Le 12 août 2014

La transition énergétique :

vecteur d’émancipation ou de reproduction des inégalités sociales ?

Le Centre Avec remercie chaleureusement pour avoir nourri cette réflexion, Patrick Brocorens de l’ASPO, Marie Drique du CERAS, Thiago Nyssens et Charlotte Maryns du Réseau des Consommateurs Responsables, Cécile Patris de l’asbl Ressources, Raphaëlle Wiliquet, travailleuse en insertion sociale, Julien Vandeburie d’Etopia, Céline Tellier d’Inter-Environnement Wallonie, Aurélie Ciuti du RWADE, Jean-Marie Delhaye du groupe ARTerre, Julie Chantry d’Habitat et Participation, Marie-Claude Chainaye du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Vincent Hermann de l’asbl Le Trusquin ainsi que tous les participants au séminaire.

Le présent travail est un retour sur le séminaire Comment mener une transition énergétique inclusive ? organisé en mars 2014 par le Centre Avec. Cette réflexion est partie du constat que notre modèle de développement, reposant sur une consommation abondante d’énergies fossiles qui se raréfient et posent de nombreux problèmes environnementaux, n’est pas soutenable. Il est donc urgent d’opérer une transition vers des modes de vie moins énergivores. Cette transition ne permettra un modèle de développement durable que si elle permet de réduire voire de faire disparaitre les fractures sociales. Et ce en impliquant toutes les franges de la société et en particulier les groupes de personnes généralement exclues. C’est précisément cette dimension inclusive que nous explorons ici au travers d’initiatives de consommation, de logement et de mobilité en Belgique francophone, initiatives qui sont cette transition en marche.

I. INTRODUCTION

La démarche

La présente étude est un retour sur le séminaire Comment mener une transition énergétique inclusive ? organisé en mars 2014 par le Centre Avec. Pendant deux jours, les participants, aidés dans leur réflexion par des experts de terrain, se sont interrogés sur les moyens de relever les défis énergétiques qui se posent aujourd’hui et ce, dans une perspective de justice sociale. En effet, le développement actuel de nos sociétés repose sur des énergies fossiles abondantes et bon marché. Or ces ressources se raréfient. Par ailleurs, les émissions polluantes que provoque la consommation de ces énergies posent également de nombreux problèmes en termes environnementaux. Ce modèle de développement n’est pas soutenable et il est plus qu’urgent d’opérer une transition vers des modes de vie moins énergivores. Mais ce n’est pas tout : cette transition doit impliquer toutes les franges de la société et en particulier les groupes de personnes généralement exclues, qui sont aussi souvent les plus vulnérables aux augmentations des prix de l’énergie. Il faut dès lors éviter que les actions mises en place pour effectuer cette transition ne créent de nouvelles fractures sociales mais au contraire veiller à ce qu’elles réduisent, voire fassent disparaitre celles qui existent.

Dans cette perspective, plutôt que de dresser de grands modèles sur les choses qu’il faudrait faire, nous tenions à partir d’initiatives qui existent, qui sont cette transition en marche, et à réfléchir à ce que peuvent nous enseigner ces expériences. Les intervenants du séminaire étaient des acteurs de telles initiatives et, afin de renforcer le focus sur la dimension inclusive, nous avons voulu inviter des discutants dont le travail n’est pas de prime abord les actions de transition mais l’accompagnement de personnes en difficulté et qui ont mené, avec plus ou moins de succès, des actions dans les domaines de la consommation et du logement.

Le présent document reprend l’ensemble des contributions et revient sur les réflexions qui en ont émergé. Le travail a été mené en quatre temps. Tout d’abord, nous avons posé les grands constats et les grandes questions sur les défis de la transition énergétique : qu’en est-il exactement de la diminution des énergies fossiles ? A quoi faut-il s’attendre ? Comment y faire face ? Comment cette diminution des ressources crée des inégalités et vient questionner la justice sociale ? Dans cette perspective le premier article de ce document revient sur l’intervention de Patrick Brocorens, président de la section belge de l’Association for the Study of Peak Oil and Gaz qui aborde les dates, la perception et les impacts du franchissement du pic pétrolier et le deuxième reprend la contribution de Marie Drique, chargée de mission au CERAS[1] et doctorante en science politique au CERAPS[2], qui a présenté les constats et la réflexion que le CERAS mène en France sur la question de la transition énergétique comme problématique à la croisée des enjeux sociaux et environnementaux[3].

Ensuite, nous nous sommes penchés sur le secteur de la consommation alimentaire et non alimentaire, non seulement à propos de la production des biens mais aussi à propos de la gestion des déchets. Nous vivons aujourd’hui l’ère de la consommation de masse. Cette consommation massive pose des problèmes en termes de ponction sur les ressources, notamment énergétiques. Elle est également très polluante tant au niveau de la production et de l’acheminement que de la gestion des déchets. En réaction à cette tendance de notre société, s’est développée une critique du consumérisme et des mouvements de consommateurs de plus en plus larges s’organisent pour consommer autrement. Ces mouvements et les critiques sur lesquelles ils se fondent viennent souvent de la frange de la population ayant un capital culturel, économique voire social important et sont bien moins présents chez les personnes moins favorisées. Quelles sont les initiatives qui ont été prises pour sensibiliser ces publics moins favorisés aux alternatives de consommation ? Quelles sont les réussites ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Est-ce par manque d’intérêt ou par manque de possibilités (culturelle, sociale, économique) que les publics précarisés prennent peu part aux initiatives de consommation ?

C’est sur ces questions que nous avons réfléchi avec la contribution du Réseau des Consommateurs Responsables (RCR) représenté (lors du séminaire) par Thiago Nyssens et Charlotte Maryns. Le RCR promeut les initiatives locales, collectives et autogérées de consommation responsable, telles que les groupes d’achats communs, les services d’échanges locaux, les donneries… Le réseau a entamé une réflexion sur la mixité sociale. Dans leur contribution à cette étude, ils reviennent sur les inégalités et la possibilité pour les initiatives de consommation locale d’être aussi des outils de transformations sociales. L’article suivant revient sur l’intervention de Cécile Patris, directrice de l’asbl Ressources, plateforme d’associations de l’économie sociale actives dans la réduction des déchets par le recyclage, la récupération, la réutilisation et la valorisation des ressources. Cécile Patris a posé un regard sur l’économie sociale comme avant-garde d’une société en transition. La réflexion a ensuite été alimentée par Raphaëlle Wiliquet, travailleuse en insertion sociale, qui a réagi sur la façon dont les deux expériences présentées font écho à son expérience et sur les projets mis en place avec le public de la cellule d’insertion en soulignant les difficultés rencontrées.

En un troisième temps, nous nous sommes penchés sur un autre nœud du problème lié à la consommation énergétique : la mobilité et son corollaire, l’aménagement du territoire. Nos modes de déplacement aujourd’hui sont fortement liés à la voiture. Avec l’augmentation du prix des carburants, la part des dépenses liées aux déplacements augmente dans le budget des ménages, et de plus en plus nombreux sont ceux qui doivent réaliser des arbitrages entre les différents postes de dépenses. Des études ont montré que plus les ménages sont riches, plus ils dépensent en carburant et pourtant les dépenses en carburant pèsent moins sur le budget des ménages plus riches que sur celui des plus pauvres qui pourtant en consomment beaucoup moins. Les habitants des zones rurales situées loin des pôles d’emplois, culturels, commerciaux, peu desservies par les transports en commun sont particulièrement vulnérables à cette augmentation des prix, et tout spécialement s’ils possèdent moins de ressources financières. A l’inégalité économique se superpose une inégalité géographique.

Qu’en est-il exactement de cette vulnérabilité sur notre territoire ? Quel type d’aménagement géographique permettrait de rationaliser nos déplacements et ainsi de réduire cette vulnérabilité? Ces questions font l’objet du retour sur l’intervention de Julien Vandeburie, conseiller énergie chez Ecolo et chercheur associé chez Etopia. En ce qui concerne notre dépendance à la voiture, quelles en sont exactement les conséquences ? Quelles sont les voies pour sortir de la dépendance à la voiture ? Quelle sont les initiatives déjà prises pour réduire les inégalités géographiques ? C’est Céline Tellier, coordinatrice de la cellule mobilité d’Inter-Environnement Wallonie, fédération de 150 organisations au service de l’environnement, qui dans sa contribution s’est penchée sur ces questions.

Enfin, la quatrième et dernière partie de ce document de réflexion concerne la question du logement. Avec l’augmentation des prix de l’énergie, se chauffer correctement devient un problème pour de plus en plus de ménages. Dès lors, quelles politiques existent pour lutter contre la précarité énergétique ? Quelles sont leurs forces ? Leurs faiblesses ? Quelles politiques reste-t-il encore à mettre en place ? Plus largement, quelles sont les initiatives en matière de construction ? Qu’en est-il des initiatives d’habitats collectifs ? Les questions de politiques énergétiques sont l’objet de la contribution d’Aurélie Ciuti du Réseau Wallon pour l’Accès Durable à l’Energie, qui aborde la question des politiques énergétiques nécessaires pour des logements décents pour tous. Cette contribution est suivie d’un retour sur l’intervention de Jean-Marie Delhaye, architecte du groupe ARTerre et membre de Nature et Progrès, qui nous a parlé des chantiers participatifs et des matériaux de construction biocompatibles. Vient ensuite la contribution de Julie Chantry, d’Habitat et Participation, sur les différentes démarches collectives en matière d’habitat. Enfin, pour alimenter la réflexion, Marie-Claude Chainaye du Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté et Vincent Hermann de l’asbl de formation par le travail Le Trusquin nous ont fait part de leur expérience avec leur public sur cette problématique du logement.

Cet état des lieux, non exhaustif, des problématiques et des initiatives qui promeuvent la transition énergétique  nous permettent de nous rendre compte du chemin qui a déjà été parcouru dans la direction d’une société durable ainsi que de celui qu’il reste à parcourir. Si ce chemin est encore bien long, ces initiatives nous donnent des pistes à suivre. Claire Wiliquet

II. DEFIS ENERGETIQUES ET JUSTICE SOCIALE
 

Le franchissement du pic pétrolier. Date, perception, impacts[4]

​Lorsque l’on parle du pic pétrolier, la question le plus souvent posée est : A quand la fin du pétrole? La réponse est alors à dans très longtemps, voire jamais, parce qu’il sera sans doute toujours possible d’en produire mais en infimes quantités, vendues dans des fioles comme souvenir dans les musées sur le pétrole. En réalité cette question est mal posée, puisque ces quantités infimes ne pourront satisfaire la consommation astronomique et toujours en hausse de nos sociétés actuelles. Le moment clé dans la production du pétrole n’est donc pas le moment où l’on n’en produira plus mais le moment où la production atteint son sommet et commence à décliner, ou en d’autres termes le moment du pic pétrolier.

Le pétrole a commencé à être exploité à un niveau industriel au 19ième siècle. Depuis, la production n’a cessé de croitre ce qui a permis de faire décoller nos économies. Avant cela, ce qu’on pourrait appeler la filière énergétique était l’agriculture, la plante était le convertisseur d’énergie lumineuse en énergie chimique qui venait alimenter l’homme ou l’animal, lequel produisait alors de l’énergie mécanique. L’agriculture employait alors 80% de la population, aujourd’hui elle n’en emploie plus que 3 à 5%, l’énergie de l’homme étant remplacée par celle de la machine alimentée par le pétrole, ce qui a permis de libérer l’homme pour d’autres activités. Aujourd’hui on atteint un maximum de production qui sera suivi par un déclin. Divers facteurs entrainent le plafonnement de la production : le fait tout d’abord que le pétrole soit une ressource finie, non renouvelable à l’échelle de l’humanité ; il y a également des raisons géologiques, techniques ou encore économiques : on n’exploitera plus un gisement de pétrole si le cout énergétique et financier devient supérieur au bénéfice énergétique et financier tiré de son exploitation.

Le déclin de la production n’est pas anodin lorsque l’on considère que c’est le pétrole qui a permis le développement des sociétés industrielles et qu’aujourd’hui une grande partie de l’organisation de nos modes de vie repose sur le pétrole abondant et bon marché, source d’énergie exceptionnelle qui a ce double avantage d’être liquide, donc facilement transportable, et d’être dense : quelques litres de pétrole permettent de propulser une voiture sur des centaines de kilomètres. Sans oublier qu’il est utilisé dans la production du plastique, de médicaments, de peintures et de bien d’autres matières de nature chimique. Bref, presque tous les objets qui nous entourent doivent leur existence, de près ou de loin, au pétrole. C’est au moment du pic et non au moment du déclin, quand le prix de l’énergie commencera à grimper et que risquent d’apparaitre des tensions autour de la ressource, qu’il faut penser la transition vers des sociétés moins dépendantes de l’or noir. Dans cette perspective, il est intéressant de se rappeler que, si aujourd’hui nous vivons dans une société dont l’organisation est très dépendante du pétrole, l’exploitation pétrolière à grande échelle ne va s’étendre que sur quelques générations à peine. Nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents ont connu l’aube de l’exploitation de cette ressource et nos petits ou arrière-petits-enfants connaitront son crépuscule. Le pétrole aura été un épisode très bref dans l’histoire de l’humanité.

Le pic pétrolier

Typiquement, lorsque l’on fore un nouveau gisement, le liquide qui était sous pression au sein du gisement jaillit, ce qui fait grimper la production en flèche. Au fur et à mesure que le pétrole sort, la pression diminue et donc le débit de liquide diminue aussi. Différentes techniques sont ensuite appliquées pour tenter de prolonger l’exploitation déclinante du gisement et d’extraire le maximum de pétrole restant, ce qui implique un cout supplémentaire. Le pic de production est un phénomène qui vaut à l’échelle d’un gisement, mais il vaut également à l’échelle d’un pays et à l’échelle mondiale.

Ainsi, typiquement lorsque l’on met en production une nouvelle province pétrolière ou un pays, on découvre d’abord les gros gisements qui ont une superficie importante et donc sont plus facilement localisables et plus rentables ; ensuite on trouve et on met en production les gisements moyens puis viennent les petits. Le pic de production intervient quand le déclin des gros gisements anciens ne peut être compensé par le développement des nouveaux gisements, plus petits. Plus les gisements sont petits, plus il faut forer pour compenser le déclin qui est en fin de compte inéluctable. Passé le pic, le fait que la production soit en déclin n’empêche pas le fait que l’on mette toujours en production de nouveaux gisements. Il faut donc prendre avec un certain recul les annonces de découvertes et mises en production de nouveaux gisements faites par les médias. Ces annonces peuvent biaiser notre perception et laisser penser que le moment du déclin n’est pas pour demain. Ce n’est pas forcément le cas. Si l’on analyse les courbes de production de pays ayant déjà franchi leur pic, il y a d’abord une phase de croissance rapide, tirée par les gros gisements faciles d’accès. Puis vient le pic, lorsque les grands gisements s’épuisent et sont remplacés par des plus petits. Ce moment de pic n’est pas toujours bien défini dans le temps, et peut comporter plusieurs rebonds de la production, on est alors plutôt face à un phénomène de plateau ondulé que de pic à proprement parler. Finalement, survient une décroissance de la production avec la mise en exploitation de gisements de plus en plus petits pendant que les plus anciens produisent moins. Ce schéma de développement est globalement respecté pour l’exploitation du pétrole conventionnel, mais les courbes de production peuvent être fortement affectées par des facteurs humains (événements politiques, économiques…).

Les prévisions futures

Le problème du pic pétrolier est que l’on ne peut le prévoir avec une grande précision ; il existe toujours une incertitude au niveau de la date.

Les incertitudes sur la date du pic viennent de plusieurs facteurs. Premièrement, modéliser le pic pétrolier nécessite d’avoir une évaluation des réserves dites ultimes. Pour chaque région, pour le monde, les réserves ultimes représentent la totalité du pétrole qui pourra être extrait. Ces réserves ultimes ne peuvent être connues avec certitude que lorsque l’exploitation sera finie, mais on peut néanmoins en avoir une estimation, notamment grâce à un outil appelé courbe d’écrémage. Une courbe d’écrémage représente les découvertes cumulées de pétrole en fonction des efforts consentis pour trouver ce pétrole (par exemple en fonction du nombre de forages de découverte). Cette courbe met à nouveau en lumière le fait que les premiers gisements découverts fournissent une quantité élevée de pétrole, et qu’ensuite les nouvelles découvertes, plus petites, augmentent de plus en plus faiblement la quantité cumulée de pétrole découverte. Cette évolution donne une courbe qui, si on l’extrapole, permet d’estimer les ressources en pétrole qu’il reste à découvrir.

Cette première estimation peut être corrigée pour y intégrer le rôle de futurs développements technologiques. Les technologies peuvent jouer sur l’évolution de la production en jouant notamment sur la récupération. Si ces technologies apparaissent suffisamment tôt, elles permettront de faire reculer le pic de production, par contre si elles arrivent après le pic, elles joueront un rôle dans la gestion de la queue de production. L’extension de zones d’exploitation à des territoires de plus en plus difficiles d’accès permet également soit de repousser le pic, soit d’atténuer le déclin, là encore en fonction du moment où ces développements apparaissent : les USA par exemple ont d’abord exploité les gisements sur la terre ferme, les plus facilement accessibles, ensuite ils ont étendu leur exploitation aux mers, puis à l’Alaska, mais ces développements sont arrivés trop tard pour repousser leur pic de production, qui a eu lieu en 1970. Aujourd’hui l’extension géographique commence à être limitée, reste l’extension géologique : l’exploitation des roches-mères fournissant les huiles « de schiste ». Enfin, il reste encore des incertitudes sur ce qui pourra être extrait en pétrole non-conventionnel, et cette extraction dépend aussi beaucoup du prix auquel le pétrole pourra être vendu. Par ailleurs, des facteurs humains, géopolitiques… interviennent aussi dans la fluctuation de la production.

Le thème du pic pétrolier est depuis longtemps hors écran radar des gouvernements, car l’institution phare en charge de la question de projection pétrolière, l’agence internationale de l’énergie (AIE), a rarement utilisé une méthodologie pour anticiper le pic pétrolier. Le rôle de l’AIE est, entre autres, de faire des projections de l’offre et de la demande sur le long terme. Dans son scénario de référence, New Policies, la demande augmente dans les 20 prochaines années à venir, dans la mesure où une croissance économique est anticipée au niveau mondial et que les mesures de restriction qui influencent la consommation de pétrole, typiquement des lois pour réduire les émissions de CO2, sont insuffisantes. Quant à l’offre, si l’on additionne le pétrole conventionnel provenant des gisements actuellement exploités, les huiles « de schistes », les autres pétroles non-conventionnels, les liquides de gaz naturel (butane, propane, éthane..) et les agro-carburants, il reste un écart entre l’offre et la demande qui représente un tiers de cette dernière. Cet écart devrait être comblé, selon l’AIE, par la découverte et le développement de nouveaux gisements de pétrole conventionnel. Cette méthodologie utilisée par l’AIE est peu adaptée pour anticiper un pic du pétrole, car les contraintes physiques à la production sont sous-estimées : la supposition est faite que les développements de gisements se feront en temps et quantité voulus.

Un autre scénario de l’AIE, appelé scénario 450, est que soient menées au niveau international des politiques volontaristes de réduction des émissions de CO2 et donc une diminution de consommation du pétrole. Il s’avère que les trajectoires de production pétrolière de ce scénario sont globalement similaires à celle obtenue avec des modèles de pic de production. Cependant, si les courbes sont similaires, les facteurs déterminant ces courbes sont très différents d’un modèle à l’autre. Dans le cas du scénario 450 de l’AIE, des mesures politiques réduiraient la demande dans un monde supposé abondant en pétrole, et presseraient le prix du pétrole vers le bas, de nombreuses exploitations seraient alors abandonnées parce que non rentables, on aurait donc un déclin de nature politique. Par contre, dans un scénario de pic de production, on obtient une trajectoire similaire, mais sans mesure politique. La demande devra s’ajuster à la contrainte physique traduite par des prix plus élevés − parce que le pétrole serait de plus en plus difficile d’accès et de plus en plus rare − qui détruiront l’excès de demande. On a donc tout intérêt à miser sur un scénario de pic pétrolier, mais où on prendrait des mesures politiques pour réduire anticipativement la demande et ainsi atténuer les hausses de prix, afin d’éviter les désastres sociaux, économiques et environnementaux.

En effet, l’augmentation des prix de l’énergie n’est pas sans conséquences. Car, à partir d’un certain pourcentage du PIB dédié au pétrole, il y a des risques de récession. Ainsi en 1991, lors de l’invasion du Koweït par l’Irak, le cout du pétrole a dépassé les 4% du PIB des Etats-Unis ce qui a eu pour conséquence une légère récession. Mais c’est surtout en 2008, lorsque le prix du pétrole a flambé et a dépassé les 6% du PIB des Etats-Unis, qu’on est entré dans la récession qui a eu l’ampleur que nous lui connaissons. Certains considèrent que c’est cette augmentation qui a fait éclater la bulle spéculative des emprunts hypothécaires : avec l’augmentation du prix de l’essence, les ménages américains auxquels on avait prêté de l’argent, alors qu’ils étaient dans une situation financière limite, ont dépassé cette limite et ont dû choisir entre remplir leur réservoir ou payer leurs emprunts. L’impact de l’augmentation de prix sur les économies dépend également de la vitesse à laquelle elle se produit : une augmentation rapide laisse moins de temps pour s’adapter et a donc plus de chance de provoquer une crise qu’une augmentation progressive des prix.

Au passage du pic de production, les prix et la production risquent d’être extrêmement fluctuants. En effet, lorsque les producteurs extraient au maximum de leur capacité, n’importe quel facteur géopolitique tel qu’un conflit dans un pays producteur ou une catastrophe naturelle peut faire chuter la production, il n’y a pas de matelas de sécurité, à savoir d’autres puits qui pourraient être mis en production dans un autre coin du globe pour compenser la baisse de production du pays touché. Dès lors, en travaillant à flux tendu, et pire encore si la production chute, les prix peuvent grimper rapidement. Cela dit, la hausse des prix du pétrole est limitée par la capacité des économies à absorber cette hausse des prix, car comme nous l’avons vu, lorsque le prix du pétrole atteint un certain pourcentage du PIB, l’économie ralentit ou entre en récession ; la demande diminue alors, parce que les entreprises tournent moins, le chômage augmente, donc les gens consomment moins. Cette diminution de la demande libère des capacités de production, qui provoquent à leur tour une baisse temporaire des prix. Une fois que l’économie redémarre, la demande repart à la hausse, les capacités de production se réduisent à nouveau, entraînant une nouvelle hausse des prix, et ainsi de suite.

Ce type de scénario, s’il devait se répéter, provoquerait une grande instabilité économique et ne permettrait pas la conscientisation, car les médias se focalisent sur l’évènement qui provoque la hausse ou la baisse ponctuelle de la production ou des prix, alors que la cause est en réalité structurelle : la production est contrainte et proche de son maximum à cause d’une combinaison de facteurs (physiques, techniques, économiques, etc.). On est depuis 2004 dans cette situation, qui devrait perdurer encore dans les prochaines années (10 ans ?). Ensuite, la production entamera son déclin. Malheureusement cette mauvaise visibilité du problème entraine l’inaction.

La transition

Il y a différentes manières d’envisager la transition face au déclin de la production de pétrole et à l’augmentation de son prix. La première perspective est celle d’une transition reposant sur le cycle des crises économiques : augmentation du prix, récession, diminution de la demande, diminution du prix, relance économique, augmentation du prix… Malgré des baisses de prix à certaines périodes, sur le long terme, celui-ci augmentera vraisemblablement parce que globalement la demande mondiale est soutenue par les nouveaux pays industrialisés, l’amélioration du niveau de vie dans certains coins du globe… A terme, l’augmentation du prix détruira la demande à laquelle l’offre ne pourra répondre. Cela provoquera très certainement des tensions autour des ressources restantes et au sein même des pays consommateurs. Ces risques sont d’ores et déjà étudiés par des services de l’armée de pays tels que les USA, l’Allemagne ou encore l’Australie.

Une autre voie pour atténuer le déclin de la production et la hausse des prix est celle de la technique. Ces phénomènes sont déjà à l’œuvre pour l’exploitation pétrolière même : parce que les prix montent, il devient intéressant de développer de nouvelles techniques d’extraction, de se tourner vers des ressources non conventionnelles… et donc de soutenir la production. Mais de nouvelles techniques peuvent également permettre de développer des énergies alternatives ou faire baisser la consommation d’énergie, c’est le cas par exemple des voitures qui consomment moins, des maisons passives… La technique vient donc compenser la diminution des ressources pétrolières, ce qui soutient la production d’énergie et/ou fait baisser la demande et donc baisser le prix de l’énergie.

La troisième piste est celle des solutions sociétales qui consistent à adapter son comportement afin qu’il soit moins énergivore : rouler en vélo plutôt que de prendre sa voiture, choisir une alimentation locale… Ce qui, d’une part, fait chuter la demande d’énergie et donc fait baisser le prix et, d’autre part, rend les personnes qui adaptent leur comportement plus résilientes à l’augmentation du prix du pétrole.

Si certains défendent plutôt l’une ou l’autre de ces voies en fonction de leur sensibilité, de leur point de vue professionnel, des idéologies auxquelles ils adhèrent…, en pratique ces trois voies se développent en parallèle et en interaction les unes avec les autres.

La transition énergétique à la croisée des enjeux environnementaux et sociaux : l’expérience du CERAS

Par Marie Drique[5]

Introduction

Pourquoi l’association s’est-elle saisie de la question de la transition énergétique ?             

Poids du contexte national : En septembre 2013, le gouvernement français lance un grand débat national sur la question, mené à la fois au niveau national et dans les régions, afin de faire l’état des lieux sur la question énergétique et de réfléchir notamment aux moyens de réduire nos émissions de CO2 liées à nos consommations d’énergie. Ce dernier devait aboutir à des recommandations pour alimenter une loi de programmation prévue au départ pour l’automne 2014 et qui ne cesse d’être repoussée depuis.

L’alerte des partenaires : En parallèle, les partenaires du CERAS, et notamment des associations comme la Croix-Rouge et le Secours Catholique, ont partagé leurs inquiétudes sur leur capacité à accompagner un public, grandissant, qui éprouve des difficultés à payer ses factures d’énergie ce qui traduit une précarité énergétique[6] grandissante. Cette thématique de la précarité énergétique, mettant en lumière des inégalités sociales face à l’accès à l’énergie, a donc été saisie comme une porte d’entrée afin de s’interroger plus généralement sur une transition énergétique, jugée nécessaire dans un contexte de changement climatique, et sur ses liens avec la question de justice sociale.

La précarité énergétique

L’expression est née en Grande-Bretagne dans les années 1970 à la suite des chocs pétroliers. En 1990, est établi un indicateur qui devient la référence : est en situation de précarité énergétique un ménage qui consacre plus de 10% de son budget aux dépenses d’énergie pour le logement (se chauffer, s’éclairer, etc.).

En France : la  loi du Grenelle II, du 12 juillet 2010 la définit comme suit : « est en précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».

La définition britannique (« approche objectivée ») reste la référence pour évaluer la population en situation de précarité énergétique et ce malgré ses lacunes : elle ne prend pas en compte la « précarité invisible » due à un comportement de privation[7], ni les dépenses en transports. Quelques approfondissements méthodologiques sont cependant suggérés pour mieux cerner le phénomène[8], notamment l’approche « subjective » qui prend en compte les ressentis (ménages déclarant avoir eu froid) et les sentiments de privation.

L’équipe du CERAS a donc engagé, dès le début de l’année 2013, un processus participatif de réflexion et de formation sur « La justice sociale à l’heure de la transition énergétique » articulé autour de trois pôles de travail. Le premier est un espace réservé aux acteurs de la société civile issus à la fois d’ONG environnementales, sociales et syndicales afin de croiser les problématiques de chacun et qui vise à faire le point des savoirs et à se situer sur une dizaine de questions multidimensionnelles qui structurent le débat « transition énergétique et justice sociale”. Le deuxième est un pôle universitaire qui fait l’état des recherches sur les questions économiques et financières liées à la transition énergétique et écologique. Le troisième est un pôle « entreprise» qui travaille à l’élaboration de « 10 propositions pour la transition énergétique ».

Afin de nourrir la réflexion sur le thème d’une transition énergétique inclusive, je vous propose de revenir plus précisément sur l’expérience de recherche-action avec le groupe de la «société civile» avec lequel nous essayons de traiter des questions sous-jacentes au terme d’inclusivité.

La notion d’inclusivité exprime l’idée selon laquelle l’articulation entre justice sociale et transition énergétique se joue autant dans les objectifs que dans le processus, en interrogeant sur la dimension distributive (qui paie, qui profite, qui subit des effets potentiellement néfastes ?) mais aussi procédurale (qui délibère, qui prend les décisions, qui choisit, qui décide ? Dans quel contexte ?) des politiques et initiatives de transition énergétique.

Elle interroge ainsi les liens qui peuvent exister entre inégalités sociales et énergie et, de façon plus générale, entre disparités sociales et environnement − qu’il me semble nécessaire de comprendre afin de réfléchir à la mise en place de dispositifs et politiques publics capables de prendre en compte le sort des plus démunis et les contraintes climatiques et énergétiques qui s’imposent à nous.

Je propose donc de revenir sur nos premiers résultats pour comprendre en quoi la transition énergétique est l’occasion de réinterroger la justice sociale.

La transition énergétique comme cadre de convergences entre préoccupations sociales et environnementales

L’une des grandes ambitions de ce processus de recherche-action était de rompre cette « ignorance mutuelle »[9] entre préoccupations environnementales et sociales, aussi bien dans les discours politiques que dans l’action publique et sociale des associations.

Comment en sommes-nous venus à cette piste d’un « ré-encastrement » du social et de l’environnement nécessaire au sujet de la transition énergétique ?

Le débat national sur la transition énergétique révèle une intégration de l’urgence écologique dans le discours politique et une institutionnalisation de cette thématique dans les politiques publiques. Il marque l’appropriation du contexte écologique défini notamment au travers des travaux du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat) qui reconnaît l’origine anthropique du dérèglement climatique, lié à nos émissions de Gaz à effets de serre (GES), et ses possibles conséquences (élévation des températures, récurrences d’événements extrêmes). Or selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le secteur de l’énergie est à l’origine de 60 à 70% de ces GES au niveau mondial. C’est également, dans une certaine mesure, la reconnaissance d’une vulnérabilité sociale et économique due à notre dépendance aux énergies fossiles (notamment le pétrole) dans un contexte de renchérissement des prix et de controverses sur l’arrivée de « pics de production ».

Malgré la mise en place d’un processus participatif et délibératif ouvert à une diversité d’acteurs (sociaux, économiques, environnementaux), le débat aura essentiellement porté sur les dispositifs techniques (mix énergétique, efficacité énergétique…), et les modes de vie, très peu abordés, n’apparaissent pas comme une priorité.

Pourtant, l’urgence sociale est de plus en plus forte en France : 3,8 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique[10]. Notons également un taux d’effort énergétique − la part d’énergie dans le budget total − élevé pour les ménages les plus précaires qui intensifie leur vulnérabilité à une hausse des prix de l’énergie. Selon l’INSEE (l’Institut national de la statistique et des études économiques), en 2006 les 20 % des ménages les plus pauvres consacrent 9,6 % de leur budget à l’énergie, contre seulement 7,0 % pour les 20 % des ménages les plus aisés – et cela dans un contexte de contraction budgétaire pour les associations caritatives et d’action sociale qui voient leur capacité d’action réduite, d’une hausse des prix de l’énergie (hausse de 30% de l’électricité d’ici 2017) et d’une baisse du « reste à vivre ». En effet, à la fin des années 70 les dépenses contraintes ne représentaient que 20% du budget des ménages ; aujourd’hui, elles représentent 50% du budget. Ces évolutions sont notamment liées à la hausse des prix du logement.

Pour réduire leur vulnérabilité, ces populations sont déjà amenées à réduire leurs usages énergétiques (réduire la température du chauffage, voire ne pas se chauffer) et/ou font des choix pour pouvoir satisfaire leurs besoins essentiels : se nourrir, se chauffer ou être mobile. Dès lors l’énergie devient une contrainte dans les modes de vie et participe à l’accroissement des inégalités sociales. La question énergétique n’échappe donc pas à celle des rapports sociaux et des inégalités. Un tel constat permet de politiser la question environnementale et ainsi de s’extraire du cadre technique dans lequel la transition énergétique est aujourd’hui discutée pour l’élargir à celui de la justice sociale.

Constats : nouvel éclairage sur les inégalités sociales

S’intéresser à l’accès aux services énergétiques/à l’énergie des plus démunis permet de mettre en évidence un processus cumulatif d’inégalités sociales, qui dans un contexte de tensions sur les prix et de changement climatique va s’exacerber.

Trois journées d’études sur les questions d’alimentation, de mobilité et d’habitat ont mis en exergue :

– Une corrélation entre les inégalités de revenus et les inégalités territoriales[11].

– Une corrélation entre les inégalités de revenus et de consommations et donc des inégalités écologiques. Autrement dit, les inégalités de revenu se traduisent par une situation inégalitaire des « droits à polluer » et « devoirs environnementaux ».

– Des inégalités en termes de pouvoir et de participation aux négociations et processus de décisions qui concernent l’environnement et les modes de vie.

Corrélation inégalités de revenus et inégalités territoriales

1) On observe un phénomène de spéculation foncière : les ménages les plus pauvres s’éloignent des centres urbains pour trouver à se loger moins cher, dans des logements qui ont été identifiés comme ayant plus de probabilité d’être insuffisamment isolés et/ou chauffés avec des systèmes onéreux[12].

2) On constate également une dissociation entre des lieux d’activités économiques et des lieux d’habitation, impliquant des dépenses contraintes pour les déplacements domicile-travail et domicile-école (20km aller-retour/jour revient à 25% du salaire minimum).

3) Ces espaces périphériques cumulent également très souvent une mauvaise qualité thermique de l’habitat et l’éloignement des services, commerces et services publics de base qui accroit le coût de la mobilité.

Il existe donc des différences considérables d’accès aux ressources qui ne sont pas indépendantes des inégalités de revenus et des effets – ou de l’absence – de politiques publiques qui ont contribué à contraindre certaines dépenses (notamment l’étalement urbain) et à accentuer les taux d’effort énergétique.

Cette dynamique est d’autant plus inquiétante qu’elle va s’exacerber du fait d’une tension forte sur les prix de l’énergie (une hausse de 30% de l’électricité d’ici 2017 est prévue en France selon la Commission de Régulation de l’Energie), mais aussi, on peut le penser, du fait des effets du changement climatique.

Nous sommes finalement en train de construire une « bombe sociale à retardement »[13]. Les ménages précaires sont d’ores et déjà très sensibles à des hausses de prix, et de nombreux ménages de la « classe moyenne » sont considérés comme « vulnérables », ou en situation de précarité potentielle dans laquelle ils peuvent basculer sous l’effet d’un aléa comme la hausse des prix.

Corrélation entre inégalités de revenus et de consommations : l’identification d’inégalités écologiques

Le contexte dans lequel s’inscrit la transition énergétique permet d’élargir le cadre d’analyse de la justice distributive à la question du climat et de l’environnement. Ces journées de formation ont en effet permis de mettre en valeur le rôle des inégalités sociales et leurs impacts sur les conditions environnementales.

Deux constats majeurs :

– Il y une corrélation inégalités de revenus / inégalités de consommation qui génère une « inégalité écologique ». Autrement dit, l’inégalité de revenus se traduit par une situation inégalitaire des « droits à polluer » et des « devoirs environnementaux »[14] : les ménages aux revenus les plus élevés émettent notamment davantage de CO2 que les ménages aux revenus les plus faibles[15].

– Ces inégalités nourrissent un mécanisme de mimétisme des classes moyennes vis-à-vis des classes supérieures. Selon la thèse de l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen, la consommation est un processus fondé à la fois sur l’ostentation et l’imitation : les couches supérieures de la société affichent ostensiblement leurs richesses, suscitant par là un désir mimétique auprès de toute la société. L’innovation technologique permet de renouveler l’offre en permanence et d’entretenir la frustration. Il faut pouvoir consommer davantage pour grimper l’échelle sociale et, à l’inverse, réduire sa consommation symbolise le déclassement. Ce constat permet de saisir l’importance, dans le débat sur la transition énergétique, des écarts de niveaux de vie, et de la question des modes de vie.

Bruno Maresca[16], rappelle que « ce qui précipite également les ménages dans la situation de précarité énergétique c’est une augmentation non maitrisée des besoins en énergie et en mobilité. Ces besoins sont le fait de tendances structurelles, inscrites dans des modes de vie collectifs, sur lesquelles les ménages ont peu de prise ».

Inégalités en termes de pouvoirs et de participation

Enfin, la recherche-action du CERAS a permis d’identifier une inégalité en termes de pouvoirs et de participation aux négociations et aux processus de décisions qui concernent l’environnement et les modes de vie. Il existe des espaces de participation pour les plus pauvres mais qui ne permettent pas d’avoir une traduction institutionnelle de leurs propositions. On peut tenter de l’illustrer par quelques exemples, que ce soit :

– à un niveau macro, notamment celui du débat sur la transition énergétique, consigné dans un modèle « ascendant » où certains experts ont « le monopole de la compétence » et où l’on s’interroge sur l’acceptabilité sociale des stratégies énergétiques afin de faire adhérer les participants à des décisions déjà prises.

– à un niveau plus micro, notamment à l’échelle des logements des ménages et de leur socio-système, il s’agit davantage d’accompagner les plus pauvres à s’approprier les nouvelles performances énergétiques, plutôt que de co-construire les projets (de rénovation par exemple). Les ménages concernés par la « spirale de la précarité énergétique » ont par ailleurs un moindre accès aux politiques mises en place notamment dans le cadre de la transition énergétique. Par exemple pour la rénovation des bâtiments : les travaux de rénovation nécessaires à une amélioration thermique restent très chers et les dispositifs pour les encourager (tel le prêt à taux zéro) ne touchent pas cette partie de la population.

Quelles perspectives : la transition énergétique, une opportunité ?

Ces premiers constats mettent en avant l’importance de resituer les enjeux de la transition énergétique sur des questions plus larges, et notamment des questions sociales et sociétales. Ils mettent en exergue les limites des dispositifs des politiques publiques qui visent à réduire la vulnérabilité des ménages vis-à-vis de l’énergie en les encourageant à une diminution de leur consommation : notamment les aides à la rénovation thermique via le prêt à taux zéro. Ces constats mettent également en exergue les limites des dispositifs des politiques publiques qui visent à réduire la précarité énergétique et d’une manière générale les inégalités, à l’image des chèques verts ou encore des aides sociales spécifiques aux impayés de factures. Ces politiques sont nécessaires mais sont de l’ordre de la réparation, une sorte de palliatif aux contraintes que subissent les populations. Ce sont des allocations permettant de surmonter le surenchérissement du prix de l’énergie dans le budget des ménages. Les dynamiques décrites dans cet article plaident au contraire pour des politiques beaucoup plus structurelles, notamment en termes d’aménagement du territoire.

Elles appellent également à une reconfiguration, ou à la réaffirmation du rôle de l’intervention sociale comme levier « d’empowerment », processus par lequel l’individu peut retrouver une autonomie, une capacité à « faire-soi-même », discuter et négocier, bref, à devenir acteur de sa vie.

Conclusion

Poser la question “comment mener une transition énergétique inclusive ?” c’est donc s’interroger sur un niveau d’inégalité qui sera non seulement jugé acceptable par une société donnée mais également soutenable écologiquement. Cela appelle à une refonte de nos modes de répartition de la richesse qui intègreront un changement de notre rapport à la nature et à l’environnement. La compensation de certaines ponctions et dégradations environnementales ne pourra pas, en effet, endiguer l’exacerbation d’inégalités sociales existantes et n’empêchera pas qu’il en émerge de nouvelles. Cette équation impose dès lors une réflexion éthique sur nos rapports entre hommes, mais aussi entre technique, environnement/nature et société. Elle reste d’autant plus difficile que la dimension environnementale et les situations d’interdépendances dans lesquelles nous nous trouvons imposent non seulement d’articuler le global et le local (les inégalités entre pays), mais aussi le temps court et le temps long afin d’intégrer les générations futures.

III. CONSOMMATION
 

Les initiatives de consommation alternatives, aussi un outil de transformation sociale ? Point de vue sur les inégalités

Par le Réseau des Consommateurs Responsables (RCR)

Introduction : le RCR, kesako ?

L’asbl Réseau des Consommateurs Responsables (RCR) fait la promotion active d’initiatives locales, collectives et autogérées de « consommation alternative », qui permettent de remettre l’humain et l’environnement au centre des préoccupations et de reconstruire un système viable sur le long terme.

Le RCR a été créé en 1999 par une quinzaine de particuliers et une vingtaine d’associations (dont Oxfam Magasins du Monde, Max Havelaar, Triodos, Inter-Environnement Wallonie…). A cette époque, le RCR lance le concept de consommation responsable en Belgique ainsi que les premières campagnes belges sur les OGM. Fin 2010, l’asbl a été reprise par une équipe plus jeune avec un nouveau projet portant spécifiquement sur le volet « local et collectif » de la consommation responsable. Le Conseil d’administration actuel est le fruit de cette union et est, dans un but de transmission de compétences, composé tant de fondateurs de l’asbl que de membres de la nouvelle équipe. Une telle composition a permis de créer une structure dynamique et dotée d’expertise. Indépendamment des membres du Conseil d’administration, le projet du RCR est soutenu par une équipe active de 15 bénévoles et de deux permanents.

Le RCR s’est donné pour mission de soutenir et promouvoir 6 types d’initiatives de consommation alternative alliant consommation collective, développement durable et cohésion sociale.

Les initiatives visées sont :

· Les Groupes d’Achat Commun (GAC) : groupes de citoyens achetant des produits essentiellement alimentaires directement auprès de certains producteurs locaux et parfois « bio ».

· Les Systèmes d’Échanges Locaux (SEL) : échange de services selon les compétences, besoins et envies de chacun, avec le temps comme unité de mesure.

· Les Réseaux d’Échanges réciproques de Savoirs (RES) : partage non rémunéré de tout type de savoirs à travers des ateliers d’échanges.

· Les Potagers collectifs : création et entretien de jardins potagers de manière communautaire par un groupe de citoyens locaux.

· Les Donneries : recherche et don d’objets entre membres d’un réseau local afin de promouvoir la récupération de matériel de seconde main encore valorisable.

· Les Repair Cafés : réparation d’objets de tout type lors d’événements ouverts et gratuits où l’on va rassembler outils, matériel et des experts en la matière.

Actuellement, nous avons recensé 400 initiatives en Wallonie parmi les 6 types d’initiatives promues par le RCR. L’ensemble de ces initiatives représente un mouvement de plus de 11.000 foyers, soit environ 30.000 citoyens. Ce nombre a plus que doublé en 4 ans et le nombre de personnes qui souhaitent s’y engager est en perpétuelle augmentation. A titre d’illustration, nous estimons à environ 40 le nombre de GAC en Wallonie en 2000, alors qu’elle en compte aujourd’hui 129. En ce qui concerne les donneries, le nombre d’initiatives est passé de 1 à 16 en 10 ans.

Nos actions et outils

– Recensement et cartographie des groupes existants en Belgique francophone : ce travail rend possible la diffusion de l’information et permet à de nouvelles personnes de rejoindre ces initiatives.

– Aide à la création de nouveaux groupes : nous apportons l’information, des outils pédagogiques et la structure nécessaire à la mise en place de nouveaux groupes par le biais d’animations personnalisées à domicile ou de formations accessibles à toute personne intéressée. En deux ans, pas moins de 20 groupes ont été impulsés par le RCR, principalement des GAC.

– Sensibilisation d’un public non averti : à travers des stands durant des festivals ou foires et par l’animation de soirées informatives (modules d’environ 2h), nous informons de nombreuses personnes de l’existence de ce type d’initiatives de consommation collective.

– Mise en réseau : nous mettons en contact différents groupes existants et créons des synergies entre eux afin qu’un véritable réseau d’échange et de solidarité soit créé.

– Guides de création de GAC et de SEL : ces manuels présentent et commentent les grandes questions à se poser pour pouvoir lancer un GAC ou un SEL et en assurer le fonctionnement de manière pérenne.

– Notre site web www.asblrcr.be : une série d’outils (cartographie, guides, vidéos de présentation) sont disponibles sur notre site internet.

Point de départ de notre réflexion sur la mixité

Si ces groupes se démarquent par leur mixité générationnelle, dans notre travail de terrain, et cela concorde avec plusieurs expériences d’associations partenaires et de groupes locaux, nous constatons que ces initiatives restent majoritairement connues par l’intermédiaire de réseaux de bouche à oreille et touchent souvent un public assez homogène, d’un point de vue socio-culturel, bien que vivant des situations socio-économiques fort différentes. En d’autres termes, la manière dont les groupes se forment reflète la manière dont leurs membres appréhendent leurs relations sociales. En effet, pour beaucoup, les membres de ces initiatives sont déjà des personnes sensibilisées et convaincues. Dès lors, la composition socio-culturelle des initiatives ne correspond pas aux réalités de la société dans son ensemble.

Pourtant, nous sommes persuadés que, si ces initiatives veulent transformer la société, elles doivent s’ouvrir et cesser d’être des petites « niches » de privilégiés. Aujourd’hui, elles participent bien malgré elles à la reproduction d’inégalités sociales. Sous certaines conditions, de telles alternatives de consommation peuvent apporter des solutions, mêmes partielles, à d’autres types de public, notamment un public populaire. En effet, ces initiatives citoyennes sont des vecteurs de lien social et de « capacitation » (empowerment) par la participation au sein d’un collectif informel. De plus, elles permettent souvent de se « débrouiller autrement », de manière moins coûteuse et plus autonome. Contrairement à d’autres activités d’éducation à l’environnement où les participants sont relativement passifs (lors de séances d’information ou de présentations), dans ces différentes initiatives ils deviennent réellement acteurs.

Chercher à développer ce genre d’initiatives en milieu populaire et multiculturel peut également avoir un aspect plus politique, car si l’objectif est une transformation sociale, cela doit passer par toutes les couches de population. En effet, aucun changement social d’envergure ne peut avoir lieu sans le dynamisme de ces milieux. De plus, de telles initiatives peuvent participer à l’émancipation des acteurs, car ceux-ci apprennent à développer leur capacité à agir collectivement pour améliorer leurs conditions de vie. En donnant aux gens la possibilité de jouer un rôle actif (et à cette condition), on contribue au développement de l’individu et de sa dignité, de son estime de soi mais aussi à sa formation politique et organisationnelle.

Cette démarche engage également d’autres enjeux tels que la santé publique ou encore la cohésion sociale, qui ne sont pas négligeables. Dès lors, nous pensons qu’il est nécessaire de multiplier les initiatives permettant d’élargir le rayonnement de telles alternatives de consommation.

Création du groupe de travail Mixité Sociale

En 2013, sur base de ces réflexions, nous avons créé un groupe de travail (GT mixité sociale) pour creuser cette thématique et développer des outils pour favoriser une plus grande mixité sociale dans nos alternatives. Ce groupe de travail est composé d’environ dix bénévoles et a pris de l’ampleur ces derniers mois. De nombreuses rencontres, animations et formations découlent de ce GT.

Nous avons notamment développé une série d’actions concrètes telles que :

  • Présentation des outils du RCR pour le lancement de GAC pour des acteurs associatifs (entre autres le Réseau d’acteurs Wallons pour une Alimentation Durable) souhaitant élargir le public ayant accès à une alimentation durable ;
  • Participation au projet « Open GAC » sur la mixité sociale du Réseau des Groupes d’Achat Solidaire à l’Agriculture Paysanne (GASAP) à Bruxelles ;
  • Participation à la journée « alimentation durable et mixité sociale » organisée par l’Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement et à la journée des Groupes d’achats alimentaires « GAA et mixité sociale » ;
  • Développement d’un partenariat pilote avec deux missions locales bruxelloises[17] et avec le Service d’Insertion Sociale de la ville de Namur visant à faire connaître ces initiatives auprès de demandeurs d’emplois.  

Etat des lieux

Il existe très peu de données sur la question. On constate une absence quasi totale d’études sérieuses qui feraient un état des lieux de la situation, qui analyseraient les dynamiques de ce cloisonnement. Mais, si ce débat est encore naissant, il suscite de plus en plus d’intérêt. De nombreux acteurs se mobilisent pour mettre des initiatives en place, à différentes échelles, et chercher à répondre à ce problème.

Lors d’une journée de rencontre des groupements d’achats (8 décembre 2013), l’ensemble des personnes présentes étaient d’accord pour dire qu’un GA a besoin d’un ciment fédérateur qui agit comme un moteur d’organisation, de cohésion et de création. Ce ciment peut être idéologique ou politique, mais le plus souvent, le tissu fédérateur est amical, géographique (village, quartier) ou identitaire. « Il faut quelque chose au-delà de l’envie de manger ensemble des produits de qualité ». Le fait de partir de cette spontanéité favorise la création et le maintien du groupe. On peut alors se demander si l’augmentation de la diversité amenuiserait ce ciment.

Les publics qui ne se retrouvent pas dans ces initiatives ne font pas partie de ces groupes sociaux. Ils se caractérisent souvent par une certaine fragilité, que ce soit par leur bagage socio-culturel, leur manque d’accès à l’information ou encore plus simplement leur situation financière.

Lors d’une rencontre avec Christine Mahy, présidente du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, nous avons enrichi notre connaissance de ces questions. Elle affirme que ces groupes servent d’abord les plus aisés et que, par conséquent, cela creuse les inégalités d’aisance. Si dès la création d’un groupe, il y a de la mixité sociale dans son noyau porteur, la mixité au sein du groupe peut avoir du sens et sera plus facile à instaurer. Il est plus difficile de l’établir par la suite.

En même temps, la mixité n’est pas une nécessité qui doit être imposée aux groupes. Elle prend tout son sens si, pour une alternative, il existe des groupes « riches » et d’autres moins favorisés (pour pousser la caricature). En créant des conditions de croisement (donc pour permettre que différents groupes sociaux aient des pratiques similaires), il y aurait une diversité dans le panel de groupes mais pas particulièrement au sein des groupes. On divise pour mieux rassembler.

Actions concrètes : l’exemple des OpenGAC

Comme nous l’avons dit, plusieurs acteurs associatifs ou publics se sont emparés de la question de la mixité sociale. C’est le cas du réseau des GASAP (Groupe d’Achat Solidaire à l’Agriculture Paysanne) de Bruxelles. Grâce à une investigation de plusieurs mois, ils ont identifié des leviers et des freins à la mixité au sein des Groupes d’Achat Commun. Suite à ces résultats, nous avons collaboré avec eux autour d’un projet nommé OpenGAC qui vise à proposer une série d’activités et de recommandations aux GAC déjà constitués qui sont désireux de s’ouvrir à plus de mixité sociale.

Nous leur proposons de fonctionner différemment de ce qui est fait habituellement :

– Créer une alternative à l’informatique pour s’inscrire et passer commande (permanence, téléphone).

– Proposer des payements différenciés :

  •  soit un ensemble de membres s’engagent à payer un peu plus par panier (1 ou 2 euros) afin de diminuer le coût pour d’autres membres (ex : d’un panier de 10 euros, 5 membres passent à 11 euros et permettent de fournir un panier à 5 euros à une personne dans le besoin).
  • soit un système de prix libres (pour un panier à 10 euros les membres ont le choix de payer entre 8 et 12 euros selon leurs revenus).
  •  trouver une association prête à subsidier l’initiative.
  •  si le payement des paniers se fait sur du long terme, proposer d’emblée une autre solution aux nouveaux arrivants (ex : prévoir un fond solidaire, discuter avec le producteur, etc.).

– Adapter les produits du panier pour rencontrer la demande d’un autre public. Il s’agit par exemple de proposer de la viande (très chère dans la grande distribution) ou des produits « basiques » (panier à 5 euros avec uniquement des patates, oignons, carottes).

– Instaurer un système de parrainage : une personne du groupe est responsable d’accueillir de manière plus individualisée le nouvel arrivant. Elle s’assure d’être à l’écoute des freins que le nouveau pourrait rencontrer (que ce soit financier, organisationnel ou autre) et de le rapporter au groupe pour trouver des solutions. Le parrain/la marraine peut aussi se porter garant(e) pour payer les paniers sur le long terme en attendant d’être remboursé au panier ou par mois.

Pour faciliter les rencontres avec le public “mixte” que le groupe veut inclure, nous leur proposons des activités concrètes et conviviales telles que :

– Si le temps le permet, organiser la distribution de paniers à l’extérieur du lieu de dépôt ou sur un lieu public stratégique à un moment opportun afin d’augmenter la visibilité du GAA. Prévoir quelques paniers en plus à vendre ou distribuer aux passants intéressés ;

– Organiser une soupe populaire (ou autre) dans un endroit public avec les légumes du GAA ;

– Proposer une activité cuisine avec les produits du GAA. L’objectif est autant informationnel que gustatif (et convivial) ;

– Proposer une visite de la ferme afin de sensibiliser aux réalités du producteur.

D’autres acteurs se penchent également sur la thématique de la mixité sociale comme Rencontre des Continents ou Nature et Progrès. Des acteurs de terrain de l’insertion comme les CPAS, les maisons médicales ou des maisons de quartiers créent des initiatives pour leur public et nous les appuyons parfois dans cette démarche.

Retour sur nos expériences de terrain avec des demandeurs d’emplois

Nous avons pu constater que le public était très intéressé de connaître ce genre d’alternatives et d’y participer. Ils semblaient étonnés de ne pas déjà être au courant de leur existence, notamment parce que ces personnes ont déjà de nombreuses combines et alternatives à la consommation classique des supermarchés et des services payants (récupération après le marché des grossistes, etc.).

On a remarqué que :

  • SEL, Repair Cafés et RES suscitent le plus d’intérêt.
  • Les GAC suscitent un intérêt moins direct. Pour cette initiative, la question du prix reste très complexe. En tant que membres du RCR, il nous est plus difficile à l’heure actuelle de proposer cette initiative. Le choix d’acheter ses produits via un GAC prend en compte une série de variables telles que la juste rémunération du producteur, la qualité et la provenance des produits (bio/local…) et donc leur impact écologique, leur saveur, etc. Ces idées supposent une sensibilisation préalable car elles ne rentrent pas souvent dans les préoccupations premières des personnes.

Initiatives mixtes intéressantes

  • GAC de Seraing : le groupe, issu du milieu populaire, existe depuis 1987-1988 avec un noyau relativement stable. Ses objectifs premiers étaient la santé (c’était l’époque de la viande aux hormones) et rendre l’alimentation de qualité accessible à des revenus modestes. Le soutien aux petits producteurs est l’autre objectif essentiel. Le groupe, constitué d’ouvriers, d’employés peu diplômés, de chômeurs, s’y approvisionne en viande, en farine et en pommes de terre de Coprosain, en volaille de Gerson tous les 3 mois ;
  • Donnerie, prêterie et servicerie lancées par la Commission Régionale des Travailleurs Sans Emploi (CRTSE) de la FGTB Luxembourg et le Centre d’Education Permanente (CEPPST) ;
  • SEL du CPAS de Charleroi ;
  • Potagers collectifs. On constate que cette initiative est assez mixte à la base, notamment parce qu’elle est liée à une tradition en milieu populaire et que l’on doit son émergence au mouvement ouvrier. D’un point  de vue multiculturel aussi, les Belges d’origine étrangère sont parfois plus liés au travail de la terre et s’engagent plus facilement dans une dynamique de jardin partagé ;
  • Projet « De la ferme au quartier »[18] : plateforme d’approvisionnement alimentaire solidaire en circuit court dans des cités populaires. Alternative au « low-cost » de la grande distribution.

Quelques éléments intéressants du projet :

  • Création d’emplois, grâce à une participation aux frais qui varie de 0 à 20% de la valeur du panier ;
  • Les chèques d’aide alimentaire sont acceptés ;
  • Engagement de plusieurs associations de quartier qui mettent à disposition leur local, mènent un travail de sensibilisation, et participent au conseil d’administration ;
  • Le coût est variable selon le revenu.

En conclusion, les exemples ci-dessus montrent que la mise en œuvre d’initiatives de consommation responsable pour et par des personnes en situations de précarité n’est pas utopique et nous invitent à poursuivre la réflexion dans cette voie.

L’économie sociale, avant-garde d’une société en transition. Expérience de l’asbl Ressources[19]

Quelques balises…

Ressources est une fédération d’entreprises d’économie sociale dont les membres sont actifs dans la réutilisation, le recyclage et la valorisation des déchets. Elle rassemble une soixantaine de membres, une vingtaine à Bruxelles et une quarantaine en Wallonie, surtout dans le sillon Sambre et Meuse où se concentrent les habitations et l’activité économique et donc les déchets. La fédération fait elle-même partie d’une coupole au niveau européen. Les entreprises membres de Ressources répondent à un double critère: celui d’être des entreprises d’économie sociale et celui d’être actives dans la réutilisation, le recyclage ou encore d’autres formes de revalorisation des déchets. Voyons plus précisément ce qui se cache derrière ces deux aspects.

L’économie sociale

Le concept d’économie sociale est défini, par un décret de la Région wallonne et par une ordonnance de la Région bruxelloise, selon quatre critères principaux qui sont les mêmes dans ces deux régions malgré des contextes et certains termes qui diffèrent. Le premier critère est d’avoir comme finalité première le service à la collectivité plutôt que le profit, critère qui rompt avec la logique classique des entreprises de maximisation des profits. Le service à la collectivité peut être de nature très diverse : la cafeteria d’un club de sport qui permet de se retrouver dans la convivialité, l’aide aux personnes, les services repas… Le profit n’est pas exclu mais il doit être prioritairement réinvesti dans de nouveaux projets, servir à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs… le capital est peu rémunéré. C’est le deuxième critère de l’économie sociale : la primauté de la personne et du travailleur sur le capital, critère qui rompt également avec la logique économique classique où les investisseurs s’attendent à une rentabilité élevée à court terme. Le troisième critère est l’autonomie dans la gestion : le pouvoir de décision de l’entreprise est au sein de celle-ci, ce qui la rapproche d’une entreprise classique. Enfin, le quatrième et dernier critère est que le processus de décision doit être démocratique. Cela peut recouvrir différentes réalités : soit une personne, une voix et non une action, une voix comme dans une entreprise classique, soit des processus participatifs mis en place pour réfléchir à solutionner des difficultés, où les travailleurs sont invités à donner leurs idées pour améliorer l’entreprise…

L’action sur les déchets

Les entreprises d’économie sociale, comme nous l’avons vu, peuvent être de nature très différente mais le propre des membres de la fédération Ressources est qu’elles sont actives dans le secteur des déchets. La législation en matière de déchets vient essentiellement de l’Union européenne et en particulier de la directive cadre de 2008. L’action en matière de déchets recouvre plusieurs types d’activités hiérarchisées selon leur impact environnemental. Le moins polluant est la prévention : le déchet le plus facile à traiter, c’est celui qui n’existe pas. Dans cette activité de prévention sont compris le réemploi ou la réutilisation[20], ce qui arrive lorsque le produit est réutilisé pour la même fin que celle pour laquelle il a été conçu. Ensuite vient le fait de collecter, de trier, de réparer, de commercialiser qui représente une activité en soi, appelée préparation au réemploi. L’échelon suivant est le recyclage, qui consiste à utiliser la matière d’un produit pour faire un produit tout à fait différent, en refondant le métal par exemple. Notons que le recyclage repose sur des circuits de collecte qui sont plus lents, plus lourds et qui demandent plus de moyens, la boucle est plus longue et a donc un plus grand impact sur l’environnement. Enfin vient l’élimination.

Aujourd’hui, la tendance est plutôt au recyclage. De nombreuses entreprises se sont mises en place afin de capter la valeur positive du recyclage de certains déchets, ce qui entraine une certaine concurrence dans l’accès aux gisements de ces déchets. Une des valorisations principales est la valorisation énergétique, lorsque les déchets sont brulés et la chaleur récupérée pour la transformer en électricité. Les métaux ont également une valeur ajoutée positive importante, de même que, plus étonnant, la graisse de friture transformée en bio-carburant.

Les objectifs poursuivis

Si les entreprises d’économie sociale peuvent être de nature différente, elles peuvent également poursuivre des objectifs assez différents les uns des autres. Un premier objectif est l’insertion, objectif poursuivi par les entreprises dites d’insertion. Le but est de créer de l’activité pour des personnes fragilisées et éloignées du marché de l’emploi. Il s’agit souvent de personnes peu qualifiées qui apprennent le savoir-faire sur le tas, ce qui suppose que les activités de l’entreprise ne nécessitent pas une main d’œuvre possédant de hautes compétences technologiques. Ces entreprises d’insertion peuvent être des entreprises insérantes, c’est-à-dire qu’elles engagent une personne en insertion et la forment pour l’engager à long terme, ou des entreprises de transit qui engagent une personne éloignée du marché du travail, la forment, règlent avec elle ses problèmes personnels, puis l’envoient sur le marché classique. Notons que pour une personne qui a travaillé dans une entreprise d’insertion où les valeurs humaines priment, où les travailleurs peuvent prendre part aux processus de décisions, il est difficile par la suite de travailler dans une entreprise classique.

Un deuxième objectif que peuvent poursuivre les entreprises d’économie sociale est celui de la formation, objectif poursuivi par les entreprises dites de formation par le travail. Ces entreprises ont principalement pour public des jeunes qui ont eu des parcours scolaires difficiles et ont quitté l’école. Ils sont engagés et formés sur le tas dans des créneaux qui demandent un bagage de départ relativement faible, tels que la restauration, la construction ou encore le nettoyage.

Pour ces missions d’insertion ou de formation, les entreprises reçoivent des subsides, ce qui fait souvent dire à l’économie classique que l’économie sociale est une économie subsidiée. En ce qui concerne l’insertion, les entreprises d’économie sociale travaillent avec des publics éloignés du marché de l’emploi avec lesquels les entreprises d’économie classique ne veulent pas travailler parce qu’ils sont peu productifs en raison de leur manque de formation ou de fragilités personnelles. Les entreprises d’économie sociale qui emploient ce public ont donc un déficit de productivité par rapport à l’économie classique, déficit que viennent compenser les subsides publics. Par ailleurs, les subsides publics servent à engager le personnel d’encadrement, justement parce que ce public est fragile et qu’il a besoin d’être suivi pour sortir de ses fragilités. En ce qui concerne la formation, l’enseignement en Belgique est subventionné, il n’y a pas de raison que les entreprises qui font de la formation la financent sur fonds propres. D’autant qu’elles ne sont subventionnées qu’à 70%, les autres 30% doivent être trouvés ailleurs. Ces subsides ne sont donc octroyés que pour les services d’insertion et de formation prestés à la collectivité, non pour financer l’activité de l’entreprise.

Un autre objectif des entreprises d’économie sociale actives dans le secteur des déchets peut être le financement de projets en Belgique ou dans le Sud. C’est le cas par exemple des Petits Riens qui récupèrent des objets en bon état et les revendent dans des magasins pour financer des centres d’accueil où vivent les personnes en réinsertion qui peuvent également travailler pour les Petits Riens. C’est aussi le cas des magasins Oxfam-solidarité qui financent des projets au Sud. Ces entreprises travaillent souvent avec des bénévoles ou avec des personnes en réinsertion qui coutent peu cher, ce qui permet d’allouer les bénéfices des ventes à ces projets.

Notons que ce sont les missions sociales qui sont prioritaires, les activités dans le secteur des déchets sont un vecteur de ces missions sociales de réinsertion, de formation, ou de financement de projets solidaires. Il y a également des services collatéraux qui permettent d’offrir des biens de consommation courante de première nécessité à des prix intéressants, voire très intéressants pour les bénéficiaires du CPAS qui bénéficient de réductions spéciales. Cela offre également un service de proximité qui permet aux gens de de se débarrasser de leurs déchets.

Les secteurs d’activité

Le plus ancien secteur d’activité dans lequel des membres de Ressources sont actifs est le secteur du textile. Cela a commencé par des sacs à remplir de vêtements déposés dans les boites aux lettres qu’une entreprise venait chercher une semaine plus tard, système abandonné pas la suite parce que trop couteux et remplacé par les bulles à vêtement que nous connaissons actuellement. Une autre formule est le dépôt de sacs de vêtements directement dans certains magasins.

Un autre secteur d’activité est celui des D3E : les déchets d’équipement électriques et électroniques. Ce secteur travaille en collaboration avec Récupel, qui perçoit une taxe sur tous les électroménagers en échange de l’organisation de la collecte sur tout le territoire belge, du regroupement par type d’objet et de leur traitement. Pour ce faire, Récupel passe des contrats avec des collecteurs et des recycleurs. Un autre secteur d’activité concerne les encombrants : le mobilier, les petits objets de toutes sortes, les matériaux de construction…

Pour la réutilisation, il importe de récupérer les objets en bon état, c’est ce qu’on appelle la collecte préservante : les biens sont manipulés pour garder leur potentiel de réutilisation, contrairement aux dépôts dans des parcs à conteneurs par exemple, où les objets sont jetés pêle-mêle dans des conteneurs et s’abiment fortement. On distingue également la collecte écrémante et la collecte globale, la collecte écrémante est celle qu’on fait dans un magasin de vêtements de seconde main par exemple, où la vendeuse fait le tri entre ce qu’elle pense pouvoir vendre et qu’elle conserve et ce qu’elle ne vendra pas et qu’elle remet au donneur. La collecte globale est celle à la bulle où sont déposés autant des vêtements mettables que d’autres que personne ne mettra jamais plus. Le pourcentage de réutilisation est beaucoup plus élevé dans le premier type de collecte que dans le second. En Wallonie, ces deux types de collecte sont pratiqués pour les encombrants alors que, à Bruxelles, il n’existe presque que des collectes écrémantes.

Les plus-values de la fédération

L’un des rôles de la plateforme Ressources est d’être l’interface entre les pouvoirs publics, ici régionaux, et les associations membres. Par ailleurs, elle permet de faire se rencontrer ces différentes associations afin qu’elles puissent échanger leurs pratiques et leurs savoir-faire et réfléchir ensemble aux problèmes qu’elles rencontrent. Ressources permet également de développer la communication autour des produits des entreprises d’économie sociale et d’améliorer leur visibilité. Ainsi l’asbl Ressources a développé trois labels : le label Solid’R qui certifie qu’il s’agit d’une entreprise éthique. Il existe en effet des opérateurs privés au nom à consonance solidaire tel que Curitas, qui pourtant sont des entreprises tout à fait classiques sans finalité sociale, les vêtements sont par exemple triés par des machines plutôt que par des personnes en insertion. Le label permet à celui qui dépose ses vêtements de vérifier qu’il n’est pas abusé par un nom ambigu. Un second label mis en place par Ressource est le label electro-REV, label de qualité mis en place pour les électroménagers pour garantir qu’ils ont bien été révisés et possèdent une garantie de six mois après l’achat. Et enfin le label Rec’Up est un ensemble de 120 normes pour aider les magasins à avoir une démarche plus agréable comme, par exemple, assurer que les rayons, la personne responsable du magasin et les prix soient clairement identifiables. L’objectif est également que les magasins d’économie sociale ne soient pas des ghettos pour personnes défavorisées mais attirent également d’autres publics.

L’économie sociale actrice de transition

Nous sommes aujourd’hui dans une logique de croissance économique qui exige que l’on produise toujours plus pour faire tourner la machine économique. Cette course à la production occasionne des ponctions abusives sur les ressources et produit énormément de déchets. L’obsolescence programmée est l’exacerbation de ce phénomène. Les biens sont conçus pour tomber en panne et surtout être remplacés plutôt que d’être réparés, les pièces sont moulées les unes aux autres ce qui empêche de les retirer, et ce afin d’entretenir la consommation et donc la production. Les parcs à conteneurs sont pleins de lave-linges qui ont tout juste passé leurs deux ans de garantie. Les modes participent également à cette obsolescence : des vêtements sont encore en très bon état mais semblent immettables parce que passés de mode.

On pourrait penser que l’économie sociale vit de cette logique de la croissance puisqu’elle prospère sur les déchets qui, s’ils étaient réduits, diminueraient leur fonds de commerce. Les gisements de déchets sont la source des activités des membres de Ressources depuis des années, peut-on dès lors parler de transition ?

Cela dit, les actions en matière de recyclage, de réutilisation et de revalorisation rompent avec un modèle classique linéaire où l’on prélève des matières pour produire des biens qui sont consommés et puis deviennent des déchets. Le modèle ici est circulaire : on utilise des matériaux pour produire des biens qu’on essaye de faire durer en les gardant le plus longtemps possible d’abord, puis en les réemployant : les chaises que l’on veut changer et que l’on revend dans un magasin de seconde main à quelqu’un qui les réutilisera comme chaises. Ensuite vient le recyclage, où le bien est détruit mais la matière est reprise pour produire un autre bien. Le matériel vierge est donc remplacé par des matériaux recyclés. Pour aller plus loin dans cette logique de réduction des déchets et lutter contre l’obsolescence programmée, on pourrait également imaginer une économie qui repose non sur l’objet mais sur sa fonction : on achèterait non l’objet mais le service qu’il permet. Par exemple, plutôt que d’acheter un lave-linge, j’achèterais l’utilisation du lave-linge pendant, mettons 10 ans. L’entreprise qui l’a vendu aura alors intérêt à ce que ce lave-linge ne doive pas être remplacé tous les deux ans mais au contraire dure le plus longtemps possible.

En plus de réduire l’exploitation des ressources et les déchets, ces types d’économie ont l’avantage de requérir une main d’œuvre non délocalisable. Ainsi, si l’on considère l’ensemble des membres de l’asbl Ressources, cela représente près des 1.000 emplois équivalents temps plein ainsi qu’une centaine de personnes engagées sous article 60[21], sans compter les nombreux bénévoles, pour qui les entreprises d’économie sociale sont des lieux d’engagement et/ou de socialisation, et les stagiaires, les personnes qui viennent prester quelques heures en échange de l’hébergement comme chez les Petits Riens… et ces chiffres ont une légère tendance à la hausse.

Les avantages sont donc autant sociaux qu’environnementaux. Malheureusement, il existe des obstacles au développement de l’économie circulaire. Tout d’abord, la création d’emplois est freinée par une fiscalité inadaptée qui repose essentiellement sur le travail. Si une partie de cette imposition était reportée sur les écotaxes par exemple, l’allègement de la fiscalité sur le travail permettrait de générer de l’emploi local. Ces écotaxes provoquent des levées de boucliers chez ceux qui en pâtiraient, mais ceux qui en bénéficieraient n’en perçoivent pas toujours directement les bénéfices et donc se mobilisent moins pour les encourager. Un autre obstacle est le découpage institutionnel de la Belgique. Par exemple, les normes sur les produits qui pourraient réglementer l’obsolescence programmée doivent être prises au niveau fédéral, mais la politique des déchets est une matière régionale : le problème se pose à un niveau mais la solution se trouve à un autre. Il faudrait pouvoir mieux coordonner les politiques et pouvoir les penser de façon transversale. Quant au niveau européen, la logique est celle du marché qui repose sur des principes de concurrence, ce qui constitue un obstacle de taille aux mesures adéquates. Par exemple, la TVA pour les produits vendus par les entreprises d’économie sociale qui font de la réutilisation est de 6%, ce qui permet de vendre le bien moins cher que dans l’économie classique où la TVA est de 21% et donc d’encourager l’économie sociale et la réutilisation, mais l’Union européenne considère que cette différence est une distorsion de la concurrence et exige donc que tous les produits soient ramenés à une TVA de 21%. Tout subside de l’Etat est également considéré comme une potentielle distorsion à la concurrence et est contrôlé par un suivi administratif très lourd.

C’est du côté des citoyens que les entreprises d’économie sociale peuvent trouver leur appui, ceux-ci ont confiance en elles et sont heureux de pouvoir y contribuer en se délestant de leurs déchets et de lutter ainsi contre le gaspillage. D’autres initiatives citoyennes naissent en parallèle à l’économie sociale, traduisant un changement de mentalité et de logique.

Consommation : conclusion et ouverture

Nous vivons aujourd’hui l’ère de la consommation de masse. Cette consommation massive pose des problèmes en termes de ponction sur les ressources notamment énergétiques. Elle est également très polluante tant au niveau de la production que de l’acheminement et de la gestion des déchets. Face à ce constat, nous nous sommes intéressés à deux initiatives qui proposent des alternatives à ce modèle : les initiatives de consommation responsable qui promeuvent une consommation plus juste et plus respectueuse de l’environnement et les entreprises d’économie sociale actives dans la gestion des déchets. L’une et l’autre permettent globalement de diminuer la consommation grâce à la réduction du gaspillage, à la réutilisation, la réparation… et permettent donc une moindre ponction sur les ressources. L’une et l’autre mettent l’humain au centre du projet : c’est la relation, la convivialité, la solidarité, le don qui priment plutôt que la recherche du profit, le tout marchand, la dictature de la performance… Par ces aspects, elles rompent toutes deux avec les logiques de production et de consommation dominantes non soutenables. En ce qui concerne l’aspect inclusif, il n’est pas intégré de la même manière par les deux types d’initiative. Voyons ce qu’il en est ainsi que les perspectives que le débat a ouvertes.

La dynamique des entreprises d’économie sociale est intrinsèquement inclusive puisque l’objectif qu’une partie d’entre elles se donnent est précisément la formation et l’insertion socio-professionnelle des personnes éloignées du marché de l’emploi. Ces personnes souvent précarisées et marginalisées cumulent une série de difficultés qui les rendent peu attractives aux yeux des employeurs classiques car elles risquent d’influer sur la productivité de ce travailleur potentiel. Au contraire, les entreprises d’économie sociale contribuent à résoudre ces difficultés en donnant la possibilité aux personnes d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation et donc de développer leurs compétences, de développer une sociabilité professionnelle, d’améliorer l’estime de soi, de participer à un projet social… Notons que cela vaut aussi pour les entreprises d’économie sociale qui ne sont pas d’insertion professionnelle ou de formation, mais qui travaillent avec des bénévoles, par exemple les magasins dont les bénéfices financent des projets solidaires. Ces entreprises offrent à ces bénévoles aux profils très variés, un lieu de socialisation qui leur permet ainsi de lutter contre l’isolement et de prendre part à un projet social. La plus-value pour les participants à l’économie sociale n’étant pas principalement monétaire mais humaine. L’utilité sociale et écologique de ces secteurs économiques devrait amener les pouvoirs publics à utiliser tous les outils à leur disposition pour stimuler ces initiatives. Nous pensons par exemple à un soutien financier en fonction de la reconnaissance de la dimension sociale, à une fiscalité adaptée…

En ce qui concerne les initiatives de consommation responsable, elles sont souvent le fait d’une frange de la population ayant un capital culturel, économique voire social important et sont bien moins présentes au sein des franges de la population moins favorisées. Est-ce par manque d’intérêt ou par manque de possibilité ? Raphaëlle Wiliquet, travailleuse en insertion sociale, témoigne du peu d’écho de ces initiatives parmi le public des CPAS malgré leur effort pour les introduire. Elle constate une très faible sensibilisation aux questions écologiques, une difficulté à concevoir des enjeux qui semblent lointains, qui ne concernent pas directement les préoccupations quotidiennes. Pour certaines initiatives telles que les Groupes d’Achat Commun, il y a également un blocage économique : le frein le plus important étant le coût. Il y a dans cette différence de participation aux initiatives de consommation un fossé culturel, économique voire cognitif, qui est un fossé de classe sociale, si bien que ces initiatives participent, bien malgré elles, à la reproduction des inégalités sociales.

L’homogénéité au sein des initiatives de transition peut être expliquée par le fait que le développement de ces initiatives se fasse de proche en proche, de bouche à oreille, restant ainsi au sein de mêmes groupes socio-culturels. La participation à ces initiatives nécessite également de maitriser certains codes sociaux, notamment ceux qui sous-tendent l’autogestion, codes qui sont surtout ceux des groupes sociaux d’où ont émergé ces initiatives et sont moins maitrisés par les autres groupes socio-culturels. Il faut également reconnaitre que c’est l’homogénéité qui forme le ciment des groupes : une initiative spontanée et autogérée parvient à se développer et se maintenir notamment parce que les membres ont a priori et souvent implicitement un background socio-culturel, des codes communs. Notons cependant que pour certaines initiatives, l’homogénéité est moindre. C’est le cas, par exemple, des potagers collectifs dans lesquels se retrouvent assez bien des personnes issues de l’immigration originaire de milieux ruraux ou encore tous les systèmes d’échange de service, de savoir… proches des systèmes que les personnes en situation de précarité mettent en place pour pallier à leur manque de ressources financières.

Renforcer la capacité à développer des initiatives, donner la possibilité aux personnes de faire des choix d’actions dans leur vie ou, dit autrement, mettre en place les conditions pour une émancipation sociale des individus est précisément l’objectif des projets d’insertion sociale. Ces initiatives sont en effet, pour les personnes qui y participent, des vecteurs de liens sociaux, elles permettent entre autres de développer la capacité d’agir collectivement pour améliorer leurs conditions de vie. Elles permettent également de consommer en dehors d’un système de consommation dominant, particulièrement brutal pour les personnes précarisées, même si celui-ci n’est pas toujours perçu comme tel. Certaines initiatives permettent également de se débrouiller autrement, avec moins de moyens financiers. Et pour reprendre les propos du RCR, « en donnant aux gens la possibilité de jouer un rôle actif (et à cette condition), on contribue au développement de l’individu et de sa dignité, de son estime de soi mais aussi à sa formation politique et organisationnelle ».

L’idée n’est évidemment pas d’exiger une intégration à de telles initiatives comme on exige aujourd’hui que les personnes s’intègrent au marché de l’emploi, mais de leur donner la possibilité de s’y intégrer en réduisant les écarts culturel, social et économique qui paraissent aujourd’hui être des freins à la participation. L’absence de mixité sociale dans la société en général rend difficile la possibilité de faire des ponts entre les deux milieux. Cependant, les promoteurs des initiatives de consommation responsable souhaitent que leur démarche puisse également être accessible à des publics précarisés. Par ailleurs, comme en témoigne Raphaëlle Wiliquet, les initiatives font sens pour les agents d’insertion, qui peuvent d’ailleurs présenter le même genre de profil socio-culturel que les participants aux initiatives de transition et qui ont en outre une expérience de travail avec les personnes en situation de précarité. Ils pourraient dès lors constituer un pont entre les deux milieux. Il s’agirait alors, entre autres, de développer une pédagogie adaptée pour permettre une prise de conscience des enjeux écologiques et sociaux qui amènent à se tourner vers de telles initiatives et de développer des systèmes d’organisation qui répondent aux contraintes des personnes en situation de précarité et un fonctionnement en accord avec leurs codes socio-culturels. Pour ce faire on pourrait également s’inspirer et s’appuyer sur des initiatives dont les principes et les fonctionnements sont plus familiers aux publics visés. C’est sans doute en partant de ce qui existe, dans les exemples pratiques, que l’on trouvera les meilleures voies d’action.

IV. MOBILITÉ ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Aménager le territoire pour réussir la transition énergétique[22]

Dépenses énergétiques et inégalités. Quelques constats…

Si l’on considère la part des dépenses énergétiques dans le budget des ménages, on remarque que plus on est riche plus on consomme d’énergie. Cette consommation plus élevée pèse cependant moins sur le budget des ménages plus aisés que sur celui des ménages aux revenus plus faibles. En effet, alors que les 10% des ménages les plus riches consacrent 3% de leur budget aux dépenses énergétiques, carburants non inclus, les 10% des ménages les plus pauvres y consacrent 15%, ce qui représente une part importante lorsque l’on considère qu’il faut y ajouter le loyer de la maison qui pour ces 10% des ménages les plus pauvres représente 40 à 50% du budget et qu’une fois cela payé, il faut encore s’habiller, se nourrir… Il arrive que les ménages ne sachant pas tout payer doivent réaliser des arbitrages entre ces différents postes : payer sa facture de chauffage ou mettre de l’essence dans sa voiture, se nourrir ou se déplacer… Et la situation va en se dégradant : en effet la part des dépenses énergétiques dans le budget des ménages belges augmente et ce, quels que soient leurs revenus, comme le montre le graphique[23] ci-dessous.
 


Dépenses consacrées à l’énergie (pour le logement) en % des revenus moyens par décile de revenus en 1999 et 2009 en Belgique Source : SPF Economie – DG Statistiques, Enquête sur le budget des ménages 1999-2009 et calcule Etude ULB et UA « La précarité énergétique en Belgique ».

La plus grande différence en termes d’accès à l’énergie concerne les carburants. En effet, comme le montre une enquête de 2012 sur le budget des ménages, alors que les 25% des ménages les plus pauvres dépensent en moyenne un peu moins de 600 euros de carburants par an, les 25% des ménages les plus riches dépensent en moyenne un peu plus de 1800 euros. Malgré cela les dépenses en énergie pèsent moins sur leur budget. Nous sommes donc ici face à d’importantes inégalités en termes de mobilité.

D’un point de vue de répartition territoriale, si l’on pose la question de la vulnérabilité à l’augmentation du prix de l’énergie en Wallonie en considérant la part du revenu des ménages allouée aux déplacements domicile-travail et au chauffage, on obtient la carte suivante :
 

Sur cette carte, les zones desservies par le train et celles qui ne le sont pas sont assez marquées. On y perçoit par exemple assez bien l’axe de chemin de fer Namur/Arlon. Y apparait également une zone plus vulnérable dans l’ouest de la province de Liège et l’est du Brabant Wallon. C’est la zone où les jeunes ménages qui travaillent à Bruxelles emménagent parce que les terrains coûtent moins cher que dans la proche périphérie bruxelloise. Ces ménages s’endettent, n’ont souvent pas les moyens d’isoler correctement leur maison et possèdent souvent deux voitures, ils sont donc particulièrement vulnérables à l’augmentation du prix de l’énergie. Par ailleurs, certaines zones, bien que rurales, sont moins vulnérables que cette zone du « Far-East » bruxellois, parce que les populations qui y vivent travaillent généralement plus près de leur domicile.

D’autre part, il est assez frappant d’observer le contraste en terme de distance domicile-travail entre la Wallonie et la Flandre, comme le montre la carte ci-dessous :
 

Si les Wallons ont tendance à utiliser bien plus d’énergie par trajet domicile-travail que les Flamands, ce n’est pas parce qu’ils prennent moins le train pour aller travailler mais parce que il y a, dans le nord du pays, un tissu d’entreprises développé sur l’ensemble du territoire ce qui permet aux Flamands de travailler près de chez eux. La carte ci-dessus traduit également les bassins d’emploi de notre pays. Notons également que chômage et absence de déplacement ne sont pas forcément liés : Herstal qui possède l’un des plus grands zonings de Belgique a un taux de chômage de 25%. De même on constate également une moyenne de dépenses énergétiques plus élevée à la côte, due au fait que certains Belges souhaitent habiter près de la mer mais vont travailler ailleurs. Notons également qu’il existe des zones en Wallonie qui, bien que très rurales, ont une moyenne basse par trajet domicile-travail. Cela s’explique par le fait que les habitants de ces régions travaillent près de chez eux, dans des bassins d’emplois plus petits.

En ce qui concerne les transports domicile-école, la consommation d’énergie est plus faible que pour les déplacements domicile-travail et ce parce que les distances sont plus courtes grâce à une mixité des logements et des écoles sur le territoire. Cela est d’autant plus vrai pour les écoles primaires qui sont réparties sur tout le territoire wallon, alors que les écoles secondaires sont le plus souvent centralisées dans les pôles urbains, de même que les écoles supérieures. Par ailleurs, la consommation est moindre car la part modale de la voiture est plus faible, les enfants et les adolescents vont à l’école autrement qu’en voiture.

En ce qui concerne le logement, 70% de la consommation d’énergie est utilisée pour le chauffage. Ici également on constate une disparité entre zones rurales et zones urbaines, puisque les appartements et maisons mitoyennes moins consommateurs d’énergie sont plus répandus en ville que dans les campagnes plutôt caractérisées par des maisons quatre façades.

Enseignement

Nous sommes donc face à une double inégalité : l’inégalité en termes d’accès à l’énergie où les ménages qui ont les revenus les plus faibles consomment moins d’énergie bien que celle-ci monopolise une part plus importante de leur budget que les ménages plus aisés qui consomment plus d’énergie mais pour qui celle-ci pèse moins sur leur budget. Cette différence de consommation est particulièrement exacerbée dans le cas du carburant, ce qui entraine des disparités en termes de mobilité. Une inégalité spatiale également puisque les personnes qui vivent dans des communes rurales plus éloignées des pôles d’emplois, plus loin des transports en commun, consomment plus d’énergie pour se déplacer et sont donc plus vulnérables à une augmentation de son prix. Et ce d’autant plus s’ils vivent dans un logement mal isolé. Cette augmentation du prix de l’énergie est loin d’être de la science-fiction car, comme on l’a vu, entre 1999 et 2009, la part de l’énergie a augmenté dans les dépenses des ménages, quels que soient leurs revenus. Il devient donc urgent de prendre à bras le corps ces disparités d’accès à l’énergie en général et les disparités territoriales en particulier afin d’éviter que de plus en plus de ménages ne soient dans une situation problématique.

Pour Julien Vandeburie, le premier problème à la source de cette vulnérabilité à la hausse du prix de l’énergie est l’étalement urbain monofonctionnel. En Wallonie, les logements sont dispersés sur tout le territoire alors que les emplois restent globalement très concentrés. En plus de poser des problèmes en termes de consommation d’énergie, d’émission de gaz à effets de serre, d’altération du paysage… l’étalement urbain crée une ségrégation spatiale entre ceux qui ont les moyens d’habiter des zones aérées, les banlieues urbaines généralement réservées à une population aisée et ceux qui vivent dans des zones d’habitat dense. Par ailleurs l’étalement urbain coûte cher à la collectivité en termes d’aménagement et d’entretien des réseaux et des routes. L’ensemble de ces éléments rend l’étalement urbain peu compatible avec les principes de développement durable.

Cet étalement a été permis par la généralisation de l’usage de la voiture. Par ailleurs, le vieillissement de la population et la taille des ménages réduits à la famille nucléaire, parfois séparée, augmente la demande de logement. Les mentalités ont également évolué, les standards de confort, l’accès à la propriété et si possible dans un environnement peu dense, sont encore le rêve de beaucoup de ménages. Les causes sont également juridiques et politiques. En effet, il y a une surabondance des disponibilités foncières juridiquement urbanisables ou terrains à bâtir.

Ce qu’il faudrait faire…

Une fois les problèmes liés à l’étalement urbain posés, la question de ce qu’il faut faire pour densifier le territoire reste entière. Que faire du bâti existant ? La ville compacte est-elle faisable ? Une ville diffuse, dont les habitants sont dépendants de la voiture individuelle peut-elle faire face à une crise énergétique majeure ? Comment faire accepter à la population un modèle de ville dense alors que la tendance aujourd’hui est plutôt de souhaiter vivre dans un environnement plus aéré ? Par ailleurs, les aménagements futurs restent dépendants des infrastructures déjà existantes telles que les logements, les écoles, les hôpitaux, les réseaux de transports… On ne peut tout détruire pour tout reconstruire. Il faut donc penser une évolution des quartiers urbains existants vers un modèle plus économe en énergie, tant dans le bâtiment que dans le transport.

Si l’on considère la consommation d’énergie des ménages, les deux postes les plus lourds sur un budget sont l’isolation du bâtiment et le transport. En ce qui concerne le logement, selon une étude de 2009 de Mc Kinsey, la consommation énergétique en Belgique dans le résidentiel est 72% plus élevée que dans le reste de l’Europe. Par ailleurs, le bâti wallon est un bâti assez vieux dont les qualités d’isolation sont insuffisantes. En matière de rénovation énergétique dans le bâtiment, il y a donc un potentiel important de réduction de la consommation grâce à des techniques déjà existantes. Cependant cette rénovation demande un investissement que les ménages sont loin d’être tous capables de supporter, même si cette rénovation est rentable par la suite. Par ailleurs, si la rénovation en vue de l’efficience énergétique des bâtiments est un premier pas, elle ne remet pas en cause les fondements de la vulnérabilité énergétique que sont nos modèles d’aménagement urbain, ni ne règle le problème de la consommation d’énergie pour le transport. Or la localisation des quartiers induit fortement cette consommation de transport.

Un pas plus loin serait la densification des quartiers, en favorisant les maisons mitoyennes, voire les habitats groupés. Cela permettrait une utilisation plus rationnelle du sol et des réseaux  d’évacuation des eaux usées, d’approvisionnement en gaz… et des économies d’énergie. De cette façon, si on applique les standards de performance énergétique, il serait possible de diminuer d’un tiers la consommation par mètre carré par an. Par contre, en densifiant les habitations, voire en mettant en place des habitats groupés avec les logements mitoyens et des pièces communes il serait possible de diminuer de 2/3 la consommation d’énergie par an par m² par rapport à la situation actuelle. Il y a un énorme potentiel de gisements fonciers qui permettrait cette densification. En effet, 350.000 nouveaux logements pourraient être développés à l’horizon 2040 dont 280.000 dans des territoires centraux. La densification des quartiers a également l’avantage de rendre plus aisée une mixité du territoire, puisque des quartiers denses permettent de faire vivre des commerces de proximité. De façon générale, pour limiter les transports et donc les émissions de gaz à effets de serre, il faudrait privilégier les modèles où l’activité économique se trouve dans les centres villes, ce qui est sans doute plus aisé pour les anciennes villes industrielles où il existe des zones en friches qui pourraient être réhabilitées en bureaux par exemple.

En ce qui concerne les transports, rappelons que la marche et le vélo ne consomment que l’énergie de celui qui les pratique, ensuite dans l’ordre d’importance de consommation vient le train, puis le bus, puis la voiture. Dans cette perspective, notons que le bus a un taux de remplissage assez faible. En effet, il peut circuler dans des zones peu habitées, en dehors des heures de pointe, il voyage entre le dépôt et les arrêts, ce qui fait qu’en moyenne il transporte finalement peu de personnes par kilomètres parcourus alors qu’il peut consommer jusqu’à quarante litres aux 100 kilomètres. Développer l’offre de transport en commun par bus dans les zones rurales serait donc couteux et inefficace pour réduire la consommation d’énergie et réduire les gaz à effets de serre. De plus, cela nous éloignerait des vraies solutions que sont des zones d’habitation denses couplées à la rénovation énergétique et au développement de transports en commun ferrés. Remarquons également que certains considèrent la voiture électrique comme une alternative à la voiture classique à pétrole. Cependant, rappelons que les batteries de ces voitures contiennent du lithium, ressource également limitée, il n’est donc pas possible d’étendre cette solution à l’ensemble du parc automobile tel qu’il est aujourd’hui. Cependant cela reste une solution intéressante en complément à d’autres mesures telles que le co-voiturage et le développement de transports publics.

Des pistes pour mettre en place un aménagement durable du territoire

Un aménagement durable du territoire n’ira évidemment pas sans peine, il y a une inertie importante en matière de rénovation des bâtiments, le taux de pénétration des politiques de rénovation énergétique est faible malgré les incitants. En ce qui concerne la relocalisation, les quartiers déjà existants représentent bien entendu une contrainte importante. Il reste un travail important d’encadrement à faire pour permettre que les évolutions de l’aménagement du territoire aillent dans le bon sens ; il faudrait adapter les documents d’urbanisme, créer des outils d’évaluation… On pourrait également imaginer que les personnes puissent revendre une partie de leur jardin plutôt que de déménager. Par ailleurs, il reste certains freins au niveau de la fiscalité. C’est le cas par exemple des droits d’enregistrement, tellement élevés que, lorsque une personne décroche un nouvel emploi et souhaite revendre sa maison pour s’en approcher, elle inclut une partie de ces droits dans le prix de la maison qu’elle voudrait revendre, ce qui fait augmenter le prix de l’immobilier. Le fait de ne payer qu’une seule fois ces droits d’enregistrement permettrait de changer d’habitation au rythme des déménagements professionnels et éviterait de rallonger inutilement les distances entre le domicile et le travail. Le fait que l’on puisse déduire fiscalement 100% des déplacements domicile-travail n’est pas non plus un encouragement à limiter la distance entre ces deux lieux.

Par ailleurs, beaucoup aspirent toujours à vivre dans des zones peu denses et donc préfèrent qu’il n’y ait pas de normes qui contraindraient à densifier les quartiers. Le plus grand frein est sans doute ces représentations d’un mode de vie souhaitable : « ma maison (si possible quatre façades), mon jardin, ma voiture… », qui devraient évoluer si l’on veut un jour augmenter la résilience vis-à-vis de l’augmentation des prix de l’énergie et réduire les gaz à effet de serre. Il y a là tout un travail de sensibilisation à mener sur ces questions. Une possibilité serait de mettre en place des projets pilotes, qui permettraient d’identifier les problèmes qui se posent, les façons dont ils peuvent être résolus, et de se servir de réussites comme vitrine promotionnelle à la transition. Les mutations pour un aménagement durable du territoire sont de taille, l’adhésion de la population touchée par ces mutations est donc essentielle, c’est pourquoi le processus de sensibilisation et d’adhésion est crucial, d’autant plus que les enjeux de réduction des gaz à effet de serre, de la facture énergétique et des injustices sociales qui y sont liées sont capitaux.

Moins, autrement et mieux.Comment concilier mobilité et durabilité ?[24]

Contexte

L’OCDE a défini un système de mobilité durable comme « un système qui ne mette pas en danger ni la santé publique ni les écosystèmes et qui réponde aux besoins d’accessibilité tout en (a) utilisant les ressources renouvelables à un rythme inférieur à celui de leur régénération et (b) utilisant les ressources non renouvelables à un rythme inférieur à celui du développement de leurs substituts renouvelables. »[25]

Notre mode de transport repose aujourd’hui essentiellement sur la voiture. Quelques chiffres pour s’en convaincre : on compte en Belgique plus de cinq millions de voitures particulières, à savoir une voiture pour deux habitants ; 65% des déplacements sont réalisés en voiture, dont 22% font moins de 5 km ; ensemble les Belges parcourent 5.240 fois le tour de la Terre en voiture chaque jour et plus de 70% de l’espace public est consacré à la voiture (voirie, parking…). Autrement dit, la voiture a une place dominante dans notre société. En d’autres termes, ses systèmes de mobilité largement basés sur le transport routier (voiture individuelle mais aussi camion) « ne sont pas durables à long terme sur le plan environnemental – ni, par voie de conséquence, sur les plans social et économique. »[26]

Les constats

Economie – budget       

Actuellement, le secteur des transports dépend à 98% d’une seule ressource énergétique : le pétrole. Les prix de cette ressource connaissent une tendance haussière qui s’inscrit dans le cadre d’une évolution à long terme, caractérisée par un essoufflement de l’offre énergétique associé à une croissance de la demande mondiale. En 2011, la Belgique a importé, en chiffres ronds, 24 milliards d’euros de pétrole (428 milliards pour l’Union européenne).

La collectivité doit prendre en charge une série de coûts externes, non payés par les automobilistes : ces coûts sont associés aux impacts négatifs des véhicules (bruit, accidents, pollution) ou à la mise à disposition des infrastructures ; ils équivalent à environ 7,3 % du PIB au niveau européen. Par ailleurs, la congestion des réseaux d’infrastructures est telle que le temps de production perdu dans les embouteillages représente environ 0,7 % du PIB au niveau européen.

Le manque à gagner de l’Etat imputable aux dispositions fiscales favorables aux voitures de société (principalement relatives aux cotisations ONSS employeurs et employés et au calcul de l’avantage en nature), quoique très difficile à appréhender, peut être estimé à trois à quatre milliards d’euros par an. Considérant que ce sont majoritairement des employés dont les revenus appartiennent aux tranches les plus élevées qui se voient octroyer des voitures de société, on pourrait résumer la situation en disant qu’une majorité de citoyens de condition modeste paie pour les voitures de société d’une minorité plus riche… Outre cette singularité sociale, le manque à gagner de l’Etat impacte directement les politiques que celui-ci peut – ou plus exactement ne peut pas – mener, notamment en matière de promotion d’une mobilité durable et, plus particulièrement, de transport en commun.

Environnement

Les incidences environnementales non soutenables de nos pratiques de mobilité sont nombreuses : impacts des infrastructures sur les milieux naturels, déchets, déplétion des ressources naturelles et émissions de gaz à effet de serre. En effet, en Belgique, en 1990, le secteur des transports était responsable, hors émissions associées aux transports maritimes et aériens internationaux (communément appelées « soutes » ou « bunker fuels »), de 20,1 MtCO2[27] (17,2% des émissions totales du pays hors bunker fuels) et, en 2011, de 26,8 MtCO2 (26,0% des émissions totales). Dans un contexte international de volonté − manifestée par les pays ayant ratifié le protocole de Kyoto – de maîtrise des émissions de GES, cette augmentation de 33,2% s’inscrit à contre-courant des évolutions des autres secteurs : les émissions globales de la Belgique ont, hors bunker fuels, diminué de 12,0% sur la même période. Les bunkers fuels belges sont particulièrement importants : 4,3 MtCO2 pour l’aérien et 25,3 MtCO2 pour le maritime en 2011, en augmentation de 37,4% et 90,0% respectivement par rapport à 1990.

La Commission européenne a fixé, pour le secteur des transports, l’objectif de réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990[28], ce qui équivaut à une réduction de 70% par rapport à 2010.

Ressources

En termes d’utilisation de ressources énergétiques et non-énergétiques, les réponses apportées jusqu’à présent à la dépendance au pétrole ne sont pas sans ambiguïté. L’utilisation croissante d’agrocarburants induit une pression démesurée sur les terres cultivables et la production alimentaire, en Europe, mais aussi dans les pays du Sud. La voiture électrique nécessite une quantité importante de lithium. Ces éléments critiques que l’Europe ne produit pas sont devenus en quelques années un enjeu géopolitique de premier plan. Le risque est donc réel de remplacer la dépendance aux énergies fossiles par d’autres dont les conséquences sont tout aussi préoccupantes sur les plans économique, social et environnemental.

Social

L’avènement de la société industrielle, la diffusion de l’automobile, puis le développement des transports à grande vitesse ont contribué à renforcer les différenciations sociales[29], qui s’organisent peu à peu autour d’une maîtrise des distances-temps. A côté de cette différenciation par la mobilité rapide, une véritable « idéologie mobilitaire »[30] se construit peu à peu, dictature du temps plein et utile. Aujourd’hui, celle-ci domine tous les secteurs de la vie sociale. En termes de transport, on constate qu’entre les années 1970 et 2010, le nombre de kilomètres réalisés pour transporter un voyageur a augmenté aussi bien dans les transports ferrés que dans les transports routiers collectifs et individuels, et, c’est dans ces derniers que l’augmentation est la plus significative. En d’autres termes, si les Belges empruntent plus les transports en commun, ils parcourent également plus de kilomètres en voiture.

Pourtant la capacité – physique, cognitive et financière – à être mobile n’est pas distribuée de manière égale dans la population. Cet état de fait, accentué par cette pression au mouvement, aboutit à une véritable discrimination sociale par la mobilité. Les femmes, le plus souvent « maîtres du temps domestique »[31], qui coordonnent les temps familiaux et prennent bien souvent en charge les déplacements avec enfants, en sont les premières victimes, alors que, parallèlement, elles fréquentent davantage les transports publics. L’accès au marché du travail, aux services de base, à la culture ou aux loisirs est en outre encore trop souvent dépendant de la possession d’une automobile.

Alors qu’elles bougent moins, les catégories sociales économiquement défavorisées, par leur implantation résidentielle, sont aussi davantage exposées aux nuisances du trafic routier (polluants locaux, bruit, accidents, stress, etc.) et cumulent risques pour la santé et dégradation de la qualité de vie. En outre, les infrastructures lourdes de transport peuvent induire des phénomènes de ghettoïsation par la coupure urbaine qu’elles provoquent. Dans les zones rurales[32], où le foncier est souvent meilleur marché, la dépendance au pétrole dans le secteur des transports (qui représente près de 60% de la consommation des produits pétroliers en Wallonie) aboutit à une vulnérabilité des classes sociales moins nanties au pic pétrolier[33]

Santé publique

Les impacts en termes de santé publique sont le fait de quatre caractéristiques du transport motorisé, et a fortiori de la voiture particulière :

  • Le bruit affecte la qualité du sommeil et a des répercussions importantes sur la santé. Le bruit du trafic touche cinq fois plus de personnes que toutes les autres sources sonores cumulées. 210 millions de citoyens européens, soit 44% de la population de l’UE, sont régulièrement exposés à des niveaux de bruit routier supérieurs à 55 dB. 50.000 décès[34] et près de 250.000 malaises cardiaques annuels sont imputables au bruit du trafic en Europe. Le Tableau de bord de l’environnement en Wallonie 2010 rapporte que, dans l’enquête fédérale de santé effectuée en 2004, 10% des ménages wallons se déclaraient gênés par le bruit du trafic routier à leur domicile, faisant de ce facteur la première nuisance environnementale rapportée par la population.
  • La pollution de l’air provient principalement de la combustion des carburants. Cette combustion émet différents polluants locaux nocifs pour la santé : monoxyde de carbone (CO), hydrocarbures (HC), oxydes d’azote (NOX) et particules fines (PM). Ils altèrent principalement les fonctions respiratoires, mais certains composés produisent d’autres actions, notamment cancérigènes.
  • L’obésité : la sédentarité et l’absence d’exercice physique dues aux modes de transport dits « non actifs » (à l’inverse du vélo ou de la marche à pied) participent à l’augmentation des phénomènes d’obésité, dont l’incidence en termes de santé publique n’est plus à démontrer. D’après l’OMS, l’obésité et la surcharge pondérale chez l’adulte représentent environ 6% des dépenses totales de santé au niveau européen. La Commission européenne a d’ailleurs proposé une série de mesures relatives au transport dans sa lutte contre l’obésité[35].
  • Les accidents de roulage : la voiture particulière reste le mode de déplacement qui fait le plus de victimes (par rapport à d’autres transports motorisés comme le bus ou le car) et qui provoque des victimes auprès des autres usagers de la route (cyclistes et piétons). Selon l’analyse statistique de l’IBSR, 61.220 personnes ont été blessées dans un accident de la route en Belgique en 2010 dont 840 sont décédées des suites de leurs blessures.

Aménagement du territoire et urbanisme

Enfin, la mobilité ne peut être envisagée qu’en lien avec l’aménagement du territoire. D’une part, les infrastructures de mobilité, comme les véhicules en mouvement ou en stationnement occupent un espace considérable du territoire. L’espace public en zone urbaine est ainsi alloué à près de 70% à l’automobile (circulation et parcage), réduisant de facto tant la place proposée aux autres usagers (et leur sécurité) que la possibilité d’un espace public diversifié, convivial et de qualité. A l’échelle nationale, 4% de l’ensemble du territoire belge sont occupés par les infrastructures routières, contre 1,5% en moyenne au niveau européen. La très forte densité de notre réseau routier provoque ainsi de nombreux dommages : consommation d’un patrimoine foncier qui pourrait être valorisé autrement (logements, services, espaces verts, espaces agricoles, etc.), morcellement des espaces naturels et atteinte à la biodiversité, mortalité de la faune, dégradations visuelles tant du paysage que du patrimoine architectural et urbanistique, effets de coupure, etc.

D’autre part, l’existence même de ces infrastructures bouleverse les équilibres démographiques et entraîne un développement de la mobilité qui s’avère intenable à terme. L’urbanisation en ruban, le long des routes, comme l’installation de résidences, de commerces ou de services en rase campagne, accroissent les besoins de mobilité et les budgets publics en la matière. Coûts d’urbanisation et d’équipement grèvent alors les finances régionales et communales. L’exode urbain de ces dernières décennies a généré une série de dépenses « cachées » associées aux infrastructures (voirie, réseaux de distribution d’eau alimentaire et d’électricité…), aux superstructures (écoles, hôpitaux, piscines, crèches, etc.) et à la desserte par des agents spécialisés (distribution du courrier, collecte des déchets, etc.).

Quelles voies de solutions vers une mobilité plus durable ?

Les six enjeux développés ci-dessus révèlent à quel point les défis sont énormes en matière de mobilité des personnes. Il est indispensable de mener une réflexion en profondeur pour redéfinir les besoins collectifs de mobilité ou, plus fondamentalement, d’accessibilité (aux biens, aux services…), réflexion préalable à la définition d’un système pouvant répondre à ces besoins de manière durable.

La transition vers un système de mobilité durable et la réponse aux incidences du système actuel nécessitent l’activation des trois grandes voies d’action que sont la réduction de la demande de mobilité (moins), les transferts vers des modes de transport les moins polluants (autrement) et l’amélioration de l’efficacité énergétique et la diminution des pollutions spécifiques des moyens de transport (mieux). Les pouvoirs publics disposent, pour ce faire, d’une panoplie d’outils relevant de la planification, des normes et réglementations, de la fiscalité, de l’information et de la sensibilisation.

Réduire la demande de mobilité et valoriser l’accessibilité

La finalité d’un transport est d’accéder (ou donner accès) aux biens, aux lieux, aux services, etc. La mobilité n’est donc pas une fin en soi, mais une demande « dérivée ».

Deux critères peuvent être utilisés pour qualifier un (système de) transport : la mobilité – mesurée par le nombre de kilomètres parcourus par unité de temps – et l’accessibilité – mesurée par le nombre de lieux, de biens, de services auxquels on peut accéder par unité de temps. C’est sur le premier critère que sont fondées toutes les politiques de transport depuis des décennies, tandis que le deuxième, que de nombreux analystes estiment plus pertinent, est généralement ignoré des décideurs.

Pourtant, en 2003, la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT) considérait que « la gestion de la demande de transport apparaît comme une activité légitime et nécessaire des gouvernements, qui incombe notamment aux ministères des transports, mais aussi à ceux des finances, de l’économie, de l’environnement, ainsi que de la politique sociale et du développement. »[36]

En 2004, le Conseil Fédéral du Développement Durable (CFDD) estimait que la gestion de la demande « doit être à la base d’une stratégie de mobilité durable, avec l’objectif de maîtriser la demande de mobilité et de rationaliser les moyens de la satisfaire, en encourageant une régulation des besoins individuels. »[37] En 2011, l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) soulignait que : « Les options techniques seules ne permettent pas d’atteindre l’objectif de la Commission européenne de 60 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre des transports en 2050. L’optimisation de la demande constituera un élément essentiel pour atteindre cet objectif. »[38]

La demande de transport doit donc être réduite. Elle concerne aussi bien les déplacements directs des citoyens en fonction de leur lieu de résidence, de leurs activités… que ceux des biens qu’ils consomment. Ces derniers peuvent être notamment réduits par la consommation de produits locaux.

En ce qui concerne le transport de personnes, la réduction de la demande doit nourrir les politiques d’aménagement du territoire, en intégrant la notion d’accessibilité, c’est-à-dire le renforcement des pôles urbains, la lutte contre la dispersion des habitats et des fonctions et le recentrage des activités autour de noyaux urbains et villageois. La diminution des déplacements passe également par le fait de favoriser une mixité de qualité partout où elle peut se concevoir : commerces, logements, services, activités de loisirs, espaces verts… devraient se côtoyer dans un périmètre qui permette de se déplacer à pied ou tout au moins à vélo. De façon générale, les politiques d’aménagement du territoire devront prendre en compte les profils de mobilité et d’accessibilité de nouveaux projets afin de convenir de la meilleure localisation.

Pour diminuer la demande, les pouvoirs publics pourront mener une politique fiscale qui décourage l’usage de la voiture : parkings payants, péages urbains comme il est pratiqué à Londres, à Stockholm ou encore à Singapour, développement de la fiscalité sur la voiture avec une taxe de mise en circulation basée sur les performances environnementales du véhicule (et non sur la puissance fiscale comme c’est le cas actuellement en Wallonie), euro vignette pour les poids lourds, taxation du kérosène… Ils pourront également mener des politiques économiques afin de diminuer les déplacements induits par la consommation en relocalisant l’économie ou encore en faisant la promotion de produits et de loisirs locaux.

Se tourner vers les modes de transport alternatifs

En ce qui concerne les transferts vers d’autres modes de transport que la voiture, dits transfert modaux, les pouvoirs publics peuvent mettre en place une panoplie de mesures incitatives qui amèneront à privilégier les transports en commun et les modes de mobilité douce (le vélo et la marche). En effet, ils pourront améliorer l’offre de transport en commun, aménager des voiries dans l’espace public, promouvoir ce mode de transport ou encore développer une fiscalité adaptée. Il existe également des mesures dissuasives au « tout à la route » telles que la taxation et les péages ou encore un aménagement qui ne facilite pas le stationnement.

En termes de transferts modaux, les zones rurales soulèvent des problématiques spécifiques. En effet, le développement des transports en commun est lourd, coûteux et peu efficient vu la faible densité de population dans ces zones. Se superposent alors aux inégalités de revenus, des inégalités géographiques entre ceux qui se trouvent près des pôles et ceux qui en sont éloignés. Dans ce contexte, se sont développées les IMRA : les initiatives de mobilité rurale alternative. Il s’agit par exemple de transport à la demande tel que l’accompagnement personnalisé pour personnes malades, les taxis sociaux, etc. ; les initiatives liées à la recherche d’emploi et à la réinsertion telles que les formations pour le permis de conduire, la location et la vente de scooter… le co-voiturage, l’auto-stop organisé, les transports collectifs de proximité, la mise en réseau…

Mieux utiliser la mobilité automobile

Enfin, se déplacer mieux, c’est utiliser des véhicules moins polluants, plus modestes. Sur ce dernier aspect il y a sans doute une action à mener au niveau des publicités qui promeuvent les voitures haut de gamme, plus polluantes. Afin d’améliorer l’efficacité énergétique on peut également développer des technologies moins polluantes (tout en ne se rendant pas dépendant, comme avec les agrocarburants, d’autres ressources telles les terres arables ou encore du lithium pour les voitures électriques) ou encore promouvoir l’éco-conduite.

Lever les freins

Si tout semble plaider pour un transfert des modes de déplacement de la voiture vers la marche, le vélo et les transports en commun et que les leviers ne manquent pas pour cette transition, il existe cependant de nombreux freins. En effet, si beaucoup sont convaincus que moins utiliser la voiture est une excellente idée, en pratique, le manque de temps, les retards des transports en commun, les dangers du vélo, le fait qu’il faille transporter des choses ou accompagner ses enfants font que cela parait compliqué… Tous ces freins aussi bien extérieurs, objectifs et rationnels qu’intérieurs, subjectifs voire irrationnels, font que la voiture continue massivement à être utilisée. Il faut prendre conscience individuellement et collectivement de ces freins, pour les dépasser et développer une socialisation positive autour de l’utilisation d’autres modes de transport que la voiture, ouvrir les champs des possibles en permettant aux différents publics de se les approprier.

Les changements spontanés sont plutôt rares à l’âge adulte, d’où l’importance de l’expérimentation des différents moyens de déplacement à l’adolescence. Le report modal a souvent lieu à l’occasion d’un changement de vie. Ces changements peuvent survenir à l’occasion d’une réflexion personnelle sur la voiture et ses impacts sur l’environnement ou grâce à une nouvelle contrainte : un déménagement, un nouveau travail… ou encore d’un élément déclencheur : la voiture qui tombe en panne, un handicap provisoire qui empêche de conduire… L’idéal est qu’ensuite le transfert modal soit durable, ce qui est possible si on ressent les bénéfices procurés : moins de stress, plaisir de faire du sport, économies…

En conclusion, le mode de transport aujourd’hui fortement centré sur la voiture est insoutenable et inéquitable. Les premières victimes de cette dominance de la voiture sont les personnes déjà fragilisées socialement. La priorité est de réduire notre dépendance à la voiture en travaillant non pas sur la mobilité mais plutôt sur l’accessibilité, en d’autres termes de ne pas privilégier la possibilité de donner plus de capacité à chacun de faire plus de kilomètres − ce qui irait à l’encontre de la nécessité de réduire les déplacements − mais plutôt de donner la possibilité à chacun, de là où il vit, d’accéder aux lieux de services, d’emplois ou encore de loisirs.

Présentation d’Inter-Environnement Wallonie

En Wallonie plus de 150 associations travaillent à la préservation de l’environnement. Essentiellement composées de bénévoles, elles défendent des choix citoyens et politiques respectueux de ce qui constitue notre patrimoine commun.

La Fédération Inter-Environnement Wallonie est l’émanation de ces associations. Depuis près de 40 ans, elle leur apporte conseils et soutien via son expertise, son service juridique, des formations thématiques, des supports de communication…

Elle initie par ailleurs une dynamique qui suscite le débat parmi ses membres et permet l’émergence de positions communes.

Ancrée dans le local, IEW inscrit ses luttes dans l’ensemble des défis environnementaux globaux auxquels la société est confrontée.

La Fédération se bat pour un développement durable et lutte contre les atteintes à l’environnement, que ce soit à l’échelon local, régional, fédéral, voire européen. Son action vise à faire intégrer l’environnement dans toutes les politiques sectorielles, à côté des dimensions sociale, économique et culturelle, notamment en faisant en sorte que l’environnement soit davantage inclus dans les textes légaux et les choix politiques.

La Fédération est indépendante de toute organisation politique, philosophique et religieuse.

Mobilité et aménagement du territoire : conclusion et ouverture                                              

Ce chapitre a mis en lumière le lien étroit entre aménagement du territoire et mobilité : un étalement urbain amène une augmentation des besoins de mobilité qui vont souvent de pair avec une grande dépendance à la voiture. Ce chapitre nous a également permis de mettre en avant une double inégalité en termes de mobilité. D’une part, l’inégalité en termes d’accès à l’énergie : les ménages qui ont les revenus les plus faibles consomment moins d’énergie bien que leur facture énergétique monopolise une part plus importante de leur budget, alors que pour les ménages plus aisés qui consomment plus d’énergie, cette facture énergétique pèse moins sur leur budget. Cette différence de consommation est particulièrement exacerbée dans le cas du carburant, ce qui entraine des disparités en termes de mobilité. D’autre part, une inégalité spatiale puisque les personnes qui vivent dans des communes rurales plus éloignées des pôles d’emplois, de loisir, d’achat, plus loin des transports en commun et donc plus dépendantes de la voiture, consomment plus d’énergie pour se déplacer et sont donc plus vulnérables à une augmentation de son prix. Pour les personnes à faibles revenus qui vivent dans des zones rurales, ces deux vulnérabilités se cumulent. En milieu rural, voire péri-urbain, l’éloignement de l’emploi, les pertes de revenus liés au chômage ou encore les situations mono-parentales créent des difficultés de mobilité et peuvent conduire à des arbitrages entre les différents postes du budget du ménage.

Apparait une différenciation sociale dans la maitrise de la distance-temps : une partie de la population qui possède plus de moyens est capable de se déplacer vite et loin alors qu’une autre est contrainte à l’immobilisme. Ceci est d’autant plus discriminant que nous sommes aujourd’hui dans une société de l’hyper mobilité. De plus, alors qu’elles bougent moins, les catégories sociales économiquement défavorisées, par leur implantation résidentielle, sont aussi davantage exposées aux nuisances du trafic routier (polluants locaux, bruit, accidents, stress, etc.) et cumulent risques pour la santé et dégradation de la qualité de vie.

Au cœur de la problématique de la mobilité, on trouve la voiture. Sa généralisation a permis un étalement des habitations qui rend aujourd’hui les habitants éloignés des pôles urbains souvent très dépendants à son égard. Or son utilisation, comme nous l’avons vu, a de nombreux effets négatifs et surtout, au regard du poids du carburant sur le budget des ménages, elle rend extrêmement vulnérables aux augmentations de prix du carburant les personnes qui en dépendent pour leur déplacement et qui disposent d’un budget déjà serré. Avec une augmentation du prix de l’énergie, de plus en plus de personnes sont susceptibles de connaitre ces difficultés, c’est pourquoi il est urgent de prendre à bras le corps la question de la mobilité et celle de l’aménagement du territoire qui lui est liée.

Réduire la dépendance à la voiture est l’un des leviers cruciaux pour réduire cette vulnérabilité. Dans cette perspective, les trois mots clés mis avant sont 1) moins : réduire la demande de mobilité ; 2) autrement : utiliser des modes de transport moins polluants ; et 3) mieux : améliorer l’efficacité énergétique et diminuer les pollutions spécifiques des moyens de transport. Les trois étant décroissants par ordre d’importance, des politiques d’aménagement du territoire, aussi bien incitatives que dissuasives, qui auraient pour principes d’inverser la tendance à l’étalement urbain monofonctionnel qui s’est développé depuis maintenant plusieurs décennies, sont essentielles. Les incitants fiscaux sont des leviers importants pour inverser cette tendance.

L’objectif serait de rapprocher les zones de logements, de travail, de loisir, des services…, en travaillant sur une plus grande mixité du territoire, plutôt que de donner à ceux qui en sont peu ou prou privés, la possibilité de bouger plus. En effet, la mobilité ne doit pas être appréhendée comme une fin en soi, l’augmenter risquerait d’ailleurs d’augmenter certaines difficultés ou certaines nuisances qui lui sont liées − même si cette mobilité se fait par d’autres moyens que la voiture. Il s’agit d’augmenter ce qu’elle permet : l’accessibilité aux différentes sphères d’activités. Il serait possible dès lors de passer de l’une à l’autre de ces zones grâce à des moyens de déplacement les plus doux possibles. En réduisant les distances, on réduirait les inégalités liées à la maitrise distance-temps dès lors qu’il ne faudrait plus se déplacer loin pour accéder aux différents lieux d’existence.

Cette densification ne se fera pas sans peine. Beaucoup aujourd’hui désirent vivre dans un environnement peu dense. Comme le disait en substance Jean-Pierre Orfeuil[39] : au grand dam des écologistes, les gens aiment la nature et veulent y vivre. Par ailleurs, l’utilisation de la voiture est tellement ancrée dans nos modes de vie, qu’une diminution de son utilisation passe par un changement culturel. Ces changements culturels, autant dans la façon d’envisager l’habitat idéal comme plus dense que dans celle de marginaliser la voiture au profit d’une mobilité douce, ne sauraient mieux être amenés que par une expérimentation positive de ces modes d’habitat et de mobilité différents. C’est pourquoi le changement pourra passer par la multiplication et la promotion des initiatives qui vont dans ce sens et par l’ouverture du champ des possibles en permettant aux différents publics de se les approprier.

V. LOGEMENT

Pour une politique énergétique au service du droit au logement décent – RWADE[40]

Par Aurélie Ciuti, coordinatrice du RWADE

Qui sommes-nous ?

Le Réseau Wallon pour l’Accès Durable à l’Energie (RWADE) est un réseau d’organisations sociales, syndicales, environnementales, de consommateurs et de lutte contre la pauvreté (FGTB, CSC, MOC, Inter-Environnement Wallonie, Revert, Empreintes, Solidarités nouvelles, Equipes populaires, CRIOC, la Fédération des services sociaux).

Ce réseau a été créé en perspective de la libéralisation du marché de l’énergie, qui inquiétait, à juste titre, les organisations quant à ses conséquences pour le droit des ménages. Depuis plusieurs années, il plaide pour un droit d’accès à l’énergie pour tous. Il se fonde sur le droit de toute personne à disposer d’un logement décent, conforme à la dignité humaine. Chacun doit également avoir accès aux investissements permettant d’améliorer la performance énergétique de son logement. Son action s’inscrit à la croisée des enjeux sociaux et environnementaux.

Le RWADE constitue une interface entre différentes organisations possédant une expertise, une expérience et des gens de terrain pour :

  • Veiller à la bonne application du cadre législatif ;
  • Faire entendre l’avis et les préoccupations du citoyen et du monde associatif ;
  • Veiller à la participation des usagers à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques énergétiques ;
  • Peser sur les politiques d’énergie en Wallonie ;
  • Informer l’opinion publique.

Il est régulièrement sollicité par le régulateur wallon (la Commission Wallonne Pour l’Energie : CWaPE), par le Médiateur fédéral de l’énergie, par le Service de lutte contre la pauvreté et travaille de près avec certaines institutions comme le Parlement, le Gouvernement et les administrations.

Le réseau a pu construire une expertise riche et variée dans le domaine de l’énergie et a notamment élaboré, sur base des constats de terrain recueillis dans le cadre de missions de service, des revendications politiques sur diverses matières en lien avec l’accès à l’énergie.

Un droit au logement décent : l’indispensable accès à l’énergie

Le fondement du RWADE est de plaider pour que soit garanti un droit d’accès à l’énergie pour tous, dans le prolongement du droit au logement décent dont sont censés jouir tous les citoyens belges (Art. 23 de la Constitution). En effet, un logement décent, c’est un logement dans lequel les citoyens ont la possibilité de se chauffer, de s’éclairer, de cuisiner, mais aussi de se connecter et d’accéder à de l’information.

A cet enjeu premier s’additionnent les enjeux environnementaux : raréfaction des ressources (pic du pétrole), changements climatiques, pollutions, etc. Bref, tout ce qui justifie l’urgence d’une transition vers des modes de consommation plus respectueux de l’environnement. Le secteur énergétique est évidemment au cœur de ces défis.

Comment concilier ces deux enjeux ? Comment sont-ils aujourd’hui pris en compte dans les politiques énergétiques ? Comment pourraient-ils l’être davantage et comment inclure dans ce processus de transition les ménages fragilisés ? Voici un aperçu des questions auxquelles s’attachent les politiques wallonnes en cours d’application, ou en voie d’être appliquées, et l’éclairage du RWADE sur la manière dont ces questions politiques peuvent œuvrer à une transition inclusive vers une société juste et durable.

Les tarifs et prix de l’énergie

Depuis la libéralisation du marché de l’énergie (2007), les prix n’ont cessé d’augmenter, particulièrement pour les petits consommateurs (profil de consommation annuel de 600kWh et 1200 kWh), ainsi que pour ceux qui disposent d’un compteur exclusif nuit et se chauffent à l’électricité, comme le montre le tableau ci-dessous[41] :


Pourcentages d’augmentation de la facture totale annuelle de la moyenne pondérée par GRD (gestionnaire du réseau de distribution) des fournisseurs désignés par rapport à décembre 2006

Ce sont évidemment des ménages fragilisés qui représentent la part la plus importante de ces catégories de consommateurs.

Comme l’évoque par ailleurs le Centre de Recherche et d’Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC) en 2011, en Wallonie, les prix pratiqués par les différents fournisseurs restent depuis 2007 supérieurs aux prix que l’ensemble des consommateurs auraient obtenus dans un marché non libéralisé[42]. Le prix de l’électricité a augmenté plus de 2 fois plus rapidement que les salaires. Le prix du gaz, lui, a augmenté 3 fois plus rapidement que les salaires.

Les différentes études sur le sujet confirment qu’en moyenne, plus un ménage a de revenus, plus il consomme de l’électricité. A l’inverse, la part du revenu consacrée aux dépenses énergétiques est très nettement inférieure au sein des ménages les plus riches[43]. Nous sommes face à de véritables inégalités dans l’accès à l’énergie et dans le « droit de polluer ». C’est particulièrement vrai pour la consommation d’électricité, lorsque celle-ci n’est pas utilisée comme mode de chauffage. La qualité du logement influe en effet davantage sur l’énergie nécessaire pour se chauffer et les ménages précarisés disposent en général de logements moins performants d’un point de vue énergétique. Le graphique ci-dessous montre la consommation moyenne en électricité, gaz et mazout (en euros par an) sur l’axe vertical, les Belges sont ici répartis des 10% les plus pauvres au 10% les plus riches sur l’axe horizontal[44].
 


Factures d’énergie par décile de revenu (Source INS – Enquête socioéconomique 2001)

Ces données mettent en perspective un préjugé parfois bien ancré : celui des ménages à faibles revenus consommant davantage d’énergie que la moyenne des citoyens.

Deux mesures liées à la tarification de l’électricité ont été récemment adoptées : la tarification progressive, solidaire et familiale de l’électricité en Wallonie et la baisse de la TVA sur l’électricité à l’échelon fédéral.

La tarification progressive, solidaire et familiale de l’électricité (TPSF) : une nouvelle mesure du Gouvernement wallon

Actuellement, le prix moyen au kWh consommé diminue avec la consommation : plus on consomme, moins on paye cher son kWh à l’unité. Pourtant, nous l’avons souligné, en moyenne, plus un ménage a de revenus, plus il consomme de l’électricité.

Il était donc essentiel de renverser la logique actuelle de dégressivité des tarifs de l’électricité, tant d’un point de vue environnemental, à l’heure où nous devons tous agir pour orienter notre société vers la sobriété et l’efficacité énergétique, que dans un souci de justice sociale et de solidarité (effet redistributif).

Le Gouvernement wallon a dès lors adopté un mécanisme de Tarification Progressive, Solidaire et Familiale (TPSF) effectif au 1er janvier 2015. Le RWADE a soutenu cette mesure. Elle repose sur une allocation par ménage modulée en fonction du nombre de personnes qui le composent, ce qui permettra à des ménages qui ne disposent pas d’un compteur individuel de bénéficier également de la mesure.

La mesure se veut neutre pour le budget de la Région wallonne. Elle sera donc financée par l’ensemble des consommateurs. La cotisation sera calculée par kWh consommé. La répercussion sera ainsi linéaire, ce qui signifie que la cotisation sera la même pour tous les kWh consommés (pas de différence entre les premiers kWh consommés et les autres). Au-delà d’un certain niveau de consommation, les ménages financeront davantage la mesure qu’ils n’en bénéficient et verront dès lors leur facture augmenter.

Deux facteurs influeront l’impact de la mesure sur la facture des ménages : le nombre de personnes qui le composent – et donc le montant de l’allocation – et le niveau de consommation. Le tableau ci-dessous détaille l’impact en euros sur la facture des ménages, selon ces deux variables :
 


(Source : Gouvernement wallon[45] – TSS = tarif social spécifique) Selon le Gouvernement wallon, environ 64% des ménages wallons concernés par la TPSF verront leur facture diminuer grâce au nouveau mécanisme.[46]

Les ménages qui se chauffent à l’électricité comme mode de chauffage principal ou via une pompe à chaleur ne se verront pas appliquer la mesure. C’était une revendication portée par le RWADE pour éviter des situations injustement pénalisantes. Par contre, les détenteurs de panneaux photovoltaïques participeront bien au financement de la mesure.

Sur l’aspect familial de la tarification, malheureusement, les données disponibles ne permettent pas d’avoir une vision claire de la consommation moyenne d’électricité de ces ménages. Par contre, on peut établir, comme nous le montre l’Institut pour un Développement Durable (IDD), une corrélation entre niveau de revenus et nombre de personnes qui composent un ménage. Le tableau ci-dessous fait le lien entre le nombre de personnes composant le ménage et ses revenus (répartition de la population par décile) :
 

On constate dès lors qu’il y a une certaine corrélation entre les revenus et la taille du ménage, même si on sait bien sûr qu’il y a des exceptions.

Il est évident à ce stade qu’un nombre important de ménages de petite taille ‒ qui ont donc en moyenne de plus petits revenus ‒ financeront le système. Cet aspect méritera de faire l’objet d’une évaluation attentive sur base de données plus précises quant au lien entre consommation et composition de ménages afin d’éviter que ne soient impactés négativement des ménages à faibles revenus et qui disposent de peu de marge de manœuvre pour limiter davantage leur consommation.

La baisse de la TVA sur l’électricité : un accord fédéral

Le Gouvernement fédéral a décidé de baisser la TVA sur l’électricité, passant ainsi de 21 à 6%. Cette mesure s’applique aux clients résidentiels depuis le 1er avril 2014. Elle va occasionner un recul de l’index et donc de l’indexation automatique des salaires.

Les ménages belges consomment chaque année l’équivalent de 4 milliards d’€ d’électricité. Le passage de 21% à 6% de la TVA sur l’électricité rapporterait aux ménages 500 millions €/an, soit en moyenne une augmentation de 0,22% de leur revenu disponible.

Néanmoins, cette baisse de la TVA profitera surtout aux ménages aisés. En effet, selon l’Institut pour un Développement Durable, pour les 20% des ménages les plus pauvres, une baisse de la TVA représente une diminution de la facture d’environ 70 €. Alors que les ménages les plus fortunés, qui consomment plus, bénéficient d’une économie de près de 140 €. Cette mesure avantage donc très largement les ménages les plus riches et les gros consommateurs. De plus, le report d’indexation limite le pouvoir d’achat des travailleurs, particulièrement des plus précarisés.

Selon l’IDD toujours, les 500 millions que coûte cette mesure permettraient d’augmenter le revenu disponible de 50% de la population d’environ 200 €/an et celui des 20% les plus pauvres de 300 €/an ou 25 €/mois.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’enjeu de réduction des consommations d’énergie, la mesure envoie paradoxalement un signal clair de soutien de la demande, qui s’inscrit, de plus, en porte-à-faux, par rapport à la logique plus cohérente de la tarification progressive : faire bénéficier les ménages des premières unités de consommation à moindre coût et faire payer plus cher les surconsommations.

Il semblerait dès lors plus utile de prévoir un tarif social octroyé aux ménages belges sur base d’un critère de revenus et de qualité du logement, les deux facteurs qui influencent principalement les difficultés des ménages en matière d’accès à l’énergie. Il conviendrait ensuite de faire de ce public la cible prioritaire des politiques de rénovation, afin que leur soient offertes des réponses structurelles.

Le développement du renouvelable

Le développement du renouvelable répond à la fois à des enjeux sociaux et environnementaux : en effet, au-delà du maintien du changement climatique en deçà d’un certain niveau, le développement du renouvelable devrait permettre de limiter l’impact sur les prix de l’énergie de l’augmentation des prix du baril de pétrole et des autres ressources non renouvelables.

Le mécanisme de soutien à la production d’électricité photovoltaïque de faible puissance Solwatt a récemment été modifié en Wallonie. C’est le plan Qualiwatt qui lui succédera. Il était urgent de modifier ce mécanisme mis en place en 2007. Si Solwatt a permis à près de 100.000 ménages de devenir producteurs − et nous soutenons cette démarche ! −, il a offert des taux de rendement excessifs et représente un coût important pour l’ensemble des citoyens wallons. Ce coût était d’autant plus injuste qu’il est financé par une augmentation de la facture d’électricité pour l’ensemble des consommateurs, à l’exception des ménages qui ont installé des panneaux photovoltaïques. En effet, bien qu’ils injectaient une partie conséquente de leur production d’électricité sur le réseau puis prélevaient à d’autres moments de l’électricité qu’ils consommaient, leur facture se trouvait allégée, voire nulle, grâce au compteur qui tournait à l’envers. Les contributeurs aux certificats verts[47], aux frais de gestion du réseau et aux différents fonds de solidarité (tarifs sociaux, primes énergie, etc.) étaient donc ceux qui n’ont pas installé de panneaux, en particulier ceux qui n’en ont pas les moyens ou la possibilité.

Pour le RWADE, il est également juste que la dette contractée dans le cadre de Solwatt (2,8 milliards à l’horizon 2027 selon le régulateur wallon) ne soit pas à la seule charge des consommateurs mais que les ménages producteurs y contribuent également. Qualiwatt devra offrir aux ménages producteurs un niveau de soutien suffisant, mais raisonnable et supportable pour la collectivité.

Le RWAD plaide enfin pour que la production d’énergie verte puisse être accessible aux ménages à revenus moyens et faibles, via notamment la création d’un mécanisme de tiers investisseur public mais également via le soutien aux coopératives citoyennes.

Les difficultés de paiement

L’enjeu de la gestion des impayés est avant tout un enjeu social, mais, aux yeux du RWADE, le sort réservé aux ménages en difficulté conditionne la manière dont on peut ou non impliquer les ménages dans un processus de transition.

En Wallonie, les pouvoirs publics ont choisi comme pierre angulaire des défauts de paiement le compteur à budget. Ce compteur est placé chez les ménages qui ont contracté une dette envers leur fournisseur d’énergie et fonctionne avec un système de prépaiement. Si le ménage n’a pas d’argent en temps et en heure, il n’a plus d’accès à l’énergie jusqu’au prochain rechargement.

Ce mécanisme :

  • Expose les ménages à des risques d’auto-coupures, quand ils ne sont pas en mesure de recharger leur carte ;
  • Conditionne l’accès à l’énergie des ménages à leurs seuls moyens financiers en temps et en heure ;
  • Conditionne donc les besoins aux moyens et ne permet guère aux ménages de réaliser des économies d’énergie ;
  • N’offre que deux possibilités aux ménages qui ne disposent pas de revenus suffisants : se priver ou s’endetter sur d’autres postes de dépense, aucune solution structurelle n’est en effet apportée ;
  • Entraine des coupures pour refus présumé : plus de 9.000 en 2012, hiver comme été, client protégé ou non ;
  • Coute très cher à la collectivité : près de 48 millions d’euros en 2011 répercutés sur la facture de l’ensemble des Wallons.

A nos yeux, le compteur à budget ne responsabilise pas les ménages, il les infantilise. Nous plaidons pour une éducation à l’énergie et au kWh qui s’adresse à l’ensemble des citoyens et particulièrement aux gros consommateurs et ne se limite pas à culpabiliser celles et ceux qui sont en difficulté et dont les revenus ne sont pas suffisants pour assurer leurs besoins de base. On ne pourra pas mener une véritable transition énergétique inclusive en maintenant ce type de mesures anti-sociales.

Le RWADE plaide pour la suppression du placement des compteurs à budget en cas de défaut de paiement, la désactivation des compteurs à budget installés et pour le conditionnement de toute coupure à une décision de la Justice de paix, seule garante du respect des droits et obligations des parties en présence (consommateurs, fournisseurs, gestionnaires du réseau de distribution).

Les ménages en difficulté de paiement et/ou précarisés doivent être la cible prioritaire d’une politique de rénovation et d’amélioration de la performance énergétique des logements.

L’amélioration de la rénovation énergétique des logements

La rénovation énergétique permet d’offrir aux ménages des réponses structurelles à leurs difficultés d’accès à l’énergie en diminuant la consommation d’énergie et en limitant l’impact sur la facture.

A l’heure actuelle, les aides publiques octroyées pour soutenir ce type de démarches bénéficient principalement aux ménages aisés, qui dépensent davantage de deniers publics alors qu’ils représentent une faible part de la population. Ce constat d’iniquité sociale est à corriger d’urgence, notamment pour limiter les effets d’aubaine (l’octroi de primes et de prêts à taux zéro à des ménages qui ont les moyens d’investir et l’auraient fait sans ces aides).

En matière d’isolation, les primes sont majorées en fonction des revenus. 85% des subsides accordés concernent des ménages à revenus moyens et supérieurs, seulement 15% des dossiers ont concerné des ménages à revenus précaires et modestes.

Des améliorations ont vu le jour lors de cette législature via l’Alliance Emploi-Environnement[48] pour le secteur de la construction. Nous avons particulièrement soutenu l’Ecopack qui a permis à davantage de ménages à bas revenus d’intervenir dans leur logement. L’Ecopack est un produit financier combinant un prêt à taux zéro à des primes régionales complémentaires qui peuvent être immédiatement déduites des mensualités du remboursement. Ces primes sont majorées en fonction des revenus et le temps de remboursement est également lié aux revenus (moins on a de revenus plus on a un prêt de longue durée).

Quatre catégories de revenus sont distinguées, elles sont similaires à celles des primes à la réhabilitation, dont la source est le Code wallon du logement :

  • Inférieur à 17.500€ (cat.1)
  • Compris entre 17.501€ et 32.100€ (cat.2)
  • Compris entre 32.101€ et 48.200€ (cat.3)
  • Compris entre 48.201€ et 93.000€ (cat.4)

Le pourcentage de dossiers par catégorie de revenus est réparti comme suit :

  • 15% pour la première catégorie de revenus,
  • 29% pour la deuxième catégorie de revenus,
  • 30% pour la troisième catégorie de revenus,
  • 26% pour la dernière catégorie de revenus.

Si on s’intéresse de plus près à la répartition de la population par catégorie de revenus, les données du SPF de 2010 nous informent que 44% des ménages seraient des ménages à revenus précaires, 28% des revenus modestes et 27% des revenus moyens et supérieurs. Ces données sont néanmoins à considérer avec prudence car une série de personnes, pourtant en ménage, continuent de déclarer leurs revenus de manière séparée. Ce sont pourtant bien l’ensemble des revenus du ménage qui sont pris en compte dans le cadre des primes et mesures ici présentées. On peut néanmoins conclure sans difficulté que les ménages à faibles revenus sont clairement sous-représentés parmi les ménages bénéficiant de l’Ecopack.

Il conviendra à nos yeux d’investir une partie des moyens disponibles dans le développement de stratégies d’approche et d’accompagnement, favorisant l’émergence d’une demande de rénovation auprès des ménages fragilisés, qui peinent à se tourner vers ce type de démarches. Pour ce faire, il importe d’articuler davantage le travail des services existants, particulièrement ceux qui sont en contact avec le public précarisé : les CPAS, les tuteurs énergie, les services sociaux associatifs, etc.

En ce sens, le FRCE (Fonds de Réduction du Coût global de l’Energie) constitue un premier pas intéressant puisqu’il prévoit une cible sociale avec un quota de ménages précaires à toucher, qu’il a permis le développement d’une expertise sur la manière de travailler avec ces publics et d’un ancrage local fort. Il permet également de financer un seul travail via un prêt à taux zéro (et non un bouquet de minimum deux travaux comme pour l’Ecopack).

Le RWADE soutient particulièrement les stratégies d’approche et d’accompagnement locales et collectives. C’est ce qu’on appelle par exemple la rénovation par quartier. Plusieurs démarches du type ont eu lieu en Wallonie, notamment via un projet européen SUN et via l’Alliance Emploi-Environnement. Il s’agit de sortir d’une logique de rénovation purement individuelle, de s’associer à d’autres, d’être soutenu tout au long de la démarche par un accompagnement collectif en matière du choix des travaux, du choix des entrepreneurs, des démarches administratives, de la réalisation et du contrôle des travaux, etc.

Un autre enjeu est à nos yeux la place des citoyens dans ces projets de rénovation, pour qu’ils ne soient pas vécus comme une intrusion dans la vie privée, dans l’intérieur des ménages. Il nous semble essentiel que la Région apporte un soutien à l’auto rénovation et réhabilitation (rénover soi-même son logement), ce qui n’est pratiquement pas le cas aujourd’hui.

Enfin, un enjeu central est l’amélioration de la performance énergétique du parc locatif privé, quasiment pas touché par les aides actuelles, puisqu’à peine 5% de ces aides permettent la réalisation de travaux sur le parc locatif. Il est urgent d’inciter les propriétaires bailleurs à la mise en location de biens de qualité, via une régulation des loyers qui tienne notamment compte de la performance énergétique du logement.

Pour ce faire, il convient :

  • D’objectiver les montants des loyers sur base d’une série de critères propres au logement et à son environnement, en prenant également en compte des critères liés à la performance énergétique, ce qui permettra aux bailleurs de valoriser les investissements qu’ils font en la matière ;
  • De relancer les expériences de commissions paritaires locatives, dans un esprit de dialogue et de concertation entre propriétaires et locataires ; en vue, dans un premier temps et dans l’attente de la régionalisation de la loi sur les baux à loyer, de construire une expertise nécessaire à l’élaboration d’une grille de références des loyers qui établira des fourchettes de prix ;
  • D’encadrer les loyers sur cette base, dès que les Régions seront compétentes en la matière – ce qui sera le cas pour la prochaine législature – en permettant aux propriétaires bailleurs de valoriser leur investissement dans des travaux de rénovation énergétique tout en contenant dans des proportions raisonnables l’évolution de la charge loyer + facture. Les commissions paritaires locatives auraient alors la mission de rendre des avis contraignants sur le montant du loyer, lorsqu’elles seront sollicitées par le bailleur ou par le locataire ;
  • De prévoir la possibilité d’interpeller la commission paritaire locative pour faire diminuer le loyer ou faire intervenir le propriétaire dans les charges tant que l’isolation (constatée par un audit gratuit) n’a pas été améliorée.

La représentation des consommateurs – la place du citoyen dans la politique énergétique

Ces quatre dernières années, de nombreuses consultations ont été organisées autour de la question de l’accès à l’énergie : évaluation des mesures sociales, tarification progressive, déménagements problématiques, réseaux intelligents, compteurs intelligents, plus récemment régionalisation des tarifs de distribution, etc. Ces consultations ont été menées principalement par la CWaPE, mais également dans certains cas par le cabinet du Ministre en charge de l’énergie ou par le Service Public Wallon.

Cependant, les organisations de consommateurs[49] ont été associées à participer à ces différents processus dans des formes et des délais très variables. A titre d’exemple, lors des rencontres du groupe de réflexion pour les Réseaux Electriques Durables et Intelligents, un seul représentant des consommateurs résidentiels fut présent. Il n’a par ailleurs participé aux travaux que marginalement. Quant au forum de réflexion lancé par la CWaPE en 2013 autour de la flexibilité des réseaux (production et demande d’énergie), seul le RWADE représente les consommateurs résidentiels.

De plus, les différentes parties prenantes n’ayant aucune obligation de collaboration qui soit inscrite dans la durée, elles ne se sentent tenues à rien, pas même à s’efforcer de comprendre leurs points de vue respectifs, ce qui limite clairement la portée de telles consultations, souvent limitées à une superposition de points de vue. Les représentants des consommateurs sont encore trop souvent perçus comme des facilitateurs de terrain, qui vont pouvoir renforcer l’acceptabilité sociale des décisions prises par « ceux qui savent », comprenez les acteurs du marché et autres spécialistes de l’énergie. Très souvent pourtant, des débats d’apparence purement technocratiques dissimulent en fait une série de choix politiques et de société.

La participation des représentants des consommateurs à ces réunions de consultation, quand elle est sollicitée, repose sur peu de ressources, et parfois, en ce qui concerne le RWADE, sur du volontariat des membres du réseau. En effet, l’équivalent temps plein à durée déterminée dont bénéficie le RWADE ne permet absolument pas la construction d’une expertise collective en vue d’assurer une véritable représentation des organisations sociales et de consommateurs qui le composent sur l’ensemble des questions qui les concernent et autour desquelles elles sont sollicitées.

Si les membres du RWADE se sont saisis de la question des mesures sociales et ont participé activement aux consultations organisées, d’autres dossiers ne peuvent être instruits avec la même expertise et assiduité. A contrario, les autres acteurs du marché bénéficient quant à eux de ressources financières et humaines pour instruire les questions qui les concernent et faire entendre leur voix auprès de la CWaPE et du Gouvernement.

A l’heure actuelle, les conditions ne sont donc pas réunies pour permettre au Gouvernement d’entendre la voix des consommateurs sur une série de questions qui les concernent pourtant au plus près.

Dans un contexte où l’indépendance du régulateur vis-à-vis des pouvoirs publics se voit par ailleurs renforcée, il est essentiel que le régulateur puisse entendre les différentes parties prenantes de manière équilibrée. Comme elle le soulignait elle-même, la CWaPE doit constamment pouvoir renforcer son expertise en consultant les acteurs de terrain. Elle a donc besoin que les représentants soient en mesure de construire leur expertise et de la faire entendre de manière structurelle sur l’ensemble des dossiers.

C’est pourquoi nous estimons qu’il est urgent de doter les consommateurs d’un organe structuré et reconnu qui représente et défende leurs intérêts, au sein duquel leurs différents représentants vont pouvoir construire ensemble des avis et une représentation solide, et de doter cette organe de moyens pour faire vivre ce lieu et construire cette expertise avec les citoyens !

Conclusion

La raison d’être du RWADE s’ancre dans l’article 23 de la Constitution qui consacre le droit au logement décent. Le droit à l’énergie en découle légitimement et gagnerait à se trouver renforcé à la fois par la législation régionale et par la mise en œuvre de politiques qui concrétisent ce droit.

Durant cette dernière législature (2009-2014), plusieurs avancées ont été entreprises par le Gouvernement wallon, tant en matière de prix (tarification progressive) qu’en matière de rénovation énergétique des logements : mise en œuvre de l’Alliance-Emploi Environnement, articulation des primes Isolation et de l’Ecopack aux revenus, qualité de l’évaluation du dispositif Ecopack, projets pilotes d’approche de rénovation par quartier, etc.

Cependant, des efforts cruciaux restent à accomplir pour accorder une véritable priorité des moyens publics à ceux qui en ont le plus besoin : cible prioritaire, stratégie d’approche des ménages précarisés pour qui se tourner spontanément vers les dispositifs existants est pour le moins complexe, politique d’approche collective qui sollicite à la fois un ensemble d’acteurs politiques, associatifs, experts en rénovation pour définir les programmes de travaux et s’adresser au public prioritaire, et pour associer les habitants dans une dynamique émulatrice et accompagnante. En particulier, l’enjeu de la rénovation du parc locatif privé implique des politiques fortes et ambitieuses.

Enfin, deux combats restent plus que jamais d’actualité. D’une part, la suppression des compteurs à budget, dont l’exemple de la Région bruxelloise, qui a opté pour une politique plus respectueuse des ménages et qui fait intervenir le juge de paix avant toute décision de coupure, devrait davantage inspirer les décideurs wallons. D’autre part, une véritable représentation des consommateurs sur les matières qui touchent à leur réalité de vie et leurs besoins de base.

Des chantiers participatifs d’éco-construction pour faire avancer le développement durable[50] 

« Tout groupe humain prend sa richesse dans la communication, l’entraide, la solidarité, qui ne vise qu’un but, l’épanouissement de chacun. »
Françoise Dolto

La volonté de réduire l’empreinte écologique des logements tout en stimulant l’emploi amène à s’intéresser à des matériaux plus respectueux de l’environnement, qui ont des capacités d’isolation élevées, et à de nouvelles dynamiques de construction. Parmi ces matériaux on retrouve des matériaux anciens tels que la terre, le bois, différents végétaux qui ont été abandonnés au 19ième siècle, au profit d’autres matériaux produits industriellement, parce qu’ils nécessitaient trop de main d’œuvre. Les savoir-faire liés à leur utilisation ont alors peu à peu disparu et leur enseignement a disparu des programmes. Les réhabiliter permettrait de développer des niches d’emplois spécialisés et non-délocalisables.

Un chantier pour se former

La réhabilitation de ces matériaux et la réacquisition des savoir-faire qui y sont liés sont deux des enjeux principaux des chantiers participatifs qui se définissent comme « une proposition claire d’un accueillant/auto-écobio-constructeur à réaliser un travail défini, de rénovation ou de construction, ce travail ayant un intérêt écologique et pédagogique. En cela, il se différencie d’un chantier de pure entraide qui pourra quant à lui s’organiser de manière informelle. »[51] Les chantiers participatifs ont donc un aspect pédagogique. De cette façon, un entrepreneur ou un architecte, qui aurait reçu une commande particulière qui nécessite l’utilisation d’une technique particulière, peut ouvrir le chantier pour en faire une démonstration. Le chantier peut alors devenir une formation où s’alternent moments d’explication et moments de pratique et où peuvent venir des personnes qui souhaitent également devenir auto-constructeurs ou encore des travailleurs sans emploi qui viennent apprendre un nouveau métier. L’objectif premier des chantiers participatifs est donc de partager des savoir-faire. On sort ici d’une logique compétitive où l’on cherche à garder le secret sur ses techniques pour limiter le nombre de concurrents.

De paille et de chanvre

Parmi les matériaux remis à l’ordre du jour, citons la paille et le chanvre qui ont tous deux été soutenus par le programme Da Vinci de l’Union européenne[52] pour le transfert des compétences en économie-construction auquel a participé le Cluster Eco-construction[53] en Belgique.

Si, lorsque l’on évoque les constructions en paille, surgissent instantanément dans notre esprit l’histoire des trois petits cochons et la maison de pif qui s’envole au premier souffle du loup, la paille est un matériau de construction qui mérite en réalité toutes ses lettres de noblesse. En effet, en Belgique, plusieurs bâtiments tels que le siège central de Nature et Progrès à Namur, ceux de la Cité s’Invente à Liège, le magasin d’alimentation saine de la Ferme de l’Arbre près de Liège, et plusieurs dizaines de maisons ont été construits dans ces matériaux, démontrant par-là toutes leurs possibilités et l’engouement qu’ils commencent à susciter.

Les techniques de construction ont dû s’adapter au climat belge : les constructeurs montent le toit avant même de refermer les murs entre l’ossature poteaux/poutres afin que le chantier ne soit pas à ciel ouvert, exposé à nos draches nationales. Une fois la structure en bois recouverte, les murs en paille sont montés. La paille est densifiée et enduite de terre crue, ce qui lui permet de résister plus de cinq heures au feu c’est-à-dire plus longtemps que ce qui est demandé par les pompiers. Par ailleurs, la paille est bien moins chère que n’importe quel autre matériau de construction et plusieurs agriculteurs belges se sont montrés intéressés par la vente de leur paille à la filière de la construction. Son seul inconvénient est son épaisseur de 35 ou 46 centimètres selon le type de pose. Encore que certains n’hésitent pas à utiliser les Big Bales, gros ballots de 70 à 120 cm !

Autre matériau soutenu par le programme Da Vinci/Inater et que les éco-constructeurs souhaitent promouvoir : le chanvre qui, mélangé à la chaux, constitue une bonne isolation thermique. La plante a également l’avantage de pouvoir être cultivée sans pesticide ce qui permet d’assainir les parcelles où elle pousse.

Un autre organigramme dans la construction

Les chantiers participatifs ne sont pas seulement l’occasion d’apprendre de nouvelles techniques de construction avec des matériaux plus respectueux de l’environnement, ils permettent également de repenser tout l’organigramme du chantier en y introduisant de nouveaux acteurs, créant ainsi une plus-value sociale à celui-ci. En effet, dans l’organisation d’un chantier classique il y a le client, qui veut une maison dans les plus brefs délais, une maison bon marché, agréable et écologique ; son rôle est de payer, c’est la position du client roi. D’autre part, il y a l’entrepreneur qui traite avec les fournisseurs, les sous-traitants… ; et l’architecte chargé du contrôle des travaux, de la coordination de la sécurité et de la santé du chantier, qui traite avec les ingénieurs… L’architecte et l’entrepreneur portent ensemble une responsabilité professionnelle et sont assurés pour cela. L’auto-constructeur a bousculé cette organisation en prenant le rôle de l’entrepreneur. Quant à l’architecte, la législation belge oblige à y avoir recours pour signer le plan et contrôler le chantier[54]. Dès lors celui-ci devient le seul responsable vis-à-vis de la loi. Peu d’architectes sont prêts à prendre ce risque, ce qui constitue un frein au développement des chantiers participatifs.

Une solution serait la création d’un nouvel acteur : le répondant technique. Ce répondant pourrait être soit un petit entrepreneur qui souhaite se lancer, soit au contraire un entrepreneur plus âgé qui n’a plus les capacités physiques pour construire mais qui pourrait transmettre ses connaissances dans des chantiers participatifs, soit une entreprise de formation par le travail qui présente l’avantage de travailler avec un public jeune, qui n’a pas d’a priori sur les matériaux et qui est prêt à apprendre à utiliser des matériaux non conventionnels. Ce répondant technique prendrait alors en charge les participants pendant le chantier. L’organisation n’est pas mince, il faut être sûr de disposer de tout le matériel avant de donner rendez-vous aux personnes qui travailleront sur le chantier qui, comme nous l’avons vu, peuvent avoir des profils fort différents. Il faut aussi que la météo permette le travail. Cela demande également que les personnes sur les chantiers reçoivent quelques notions de sécurité. Ce nouvel organigramme mériterait d’être formalisé dans un cadre légal qui organiserait les rôles et responsabilités de chacun et protégerait les différents acteurs. C’est ce à quoi réfléchit notamment Nature et Progrès qui a lancé la dynamique du Forum des Bâtisseurs.

Enfin, un acteur manque aujourd’hui dans cette dynamique de chantiers participatifs : les organismes publics d’emploi et de formation tels que le Forem ou Actiris qui pourraient orienter leur public vers les chantiers, lieu d’apprentissage de techniques plus respectueuses de l’environnement et créatrices de nouveaux métiers locaux, ce qui permettrait d’amplifier la dynamique de développement durable que permettent les chantiers participatifs en éco-bio construction.

Les démarches collectives en matière d’habitat

Par Julie Chantry, Chargée de missions chez Habitat et Participation asbl

Contexte

Réduire notre empreinte écologique tout en préservant une bonne qualité de vie est l’un des grands défis de notre époque. Une des pistes pour y arriver pourrait être de faire évoluer notre façon d’habiter, en travaillant d’une part sur la qualité de l’habitat et la façon dont on l’utilise, en termes énergétiques par exemple, et d’autre part en réfléchissant aux formes d’habitat elles-mêmes, afin que celles-ci ne pénalisent pas les liens sociaux et la solidarité mais les encouragent et même les favorisent. Nos maisons quatre façades, si plébiscitées en Belgique, renforcent le sentiment de propriété individuelle si ancré en chacun de nous et pénalisent fortement la dimension collective de l’habitat. Une idée serait donc d’ouvrir la voie à une nouvelle ère du logement, à des formes d’habitat inédites et originales, qui encouragent les liens sociaux au lieu de les décourager, via par exemple des habitats partagés qui pourraient remettre du collectif au sein de notre société individualiste. Tout en gardant à l’esprit que l’habitat se doit avant tout de favoriser l’épanouissement personnel, tout en représentant un bon moyen d’action sur son environnement.

Quelques chiffres…

En 2060, les prévisions démographiques prévoient que la Belgique devrait compter 12,4 millions d’habitants. Et la Wallonie, selon le Bureau du plan, devrait gagner près d’un million d’habitants, passant de 3,3 millions en 2007 à 4,3 millions en 2060. Il découle de ces chiffres que les besoins en logements vont fortement augmenter dans les années à venir.

Selon une étude française, le nombre de personnes par logement est en forte diminution, passant de 3,1 en 1946 à 2,7 en 1984 et à 2,31 en 2004. En parallèle, la taille moyenne des logements est passée de 2,7 pièces en 1946 à 4 pièces en 2004 (chiffres français). Le constat qui en découle est donc le suivant : on construit de plus en plus de mètres carrés pour de moins en moins de personnes par logement.

Démarches collectives en matière d’habitat ou habitat participatif…

Partant des constats posés, nous proposons d’explorer aujourd’hui le modèle de l’habitat participatif, qui est une des pistes de réponse, mais pas la seule évidemment… Ce concept d’habitat participatif, qui est beaucoup utilisé en France, représente la volonté d’individus d’unir leurs forces pour réaliser ce que, seuls, ils ne pourraient pas faire. Selon Bruno Parasote, l’habitat participatif permet de « réaliser une plus-value sociale et environnementale, sans déséquilibrer les coûts d’aménagement et de construction » [55]. En effet, la dimension collective dans l’habitat permet le développement d’une série de valeurs, qu’elles soient sociales, financières et urbanistiques.

  • En termes de valeurs sociales, la dimension collective va permettre d’apporter de la solidarité, de l’entraide et du partage ; elle va également favoriser l’implication de chacun ; elle va aussi permettre la rupture de l’isolement, et le maintien de l’autonomie le plus longtemps possible ; enfin, elle va permettre de garder (ou de récupérer) la maîtrise de son projet de vie ;
  • En termes financiers, la dimension collective peut permettre des économies d’échelle ; en outre, la mutualisation des espaces communs permet de limiter les espaces privés (selon certaines estimations, les espaces gagnés peuvent aller jusqu’à 10%), ce qui implique une diminution potentielle des coûts ;
  • En termes urbanistiques, l’habitat collectif permet de consommer moins d’espace pour plus de personnes.

Petit panorama des démarches collectives en matière d’habitat

L’habitat groupé

Il n’existe pas à l’heure actuelle de définition juridique du concept d’habitat groupé, voici donc une proposition de définition élaborée par notre association : « L’habitat groupé est un lieu de vie où habitent plusieurs entités (familles ou personnes seules), où l’on retrouve des espaces privatifs et des espaces collectifs autogérés. » Ce type d’habitat permet aux personnes de partager une habitation qui favorise l’intimité d’un chez soi et la sécurité d’un chez nous partagé. Une des principales caractéristiques de l’habitat groupé est l’autopromotion, c’est-à-dire que les futurs habitants sont les promoteurs de leur propre projet. Cette autopromotion représente selon nous un réel processus de réappropriation de l’acte de bâtir et d’habiter la ville. Une autre caractéristique tient dans la dimension collective, qui nécessite un questionnement préalable et un travail continu sur la dynamique de groupe.

On constate aujourd’hui une grande diversité des projets d’habitats groupés en Belgique. Cette diversité se manifeste au niveau des publics résidents et de leurs motivations, au niveau architectural, au niveau des montages juridiques, au niveau des projets et objectifs du groupe, au niveau de la dimension durable, au niveau de la taille des projets…

Deux exemples pour illustrer l’habitat groupé :

Le Bois del Terre (Ottignies)
  • 6 familles (12 adultes et 15 enfants), 6 maisons individuelles et une maison commune ;
  • Maisons passives intégrant un concept de développement durable (système de chauffage collectif, voitures partagées, etc.).
     
Les Zurbains (Liège)
  • 28 logements (appartements et maisons individuelles) ;
  • Ancienne friche située dans le quartier Saint-Léonard ;
  • Près de 70 personnes y vivront (installation quasi terminée) ;
  • Processus assez long : plus de 7 ans depuis le début du projet.
     

Si l’habitat groupé présente indéniablement une série d’avantages en termes sociaux, économiques et urbanistiques − ainsi que nous l’avons explicité plus haut − il ne faut pas se voiler la face et croire que ce type de projet ne présente pas d’inconvénients. Il faut en effet être conscient que la dimension collective ne convient pas à tout le monde, et nécessite certainement une grande ouverture et souplesse d’esprit, ainsi qu’une bonne dose d’adaptabilité. Un autre inconvénient fréquemment cité est l’homogénéité des classes sociales dans les projets d’habitat groupé, puisque les résidents utilisent bien souvent le principe de la cooptation pour décider des futurs habitants, ce qui induit une certaine homogénéisation des classes sociales. D’autre part, beaucoup de personnes sont aujourd’hui demandeuses de pouvoir vivre dans des habitats groupés, mais il y a concrètement peu d’offres sur le marché, et donc la seule possibilité pour intégrer un tel lieu de vie revient aujourd’hui à le créer. On constate également que peu d’habitats groupés aujourd’hui se font sous forme locative, ce qui limite de fait les offres sous forme locative sur le marché. On relève enfin des difficultés liées à la création de projets (urbanistiques, juridiques, financières, dynamique de groupe…), qui ralentissent voire anéantissent un certain nombre d’initiatives.

L’habitat solidaire

Commençons par une proposition de définition, élaborée en 2006 dans le cadre d’une étude sur les possibilités de reconnaissance de l’habitat solidaire, commanditée par le SPF Intégration sociale[56] : « Un habitat solidaire est un milieu et un projet de vie dans lequel évoluent (notamment) une ou plusieurs personnes dont au moins une se trouve en situation de précarité sociale (ou en passe de le devenir). Elles s’inscrivent formellement ou informellement dans une communauté d’intérêts et parfois bénéficient d’un accompagnement ou d’une aide sociale spécifique ou générale. Cet habitat solidaire se matérialise par un habitat de type groupé. »

Reprenons les éléments de cette définition. Nous parlons tout d’abord de « personnes en situation de précarité sociale ». De quoi s’agit-il exactement ? Le Rapport général sur la pauvreté définit la précarité sociale comme l’absence d’une ou plusieurs sécurités – le non accès à certains « biens » : la santé physique et/ou mentale ; l’emploi et la formation (liés au chômage et revenus) ; le logement ; l’isolement social et les problèmes de mobilité. Pour opérationnaliser cela, nous distinguons, en nous inspirant de l’OCDE, trois critères de précarité : les critères économiques liés ou non au statut juridique des personnes ; les critères psycho-sociaux (santé physique et mentale, âge, isolement, assuétude…) et un critère lié aux statuts et structures de logement (résidents permanents en campings, logements hors-normes, insalubrité, surpeuplement, etc.). On considère que la pauvreté survient lorsque la personne, la famille ou le groupe cumule au moins deux de ces critères.

Quel est le public visé par l’habitat solidaire ? Des personnes à faibles revenus, des jeunes, des personnes âgées, des familles monoparentales, des personnes seules, des ex-détenus, des personnes sans abri, des personnes sortant de cure (post-assuétude), des personnes souffrant de problèmes psychiatriques ou d’un handicap physique ou mental, etc.

Du fait de la spécificité de ce public, on retrouve souvent dans les habitats solidaires une forme d’accompagnement social. Cet accompagnement peut être formel (c’est-à-dire réalisé par des professionnels issus d’une association ou d’une institution) ou informel (c’est-à-dire réalisé par des personnes non professionnelles, ou en tous cas dont ce n’est pas le métier), et sera différencié en fonction de l’intensité du collectif et de la spécificité du public cible.

Un problème majeur et récurrent dans ce type de projet est lié au statut des personnes qui, du fait de la cohabitation au sein d’un même lieu, voient souvent leurs revenus de remplacement (RIS, chômage, GRAPA, etc.) passer au taux cohabitant, ce qui induit une diminution importante du montant octroyé. Ceci ne concerne que les personnes qui se domicilient dans l’habitat solidaire. Ce problème, non réglé à ce jour, représente hélas un frein majeur au développement de ce type de projets, bien que certaines avancées commencent à apparaître.

Illustrons l’habitat solidaire par deux exemples :

La Ferme de Louvranges (Wavre)
  • Ferme en carré réhabilitée en 5 maisons unifamiliales et 9 studios ;
  • Accueil de personnes en difficultés temporaires, avec un objectif de réinsertion sociale ;
  • Loyers relativement bas ;
  • Baux de 1, 2 ou 3 ans (maximum) ;
  • Accompagnement social informel.
     
Les chemins de traverse (Braine-l’Alleud)
  • Projet récent initié par une association qui s’occupe de voyages en montagne avec des personnes handicapées physiques ;
  • Défi : réunir dans une même habitation quelques personnes handicapées physiques, d’autres libérées après un séjour en prison ou précarisées ainsi que des habitants solidaires du projet ;
  • Encadrement par les membres de l’asbl et accompagnement informel des habitants «solidaires».
     

L’habitat intergénérationnel et l’habitat kangourou

L’habitat intergénérationnel est une forme d’habitat visant volontairement à mélanger les générations au sein d’un même logement. Dans ce type de projet, le plus important est la dimension d’entraide et de coopération entre les générations.

Une forme spécifique d’habitat intergénérationnel est l’habitat kangourou, habitat qui permet à une personne âgée et à un jeune couple (ou une famille ou une personne seule ou un étudiant) de partager le même toit tout en évoluant dans des espaces de vie indépendants.

L’habitat kangourou présente certaines caractéristiques : il s’agit le plus souvent d’un binôme (c’est-à-dire deux entités différentes), mais parfois plus. Cependant, une des deux entités sera prioritairement une personne âgée, seule ou en couple. La plupart du temps, ces habitats s’inscrivent dans une forme architecturale classique : une maison unifamiliale divisée en deux, dans laquelle la personne âgée occupe fréquemment le rez-de-chaussée, tandis que la famille occupe le/les étages. À l’initiative de ce type de projets, on peut trouver des propriétaires privés ou des pouvoirs publics (CPAS, ville, etc.). Une constante cependant : la principale caractéristique des habitats kangourou réside dans l’échange de services entre les deux entités, avec un souci de réciprocité. Afin de garantir cet échange de services, on conseille généralement d’établir une tripartite, en réalisant par exemple un partenariat avec une asbl extérieure qui garantit la réciprocité.
 

Prenons un exemple d’habitat intergénérationnel :

La Carrière d’Opprebais (Incourt)
  • 22 logements intergénérationnels réalisés sur le site de l’ancienne carrière d’Opprebais ;
  • Intergénérationnel : logements sociaux associant jeunes couples/familles et personnes âgées ;
  • Architecture du lieu développée dans le but de créer du rapprochement entre les générations et de permettre aux personnes âgées d’y rester le plus longtemps possible ;
  • Réalisation du projet a duré 10 ans, très participatif.
     

Et deux exemples d’habitat kangourou :

Le Foyer Dar Al Amal (Molenbeek)
  • Maison unifamiliale divisée en 2 logements distincts, une asbl est propriétaire de la maison, les occupants sont locataires ;
  • Deux contrats : un vis-à-vis du propriétaire, l’autre entre les locataires ;
  • Interculturel : la famille est issue de l’immigration, tandis que la personne âgée est d’origine belge ;
  • La famille est chargée de l’entretien général de la maison ainsi que de la  « veillance » de la personne âgée.
     
L’asbl1toit2âges (Bruxelles)
  • Chambre pour un étudiant au domicile d’une personne âgée (min 50 ans) ;
  • 120 binômes à ce jour à Bruxelles et en Wallonie (Namur, Mons, Liège, Charleroi, Louvain-la-Neuve) ;
  • Deux formules pour le loyer de l’étudiant : une formule économique avec engagement de présence régulière et partage des tâches => loyer 100 €/mois ; une formule classique, sans engagement => loyer de 300 € maximum ;
  • Limite : interdiction de la domiciliation pour l’étudiant.

La colocation

Pour définir la colocation, nous disposons d’une définition juridique : la colocation « désigne l’hypothèse où une personne habite en même temps qu’une ou plusieurs autres personnes un même appartement ou une même maison »[57].

La principale caractéristique de la colocation est que celle-ci est multiforme : les colocataires peuvent être étudiants ou travailleurs, jeunes ou vieux, mariés ou non, de la même famille ou non, avoir tous signé un contrat de bail, être temporairement hébergés par un ami, remplacer un des colocataires qui a signé le contrat de bail et est parti, etc. Il s’agit d’un public qui se diversifie de plus en plus, puisque l’on constate que ce phénomène se retrouve aujourd’hui dans presque toutes les couches sociales de la population.

Comme pour l’habitat solidaire, la colocation peut être pénalisée par ce que nous appelons le « taux cohabitant », avec cette diminution des revenus de remplacement pour les cohabitants domiciliés dans une même maison (voir plus haut le paragraphe consacré à l’habitat solidaire).

Les éco-quartiers

Il ne s’agit pas développer une typologie des éco-quartiers, sachant qu’en plus il n’existe pas à ce jour de définition sur laquelle tout le monde s’accorde. Chaque éco-quartier présente en fait des caractéristiques propres, cependant certaines de celles-ci sont récurrentes : le partage d’un projet écologique et social, une conception urbaine respectueuse de la nature, une architecture écologique, une appropriation positive par les gens de l’espace public et des bâtiments, la recherche d’une mixité de population et le tissage de liens entre eux. La plupart des éco-quartiers ont en réalité pour vocation principale de faire en sorte que la vie en ville soit plus harmonieuse.
 

Voici un exemple d’éco-quartier intéressant car très participatif dans sa dimension logement :

Eva Lanxmeer (Pays-Bas)
  • Projet imaginé par des intellectuels et militants écologistes réunis au sein de la Fondation EVA ;
  • Recherche ensuite d’un terrain où réaliser leur projet d’éco-quartier => la commune de Culemborg accepte de jouer le jeu ;
  • Construction s’étend de 1994 à 2009 sur un terrain de 20 Ha, idéalement situé entre le centre-ville et la gare ;
  • 240 maisons passives, une école, des bureaux, une ferme urbaine ; mixité acquisitif et locatif ;
  • Participation constante des habitants : tout le quartier a été conçu et réalisé avec des représentants des futurs habitants dans un processus créatif.
     

En guise de conclusion

Si l’on veut faire évoluer nos types d’habitats et faire en sorte que ceux-ci (re)deviennent un lieu de participation, il faudrait certainement favoriser l’autopromotion et l’habitat participatif. Comment une commune peut-elle le faire ? Si elle dispose de terrains, elle peut en réserver l’attribution à des collectifs, via par exemple des appels à projets (le terrain sera alors attribué au projet le plus méritant). Pour des collectifs, il y a un avantage à être sur des terrains communaux plutôt que sur des terrains privés, car sur ceux-ci, vu la réalité du marché et la concurrence, le collectif doit être très réactif et capable de lever des fonds sur un temps très court sans que le groupe soit toujours complètement constitué. Sur des terrains communaux, la prise de risque sera moindre car la concurrence sera complètement différente.

Enfin, un des grands avantages de l’habitat collectif/participatif est qu’il permet une densification concertée. En effet, si on se fie aux prévisions démographiques, il faudra augmenter le nombre de logements et nous serons donc dans la nécessité de densifier les villes. Or, la densification est souvent mal vécue par les habitants déjà installés. A partir du moment où elle est envisagée avec les résidents dès la conception du projet, cette densification est plus facile à mettre en œuvre et d’autant mieux acceptée par les habitants.

Réaction du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté

Par Marie-Claude Chainaye du Réseau Wallon de Lutte Contre La Pauvreté

Après avoir entendu les exposés des intervenants (RWADE ; ARTerre pour l’eco-bio construction ; Habitat et Participation pour l’habitat partagé), ma première réaction est de souligner combien les personnes appauvries et/ou en grande difficulté financière sont soumises à de fortes contraintes. Citons celles-ci en exemple dans le débat qui nous concerne :

  • Contraintes financières tout d’abord ;
  • Contraintes face au manque de choix qui s’offre à elles dans leur consommation énergétique notamment ;
  • Contraintes liées au choix du logement, lui-même contraint par le montant du loyer ;
  • Contraintes face à un statut lié à un revenu de remplacement (chômage ou aide sociale/revenu d’intégration sociale), face à des propositions de logement solidaire qui, du fait de la non individualisation des droits, restent non accessibles pour la plupart d’entre elles (hors certains CPAS plus ouverts à la négociation au cas par cas).

Rappelons que, le plus souvent, la construction n’est pas accessible pour un public précarisé, a fortiori en cas de construction eco-bio, à moins qu’il ne participe  à des projets élaborés par le secteur associatif et/ou le Fonds du logement, par exemple via des appels à projets innovants. Que l’on ne s’y trompe pas, cette non-accessibilité est avant tout à comprendre en fonction des revenus et donc des priorités de ces ménages. La participation active des personnes en grande précarité, avec un parcours logement chaotique, telle que l’expérience des « Sans abri Castors » en rénovation de logements avec et pour les personnes sortant de la rue, a démontré leur intérêt dans l’appropriation technique mais aussi spatiale du logement.

La participation aux chantiers participatifs est une belle opportunité de tester des techniques innovantes ou même, comme présenté ici, d’anciennes techniques oubliées. Mais la priorité pour les personnes précarisées est ailleurs : avec leur souci quotidien, elles n’auront pas l’opportunité de mettre en pratique les méthodes proposées. Certaines de ces personnes seront sensibilisées, par intérêt personnel, à ces techniques, mais celles-ci resteront inaccessibles pour la majorité. Signalons que, en Belgique, ces personnes sont le plus souvent locataires et, les études l’ont démontré, le statut de locataire est corrélé à un plus grand risque de pauvreté[58].

La précarité énergétique pour ce public est essentiellement liée, cela a été dit, à l’état de leur logement. Il est attesté que les aides et primes à la rénovation énergétique de façon structurelle sur le bâtiment restent largement inaccessibles au public locataire précarisé, même si les projets du Fonds de Réduction du Ccl’ction du coible. Voudrais-tu dire : (?oût global de l’Energie avec la cellule énergie des CPAS et les écopack de l’Alliance Emploi-Environnement ont réussi à intégrer dans leurs interventions des projets en faveur d’un public plus précaire. Pire, ces aides et primes sont principalement activées par des ménages à revenus supérieurs pour des investissements qui, sans viser une diminution de la consommation énergétique, concernent les techniques d’énergie renouvelable. Ne faut-il pas inverser les priorités et leur financement ? Pour preuve, le plan Mebar[59] offre des améliorations structurelles du logement (isolation, châssis…) mais ce sont les financements de poêles gaz/mazout qui sont plus souvent sollicités par les locataires.

Il faut faire une évaluation ciblée de ces aides, en étant particulièrement attentif aux personnes, locataires mais aussi petits propriétaires les plus précaires, à l’impact pour eux des mesures prises dans le cadre de l’Alliance Emploi-Environnement sur les améliorations énergétiques de leur logement. Il faut porter une attention particulière à leur accompagnement mais aussi  soutenir, simplifier et compléter les mesures en fonction de leurs évaluations. Il est regrettable de devoir trop souvent rappeler que le public plus précaire a la capacité de s’impliquer dans des projets novateurs, avec un aspect technologique, simplement comme tout public, les conditions de l’apprentissage de ces nouvelles techniques doivent leur être accessibles. Des logements basse énergie supposent qu’on « apprenne » à y vivre, ceci vaut pour tout le monde. Les tuteurs énergie des CPAS font d’ailleurs localement un travail utile avec les locataires.

Cependant, il est clair que la préoccupation première des personnes précaires sera d’abord de se loger en fonction de leurs ressources. Le logement public doit être initiateur pour des logements de qualité et, par la démonstration de la pratique, motiver les privés dans des investissements à destination d’un public précaire. L’Autriche a eu une politique de développement de logements de qualité, faibles consommateurs énergétiques. Ce sont des expériences à étudier…

L’enjeu majeur pour nous reste l’approche de la qualité du logement par un encouragement ou des sanctions envers les propriétaires bailleurs peu attentifs à l’état des logements mis en location. 89,4% des locataires ne disposent pas actuellement de certificat de performance énergétique du bâtiment (PEB)[60]. Avec la régionalisation du bail, il y a lieu de réfléchir à ce problème majeur qu’est la surconsommation énergétique des personnes les plus précaires en Wallonie. Différents acteurs s’y sont déjà attachés, comme Philippe Zeegers lors du colloque du Conseil Supérieur du Logement sur la régionalisation du bail (février 2014), qui propose que « le législateur [assortisse] la mesure de sanctions quant à la validité du bail s’il ne fournit pas au locataire un PEB ». Et pourquoi ne pas aller plus loin : on pourrait aussi imaginer des loyers limités en fonction du niveau de PEB dans le secteur locatif privé et public.

Quelques chiffres illustrent la situation du terrain en Wallonie :

Dans le parc locatif privé : 36,5% des locataires disposent d’un revenu annuel net entre 11.501 €  (soit 958 €/mois) et 14.000 € (soit 1.165 €/mois) avec un loyer moyen de 484 €/mois ; 23,8% ont des revenus annuels nets entre 14.001 € (soit 1.165 €/mois) et 17.000 € (soit 1.416 €/mois), avec un loyer moyen de 528 €.

Dans le parc locatif social ou public : pour la première tranche de revenu (11.501 € à 14.000 € net/annuel) le loyer moyen est de 307 €/mois et, pour les revenus supérieurs (14.001 à 17.000 € net/annuel), le loyer moyen est de 324 €/mois.

Le parc social ou public se distingue par une plus grande proportion de locataires situés dans la tranche de revenu de 11.501 à 14.000 € (46,9%) avec un niveau de loyer moyen oscillant entre 260 € et 325 €.

Dans le parc locatif privé : 36,5% des locataires disposent d’un revenu annuel net entre 11.501 €  (soit 958 €/mois) et 14.000 € (soit 1.165 €/mois) avec un loyer moyen de 484 €/mois ; 23,8% ont des revenus annuels nets entre 14.001 € (soit 1.165 €/mois) et 17.000 € (soit 1.416 €/mois), avec un loyer moyen de 528 €.

Dans le parc locatif social ou public : pour la première tranche de revenu (11.501 € à 14.000 € net/annuel) le loyer moyen est de 307 €/mois et, pour les revenus supérieurs (14.001 à 17.000 € net/annuel), le loyer moyen est de 324 €/mois.

Le parc social ou public se distingue par une plus grande proportion de locataires situés dans la tranche de revenu de 11.501 à 14.000 € (46,9%) avec un niveau de loyer moyen oscillant entre 260 € et 325 €.

Quant à la qualité du logement :

Dans le parc locatif privé, les problèmes d’humidité, quand ils sont détectés à la prise du logement, influencent le prix du loyer et cela en lien avec la contrainte financière des locataires ! Globalement, 1 logement sur 5 en Wallonie a au maximum 1/5 des pièces comportant des traces d’humidité.

Le parc social ou public comporte une proportion plus importante de pièces humides[61]… Mais cette donnée n’influencera pas le loyer ET ne pourra que faiblement influencer la prise en location du logement, puisqu’en cas de refus de celui-ci sans  « motif valable » l’inscription est radiée et reportée à 6 mois !

Enfin, un des outils du législateur dans la régionalisation du bail reste la fiscalité, avec notamment les réductions de précompte immobilier pour travaux effectués (actuellement une réduction forfaitaire – donc sans devoir fournir de preuves – de 40% des travaux réalisés est octroyée). Il faudrait des sanctions contre les propriétaires qui n’envisagent pas de travaux liés à la consommation d’énergie (et en priorité pour les logements justement nommés « passoires énergétiques ») et ces travaux, il faut les contrôler pour s’assurer qu’ils soient réalisés au profit du locataire.

Des analyses PEB fiables devraient permettre une meilleure adéquation qualité du logement/loyer et ouvrir la relation propriétaire/locataire à une éthique de fonctionnement plus transparente, menant à un meilleur équilibre dans cette relation contractuelle.

Enfin, selon nous, les multipropriétaires ont une responsabilité sociétale, celle-ci s’inscrivant notamment dans la mise à disposition sur le marché locatif de logements de qualité à prix décent.

Logement : conclusion et ouverture

Cette section nous a permis de nous pencher sur trois types d’actions en matière de logement : l’une sur les politiques menées ; l’autre sur la construction participative et écologique ; et la troisième sur les manières d’habiter autrement. Ces trois interventions soulignent une réelle dynamique vers une transition écologique en matière d’habitat. Citons, entre autres, la tarification progressive et solidaire, les primes à la rénovation durable, le développement et la réhabilitation de techniques de construction et de matériaux qui permettent un habitat plus durable et moins énergivore, les habitats groupés qui permettent une densification choisie ce qui permet de réduire la consommation d’énergie liée à la mobilité. Toutes ces initiatives représentent de réelles avancées vers des types d’habitat et des façons d’habiter plus écologiques et moins énergivores.

Cependant, ces contributions ont également montré que, malgré quelques avancées et un souci en ce sens, les initiatives peinent encore à inclure les personnes précarisées. De cette façon, en ce qui concerne les politiques publiques en Wallonie, si la tarification progressive permet une meilleure répartition des coûts en fonction de la consommation et des revenus, on constate d’autre part que les primes pour les rénovations bénéficient essentiellement aux personnes plus aisées et que par ailleurs les compteurs à budget peuvent priver d’électricité ou de gaz les personnes qui ne savent pas payer. Du coté des démarches d’habitats collectifs, elles restent pour la plupart très homogènes socialement – sauf dans le cas des habitats solidaires où l’objectif est spécifiquement la mixité – et les personnes qui disposent de revenus de remplacement voient ces allocations se réduire à peau de chagrin dès qu’elles vivent avec d’autres. Enfin, si les chantiers participatifs peuvent permettre à des personnes en décrochage professionnel d’acquérir de nouveaux savoir-faire, faire construire sa maison reste peu accessible aux personnes en situation de précarité qui, dès lors, peuvent difficilement être les commanditaires d’un chantier participatif en écoconstruction.

Le témoignage du deuxième discutant qui est intervenu lors du débat, Vincent Hermann de l’asbl le Trusquin[62], souligne également la difficulté d’inclure les personnes en situation de précarité dans des dynamiques de rénovation. Le Trusquin, entreprise de formation par le travail, est aussi mandaté pour organiser des ateliers de sensibilisation à la rénovation durable. Ces ateliers ont pour objectif d’inciter les ménages, et en particulier les ménages en situation de précarité, à entamer une démarche de rénovation de leur logement qui leur permettrait de réaliser des économies d’énergie grâce à une meilleure isolation.

Ces ateliers sont une solution apportée par le ministre de l’énergie pour contrer le fait que les primes à la rénovation durable ne bénéficient qu’aux ménages les plus aisés.

Selon Vincent Hermann, cette idée est fort bonne en théorie mais en pratique projet et publics cibles semblent ne pas concorder. En effet, les ménages en difficulté financière sont souvent locataires et, s’ils sont propriétaires, ils n’ont pas les moyens d’avancer les investissements nécessaires – qui seraient ensuite remboursés par la prime – si bien que ce sont finalement les ménages aisés qui participent à ces ateliers. Dès lors, afin de parvenir à toucher un public précarisé, l’asbl a scindé le projet en deux volets. D’une part, le projet initial d’accompagnement de ménages qui se lancent dans un projet de rénovation ; ces ateliers sont donc ouverts à tous les publics et de facto touchent plutôt des ménages aisés qui ont également bien besoin de conseils pour s’y retrouver dans les systèmes de primes. D’autre part, des ateliers de formation à l’utilisation rationnelle de l’énergie qui visent surtout à changer des habitudes ; ils ne demandent pas d’investissement financier et touchent dès lors un public composé de ménages en difficulté financière.

Si l’asbl a ainsi trouvé une solution intermédiaire pour concilier objectifs et moyens, le projet retombe donc, bien malgré lui, dans une forme d’inégalité où les rénovations sont pour les plus riches et le couvercle sur la casserole et le gros pull pour les moins aisés. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics revoient les termes du projet. Si la mise en place d’un accompagnement est une excellente chose et l’expérience montre que les ménages aisés ont également besoin de cet accompagnement, il est également nécessaire de permettre aux ménages qui sont propriétaires mais qui sont en situation de précarité de faire les travaux sans devoir avancer l’argent afin de briser le cercle vicieux de l’accès à l’énergie.

De façon plus générale, deux variables influencent l’accès à l’énergie : la qualité du logement et le revenu. Dès lors, des revenus trop faibles empêchent de faire les travaux nécessaires pour améliorer la qualité du logement et donc faire baisser la facture ; la facture élevée creuse un peu plus le budget, réduisant encore les chances d’entamer les travaux. Ce cercle vicieux est renforcé par le fait que les personnes aux revenus les plus faibles disposent généralement de logements moins bien isolés parce que moins chers à l’acquisition. Donner accès aux primes permet au contraire d’engager un cercle vertueux où un logement bien isolé permet de réduire la consommation d’énergie et donc la facture énergétique, augmentant les revenus disponibles. La rénovation en vue d’améliorer l’efficience énergétique est ainsi une réponse structurelle à la difficulté de l’accès à l’énergie et permet de diminuer durablement la facture. Cela va évidemment de pair avec une sensibilisation à l’utilisation rationnelle de l’énergie.

Pour rendre la rénovation du logement plus accessible aux personnes aux petits revenus on peut, entre autres, s’inspirer des éco-bâtisseurs en France qui font de l’auto-réhabilitation accompagnée. Cela consiste en l’accompagnement de personnes en situation de précarité pour les aider à faire elles-mêmes des améliorations légères dans leur logement, ce qui leur permet en prime d’acquérir un savoir-faire. C’est le coup de pouce qui permet de se mettre en route. Cela permet également d’obtenir des matériaux à un prix plus intéressant que si la personne devait les acheter elle-même. Notons que cet accompagnement demande non seulement des compétences techniques, mais également des compétences sociales pour travailler avec des personnes qui connaissent une série de difficultés et ne peuvent pas forcément s’investir et avancer de la même façon que des personnes qui vivent des situations plus stables. En outre, entrer dans le logement d’une personne c’est aussi entrer dans son intimité, ce qui accentue encore un peu plus l’aspect sensible de ce travail. Par ailleurs, notons que ces personnes peuvent parfois disposer d’un savoir-faire sur lequel l’accompagnateur peut s’appuyer et enrichir ses propres connaissances. Ainsi, au cours du débat, de nombreux exemples ont été cités de personnes d’origine étrangère qui viennent avec leur connaissance en construction de leur pays d’origine et apportent une réelle plus-value au travail de rénovation.

Quant à la qualité des logements des locataires, il faudrait encourager, voire contraindre les propriétaires à faire les travaux de rénovation nécessaires. Il faut cependant éviter l’effet pervers  où une fois les travaux effectués, le propriétaire qui a fait des investissements et a amélioré la qualité de son bien, souhait augmenter le prix du loyer, le mettant hors de portée des personnes aux revenus les plus faibles. A ce sujet, notons que plusieurs organisations dénoncent le fait que certaines communes utilisent les exigences de salubrité pour pousser des personnes émergeant au CPAS à quitter la commune, car, rappelons-le, les allocations du CPAS dépendent des caisses communales. Ces communes exigent que les propriétaires rendent leur logement salubre, ceux-ci se mettent en règle ou vendent, ce qui en soi est évidement une bonne chose, si ce n’est qu’ils augmentent les loyers et que les locataires émargeant au CPAS déménagent dans d’autres communes où les loyers sont moins élevés.

En ce qui concerne la qualité du logement des locataires, soulignons le rôle  des entreprises de logements sociaux dont, nous l’avons noté, la salubrité laisse globalement plus à désirer que dans le parc de logements privés. Ceci peut s’expliquer par le fait que, dans un logement privé, le locataire potentiel qui constate l’insalubrité peut refuser l’appartement dont le prix finira par baisser. Dans le cas des logements publics, le locataire potentiel qui refuserait un logement est exclu pendant six mois de la liste d’attente, il a donc moins de prise sur la qualité de son logement.

Nous venons essentiellement de discuter des questions de rénovation mais, comme nous l’avons vu, il reste bien d’autres enjeux et bien d’autres leviers d’actions pour assurer l’inclusivité de la transition énergétique en marche. Rappelons entre autres la nécessité de délier taux de revenus de remplacement et cohabitation pour encourager les formes d’habitats collectifs qui permettent de développer des liens de solidarité et des réseaux d’entraide de proximité. Il faudrait sans doute également développer des formes juridiques pour ce type d’habitat et développer un parc d’habitats groupés locatifs. Par ailleurs, il est nécessaire en Wallonie de supprimer les compteurs à budget et de miser plutôt sur la responsabilisation des ménages quant à la consommation d’énergie. Enfin, soulignons le projet de rénovation par quartier, initiative lancée par le ministre wallon de l’énergie en parallèle aux ateliers que nous avons mentionnés plus haut : ce projet, qui actuellement s’étend sur deux ans, mériterait d’être approfondi et prolongé afin de permettre aux dynamiques collectives de s’installer.

Le phénomène de l’augmentation des prix de l’énergie depuis leur libéralisation qui risque de s’accentuer avec la raréfaction des énergies fossiles, les enjeux environnementaux et le droit à un logement décent nécessitent de prendre à bras le corps la question de l’accès à l’énergie. La réponse à ce triple enjeu passe entre autre par une diminution des besoins en énergie grâce à des logements mieux isolés, des habitudes de vie qui tendent à une rationalisation de l’utilisation de l’énergie et des formes d’habitat plus denses. Si des grands pas sont faits dans cette direction, le caractère inclusif des initiatives reste le grand défi. Celles d’entre elles qui sont par nature inclusives, telles que les logements solidaires ou l’insertion professionnelle grâce à des chantiers participatifs en éco-bio construction, peuvent nous inspirer.

VI. CONCLUSIONS
 

En partant du constat que le développement de nos sociétés repose sur une énergie abondante et bon marché, dont nous sommes devenus dépendants, et que la raréfaction de ces ressources est inéluctable, nous nous sommes penchés sur les initiatives qui enclenchent une transition énergétique. Au fil du séminaire et de cette étude, nous nous sommes interrogés sur la dimension inclusive de cette transition. Tout d’abord, différentes inégalités d’accès à l’énergie nous sont apparues : les personnes les plus aisées consomment plus d’énergie et pourtant cela ne pèse guère dans leur budget, alors que les personnes en situation de précarité sont parfois contraintes à réaliser des arbitrages entre les différents postes de leur budget. Avec l’augmentation du prix de l’énergie, cette vulnérabilité s’aggravera et touchera de plus en plus de ménages si une transition énergétique n’est pas mise en place dès aujourd’hui.

Nous avons donc passé en revue un panel d’initiatives différentes : les initiatives de consommation responsable, les entreprises d’économie sociale actives dans la réduction et la valorisation des déchets, les initiatives politiques en matière de réduction de la consommation d’énergie dans le logement, les chantiers participatifs d’éco-bio construction et les formes d’habitat collectif. Nous avons également exploré une mobilité moins dépendante de la voiture et un aménagement du territoire qui permette des modes de vie moins énergivores. Le passage en revue de ces différentes initiatives nous montre que la transition énergétique est en marche, peut-être encore à ses balbutiements, mais la réflexion et l’action sont lancées. En ce qui concerne l’aspect social de la transition, cette exploration nous a permis de constater que, si certaines de ces initiatives sont intrinsèquement inclusives dans la mesure où elles ont le double objectif de protection de l’environnement et de lutte contre l’exclusion, d’autres par contre reproduisent, bien malgré elles, les inégalités sociales. La transition énergétique, telle que nous l’avons abordée, nécessite des moyens financiers, cognitifs, la maitrise de certains codes sociaux, si bien que ceux qui n’en disposent que peu ou pas en sont exclus. Notons cependant que, chez tous les acteurs rencontrés, il y a un souci de travailler sur la dimension inclusive.

L’enjeu d’inclure les personnes précarisées dans la transition énergétique est d’autant plus essentiel que cette transition est potentiellement porteuse d’émancipation et d’insertion sociale et donc finalement de réduction des inégalités. En effet, la précarité n’est pas qu’une question de revenus, d’autres critères pour l’appréhender peuvent être le niveau d’études, la condition de logement et l’accès aux services de base mais aussi l’inclusion/exclusion sociale. Pour appréhender cette dernière, on peut considérer la participation ou non à la vie sociale, économique et politique, la participation à des réseaux d’entraide et de solidarité, l’existence et la diversité de l’aide mobilisable, l’accès à l’information ou encore l’appartenance à des associations[63], ou en d’autres termes la capacité à exercer sa citoyenneté. La transition écologique, telle que nous l’avons abordée, interroge cet exercice de la citoyenneté. Les initiatives sont en effet des lieux de participation à la vie sociale, politique et économique, elles permettent de prendre part à des collectifs et de créer des réseaux d’entraide. Il s’agit de s’organiser pour développer des systèmes d’échange, pour partager des lieux de vie de façon harmonieuse, de se mettre ensemble pour construire différemment ou pour réfléchir aux possibilités de rénovations… Pourtant, comme nous l’avons également vu, les personnes en situation de précarité prennent peu part à ces initiatives – du moins celles qui n’ont pas comme objectif l’inclusion. A notre sens, cela met en lumière le fait que plus généralement, dans notre société, l’exercice de la citoyenneté reste le privilège de personnes disposant de ressources et est peu accessible aux personnes en situation de précarité. Cependant, l’inclusivité de la transition est autant un défi qu’une opportunité au vu des possibilités d’insertion et de participation qu’offrent les initiatives que nous avons abordées.

En effet, donner aux personnes marginalisées la possibilité de participer à des collectifs qui leur permettent d’influer sur leur condition de vie et leur environnement, d’entrer dans un tissu social d’entraide et de solidarité… et par là de renforcer leur capacité d’action est bien le sens premier du travail d’insertion auquel s’adonnent de nombreuses organisations de lutte contre la précarité. Ce travail est parfois aujourd’hui dénaturé et réduit à l’exigence de faire entrer les personnes sur le marché de l’emploi classique, qui fait de la personne un producteur efficace participant au système économique dominant. Pourtant ce système économique, qui fonctionne selon ses logiques propres et non selon des logiques de bien-être social, est de plus en plus déshumanisant. Cette déshumanisation du système a pour conséquence l’exclusion de personnes qui ne répondent pas à l’exigence de ces logiques de productivité, de compétitivité, de rentabilité… On cherche donc à insérer des personnes dans un système qui ne leur fait pas de place, voire qui les exclut.

Or, la plupart des initiatives que nous avons abordées rompent avec ces logiques économiques dominantes de compétition, de concurrence, de marchandisation. Il s’agit de développer des systèmes d’échange reposant plus sur une relation d’entraide, de don et de partage que sur une relation marchande ; de créer des emplois où les travailleurs ne sont pas soumis aux exigences de compétitivité et de rentabilité ; des systèmes de recyclage qui rompent avec la logique du toujours plus ; des modes de vie et d’organisation plus collectifs permettant de créer des réseaux de solidarité qui rompent avec les logiques individualistes. Créer des marchés du travail, des lieux de consommation et des lieux de vie où les logiques humaines et sociales sont au centre, permet ainsi aux personnes de développer une autonomie par rapport à un système qui les exclut.

Des modes d’organisation et un accompagnement spécifiques sont évidemment nécessaires. Les personnes exclues ne participeront pas du jour au lendemain à des initiatives citoyennes sans qu’un dispositif spécifique n’ait été mis en place qui tienne compte de leurs contraintes particulières. A cet égard, les associations d’insertion sociale et de lutte contre la pauvreté, les CPAS… ont un rôle essentiel à jouer. Le dispositif et les initiatives qui en ressortiront devront, pour mettre toutes les chances de leur côté, être pensés et construits avec les publics cibles afin qu’ils tiennent compte de leurs besoins, de leurs contraintes, de leurs codes socio-culturels et de leurs savoir-faire.

Notons qu’il ne s’agit pas d’imposer aux personnes de prendre part à la transition mais de leur donner la capacité d’y participer. Non que demain toutes les personnes en situation de précarité habitent un habitat groupé à l’empreinte écologique minimum, fassent partie d’une groupe d’achat et roulent en vélo… mais qu’elles aient la possibilité économique, culturelle et sociale de le faire.

Si la question de départ était comment mener une transition énergétique inclusive, il apparait que cette transition peut aussi être un moteur d’émancipation. Il reste encore bien du chemin à réaliser vers une société écologiquement et énergétiquement soutenable et socialement juste, mais cette étude aura également montré que ce chemin est loin d’être une impasse. Si les enjeux sont importants, les leviers d’action sont également multiples et les initiatives citoyennes montrent l’exemple d’un changement social et culturel qui est non seulement souhaitable mais qui apparait possible.

Notes :

  • [1] CERAS : Centre de recherche et d’action sociales. Le CERAS est l’équivalent du Centre Avec en France, c’est une association qui a été fondée en 1903 par des jésuites et qui se compose aujourd’hui de jésuites et de laïcs. Sa finalité principale est de promouvoir et de développer une réflexion sur les questions politiques, économiques et sociales en veillant au respect de la justice sociale. Son activité se répartit autour de trois missions : accompagner les ONG engagées dans le champ social, mettre en débat les questions qu’elles portent, notamment dans la Revue Projet éditée par l’association, et les former dans ses champs de compétence (www.ceras-projet.org).

    [2] CERAPS : Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales. Université de Lille : ceraps.univ-lille2.fr

    [3] Le CERAS a organisé, en 2013-14, dix jours de formation réunissant ONG actives sur les questions écologiques et organisations de lutte contre la pauvreté afin de croiser les expériences et les expertises de chacun. La contribution de Marie Drique est l’occasion de revenir sur l’enseignement de ces journées.

    [4] Retour sur l’intervention de Patrick Brocorens.

    Remarque : Une partie des articles ont été rédigés par nos soins suite au séminaire et relus et approuvés par les intervenants. Ces articles sont référés par la note : « Retour sur l’intervention de … ». Les autres articles ont été rédigés par les intervenants eux-mêmes, leur signature se trouve alors en-dessous du titre.

    [5] Marie Drique est chargée de mission au CERAS et doctorante au CERAPS. Elle travaille sur la Justice Environnementale, mouvement qui émerge dans les années 1980 aux Etats-Unis pour dénoncer « un racisme environnemental » : les tenants de ce mouvement, dans lequel se croisent environnementalistes et défenseurs des droits civils, démontrent au départ, chiffres à l’appui, que les minorités ethniques sont davantage exposées aux nuisances environnementales, ont un moindre accès aux « bienfaits environnementaux » et au processus de décisions sur le sujet.

    [6] Voir ci-dessous l’encadré sur la précarité énergétique.

    [7] Mettetal Lucie, « Les ménages face à la précarité énergétique », dans La ville de demain, les nouveaux défis sociaux, cycle de conférence conçu et animé par Allemand S. avec le concours de Bonnefoy A., 2010.

    [8] Maresca Bruno, « La précarité énergétique pose la question du coût du logement en France », dans Consommation et mode de vie N°258, Credoc, mars 2013.

    [9] Theys Jacques, L’expert contre le citoyen ?  Le cas de l’environnement, Notes du Centre de prospective et de veille scientifique, n° 2, 1996.

    [10] Institut national de la statistique et des études économique, Enquête logement, 2006.

    [11] C’est aussi ce que démontrent Eloi Laurent et les travaux de Jacques Theys et Cyria Emilianoff.

    [12] Cf. note 8.

    [13] Laurent Eloi, Pour une justice environnementale européenne. Le cas de la précarité énergétique. Revue de l’OFCE / Débats et politiques – 120 (2011) (www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/120/r120-4.pdf).

    [14] Emelianoff Cyria, « Connaître ou reconnaître les inégalités environnementales ? », dans Djellouli Y., Emelianoff C.,  Bennasr A., Chevalier J., L’étalement urbain, un processus incontrôlable?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Espace et territoires », 2010.

    [15] Lenglart Fabrice, Lesieur Christophe, Pasquier Jean-Louis, Les émissions de CO2 du circuit économique en France, INSEE, 2010.

    [16] Cf. note 8.

    [17] Les missions locales ont pour objectif l’accompagnement et l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi.

    [19] Retour sur l’intervention de Cécile Patris, Directrice de l’asbl Ressources.

    [20] On utilise le terme réemploi à Bruxelles et le terme réutilisation en Wallonie.

    [21] Les contrats article 60 sont des contrats de travail subsidié pour des personnes émargeant au CPAS : ils sont limités au temps qu’il faut pour ouvrir les droits au chômage de ces personnes. L’employeur est le CPAS qui loue les services de ces personnes à une entreprise, à une asbl, ou au CPAS lui-même, ce qui permet un coût salarial réduit.

    [22] Retour sur l’intervention de Julien Vandeburie, Conseiller énergie chez Ecolo et chercheur associé chez Etopia.

    [23] Source : Etude ULB (Université Libre de Bruxelles) et UA (Universiteit Antwerpen) « La précarité énergétique en Belgique », 2011(dev.ulb.ac.be/ceese/CEESE/documents/Energiearmoede_La_Precarite_Energetique_en_Belgique_rapport_final.pdf)

    [24] Retour sur l’intervention de Céline Tellier, coordinatrice de la cellule mobilité chez Inter-Environnement Wallonie et sur le document « Quelles alternatives à la voiture individuelle ? », dont la partie « constat » est reproduite ici. Ce document a été  produit lors d’une réflexion collective sur le thème des « citoyens engagés » initiée par le PS. Cf. www.citoyensengages.be/getattachment/5a6c9f8c-0eea-4271-bca9-45471ade0187/Quelles-alternatives-a-la-voiture-individuelle.aspx

    [25] OECD, Project on environmentaly sustainable transport (EST), The economic and social implications of sustainable transportation, Proceedings from the Ottawa workshop, Paris, January 2000, p. 12.

    [26] OECD, op. cit., p. 11.

    [27] Mégatonne de CO2-

    [28] Cet objectif, pour ambitieux qu’il puisse paraître, est fort en retrait par rapport aux objectifs globaux assignés aux pays développés dans l’optique d’une limitation du réchauffement planétaire de +2°C, soit 85 à 95% de réduction à l’horizon 2050 par rapport à l’année de référence 1990.

    [29] Ollivro Jean, « Celui qui court plus vite avance-t-il davantage ? Vitesse, mobilité et inégalités sociales », in Flonneau M. et Guigueno V. (dir.), De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.

    [30] Montulet Bertrand et Mincke Christophe, « L’idéologie mobilitaire », Politique, n°64, avril 2010, pp. 12-16.

    [31] Hubert Michel et Montulet Bertrand, « Se déplacer avec des enfants à Bruxelles ? Une étude sociologique sur les vécus du temps et les usages des modes de transport », Brussels Studies, février 2008.

    [32] Pour un état des lieux des initiatives de mobilité rurale alternative, voir SAW-B, La mobilité rurale alternative en Wallonie. Etat des lieux de l’offre et propositions pour la développer et la soutenir, 2011.

    [33] CPDT, « Anticipation des effets du pic pétrolier sur le territoire wallon », Territoire(s) wallon(s), Actes colloque 2010, avril 2011.

    [34] CE Delft, Traffic noise reduction in Europe: Health effects, social costs and technical and policy options to reduce road and rail traffic, 2007. (www.transportenvironment.org/Publications/prep_hand_out/lid/495)

    [35] European Commission, Strategy for Europe on nutrition, overweight and obesity related health issues, December 2010. Cf. ec.europa.eu/health/nutrition_physical_activity/docs/implementation_report_en.pdf

    [36] CEMT, 2003 : Gérer les déterminants de la demande de transport, p. 142.

    [37] CFDD, 2004 : Avis cadre pour une mobilité compatible avec le développement durable, p. 28.

    [38] EEA, 2011 : Laying the foundations for greener transport.

    [39] Orfeuil Jean-Pierre, A partir de quand la voiture devient contrainte, intervention du 21 novembre 2013 au séminaire de recherche-action du CERAS, Transition énergétique et justice sociale.

    [40] Cet article s’inspire largement du mémorandum du RWADE. Pour le recevoir contacter info@rwade.be

    [41] Publié dans CWaPE (Commission Wallonne Pour l’Energie), Rapport concernant l’analyse des prix de l’électricité et du gaz naturel en Wallonie (clients résidentiels) sur la période de janvier 2007 à juin 2012, 2013, p. 22 (www.cwape.be/fr/sim_op).

    [44] Le graphique est repris de Grégoire Wallenborn, « De l’environnement au social : jalons pour une culture de l’énergie », figure 4, Etopia n° 2 (Après le pétrole), 2006, p. 175 (www.etopia.be/IMG/pdf/r2AK_Wallenborn01.pdf).

    [47] Les certificats verts sont des certificats obtenus par les producteurs d’énergie verte, en fonction de leur production. Ils sont ensuite rachetés par les fournisseurs d’énergie qui ont l’obligation légale d’en détenir un certain quota. S’il y a davantage de certificats verts sur le marché que n’en ont besoin les fournisseurs pour remplir leur obligation, c’est alors le gestionnaire de réseau de transport qui a l’obligation d’acheter le surplus aux producteurs à un prix minimal garanti. L’ensemble de ces coûts sont répercutés sur la facture du consommateur.

    [48] L’Alliance Emploi-Environnement est une initiative du gouvernement de la Région wallonne (cf. www.wallonie.be/sites/wallonie/files/publications/brochure_aee_2012_02_08.pdf).  Le concept d’Alliance Emploi-Environnement part du constat que les enjeux environnementaux représentent un gisement essentiel d’emploi et de développement économique pour les entreprises qui sauront s’adapter le plus rapidement. L’Alliance Emploi-Environnement propose une nouvelle dynamique de gouvernance: elle vise à mobiliser et à coordonner les acteurs publics, privés et associatifs autour d’actions concertées (cf. www.wallonie.be/sites/wallonie/files/publications/brochure_aee_2012_02_08.pdf).

    [49] Lorsque l’on évoque ici les représentants des consommateurs, c’est dans une conception large qui reprend : les syndicats, la Ligue des familles, le CRIOC, Test achats, les associations de lutte contre la pauvreté, les mouvements d’éducation permanente, les associations environnementales, etc.

    [50] Retour sur l’intervention de Jean-Marie Delhaye, architecte du groupe ARTerre, membre de Nature et Progrès.

    [51] Définition de la Charte des chantiers participatifs en auto-rénovation/construction.

    [52] Plus d’informations sur le site d’INALTER’Isolants naturels et terre crue : inater.net

    [53] Plus d’informations sur le site du Cluster Eco-construction : http://clusters.wallonie.be/ecoconstruction-fr/

    [54] La situation est différente en France où, pour peu que la maison fasse moins de 180m² et que les matériaux soient agréés, tout qui veut peut construire sa maison sans supervision d’un architecte.

    [55] Parasote Bruno, Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, Ed. Yves Michel, 2011.

    [56] Habitat solidaire – Etude sur les possibilités de reconnaissance de l’habitat groupé pour les personnes en précarité sociale, Habitat et Participation – SUM Research – Facultés Universitaires Saint-Louis, Service Public Fédéral de Programmation Intégration sociale, Bruxelles, novembre 2006.

    [57] La colocation, Droits quotidiens, éd. De Boeck, 2011.

    [58] IWEPS : Work paper n°16. Guio Anne-Catherine et Mahy Christine, Regards sur la pauvreté et les inégalités en Wallonie, septembre 2013 (www.iweps.be/working-paper-de-liweps-ndeg16).

    [59] Subvention accordée par la Région wallonne aux ménages à bas revenu (Mebar) pour la réalisation, dans leur logement, de travaux qui vont leur permettre d’utiliser plus rationnellement l’énergie.

    [60] Source : CEDH (Centre d’Etudes en Habitat Durable), « Les loyers en Wallonie. Une analyse d’après l’enquête sur la qualité de l’habitat 2012-2013 ». Cahiers d’études et de recherche 2014-1 (www.cehd.be/actualites/newlesloyersenwallonieuneanalyseapartirdelenquetesurlaqualitedelhabitat2012-2013).

    [61] Source des données chiffrées : CEDH (Centre d’Etudes en Habitat Durable), « Les loyers en Wallonie. Une analyse d’après l’enquête sur la qualité de l’habitat 2012-2013 », op.cit. Voir aussi, à ce sujet, l’étude de la DGO4-Département logement : « Enquête sur la qualité de l’habitat en Région wallonne » 2006-2007.

    [62] L’asbl le Trusquin est une association d’insertion par le travail pour des personnes en décrochage professionnel et/ou social. Elle forme une soixantaine de stagiaires par an en écoconstruction, en ferronnerie/soudure, en chauffeur-livreur et en ouvrier environnementaliste.

    [63] Kuepie Mathias, Lavallee Emmanuelle, Sougane Arouna, Multiples dimensions de la pauvreté, gouvernance et démocratie, DIAL, Juin 2008 (www.dial.ird.fr/publications/documents-de-travail-working-papers#chapitre_6).