Le 10 décembre 2010

Le poids mémoriel, impasse du dialogue interculturel ?

crédit Kelly Sikkema - Unsplash
crédit Kelly Sikkema – Unsplash

« N’oublie pas les chevaux écumants du passé.Ils n’ont, pour se faire entendre, que leur sueur et le battement de leur sang affolé par la course » (Christiane Singer, in « N’oublie pas les chevaux écumants du passé »)« L’avenir a un long passé »
Talmud de Babylone

Introduction et questionnement
 

Il est beaucoup question aujourd’hui, dans la perspective d’un meilleur vivre ensemble, de tenter de définir les modalités d’un dialogue possible entre groupes et « communautés » au sein d’une société désormais pluriculturelle. Cette réflexion va de pair avec l’apparition dans le débat intellectuel d’un flot terminologique dans lequel il est parfois difficile de ne pas se noyer ou se perdre. « Interculturalité », « cohésion sociale », « reconnaissance des minorités», « identité nationale », « politique mémorielle » sont autant de concepts souvent « fourre-tout » ou en tout cas dont l’acception n’est pas unanime. La présente étude, loin d’avoir la prétention de trancher ces discussions sémantiques et épistémologiques, tentera de s’attacher à l’exposition des enjeux et questions soulevés par la place de la mémoire dans ce vivre ensemble multiculturel.

Un dialogue interculturel, c’est-à-dire permettant une véritable rencontre entre différentes « cultures »[1] – si tant est que nous le pensions possible – suppose que nous ayons dissipé certains malentendus. La question de fond est probablement celle-ci : sur quelle base ce dialogue peut-il ou doit-il reposer ? Ou pour prendre les choses par la partie émergée de l’iceberg, le long et inabouti débat autour de la « question du voile » ne serait-il pas exemplatif de passé(s) non réglé(s), de méprises en quelque sorte, dont les racines sont anciennes ? Il s’agirait peut-être de la résurgence des « tréfonds des mentalités » auxquels nous nous devons de faire face.

On assisterait en effet, depuis les années soixante, à un long réveil mémoriel, plus particulièrement chez les « minorités » vivant au sein de notre société, parallèlement à la (re)construction et à la recherche de cohésion identitaire au sein de ces groupes. En amont de ce qui prend parfois les contours d’une véritable obsession, il y a ce que l’on pourrait dénommer « une crise de la transmission »[2] au sein de nos sociétés contemporaines, ou le passage, selon Walter Benjamin, de « l’expérience transmise » à « l’expérience vécue », qui serait un trait marquant de la modernité. Cette rupture, bien qu’ayant des origines sans doute plus anciennes, se serait véritablement opérée lors de la première guerre mondiale, qui correspondrait à un tournant profond dans la transmission intergénérationnelle, puis se serait renforcée à travers les multiples traumas qui ont marqué « l’expérience vécue » au cours du XXème siècle (guerres, génocides, totalitarismes, etc.). A la lumière de cette rupture, « l’obsession mémorielle de nos jours est le produit du déclin de l’expérience transmise, dans un monde qui a perdu ses repères, défiguré par la violence et atomisé par un système social qui efface les traditions et morcelle les existences »[3].
 « Non, une chose est claire : le cours de l’expérience a chuté, et ce dans une génération qui fit en 1914-1918 l’une des expériences les plus effroyables de l’histoire universelle. Le fait, pourtant, n’est peut-être pas aussi étonnant qu’il y paraît. N’a-t-on pas alors constaté que les gens revenaient muets du champ de bataille ? Non pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable. Ce qui s’est répandu dix ans plus tard dans le flot des livres de guerre n’avait rien à voir avec une expérience quelconque, car l’expérience se transmet de bouche à oreille. Non, cette dévalorisation n’avait rien d’étonnant. Car jamais expériences acquises n’ont été aussi radicalement démenties que l’expérience stratégique par la guerre de position, l’expérience économique par l’inflation, l’expérience corporelle par l’épreuve de la faim, l’expérience morale par les manœuvres des gouvernants. Une génération qui était encore allée à l’école en tramway hippomobile se retrouvait à découvert dans un paysage où plus rien n’était reconnaissable, hormis les nuages et au milieu, dans un champ de forces traversé de tensions et d’explosions destructrices, le minuscule et fragile corps humain. Cet effroyable déploiement de la technique plongea les hommes dans une pauvreté tout à fait nouvelle. » Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté » (…), p. 364-365.

En toile de fond de cette crise, il importe de prendre en considération l’histoire des relations entre l’Occident et le reste du monde depuis la fin du XVème siècle, dont l’avènement de la modernité et l’hégémonie technico-économique et politique d’une partie du monde seraient en quelque sorte le corollaire ou le symbole. Dans ce contexte, on voit se manifester chez certains groupes – à l’échelle planétaire mais aussi au sein même de nos sociétés – le sentiment d’avoir été trop longtemps exploités, mis à l’écart et manipulés par la majorité dominante. On assiste ainsi aujourd’hui à la résurgence d’un « poids mémoriel » chez ceux qui se sont progressivement identifiés à des « opprimés ». De la même manière, nous le verrons, le passé migratoire de ces populations n’a pas été sans laisser de traces profondes en ce qui concerne l’appréhension de la vie en société ; passé migratoire correspondant également à une rupture de transmission au niveau intrafamilial.

Ainsi, outre le cadre général de la crise de la transmission dans nos sociétés contemporaines, il nous semble y avoir deux éléments contextuels principaux à distinguer :
 

  • d’une part un poids mémoriel que l’on pourrait qualifier de « collectif », en ce sens qu’il concerne, comme nous le verrons, une grande partie des populations originaires du Sud de la Planète, subissant ou ayant subi le système d’exploitation mis en place par « l’Occident ». Nous verrons que de nombreux Belges d’origine immigrée revendiquent aujourd’hui une certaine « reconnaissance » d’erreurs passées et la fin de toute expression de domination de la part des « Belgo-Belges ».
  • d’autre part un poids mémorial familial, qui vient en quelque sorte se superposer au premier. Celui-ci, que nous resituerons dans le contexte des migrations postcoloniales, concerne les « traces » laissées dans la famille par l’exil, la rupture avec le pays d’origine, l’installation dans la nouvelle terre et la difficile « intégration » et « construction identitaire » au sein de notre société.
     

Nous tenterons d’appréhender les identités multiples dont ces groupes se revendiquent, liées à la construction mémorielle de leurs familles et des ensembles plus larges auxquels ils appartiennent ou se sentent appartenir. Nous verrons aussi qu’il est plus souvent question de « reconstruction » mémorielle opérée à partir d’éléments que l’on aurait pu considérer comme marginaux.

De la « mémoire »
 « Notre mémoire du passé n’est que le lieu où nous puisons ce qui nous sert à appréhender le monde qui nous entoure. Chacun de nous y trouve ce qu’il y cherche… »
Amin Maalouf, in « Autobiographie à deux voix », entretien avec Egi Volterrani

L’expression « mémoire » est aujourd’hui sur les lèvres de nombreux chercheurs en sciences sociales. Plus encore, elle est apparue dans l’espace public, tantôt au singulier, tantôt au pluriel, pour désigner souvent de manière confuse le rapport qu’entretiennent nos contemporains au passé.

C’est ainsi qu’on assiste depuis les années 1980 environ à ce que certains spécialistes ont appelé l’ « émergence de la mémoire » ou encore le « réveil mémoriel » : « Le passé accompagne le présent et s’installe dans son imaginaire collectif comme une ‘mémoire’ puissamment amplifiée par les médias, souvent régentée par les pouvoirs publics »[4]. L’exemple peut-être le plus frappant et le plus facilement « identifiable » est celui de la présence du souvenir de la shoah dans notre espace public depuis une bonne trentaine d’années, par l’intermédiaire de la valorisation de « lieux de mémoire », de la multiplication des musées et expositions, des interviews de rescapés des camps à la télévision, de nombreux films sur le sujet, d’une littérature abondante, etc. S’il n’est pas question de remettre en question ces initiatives, il est intéressant de constater que le lien mémoriel que nous entretenons avec l’holocauste se différencie de celui que tente d’établir la démarche purement historiographique : l’« histoire » et la « mémoire » ne peuvent pas totalement se confondre.

Si l’histoire, en tant que science, se veut être une étude du passé aussi rigoureuse et objective que possible, la notion de « mémoire » renvoie à une certaine subjectivité, en ce sens qu’elle peut être définie comme « l’action de se rappeler » le passé. La mémoire serait donc liée intrinsèquement aux individus puisqu’elle concerne leur propre représentation du passé, alors que l’histoire correspond en principe à une méthode de recherche permettant d’aboutir à un « ensemble de connaissances » sur ce même passé. Ainsi, il serait impossible de délier l’exercice de la mémoire de sa dimension affective, comme le souligne Paul Ricœur[5] en faisant référence au terme grec de mneme, désignant le souvenir comme une affection. En ce sens, il ne pourrait en fait y avoir que des mémoires plurielles et « personnelles ». Toutefois, nous serons amenés à évoquer les mécanismes de « mémoire collective », dont la compréhension est indispensable pour envisager les modalités d’un dialogue entre « groupes » ou « communautés » en société.

Ce « travail de mémoire », nous le verrons également, revêt une fonction de marqueur social, historique et culturel, en opérant un travail de « sélection » d’éléments du passé et de mythification de certains d’entre eux, ce qui va permettre à un individu ou un groupe de se situer dans l’espace et le temps. Il s’agit dès lors d’appréhender le « faire mémoire » comme un processus identitaire, dans une perspective à la fois d’individuation et d’intégration collective. Dans cette optique, nous aurons l’occasion de le mettre en avant à travers cette étude, il importe de souligner que les enjeux de la mémoire se situent toujours dans le présent : bien qu’ancrée dans le passé d’un individu ou d’un groupe, la construction de la mémoire est non seulement « filtrée par le présent »[6], mais plus encore y trouve ses véritables sens et raison d’être.

De la mémoire collective
 

L’expression « mémoire collective » a été inventée et théorisée par le sociologue français Maurice Halbwachs[7] durant la première moitié du XXème siècle, et a été largement approfondie par la réflexion historiographique des années septante.

A la suite de Maurice Halbwachs, de nombreux chercheurs ont observé et identifié des mécanismes collectifs dans le rapport à la mémoire. Ainsi, la mémoire serait également façonnée par les structures sociales. L’hypothèse de base est que, pour se souvenir, l’individu s’inscrit automatiquement dans une société humaine, et qu’ainsi la mémoire individuelle s’approprie à travers quelque chose d’ « appris » par les autres. Les logiques personnelles de perception du monde et du passé s’inscriraient donc également dans nos représentations collectives – les normes, les valeurs, les idées portées par le ou les groupes auxquels nous appartenons. Paul Ricoeur fera lui référence à trois niveaux de références mémorielles : individuel, familial et sociétal. Ces différents niveaux, entrant en interaction ou en conflit, construiraient pour chacun un « héritage mémoriel » propre. Ricoeur fait ainsi le lien entre mémoire personnelle, décrite par Saint-Augustin, John Locke et Edmund Husserl, et mémoire collective, telle que définie par Maurice Halbwachs : « Ce n’est donc [pas] avec la seule hypothèse de la polarité entre mémoire individuelle et mémoire collective qu’il faut entrer dans le champ de l’histoire, mais avec celle d’une triple attribution de la mémoire : à soi, aux proches, aux autres »[8].

En ce qui concerne le niveau collectif, la mémoire serait ainsi façonnée par le groupe auquel on appartient ou se sent appartenir. Mais comment une mémoire devient-elle collective ? Ancrée dans le passé du groupe, elle ne serait en fait « que » ce que ses membres en ont retenu et souvent transformé. Spontanément, les membres, en interagissant, sélectionneront certains événements ou aspects de ces événements parmi ceux survenus et leur appliqueront des modifications en fonction de la situation présente, de leurs intérêts et de leurs valeurs.

Si l’on parle aujourd’hui de « réveil mémoriel » à l’échelle de la société, c’est aussi que la mémoire s’élabore progressivement dans le temps, selon un processus qui suivrait plusieurs étapes[9] : un événement ou un tournant marquant correspondant à un « traumatisme », suivi d’une phase de refoulement puis d’un besoin d’ « anamnèse » (ce qu’on pourrait appeler dans le jargon psychanalytique le « retour du refoulé ») pouvant prendre la forme d’une véritable obsession mémorielle. Encore une fois, l’exemple de la mémoire de la shoah est à cet égard éclairant : ce n’est qu’à partir des années septante et surtout quatre-vingt que la littérature et les lieux de mémoire consacrés à l’holocauste se sont multipliés et surtout ont trouvé un écho. De la même manière, le « retour du refoulé » chez les populations anciennement colonisées par l’Occident a commencé à se manifester durant les années nonante, soit environ trente ans après la grande période de décolonisation.

Cela montre qu’un événement deviendrait collectif non seulement parce qu’il a été vécu par une collectivité, mais aussi parce qu’il a été « (ré) approprié » par le groupe. Et ceci dans un dessein éminemment politique, puisque le processus mémoriel conduit bien à « faire groupe », à exister en tant que collectivité. Le lien entre mémoire collective et cohésion du groupe est donc de nature intrinsèque. Le « phénomène » peut être expliqué ainsi : « un groupe en quête de cohésion interne va rechercher dans le passé, dans le stock, limité par l’histoire, de références mémorielles, une mémoire qu’il s’agit pour lui de généraliser, de collectiver »[10]. Il s’agit bien d’un processus de réélaboration du contenu, qui, en étant transmis d’une personne ou d’une génération à une autre, permet le sentiment d’appartenance au même groupe, participant également à sa continuelle reconstruction.

L’élaboration d’une mémoire collective – interagissant comme nous l’avons vu avec les mémoires individuelles et familiales – serait donc à l’origine du sentiment d’appartenance à un même groupe, lui garantissant aussi une continuité dans le temps. Ces mémoires, dans leur fonction de préservation sociale, historique et culturelle, jouent ainsi un rôle d’identificateur, de marqueur social, de construction et reconstruction des identités ou des appartenances.

Mémoire et identité
 « Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un ‘dosage’ particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre »
Amin Maalouf, in « Les identités meurtrières »

Aujourd’hui, au sein de nos sociétés où la diversité culturelle est grandissante, la question de l’identité s’est de plus en plus imposée et « exposée ». Dans un contexte complexe et bigarré, la recherche identitaire refait en effet surface, source, trop souvent, de rapports conflictuels dans la vie en société. Souvent liée, comme nous le verrons, au souvenir – sensible ou entretenu – d’un Occident impérialiste, ainsi qu’aux réalités de l’exil, la construction identitaire se fait sur fond de volonté de « guérison du passé ». Car au cœur de l’éperdue quête mémorielle actuelle, se niche l’une des blessures personnelles et sociales les plus prégnantes en ce début de XXIème siècle : la blessure d’identité, « ce sentiment douloureux de n’être pas à sa place dans le milieu où l’on a vu le jour, ni d’ailleurs dans aucun autre milieu »[11].

L’identité s’élabore en fonction d’un « espace-temps ». Si la frontière tracée par l’individu, depuis sa naissance, entre lui et « les autres » lui permet d’exister dans l’espace, la mémoire lui permet de s’ancrer dans le temps. Il en est de même, nous le verrons, pour l’identité d’un groupe ou « identité collective ». Chercher sa ou ses mémoires, c’est donc construire son identité… Il n’est pas seulement question de simple prise de conscience de ses racines et origines, mais bien également d’appropriation ou réappropriation d’un passé qui pourrait « dire qui l’on est », et permettre d’« expliquer », de se situer, de donner sens parfois à un certain mal de vivre de type « existentiel ».

La construction d’une identité – qu’elle soit personnelle ou collective – est un phénomène complexe : il s’agit d’un enchevêtrement de « fils de mémoire », dont les provenances sont multiples. C’est cet assemblage, pas toujours homogène et cohérent, qui est constitutif de l’identité d’un individu ou d’un groupe. Identité et mémoire sont ainsi liées de manière intrinsèque : mémoire intime ou familiale du point de vue individuel ou mémoire collective du point de vue du groupe sont les fondements sur lesquels reposent en grande partie notre « sentiment identitaire ». Or, nous l’avons déjà évoqué, mémoire et identité s’élaborent conjointement de manière foncièrement subjective. Il s’agit d’une sélection continuelle, consciente ou non, d’événements, de bribes de notre passé, de morceaux d’histoire entendus et (ré)interprétés, qui, une fois articulés, forment notre référentiel, notre « socle » identitaire.

Au niveau collectif, on assiste à une formalisation ou « fixation » identitaire par ceux que l’on pourrait appeler les « historiens du groupe », dont l’œuvre est de lier un espace donné à un passé, dans lequel le présent du groupe s’inscrit et prend racine. Il s’agit en fait de permettre au groupe de bâtir son identité autour d’une histoire linéaire logique, par l’intermédiaire d’une sélection d’événements de l’histoire collective, rendus lisibles ou mythifiés pour devenir « repères identitaires » pour le groupe. Ce n’est donc pas un hasard si l’on assiste depuis une vingtaine d’années à la multiplication des études s’interrogeant sur les enjeux du post-colonialisme et du multiculturalisme. Il s’agit-là d’une illustration de la « relation privilégiée entre les mémoires ‘fortes’ et l’écriture de l’histoire »[12]. Ainsi, il arrive toujours un moment où la mémoire, dans une optique identitaire, cherche à devenir histoire. En d’autres mots, on pourrait dire que la reconnaissance d’une « communauté » ou d’une « culture » passe par une nécessaire formalisation historique, capable de donner des repères mémoriels clairs pour l’identité collective.

Car derrière la question du lien entre mémoire et identité, il y a celle de la reconnaissance – sociale et culturelle – indispensable à toute communauté pour pouvoir entrer dans une démarche de dialogue « interculturel ». L’enjeu est de taille : il s’agit d’être capable de donner suffisamment de reconnaissance publique aux héritages culturels propres à chaque communauté pour leur permettre de rencontrer la diversité culturelle caractéristique de nos sociétés contemporaines.

Mémoire et vivre ensemble : objet de l’étude
 

Nous l’avons déjà souligné, c’est bien dans le présent que résident les enjeux mémoriels. Dans le contexte multiculturel que nous connaissons, en Belgique comme dans de nombreux pays européens (pour ne parler que de ceux-là), chaque « communauté » tend à réclamer la reconnaissance de son identité culturelle, et par là même de son « bagage mémoriel ». C’est ainsi que la mémoire vient régulièrement s’inviter non seulement dans les débats autour de la question interculturelle, mais aussi de manière beaucoup plus pragmatique dans la vie en société au quotidien.

Pour évoquer une question sur laquelle nous ne nous étendrons pas, on peut trouver dans le conflit communautaire entre Flamands et Francophones une illustration assez tangible de cette place de la mémoire dans le vivre ensemble : une certaine vision flamande de l’histoire de la Belgique, entretenue et « mémorialisée » par le mouvement flamand d’abord et par certains partis politiques aujourd’hui, est sans conteste à la racine des revendications territoriales et politiques flamandes actuelles. Mais c’est au sujet du poids de la mémoire dans nos relations avec les communautés d’origine extra-européenne présentes dans notre société que nous allons ici nous interroger : en quoi ces relations sont-elles souvent court-circuitées par un passé conjugué au présent ?

Nous commencerons par nous questionner sur ce que Jean Ziegler a appelé la « haine de l’Occident » ou sur le rôle actuel d’une mémoire qui conduit certains à s’identifier à des victimes de l’Occident ; nous nous attacherons ensuite à l’examen des mémoires de l’immigration et à leurs mécanismes propres ; nous envisagerons enfin comment « faire place » à ces mémoires afin que ces blessures du passé – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit – puissent être entendues avec justesse et ne fassent pas obstacle au dialogue interculturel.

A travers notre réflexion, il s’agira d’appréhender sous l’angle de l’interférence entre le passé et le présent les relations entre différentes « communautés » en Belgique. Nous n’analyserons donc pas ici le conflit communautaire actuel entre Flamands et Francophones, ni entre « Belges de souche » et « Belges d’origine immigrée » en général, mais plus spécifiquement entre ce que nous qualifierons – non par étiquetage mais par souci de clarté – « Belges d’origine européenne » et « Belges d’origine extra-européenne ». Ces Belges d’origine extra-européenne portent en effet le « double poids mémoriel » auquel nous faisions référence ci-dessus : mémoire de la domination occidentale et mémoire de la migration. Il nous semble que ce « cumul » mérite toute notre attention car il a associé l’oppression à l’exil, créant par là-même un profil doublement fragilisé, ou à tout le moins un sentiment d’appartenance doublement meurtri.

L’optique choisie ne se veut ni apitoyante ni moralisante ; il s’agira d’éviter un quelconque parti pris, sauf celui de mieux comprendre les enjeux et défis posés par ces incursions (souvent inconscientes) du passé dans la vie en société. Comme pour la question du port du voile que nous évoquions au début de notre étude, il semble en effet que les bases sur lesquelles devrait reposer un véritable dialogue interculturel paraissent à de nombreux observateurs d’emblée minées, comme si nous nous trouvions constamment devant « l’arbre qui cache la forêt ». C’est au sein de cette « forêt du souvenir » que nous tenterons de trouver des clés, à la fois pour comprendre et pour ouvrir de nouvelles portes, en vue de plus de vérité et de justesse dans nos relations avec ceux avec qui nous sommes amenés à vivre en société.

Mémoire d’une injustice : passé au présent d’un Occident impérial
 

« Le temps doit venir de la réparation des injustices du passé et avec lui celui des dysfonctionnements et des déséquilibres d’un système de relations qui voue implacablement les plus puissants à toujours plus de richesses et les plus pauvres à un malheur sans fin. » (Déclaration de Abdelaziz Bouteflika, Durban, 2001)« Je suis de la race de ceux qu’on opprime » (Aimé Césaire)

Il est deux griefs récurrents depuis trois ou quatre décennies (mais de manière plus aigue ces dernières années) venant des populations du Sud ou originaires du Sud à l’égard de l’Occident : son passé colonial et son passé esclavagiste. De manière plus générale, c’est l’impérialisme occidental – dans le passé mais encore aujourd’hui – qui est montré du doigt comme source d’injustices profondes à l’échelle planétaire. Pour mieux comprendre ce qui a été vécu comme une oppression et une spoliation[13], il est utile de brosser un rapide rappel historique des relations entre les Européens et le reste du monde. Nous ne remonterons pas ici aux nombreuses origines de l’ascension européenne à travers les siècles, mais commencerons à ce qui en fut le point de cristallisation ou le symbole : le début de l’ère coloniale à la fin du XVème siècle.

Histoire d’une domination mondiale
 

« Il y a chez moi ce besoin de rugir parce que les Antillais, descendants d’esclaves, êtres déchirés, ont été opprimés, dépouillés de notre langue et de notre terre. »
Aimé Césaire, interview

On situe généralement le début de l’hégémonie mondiale de l’ « Occident » à l’époque de ce que l’on a plus tard appelé les « Grandes Découvertes ». L’année phare – ou « repère » – en est 1492, quand Christophe Colomb pose le pied sur le continent américain. S’en suit une politique de domination économique et souvent également politique de l’Espagne, du Portugal, de l’Angleterre, de la France puis de nombreux pays européens à l’égard des populations indigènes d’Amérique, d’Asie et d’Afrique.

Plutôt que de refaire l’historique détaillé de ces conquêtes coloniales, il nous semble important de souligner trois de leurs conséquences directes, parmi celles qui ont laissé les traces les plus durables sur les relations entre Européens[14] et « non-Européens » : le système de domination économique et l’instauration du capitalisme à l’échelle mondiale ; le système d’esclavagisme, formalisé par le « commerce triangulaire » entre l’Europe, l’Amérique et l’Afrique ; une évolution du système politique européen à deux vitesses, allant progressivement vers la démocratie – et les valeurs qu’elle porte – aux États-Unis et en Europe, tout en maintenant un régime autoritaire à l’égard des populations colonisées.

Le capitalisme, outil d’une domination mondiale
 « Aux yeux de la plupart des hommes d’État et des combattants des mouvements sociaux du Sud, l’ordre occidental globalisé – qui frappe si durement les couches les plus pauvres du sud – s’inscrit dans la filiation directe des modes de production esclavagiste et coloniale »
Jean Ziegler, in « La haine de l’Occident »

Avec la « découverte » et l’exploration de nouvelles contrées, l’Occident s’est à la fois installé dans une logique de recherche effrénée de profit tout en exportant cette logique dans des régions où l’économie était tout autre. Si le capitalisme – que l’on caractérise traditionnellement par la recherche de profit et la propriété privée des moyens de production, dans une optique de croissance illimitée – trouve son origine dans la bourgeoisie marchande du Moyen Age, c’est véritablement avec les « Grandes Découvertes » qu’il a connu son essor. La mise au jour de nouvelles ressources naturelles, de nouveaux espaces de production… et d’une main d’œuvre gratuite, va donner à l’Occident l’occasion de donner une impulsion et une vitesse de croisière inespérée à sa croissance économique.

Sur le continent européen, si l’essentiel de la richesse et de la population européennes était encore en zones rurales aux XVIème et XVIIème siècles, cette nouvelle perspective internationale donna une importance capitale à certaines zones urbaines, principalement en Italie et aux Pays-Bas, qui domineront progressivement la finance et le commerce mondiaux. Pour les régions colonisées, les répercussions ne se sont pas fait attendre : un système d’exploitation au seul profit des Européens est instauré, alors que la concurrence entre États européens a pour conséquence la spécialisation de la production selon les régions, l’obligation de ne commercer qu’avec la métropole, l’instauration de politiques publiques de production, etc. Ainsi, c’est une véritable spoliation des ressources naturelles et des moyens de production des zones colonisées qui est organisée par les États européens, dans le but non seulement de croître économiquement, mais aussi d’accroître leur puissance sur le vieux continent, et in fine au niveau mondial.

Ce système de domination non seulement se poursuivra jusqu’à la fin de la période coloniale – soit dans le courant du XXème siècle – mais plus encore perdurera bien au-delà pour, selon toute vraisemblance, se perpétuer encore aujourd’hui. La question de la dette du Tiers-monde à l’égard des pays « développés » est à cet égard emblématique : de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer ce qui serait une manière pour l’Occident de conserver son hégémonie et sa mainmise économiques au niveau mondial.

Nous assistons dès lors aujourd’hui, de la part de ceux ayant subi et subissant encore cette domination économique, à une remise en cause manifeste, qui correspond moins à une critique intrinsèque du système capitaliste qu’à une ferme volonté de (ré)appropriation des ressources, territoires et moyens de production jadis spoliés par l’Occident. En matière économique, une ombre « revancharde » plane ainsi sur les relations entre ex-colonisés et ex-colonisateurs, se manifestant avec d’autant plus de hargne que le système économique mondial perpétue sous de nouvelles formes cette structure profondément inégalitaire.

Nous aurons l’occasion d’y revenir, cette domination économique de l’Occident s’est aussi couplée d’une domination culturelle. Dès lors, – et il s’agit là d’un reflet de la complexité des enjeux de la période postcoloniale – s’affranchir du joug économique de l’Occident revient également depuis la décolonisation à affirmer d’autres identités culturelles dans ce contexte où « les temps coloniaux [sont] révolus, mais [où] l’ambition de la mondialisation qui lui succède [est] d’étendre le règne de la rationalité économique occidentale à l’échelle de la planète »[15].

La traite des Noirs, apogée historique de l’oppression occidentale
 « L’Histoire tisse avec le temps le voile épais des siècles… L’esclavage était un exemple lamentable  et révoltant de l’influence que l’appât du gain a sur l’esprit de ceux qui cèdent à ses séductions. »
Joseph Ndiaye, Conservateur de la Maison des Esclaves à Gorée

La question de l’esclavagisme est sans conteste l’un des « objets privilégiés »[16] autour duquel la mémoire du Sud s’élabore aujourd’hui. Parallèlement à l’entreprise coloniale, l’Europe a en effet structuré une gigantesque traite d’êtres humains à l’échelle internationale dont les effets ont été durables et destructeurs pour une grande partie de la planète (en particulier pour le continent africain).

A partir du XVIème siècle jusqu’au XIXème siècle, l’Europe va en effet trouver une réponse à son besoin de main d’œuvre dans ses nouvelles colonies en instituant ce que les historiens appelleront plus tard un « commerce triangulaire » entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe. Il s’agissait en fait, sous une forme structurée, de la réduction à l’esclavage d’une partie de la population africaine, pour permettre l’exploitation des richesses sur le continent américain au seul profit des Européens. Depuis l’Afrique occidentale, les marchands européens troquent avec quelques « alliés » africains des objets du vieux continent et produits de « pacotille » contre des esclaves africains. Ces esclaves sont acheminés vers l’Amérique où les plantations de café, de coton, etc. se multiplient et dans un contexte où la main d’œuvre amérindienne est insuffisante ; là, les Africains sont vendus ou échangés contre des produits tropicaux revendus ensuite très chers en Europe.

Bien plus qu’un simple « fait historique », l’esclavage des Africains a laissé une empreinte particulièrement douloureuse dans les relations entre les « Blancs » et les « Hommes de couleur » à l’échelle de la planète. Et cela d’autant plus que la conception foncièrement raciste inhérente à l’esclavagisme va se perpétuer bien au-delà de l’abolition, non seulement à travers certaines lois (aux États-Unis jusqu’au milieu du XXème siècle) mais aussi bien plus généralement dans les esprits dans lesquels elle laisse des traces jusqu’à aujourd’hui.

La communauté internationale a pris plus spécifiquement conscience du poids de la mémoire de l’esclavage – et plus largement de la colonisation – chez les populations du Sud lors de la conférence mondiale contre le racisme organisée par les Nations Unies à Durban en 2001. La conférence gouvernementale était précédée d’une conférence des mouvements sociaux et ONG. Dès le premier jour de cette conférence, le projet de résolution qui est déposé par la coalition des ONG africaines donne le ton : « Nous affirmons que le commerce transatlantique des esclaves et la mise en esclavage des Africains et de leurs descendants sont un crime contre l’humanité ainsi qu’une tragédie unique dans l’histoire de l’humanité, et que les racines de ce crime furent économiques, institutionnelles, systémiques et transnationales, par la dimension qu’elles prirent. Les compensations financières serviront à dédommager les descendants des victimes, notamment africaines, en comblant le fossé économique créé par ces crimes »[17]. De manière générale, Durban s’est déroulé dans un climat houleux, dans un contexte où les pays du Sud exigeaient réparation des injustices du passé, repentance de l’Occident et plus globalement reconnaissance de la mémoire blessée des populations du Sud, tandis que les gouvernements occidentaux estimaient qu’il s’agissait là en quelque sorte de vieilles rancoeurs dépassées et surtout n’entendaient pas à cet égard concéder quelque indemnisation que ce soit.

Cela montre à quel point la question de l’esclavage des Noirs représente aujourd’hui pour une large population du Sud ou issue des pays du Sud une injustice encore très actuelle, puisqu’elle n’a été suivie d’aucune réparation. Plus encore, la domination occidentale actuelle et l’exploitation toujours réelle des ressources du Sud par l’Occident sont perçues comme une manière de perpétuer l’injustice. De la même manière, de nombreux jeunes Noirs ou de couleur vivant en Occident voient dans les discriminations dont ils sont victimes au quotidien (pour la recherche d’un emploi, d’un logement, etc.) l’expression de ce même mépris ancestral. Comme si la logique raciste de la réduction à l’esclavage se perpétuait – certes sous une forme atténuée – dans les comportements de l’ « homme occidental » à l’égard de l’ « homme de couleur », tant au niveau international, sur le plan économique et politique, qu’au sein d’un Occident désormais multiculturel et bigarré.

La démocratie, un régime au service des nantis ?
 

La composante politique est également essentielle à la compréhension du sentiment d’injustice que vivent les populations issues du Sud. Sous l’influence des Lumières (XVIIème siècle), de la proclamation d’indépendance des États-Unis (fin du XVIIIème siècle) puis de la révolution française (1789), le modèle de la « démocratie moderne » va se répandre à travers le continent européen. Ainsi, les anciennes monarchies absolues sont progressivement remplacées par des régimes parlementaires, parallèlement à un idéal affiché de « liberté » et d’ « égalité ». Bien que l’instauration de la démocratie en Europe fut progressive et qu’elle n’aboutit pleinement qu’au XXème siècle avec l’instauration du suffrage universel, les idées issues des Lumières ont été mises en avant par les Européens dès le XVIIIème siècle pour justifier politiquement leur statut de « leaders » sur la scène internationale. Il s’agissait ainsi d’être un « exemple » pour les autres peuples, en portant haut l’étendard des valeurs démocratiques.

Et pourtant… Parallèlement à cette révolution politique sur le vieux continent, l’Europe va instaurer des relations avec le reste du monde suivant un tout autre modèle. Dans ses colonies, le régime va être la plupart du temps de type autoritaire, et ce jusqu’au XXème siècle. Les peuples indigènes, quand ils n’étaient pas réduits à l’esclavage, n’ont eu pendant la quasi-totalité de la période coloniale aucune voix sur la scène politique. Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire étaient – à quelques exceptions près – aux seules mains de la métropole, ce qui s’oppose totalement au principe de séparation des pouvoirs qui est à la base de tout régime démocratique. Mais plus encore, l’exercice de ces pouvoirs ne se réalisait qu’au seul bénéfice des colonisateurs, ce qui correspondait donc à un système d’exploitation économique régenté par le pouvoir politique métropolitain.

Les peuples colonisés ont vécu ce double langage comme une profonde injustice : comment l’Europe pouvait-elle se targuer d’être porteuse de l’idéal des Lumières et de la démocratie, alors même qu’elle réduisait les « indigènes » à de simples sujets ou pire, à des esclaves ? Comment pouvait-elle justifier l’entreprise coloniale à la lumière de la « civilisation » dont elle aurait été porteuse, tandis qu’elle était incapable de considérer les peuples colonisés sous l’angle des valeurs qu’elle prétendait défendre ? Cette contradiction a laissé une empreinte profonde dans les relations entre le « monde occidental » et le « reste du monde » en général. L’Europe et les États-Unis sont encore aujourd’hui largement perçus par les autres pays comme des « donneurs de leçons », beaucoup plus enclins à protéger la démocratie à l’intérieur de leurs frontières qu’à la favoriser à l’extérieur. L’appui avéré de l’Occident à certains régimes autoritaires au Sud, pour des raisons bien souvent essentiellement économiques, est perçu comme la perpétuation de ce double discours.

L’image même de la démocratie s’en trouve profondément affectée. L’instauration de régimes au Sud de la planète qui n’ont de « démocratique » que le nom est encore aujourd’hui pour beaucoup une illustration du « détournement » de cet idéal au bénéfice des nantis.

Domination d’hier et d’aujourd’hui, une mémoire très actuelle
 

Nous l’avons vu, la domination économique, l’exploitation d’une grande partie de la population africaine – et du Sud plus généralement – et le « double discours » politique de l’Occident constituent à la fois des blessures d’hier, mais aussi des injustices se perpétuant dans l’aujourd’hui. Le fait que le passé colonial, et esclavagiste, avec tout ce que cela a pu comporter, trouve un prolongement dans une domination toujours actuelle de l’ « homme blanc » rend cette mémoire d’autant plus vive et entretenue. Au sein même de l’Occident, les minorités issues du Sud – et plus particulièrement, nous le verrons, du monde musulman – semblent exprimer de manière croissante leur volonté d’affranchissement vis-à-vis de cette domination, rejetant tout discours ou attitude qui pourrait en être l’expression.

La multiplication des expositions ou événements autour de la mémoire de la colonisation et plus largement l’identification croissante d’une part de la population mondiale à des « héritiers de l’oppression » sont des signes visibles de ce « réveil mémoriel » – tel que nous l’avons défini au début de cette étude – à l’échelle internationale. Ce réveil de la « mémoire de l’oppression » prend plus particulièrement la forme d’un rejet manifeste de ce qui peut être identifié comme signe de domination de l’Occident. A cet égard, le conflit israélo-palestinien occupe une place tout à fait emblématique et cristallise de nombreux enjeux. La cause palestinienne est devenue, particulièrement dans le monde arabe, mais plus largement encore, le symbole de la lutte contre l’oppression occidentale. La présence israélienne au Proche-Orient, grâce notamment au soutien inconditionnel des États-Unis, est ainsi perçue comme un signe visible de l’arrogance occidentale et de sa domination économique, politique et militaire. L’injustice de l’occupation israélienne est dès lors identifiée à un prolongement d’un long passé d’oppression. Et si ce conflit semble parfois prendre la tournure d’une « guerre de religions » – en tout cas dans la manière dont il est vécu par certains – c’est que la question religieuse aujourd’hui ne peut non plus être envisagée en dehors de cette « compréhension mémorielle ».

La religion pour s’affranchir du joug occidental ?
 

Le « retour du religieux » à l’échelle mondiale ou à tout le moins une certaine accentuation des identités religieuses est au moins en partie à appréhender à l’aune de ce réveil mémoriel, comme l’expression d’un rejet – ou à l’inverse d’une réaffirmation – d’un Occident triomphal. Ce n’est à cet égard pas un hasard si le « choc des civilisations » régulièrement décrit ou dénoncé ces dernières années dans la littérature et les médias semble souvent correspondre à une menace faite à l’Occident (une entité géographique) par l’Islam (une religion). La (re)découverte de son identité religieuse – généralement accompagnée d’un raidissement, d’un repli – pourrait en effet correspondre dans le cadre que nous avons décrit à une forme de lutte contre l’oppression. La religion serait ainsi instrument de libération du joug de la domination occidentale… un instrument qui semble « fonctionner » puisque tellement craint et conspué !

Comment expliquer cette tension grandissante entre la société occidentale telle qu’elle voudrait se définir et l’identité musulmane telle qu’elle tend à se remodeler ? Si l’on appréhende la question sous l’angle mémoriel, on peut émettre l’hypothèse qu’un des enjeux réside dans la place des valeurs issues des Lumières dans l’imaginaire et la représentation de l’Occident par lui-même et par ceux qui lui ont été soumis. En effet, si l’Occident a été par son histoire très marqué par le christianisme (et en est encore très largement imprégné, de manière plus spécifique aux États-Unis), il se veut surtout être l’incarnation, depuis le XVIIIème siècle, d’un idéal de sécularisation. Sécularisation qui, selon l’acception moderne de la démocratie, serait garante de l’égalité de tous. Or, nous l’avons déjà évoqué, cette égalité non seulement n’a pas toujours été appliquée par le passé à l’égard des populations dominées, mais n’est toujours pas vécue par tous au sein même de nos sociétés, où les discriminations perdurent. Parallèlement, en Occident, et plus spécialement depuis Descartes (XVIIème siècle), la « raison » ou la « science » se sont progressivement substituées aux dogmes religieux pour la compréhension du monde, comme pour l’appréhension de la vie en société.

On peut ainsi envisager de quelle manière, en Occident, les minorités issues du monde musulman se trouvent à la croisée de ce « choc des civilisations ». Comment exister dans une société sécularisée quand le sentiment d’appartenance religieuse semble constitutif de son identité ? Comment adhérer pleinement aux pré-requis de la démocratie moderne – comme le sont la séparation des pouvoirs et la séparation Église-État – quand ceux-ci ne semblent pas garantir l’égalité de tous ? Comment répondre aux exigences de cette même société si prompte à défendre certaines valeurs qu’elle a pourtant si peu appliquées par le passé – et n’applique toujours pas aujourd’hui – à l’égard d’autres populations ? Comment défendre la suprématie de la raison alors que celle-ci semble dans certaines situations si peu encline à garantir le droit et la justice ? Comment dès lors ne pas envisager la voie religieuse comme un chemin d’opposition et d’affranchissement ? Le questionnement est multiple et complexe, mais l’enjeu est bien celui-là : l’identité religieuse de nombreuses minorités au cœur de notre société est porteuse du poids mémoriel de la longue domination occidentale, qui perdure toujours. Cette mémoire influence, façonne la manière de « se penser » en termes d’appartenance religieuse et de vivre sa religion en société.

Ainsi, si la question du « choc des civilisations » se pose à l’échelle internationale – notamment avec le terrorisme islamique – c’est aussi au cœur des sociétés occidentales que la tension se fait vive. Les débats passionnés et houleux autour de la question du voile musulman en sont un signe visible et emblématique. Chez ceux qui ont politisé ce débat – probablement bien plus que chez les jeunes filles concernées – l’argumentaire est imprégné d’un passé encore vif : ce qui a fait les fondements mêmes de la société occidentale semble aux yeux de certains remis en question de manière intolérable, quand, en face, d’autres évoquent souvent le même idéal qui a été à leurs yeux trop longtemps détourné. Il s’agirait donc moins d’une « guerre de civilisations » qu’une manière de « remettre à l’heure les pendules de la mémoire »… certains voyant derrière l’argumentaire « intégrationniste » de l’Occident l’expression d’un « néocolonialisme » ou une manière de maintenir une position de « supériorité » sur ceux qui lui ont longtemps été soumis[18].

Mémoire d’une domination donc, que nous venons d’analyser, sur laquelle vient se « superposer », « s’intercaler » une autre mémoire aux accents eux aussi complexes et multiples : la ou les mémoire(s) de l’immigration. Et si les mécanismes que nous avons décrits jusqu’ici étaient principalement collectifs, nous allons devoir également nous attacher maintenant aux dynamiques familiales, et à la difficile question de la transmission intergénérationnelle. Nous tenterons d’ouvrir de nouvelles pistes de compréhension vis-à-vis des mécanismes psychologiques de la mémoire qui conduisent une part importante de la population mondiale, y compris au sein de nos sociétés, à se sentir exclus, victimes d’un système où ils ne trouvent pas leur place.

Entre exil et oubli : quelles mémoires de l’immigration ?
 

« Il nous semble que l’un des effets pervers de l’ère de la commémoration et de l’explosion mémorielle consiste dans le fait d’avoir relégué le champ d’usage des mémoires de l’immigration et des immigrés à l’échelle de l’espace public, en privilégiant les aspects les plus évènementiels. On omet tout ce qui dans l’expression a trait à la sphère du privé, du souvenir et de sa remémoration, aux pratiques et processus de transmission et de réappropriations intergénérationnelles. »
Giulia Fabbiano, « Mémoires familiales… », p. 50.

Depuis le départ du pays natal, jusqu’à l’installation dans une nouvelle « terre promise » et la naissance des nouvelles générations, c’est toute une histoire de l’immigration dont il faudrait rendre compte pour tenter de comprendre la place du passé au sein des familles d’origine immigrée. Nous envisagerons ici cette histoire à travers l’angle de la transmission potentielle ou réelle d’une « mémoire de l’immigration » à travers les générations : Comment la migration se dit-elle, se raconte-elle à l’intérieur de la cellule familiale ? Quel est l’apport à cet égard de la « communauté culturelle » à laquelle on appartient ? Comment l’identité culturelle se construit-elle sur base d’un passé situé à la fois « là-bas » et « ici » ? La migration reste-t-elle une blessure béante qui se transmettrait d’une génération à une autre ? Dans ce cas, faire mémoire pourrait-il aider à guérir, à apaiser et donc à construire son identité sur des bases moins douloureuses ?

Nostalgie et douleur de l’exil
 

« Je suis né quelque partLaissez-moi ce repèreOu je perds la mémoire »
Maxime Leforestier, in « Né quelque part »

L’immigration, c’est d’abord un départ, un exil. Ce départ laisse pour trace une nostalgie latente, un « mal du pays » chez ceux qui l’ont quitté, mais aussi auprès de leurs descendants. Avec le temps, le piédestal sur lequel avait été mise la terre d’accueil fait le plus souvent place à une idéalisation du lieu qui a été quitté, tant dans ses composantes physiques que humaines. Ainsi, la douleur de la séparation d’avec la terre d’origine est constitutive de l’identité de l’immigré, douleur qu’il tente d’apaiser par des souvenirs réels ou imaginaires d’un « avant » révolu.

Nous y reviendrons, il n’est pas possible de comprendre la construction identitaire des jeunes d’origine immigrée sans prise en compte de cette souffrance en amont de la mémoire familiale : celle du départ, de l’exil, de la rupture intrinsèque. Le poids de cette charge mémorielle est tel qu’il peut faire dire qu’au sein des familles d’origine immigrée, « perdre la nostalgie, c’est perdre une partie de soi »[19]. La nostalgie est donc réponse à cette douleur de l’exil. En ce sens, elle n’est pas que négative : elle permet d’éviter la confrontation constante avec la réalité actuelle. Ainsi, « la nostalgie permet de surmonter la désillusion en offrant une source de gratifications narcissiques difficiles à mettre en échec, parce que fluctuantes, indispensables à l’estime de soi »[20]. Il s’agit par ailleurs d’une tendance, que l’on pourrait qualifier d’universelle, d’idéalisation du passé. Mais dans le cas des familles issues de l’immigration, certains parlent d’un frein à l’ « intégration » dans le pays d’accueil. En réalité, il s’agit surtout d’un processus psychologique, mémoriel, incluant un travail de deuil, nécessaire au sein de ces familles pour la construction progressive d’une identité propre.

Les trois grandes étapes de ce processus intergénérationnel peuvent être brièvement présentées ainsi[21] :
 

  • d’abord, il y a le départ du pays d’origine, avec cette douleur de la séparation que nous venons d’évoquer. Avec le départ, le migrant est confronté à une révision de ses valeurs sociales, une remise en question de ses liens familiaux et sociaux. C’est ici qu’il doit entamer un nécessaire travail de deuil, afin d’éviter de basculer dans une nostalgie qualifiée de « pathologique » – qui est signe que le changement ne peut être intégré.
  • ensuite, vient généralement une période de transition, durant laquelle « le pays d’origine est devenu une part du passé, alors que la terre d’accueil n’est pas encore acceptée comme lieu de projection ». Il s’agit d’une situation où le sentiment d’identité est durement questionné, ce qui réveille souvent la nostalgie « pour la période durant laquelle cette identité était assurée ». La fin de cette étape est intimement liée à l’acquisition de la langue du pays d’accueil – ce qui peut parfois prendre le temps de plus d’une génération.
  • enfin, il y a la dernière étape, qui « se traduit par la capacité de se situer par rapport à une double identité, les références à une double culture et le sentiment d’unicité qui transcende cette dualité ». Nous éviterons ici le terme d’ « intégration », celui-ci pouvant être connoté négativement auprès des personnes d’origine immigrée, comme nous l’avons déjà évoqué. Quand cette étape est atteinte, « la nostalgie dans son sens large est ce qui permet à l’immigrant de recréer son propre pays natal [ou d’origine] après l’avoir quitté ».
     

C’est en réalité à cette « dernière » étape que résident les enjeux pour le vivre ensemble, enjeux profondément liés à la mémoire. Nous le voyons autour de nous, cette double appartenance, en plus de la « blessure originelle » de l’immigration que nous venons d’analyser, s’avère difficile à endosser au quotidien, semblant empêcher pour certains la construction saine d’une identité propre. Pour tenter de saisir cette difficulté dans sa complexité, il est bon de se pencher sur deux « phénomènes » observés par les historiens et les sociologues : le silence de la mémoire des immigrés de la première génération et le réveil de la mémoire chez les descendants d’immigrés de la troisième génération. Sans prétention d’exhaustivité, il nous semble que la présentation des deux mécanismes régulièrement observés, et qui font écho aux « mécanismes mémoriels » que nous avons évoqués au début de cette étude, peut permettre d’approcher la complexe question de la transmission intergénérationnelle.

Mémoire et silence : la difficile expression de la première génération
 

« Que peut l’émigré qui sait que, dans la situation paradoxale où l’a placé l’émigration, c’est toute sa vie (de travailleur, d’époux, de père, de chef de famille) qui est marquée du signe de son impuissance ? Que lui reste-t-il sinon se réfugier – quand cela lui est encore possible, c’est-à-dire quand rien ne le contraint à se prononcer – dans un silence ambigu ? Bien qu’il en donne toutes les apparences, ce silence n’est ni consentement, ni hostilité déclarée, ni même de renoncement […] C’est le silence de l’homme d’honneur […] ; un silence qui force le respect : le silence qui convient dans l’adversité »
Abdelmalek Sayad, in « Les enfants illégitimes »

La génération qui quitte son pays natal est celle qui a vécu dans sa chair la rupture de la migration. Il s’agit d’une rupture d’abord spatiale, un passage d’un univers familier à celui d’une terre inconnue. Comme nous l’avons analysé, cette rupture est très largement vécue comme une douleur, une blessure. Cela explique probablement que l’on observe – cela a été analysé de manière évidente pour le cas de l’immigration postcoloniale sur laquelle nous nous penchons plus particulièrement ici – ce que l’on pourrait appeler une rupture générationnelle à l’intérieur même de la cellule familiale.

En effet, si l’on pourrait à première vue penser que l’immigré de la première génération devrait avoir la question de la transmission culturelle particulièrement à cœur, il semblerait que c’est plus fréquemment un pesant silence qui prend le dessus. Ainsi, ce qui a précédé l’exil, tout comme ses causes et les circonstances, semble le plus souvent tu au sein de la cellule familiale. Il s’agit évidemment d’une réaction tout à fait « classique » si l’on envisage les choses sous l’angle psychologique : la première réaction à une douleur, à un traumatisme, est souvent une réaction de repli et de refoulement. Ainsi, on peut dire qu’un souvenir traumatisant n’est pas perpétué dans la mémoire vivante sans nécessaire distance, sans doute difficile à la première génération. Enzo Traverso[22] met très bien en lumière, dans une situation différente de celle de l’immigration, celle des survivants de la shoah, comment ce traumatisme a mis plus d’une génération à être digéré et donc exprimé, non seulement à cause de la douleur de ceux qui l’avaient vécue, mais aussi parce que cette expression n’aurait pas été acceptée socialement. En effet, l’expression, si elle arrivait trop tôt, serait contraire à la demande sociale du moment : la demande de « réconciliation » d’après-guerre dans le cas de la shoah, l’injonction très forte à l’ « intégration » vis-à-vis des immigrés de la première génération dans le cas qui nous occupe.

Dans le cas de l’immigration postcoloniale[23], cette « loi du silence » a été observée de manière toute particulière de la part des parents de la première génération. Face à la difficulté de trouver leur place dans une société qui n’est pas la leur, et qui est en outre en profonde évolution, ces parents se sont bien souvent retrouvés désemparés vis-à-vis de leurs propres enfants. En amont de ce silence, il y a bien sûr, nous l’avons déjà relevé, la difficulté d’exprimer des réalités qui ont pu être pénibles : « la vie au bled avant le départ, l’émigration, l’arrivée (…) avec ses éventuelles humiliations, ses galères etc., sont autant de lieux de mémoire difficiles à énoncer »[24]. Mais cela n’explique pas tout. Il s’agirait aussi d’un « silence d’honneur » : le parent – et plus symboliquement le père – réagirait à une trop grande rupture et perte de repères par un silence sur sa propre histoire, comme si, dans ce cadre si nouveau et si différent, la transmission familiale n’avait plus lieu d’être. On peut dire de manière générale que « l’histoire migratoire des parents est rarement racontée, partagée, transmise aux enfants sous la forme d’un récit qui s’annoncerait comme tel »[25]. C’est ainsi que l’on assiste fréquemment à une méconnaissance partielle ou totale, spécialement chez la deuxième génération d’immigrés, de l’histoire de la migration de leur famille.

Il serait toutefois réducteur – et nous aurons l’occasion d’y revenir – de penser que, du fait de cette absence ou ce manque de récit sur la migration, on assisterait à une rupture totale de transmission. D’une part, cette rupture même deviendra « lieu de mémoire », c’est-à-dire qu’elle intégrera en quelque sorte la mémoire familiale, telle que transformée par la migration. D’autre part, nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer, la « mémoire » n’est pas seulement affaire de récits structurés, et inévitablement les descendants opèrent « une reconstruction (…) à partir d’éléments qu’ils considèrent à première vue marginaux »[26]. Ainsi, à travers la vie quotidienne ordinaire, les gestes, habitudes et pratiques coutumières, au sein de la famille, mais aussi dans les relations qu’elle entretient avec son voisinage, il y a actualisation d’une mémoire collective, et donc, inévitablement « transmission ».

Le silence des mots n’est donc pas absence totale de transmission au sein des familles d’origine immigrée. Il y aurait en réalité « des pratiques de mémoire différentes, des mécanismes de transmission hétérogènes à l’origine d’une connaissance diverse, et cela parfois au sein de la même famille »[27]. Cependant, cette rupture mémorielle a des répercussions lourdes sur la construction identitaire des descendants de l’immigration. Cela sera particulièrement perceptible au sein de la troisième génération, celle qui aujourd’hui dans nos pays se fait entendre à travers des revendications fortes, bien différentes de celles de leurs parents et grands-parents.

Troisième génération et origines : un « retour à l’ethnique » ?
 

« Je suis pas né le jour de ma naissance.Je suis né lorsque j’ai compris ma différence.»
Zebda, in « Je suis »

Aujourd’hui, comme nous l’avons déjà relevé au fil de cette étude, nous assistons à un « réveil identitaire » perceptible chez de nombreux Belges d’origine immigrée et se cristallisant autour d’ « objets privilégiés », dont la question du port des signes religieux est un exemple emblématique. On peut penser que l’on assiste à l’émergence d’un nouveau type de militantisme au sein de ces communautés d’origine étrangère, et plus particulièrement en leur sein chez les plus jeunes. Leur engagement, notamment dans la sphère associative, en faveur de la reconnaissance de leurs droits s’accompagne désormais – et de manière de plus en plus affirmée au cours de ces 10 dernières années – par une forte revendication de reconnaissance culturelle et/ou religieuse. On constate ainsi une forme de rejet de tout discours prônant une « intégration » ou « assimilation » de ces populations d’origine immigrée, dans la mesure où ces tentatives n’ont selon ces jeunes pas empêché la persistance des discriminations (au logement, à l’emploi, etc.) dont ils font l’objet.

L’historien américain Marcus Lee Hansen[28] a mis en valeur dans ses travaux ce que l’on pourrait appeler un regain d’intérêt pour les origines chez les descendants d’immigrés, plus particulièrement à la troisième génération. En effet, selon ses observations, si la deuxième génération, se sentant marginalisée et insécurisée sur le plan psychologique, recherche généralement l’émancipation vis-à-vis de la culture de ses parents, la troisième génération chercherait quant à elle l’émancipation vis-à-vis de la culture du pays d’accueil, à laquelle ils se sentent « soumis » ou au sein de laquelle ils se sentent peu ou pas reconnus.

La troisième génération correspondrait ainsi à un moment particulier, « charnière » dans l’histoire d’un groupe d’origine immigrée. Il s’agirait en fait d’une « résurgence de l’intérêt pour les origines, précisément parce que [cette génération] les a perdues et qu’elle a été acceptée par la société d’accueil »[29]. Le plus surprenant – et cela permet d’envisager les choses dans une perspective beaucoup plus large que cela ne se fait généralement dans les débats autour de l’ « identité culturelle » – est que ce phénomène disparaîtrait chez les générations ultérieures. Ainsi, les revendications culturelles et religieuses très fortes de certaines minorités – et chez nous de manière plus particulière de la communauté d’origine musulmane – correspondraient à une étape nécessaire ou en tout cas inévitable pour arriver non pas à l’« intégration » ou l’« assimilation » de ces populations, mais bien à un vivre ensemble qui résulterait d’une sorte de compromis culturel entre une ou des minorités et une majorité englobante.

Mémoires de l’immigration : quelles perspectives ?
 

Cette question du « tournant » qui se joue ou se jouerait au moment de la troisième génération des descendants d’immigrés invite à dépasser ce qui correspond sans doute au plus grand risque des positionnements actuels des uns et des autres : celui de substituer dans les débats et la réflexion une « temporalité géopolitique » à une « temporalité généalogique »[30]. A titre emblématique, identifier les personnes d’origine musulmane à une sorte d’« Islam planétaire », comme s’il s’agissait d’une communauté transnationale et déterritorialisée par rapport à nos entités politiques a pour effet de « déconnecter » ces enfants de la troisième génération de leurs origines. A cet égard, autant à l’intérieur même de ces minorités qu’au sein de la majorité dominante, on observe trop souvent actuellement une tendance à rattacher les jeunes issus de l’immigration non pas à leur généalogie, en les situant dans le cadre d’une transmission intrafamiliale, et à leurs propres origines culturelles, mais à une sorte d’axe « horizontal » qui les relierait à une culture qui aurait des dimensions mondiales. Cela revient en réalité à empêcher ou à tout le moins à rendre difficile un « apaisement de la mémoire » au sein de ces communautés.

En envisageant les inévitables interférences entre mémoire intrafamiliale (la quête identitaire de la troisième génération) et collective (la volonté de revanche post-coloniale et/ou « anti-occidentale »), il importe donc de veiller à ne pas totalement confondre ces deux niveaux ou les substituer l’un à l’autre, dans un contexte où l’Islam, de manière plus spécifique, est perçu comme un lieu de résistance. Dans ces circonstances, envisager la situation en quittant l’analyse « victime-bourreau » pourrait, de part et d’autre, ouvrir des perspectives…

Enjeux pour demain : sortir de la victimisation ?
 

« La victoire donne aussi le privilège de s’apitoyer sur la victime »
Madeleine Ferron

Si nous nous plaçons dans la perspective d’un futur possible pour l’existence d’un véritable dialogue interculturel, nous devons d’emblée pointer une conséquence aujourd’hui néfaste de ces blessures de la mémoire telles que nous les avons décrites : celle-ci pourrait être décrite comme la tentation d’un positionnement en termes de « victimisation », cette dernière prenant des contours « ethniques », c’est-à-dire « culturels » et/ou « religieux ».

Réveil mémoriel et soif de justice : la tentation de la victimisation
 

Le positionnement « victimaire » est analysé par de nombreux sociologues comme un phénomène de société ayant pris place sur la scène médiatique depuis une vingtaine d’années, parallèlement à ce « réveil mémoriel » que nous avons à plusieurs reprises explicité. Au sortir d’un passé douloureux – et d’une mutation de société très profonde en l’espace d’une génération – notre société tenterait ainsi de faire face à son « lourd héritage » par un vif désir de justice, présent tout particulièrement chez ceux qui ont le sentiment d’avoir été bafoués dans leurs droits et de payer aujourd’hui encore les conséquences des injustices passées. Cette logique entraînerait chez certains groupes au sein de notre société une « identité de victime », ce qui non seulement ne favorise pas le dialogue, mais surtout engendrerait une sorte de « concurrence victimaire » malsaine.
 « Le désir de justice qui se manifeste dans les années 1990 va susciter, non seulement un formidable espoir dans les opinions publiques, mais aussi des effets pervers. C’est une triste ironie. La centralité même accordée désormais à la place de la victime, la multiplication de paroles de contrition, l’octroi de réparations, le développement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, engendrent un sentiment d’exclusion pour tous ceux qui estiment leur tragédie oubliée, voire niée. » Pierre Hazan, « Victime/victimisation » (…)

Vivant la double blessure de la « domination subie » et de l’exil, de nombreux Belges d’origine extra-européenne non seulement se vivent mais plus encore se « revendiquent » comme des victimes de la société au sein de laquelle ils vivent. Cette « posture victimaire » revêt les formes de nombreuses revendications le plus souvent d’ordre culturel et/ou religieux (dont, encore une fois, le très médiatique débat autour du « port du voile » serait un des reflets) ou soutenues par une interprétation des discriminations subies sous le seul angle de l’appartenance culturelle et/ou religieuse (parallèlement, à titre d’exemple, à la récente mise en avant du concept d’ « islamophobie », pratiquement absent de la scène médiatique il y a quelques années encore).

Ainsi, nous assistons, comme nous l’avons déjà évoqué, à un militantisme de plus en plus affirmé chez certaines minorités culturelles et/ou religieuses en faveur d’une « reconnaissance » ou d’une « réparation » par rapport à un passé vécu comme une blessure – passé de « dominé », passé d’ « exilé ». La multiplication durant cette dernière décennie d’initiatives au service de la mémoire de la colonisation et des migrations est en quelque sorte une tentative de réponse à cette revendication croissante.

Victime culturelle ou victime socio-économique ?
 

Au-delà même de cette demande de « prise en compte mémorielle », il y a plus largement un discours de plus en plus prégnant dans l’espace public : celui de faire valoir la culture et/ou la religion comme élément central de la réflexion autour du vivre ensemble. Seul vecteur de « reconnaissance » dans la société pour les uns, frein par excellence à l’ « intégration » pour les autres, l’ « identité culturelle » telle qu’elle se vit et se revendique semble se construire sur fond de douleur, de revanche et de malentendus. Comme si pour les uns, la revendication culturelle était devenue le lieu d’expression privilégié dans le débat public, manière de faire valoir leur égalité en droits et de prendre ainsi part à la vie en société ; et pour les autres, comme si cette même revendication culturelle était l’expression manifeste d’un refus ou d’un non-respect de la « société d’accueil ».

Il nous semble pourtant qu’énoncer les conditions d’une mémoire apaisée demande une mise en perspective ne se focalisant sans doute précisément pas sur l’identité culturelle et/ou religieuse, comme cela est souvent le cas aujourd’hui. Il ne s’agit pas bien sûr d’éluder cette composante, mais de la replacer dans un contexte sociétal forcément plus complexe et plus vaste, tout en quittant un mécanisme de victimisation d’emblée peu propice à un dialogue serein.

A cet égard, il nous semble que la question de la domination, tant économique, culturelle et politique de l’Occident – incarnée dans l’imaginaire collectif, tout comme bien souvent dans la réalité, par « l’homme d’origine européenne » – doit être considérée dans toute son ampleur. Cette domination, trouvant ses racines comme nous l’avons rappelé, dans le long passé des rapports entre l’Europe et le reste du monde, perdure et continue d’engendrer de nombreuses injustices, à l’intérieur même de notre société, ainsi qu’à l’égard du reste de la planète. Cet « esprit de domination » revêt des formes variées et est profondément ancré non seulement à l’échelle mondiale, mais aussi dans les relations entre « majorité » et « minorités » au sein de nos sociétés.

Quitter la « victimisation » comme nous le préconisons ne pourrait donc se faire sans remise en cause profonde de cette domination systémique qui se nourrit en quelque sorte des blessures de la mémoire, en entretenant des « combats déplacés » ne la remettant pas fondamentalement en question. Car, en se centrant exclusivement sur la composante culturelle, on risque bien de ne jamais ébranler un système qui, bien qu’en prenant des contours « culturalisants », repose en fait sur l’entretien d’injustices de nature avant tout socio-économique.
 « L’irruption de la victime dans nos sociétés (Denis Salas) a, selon certains auteurs, des « effets pervers », notamment en générant une surenchère ou une concurrence des victimes (Pierre Hazan). Pour eux, les « lois mémorielles » ainsi que les demandes de « réparation » pour les victimes « directes ou indirectes » de l’esclavage ou de la colonisation rentrent dans ce cadre. La victimisation conduit en outre à une dépolitisation des débats, réduisant toute question à un affrontement binaire victimes-bourreaux. Elle est la conséquence de l’affadissement des oppositions idéologiques sur fond de dégradation des conditions de vie (Robert Cario). Elle aurait alors une fonction conservatrice (André Bellon), empêchant que soit posée la question sociale, la souffrance des catégories populaires – qui n’entre pas dans le cadre des revendications victimaires – ayant pratiquement disparu des débats politiques. L’importance des manifestations de soutien à toute sorte de victimes contraste ainsi avec la faible solidarité envers les grévistes ou les chômeurs, médias et classe politique se faisant les complices de ce glissement. » Le Monde Diplomatique, « Reconnaissance ou… ».

Quitter la victimisation : quels enjeux ?
 

L’enjeu réside en fait dans notre capacité, en société, à réussir ce que l’on pourrait qualifier de « tour d’équilibriste » : celui d’entendre la légitime attente de reconnaissance de ces minorités culturelles, tout en ne cédant pas à la tentation d’une « sacralisation » d’un statut de « victime » qui, au final, ne ferait que renforcer cette domination tant conspuée. Il est en effet deux grands écueils à éviter dans la difficile résolution de cette tension persistante :
 

  • D’abord, celui qui consisterait à utiliser l’analyse du mécanisme de victimisation pour décrédibiliser le combat des minorités culturelles en faveur de l’égalité et de la reconnaissance de leurs droits.
  • Ensuite, celui qui identifierait ces minorités à une position exclusive de « victimes », en sous-entendant qu’une analyse « culturelle », « religieuse » ou « ethnique » suffirait à appréhender les discriminations persistantes. Comme si l’identité réellement blessée au sein de ces communautés pouvait « guérir » sans prise en compte des origines complexes et sans cesse actualisées de cette meurtrissure.
     

Ce deuxième écueil requiert toute notre attention : la mise en avant trop systématique de « l’argument culturel » pour dénoncer les injustices dont sont victimes les personnes d’origine immigrée (et ici plus particulièrement d’origine « extra-européenne » ou « non-occidentale ») ne risque-t-elle pas d’occulter les enjeux sociaux qui sous-tendent ces discriminations ? La « culture » ne serait-elle pas bien souvent « l’arbre qui cache la forêt » ? En d’autres mots, la meilleure manière de lutter contre les « discriminations culturelles » ne serait-elle précisément pas d’abandonner la surexposition de cet argument en faveur d’une remise en cause plus systémique d’un fonctionnement où, en réalité, l’inégalité sociale et économique transcende la question culturelle ?

A l’heure où le combat social est trop souvent si ce n’est décrédibilisé, à tout le moins questionné par une certaine frange intellectuelle, il nous semble en effet que les conditions du dialogue interculturel – puisqu’il s’agit bien de l’objet de notre étude – ne peuvent éluder cette question plus systémique : le vivre ensemble entre différentes cultures au sein de notre société ne sera possible qu’au prix d’une condamnation sans équivoque d’un système économique qui réduit une bonne partie de la population – d’origine étrangère ou pas – à se vivre comme des « citoyens de seconde zone ». Dans cette perspective, combattre les inégalités sociales et économiques équivaut à reconnaître chacun, indépendamment de la « culture » de laquelle il est issu ou dont il se revendique, dans sa pleine dignité.

Notre propos ne veut pas pour autant jeter l’opprobre sur les revendications de reconnaissance culturelle, ce qui serait un comble quand on envisage une rencontre véritable, un dialogue au sein de notre société bigarrée. Ainsi, la lutte pour la reconnaissance pleine et entière de la diversité culturelle, en ce compris ce que cela engage comme indispensable « travail de la mémoire », est nécessaire voire, à certains égards, urgente.

Toutefois, il nous semble qu’il faut veiller à ne pas « se tromper d’ennemi » : si par le passé surtout, la « domination occidentale » était incarnée par le diktat d’une « culture » – « catholique », « judéo-chrétienne », « humaniste », « moderne », etc. – elle était d’abord et reste encore aujourd’hui au service d’une oppression politique et socio-économique. La colonisation, l’oppression politique et sociale et l’exploitation sous la forme capitaliste connaissent, nous l’avons relevé, des prolongements inacceptables dans un système économique et financier mondial qui met au ban une bonne partie de la planète, en ce compris dans notre société.

Si cette douleur de la domination très présente chez certaines minorités culturelles – conjointe, nous l’avons vu, à la douleur de l’exil – doit être écoutée et prise en compte, elle doit l’être d’abord et avant tout dans une optique de changement sociétal, en évitant de renforcer un mécanisme de victimisation qui risque bien d’isoler plus encore ces populations et de cliver davantage la société.

En guise de « conclusion »…
 

Au terme de notre réflexion, il nous est impossible de véritablement conclure, tant les enjeux sont complexes et les pistes d’approfondissement multiples… Il s’agirait dès lors plutôt d’ouvrir un questionnement.

Si « mémoire » et « dialogue interculturel » sont si intrinsèquement liés, comment permettre un vivre ensemble serein si ce n’est en écoutant ce besoin de réparation et de reconnaissance et en y répondant par des actes ? En ce sens, l’engagement en faveur de certaines initiatives mémorielles et la reconnaissance explicite du caractère multiculurel de notre société seraient une voie incontournable pour un certain apaisement d’esprit chez les générations futures.

Comme souvent dans le mouvement historique, des mécanismes de « compensation » par rapport à un passé douloureux se sont mis en place, avec certaines dérives, ou du moins certains risques potentiels. Pour nous tourner vers l’avenir, notre responsabilité à chacun est sans doute d’être attentifs à éviter des logiques peu constructives, parmi lesquelles l’obsession mémorielle, corollaire de la victimisation et surtout tout ce qui, sous prétexte de lutte pour l’égalité, pourrait en réalité occulter les enjeux communs de justice sociale. Dès lors, comment chercher ensemble des pistes, tant dans le domaine de la réflexion que dans celui de l’action de terrain, permettant d’allier reconnaissance culturelle et formation citoyenne, dans la perspective d’un militantisme social et d’un engagement « politique » transcendant les appartenances « culturelles » ? Parallèlement, comment œuvrer conjointement à une certaine démystification de la « culture » et de l’ « identité », si ce n’est en s’inscrivant dans la perspective de cultures en perpétuelle évolution, s’enrichissant de manière réciproque, et d’une identité toujours multiple, en perpétuelle connexion avec nos environnements ?

A ces fins, l’enjeu de la formation est sans nul doute essentiel. Sous les questions conjointes de la mémoire et de la diversité culturelle, il y a des enjeux considérables en termes de savoir, de connaissance et d’une « prise de recul » indispensable à un engagement ajusté dans la société. Le manque d’intellectuels au sein de certaines minorités d’origine immigrée et plus particulièrement d’origine extra-européenne, souvent pointé du doigt comme difficulté au dialogue interculturel, pourrait être un élément éclairant un certain manque d’engagement social et une focalisation récurrente sur un argumentaire de type « culturel ».

Impossible toutefois de clôturer notre réflexion sans relever les signes d’espoir indiquant les évolutions positives déjà en cours. Depuis plusieurs années déjà, nous observons, dans les syndicats, dans les partis politiques, dans les associations de terrain, de plus en plus de personnes issues de l’immigration s’engageant en faveur du combat politique et social. Ces personnes, souvent portées au départ par les griefs de leur communauté d’origine à l’égard d’une société perçue comme injuste et inégalitaire, se voient progressivement quitter les revendications purement liées à leur appartenance culturelle pour porter des combats de société plus larges. En d’autres mots, leur engagement politique ou social leur permet de facto d’abandonner la lutte purement identitaire en faveur d’un engagement plus « universel ». Dès lors, les perspectives de changement sociétal existent déjà…

Il s’agit probablement de dessiner les contours d’une nouvelle « universalité » à créer… Nous nous permettons pour terminer d’emprunter à Amin Maalouf quelques mots qui nous semblent esquisser ce futur à bâtir en société : « Il s’agit (…) de concevoir sans délai, et d’installer dans les esprits (…) une vision enfin adulte de ce que nous sommes, de ce que sont les autres, et du sort de la planète qui nous est commune. En un mot, il nous faut « inventer » une conception du monde qui ne soit pas seulement la traduction moderne de nos préjugés ancestraux (…) avec l’ardente colère des justes »[31].



Bibliographie
 

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Notes :

  • [1] Le mot « culture » est lui-même l’objet de nombreux débats. Ici, nous utilisons le mot dans son acception la plus générale, à savoir « ce qui est commun à un groupe d’individus ». Nous aurons soin d’affiner cette question au long de notre réflexion.

    [2] Enzo Traverso, « Le passé, … », p. 12.

    [3] Enzo Traverso, « Le passé, … », p. 13-14.

    [4] Enzo Traverso, « Le passé, … », p. 10.

    [5] Paul Ricoeur, « La mémoire… », p. 3-4.

    [6] Enzo Traverso, « Le passé, … », p. 20.

    [7] Cfr Maurice Halbwachs, « Les cadres sociaux… ».

    [8] Paul Ricoeur, « La mémoire… », p. 163.

    [9] Cfr Henry Rousso, « Le syndrome de Vichy… ».

    [10] Abdellali Hajjat, « Immigration postcoloniale… », p. 61.

    [11] Amin Maalouf, « Autobiographie à deux voix ».

    [12] Enzo Traverso, « Le passé, … », p. 63.

    [13] S’agissant de « spoliation », nous pourrions évoquer également toute la question de la non-reconnaissance du patrimoine culturel des populations colonisées. La revalorisation de ce patrimoine constitue un enjeu important pour le dialogue interculturel, voie d’affranchissement d’une domination culturelle occidentale toujours très actuelle.

    [14] Nous entendons également par « Européens » les personnes d’ « origine européenne » ayant été s’établir sur le continent américain et plus tard en Australie par exemple, çàd toute personne « de race blanche » pour reprendre une terminologie ancienne et aujourd’hui dépassée.

    [15] Albert Bastenier, « Provincialiser… », p. 57.

    [16] Cfr Maurice Halbwachs, « Les cadres sociaux… ».

    [18] Cfr Abdellali Hajjat, « Immigration postcoloniale… ».

    [19] Cfr Judith Stern, « L’immigration… ».

    [20] Cfr Judith Stern, « L’immigration… ».

    [21] Cfr Judith Stern, « L’immigration… ».

    [22] Cfr Enzo Traverso, « Le passé… », p. 43.

    [23] Cfr Abdellali Hajjat, « Immigration postcoloniale », p. 78.

    [24] Cfr Abdellali Hajjat, « Immigration postcoloniale », p. 79-80.

    [25] Cfr Frédérique Fogel, « Mémoires… », p. 511.

    [26] Giulia Fabbiano, « Mémoires… », p. 55.

    [27] Giulia Fabbiano, « Mémoires… », p. 56.

    [28] Cfr Marcus Lee Hansen, « The problem… ».

    [29] Abdelkader Belbahri, « Communauté… », p. 18.

    [30] Abdelkader Belbahri, « Communauté… », p. 19.

    [31] Amin Maalouf, « Le dérèglement… », p. 314.