500m²[9]. Le parlement bruxellois a suivi le même mouvement, en approuvant une proposition d’ordonnance deux jours plus tard, le 14 mars[10].

Jusqu’à présent, les dons se sont faits sur base volontaire uniquement. Pour inciter à cela, un premier obstacle franchi avait été la défiscalisation des dons : auparavant, il coûtait moins cher de détruire les denrées alimentaires, les dons étant soumis à la TVA et non les déchets. Une aberration à laquelle il a été mis fin, par la décision du ministre Koen Geens en juillet 2013 : la TVA payée en amont dans tout le circuit qu’un produit suit est désormais récupérable. Une mesure dont s’étaient réjouis les organismes bénéficiaires, mais aussi, du côté patronal, notamment Comeos, la fédération des entreprises actives dans le secteur du commerce (de gros et de détail) et des services. Un autre frein était relatif aux règles de traçabilité imposées par l’AFSCA, l’Agence fédérale de Sécurité de la Chaine Alimentaire, qui avait récemment simplifié ses exigences administratives en la matière. Ce n’est pas pour autant que les normes de sécurité alimentaire et de santé publique ne sont pas respectées.

Cela étant, notons que les commerces (en gros et de détails) ne seraient responsables, en Europe, que de 5% du gaspillage alimentaire… c’est-à-dire bien moins que les ménages (42%), le secteur de la restauration ou les services de restauration collective (14%) (les 39% restant relevant du secteur de l’industrie agro-alimentaire – le total ne prenant pas en compte le secteur agricole)[11]. Bref… il reste à mener un énorme travail de conscientisation et de sensibilisation des consommateurs finaux. Comme une étude du CRIOC le révèle, 78% de ces derniers s’avèrent effectivement convaincus que les grandes surfaces gaspillent plus qu’ils ne le font eux-mêmes[12].

C’est dans un souci de sensibilisation que le Parlement européen avait proposé de déclarer 2014 « année européenne de lutte contre le gaspillage alimentaire ». Cette proposition était faite dans la foulée d’une résolution adoptée par le Parlement européen en janvier 2012, visant à réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025[13]. La proposition, qui aurait eu l’avantage d’attirer l’attention de l’opinion publique sur cette problématique, n’avait finalement pas été retenue. La thématique de la citoyenneté a été privilégiée : à la suite de l’année 2013, « année européenne des citoyens », mettant l’accent sur les droits qui résultent de la citoyenneté de l’Union européenne[14], la Commission européenne a décidé de poursuivre la démarche. Cependant, la citoyenneté ne saurait se limiter aux droits ; ceux-ci s’accompagnent de devoirs légaux et de responsabilités morales… Une question telle que le gaspillage alimentaire (et ses implications éthiques, sociales, économiques et environnementales) doit engager notre responsabilité de citoyen.

En guise de conclusion
 

Au-delà des actions politiques et citoyennes auxquelles le rapport et le guide de la FAO nous incitent, les constats du gaspillage alimentaire dressés par l’organisation onusienne nous renvoient à notre conscience et notre responsabilité d’êtres humains et nous invitent à nous poser ces deux questions : en termes de consommation, 1) quels sont mes besoins ? et 2) quel est mon rapport à la limite ? Si l’on prend le temps de se poser ces questions, que ce soit par rapport à l’alimentation ou par rapport à d’autres domaines de consommation, c’est toute une réflexion d’ordre spirituel qui s’ouvre à nous, dont le potentiel est énorme pour engager une transition de nos modes de vie consuméristes vers des modes de vie plus frugaux[15].

Annexe
 

Quelques adresses utiles présentant des conseils pour réduire le gaspillage alimentaire des ménages :

www.copidec.be/Gaspillage-Alimentaire.pdf

www.bruxellesenvironnement.be/templates/news.aspx?id=33840&langtype=2060

www.bruxellesenvironnement.be/uploadedFiles/Contenu_du_site/News/GreenCook_FR_LR.pdf?langtype=2060

www.bep-environnement.be/reduire-dechets/reduire-gaspillage-alimentaire/

Notes :