Le 27 septembre 2016

Hoax, rumeurs, canulars et conspirations…

Petit manuel de défense contre les faux contenus sur internet.

Dans une démocratie où l’information est considérée comme le « quatrième pouvoir », il est important de se questionner sur l’évolution des comportements liés à la diffusion de fausses infos. Cette analyse aide à prendre conscience de l’importance de ce phénomène préoccupant et à se situer personnellement à son égard.

Il existe trois grosses catégories de canulars circulant sur la toile, répondant à des intentions diverses et que  l’on peut classer selon leur mode de propagation :

Premièrement, l’information parodique et satirique (ainsi les sites Le Gorafi et Nordpresse, ou encore les poissons d’avril) développe un faux contenu absurde et humoristique en s’inspirant des faits d’actualité. Une démarche esthétique et divertissante qui piège régulièrement des lecteurs tantôt distraits, tantôt ignorants.

Deuxièmement, les campagnes publicitaires, de promotion, ou de propagande idéologique sont également moteurs de diffusion de faux. Partant d’une mauvaise foi dissimulée et d’un objectif de manipulation, il s’agit souvent d’un contenu travaillé de manière fine. Chiffres, statistiques et avis d’experts à l’appui : les auteurs citent à l’envi des sources authentiques, parfois tirées de leur contexte ou carrément inventées.

Troisièmement, de fausses rumeurs peuvent être propagées de manière inconsciente, ou même en partant d’une bonne intention. C’est un vecteur très dangereux puisque les personnes partagent une information avec leurs contacts proches, qui, convaincus de leur bonne foi, vont la partager à leur tour et provoquer un effet boule de neige, dit viral.

Les comptes Facebook et Twitter des célébrités sont considérés comme des gros vecteurs de propagation[1]. Par exemple, Céline Raux observe que, « dans le laps de temps où une vidéo pédagogique du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, Genève) comptabilise les 5.000 vues, le discours créationniste de Justin Bieber aura déjà été visualisé près de 170.000 fois sur une seule chaîne YouTube »[2].

Il arrive également que des médias nationaux ou internationaux dits sérieux relaient ce type de contenu par erreur ou par empressement, ce qui conduit à une augmentation de leur diffusion et une diminution de la méfiance des lecteurs. Des exemples sur la RTBF et dans le Petit Journal de Canal + sont illustrés, vidéos à l’appui, dans un article du site www.cercledesvolontaires.fr[3].

Pourtant, des règles de déontologie journalistique existent : entre autres l’obligation de diffuser des informations vérifiées[4], ce qui n’est manifestement pas toujours le cas dans la course à l’audience.

Quels contenus ? Quels canaux ?
 

Guillaume Brossard, fondateur du traqueur de faux www.hoaxbuster.com estime le nombre de hoax entre 10 à 20% du trafic total de messages online[5]. Par exemple, selon une étude d’IBM Research Labs (Delhi, Inde)[6], 29% des contenus twittés suite aux attentats de Boston en 2013 concernaient des rumeurs, alors que le reste se composait de 20% d’information et 50% d’opinions.

Fausse star nue, mais encore « fausses alertes aux virus, fausses chaînes de solidarité, fausses promesses, fausses informations : les hoax prennent toutes les formes »[7].

Auparavant, la plupart des hoax concernaient des faux virus informatiques et ils étaient principalement diffusés par mail. Certains s’avéraient être des mécanismes de la part de pirates informatiques pour tirer du profit, pour recueillir des listings de mails ou pour faire installer un logiciel malveillant, d’autres étaient de simples canulars.

Aujourd’hui, la situation a évolué : les hoax se propagent davantage via les réseaux sociaux, avec une recrudescence de messages à caractère idéologique, plus particulièrement d’extrême droite. Plus de 50% des demandes de vérification sont à caractère raciste[8]. Les bénévoles des sites qui luttent contre la propagation des hoax (principalement www.hoaxbuster.com et www.hoaxkiller.fr en francophonie) sont submergés et n’ont pas les moyens de traiter tous les contenus. Ils font donc appel à un maximum d’autonomie et de vigilance de la part des utilisateurs.

Et les conspirationnistes là-dedans ?
 

La complosphère – nébuleuse de sites web et de célébrités complotistes – est particulièrement active quand il s’agit de propager des canulars, ou de les modifier pour diffuser des contenus qui étaient leurs thèses farfelues. Dès lors, en marge de leur fonds de commerce absurde (complots généralisés, ovnis, réécriture non scientifique de l’histoire et de la géopolitique, antisémitisme, xénophobie, islamophobie, etc.), ils diffusent souvent des fausses actualités destinées à capter le public et à l’amener sur leurs pages.

L’idée n’est pas ici d’entrer en profondeur dans la problématique, ce qui est fait par ailleurs (entre autres dans un article très complet de l’association Pax Christi Wallonie-Bruxelles[9]), mais de prendre conscience qu’une partie des hoax sont diffusés à des fins de propagande conspirationniste et qu’il existe des liens entre les deux phénomènes[10].

Certains répertoires signalent les sites qui sont peu ou pas dignes de confiance (voir ci-dessous). Des listes discutées et discutables mais utiles si on s’en sert de manière critique : certaines pages répertoriées sont entièrement complotistes, d’autres présentent en parallèle de l’info sérieuse.

Se méfier de quoi ?

Répertoires non-exhaustifs de sites conspirationnistes ou indignes de confiance :

www.lexpress.fr/actualite/societe/conspirations-rumeurs-parodies-l-annuaire-des-sites-d-infaux_1646237.html

www.hoaxbuster.com/hoaxliste/les-sites-parodiques

https://archive.is/vvpf9#selection-89.9-93.16

www.parasite.antifa-net.fr/liste-non-exhaustive-des-sites-conspirationnistes-et-confusionnistes-version-2015/

www.debunkersdehoax.org/forum/sites-et-pages-qui-prolifarent-de-hoax-d-extrame-droite [11]

Comment se défendre ?
 

Il ne faudrait pas partager une information douteuse. Comme le dit très bien le journal français La Nouvelle République, le premier bon réflexe consiste à prendre du recul, réfléchir et recouper toute information reçue, ainsi qu’à ne pas faire une confiance aveugle au contact qui vous l’a fait passer[12], surtout si l’information paraît « trop grosse pour être vraie », contient un caractère raciste ou xénophobe, ou est une « info-choc ».

Il va donc falloir examiner deux aspects du message pour déterminer son degré de crédibilité : sa provenance et sa crédibilité.

1. La provenance du message

Certains médias complotistes ne se cachent pas de leur idéologie et sont directement identifiables ; dans ce cas, la méfiance est de mise !  D’autres sont moins visibles et requièrent une attention particulière, d’où l’utilité des listes évoquées ci-dessus.

Même si cela arrive qu’ils relaient un faux, les médias traditionnels constituent un certain gage de fiabilité. Mais attention !  Fiabilité n’est pas toujours synonyme de qualité. Il reste indispensable de diversifier au maximum les sources d’information pour être correctement informé.

2. La pertinence du message

Il ne faut pas hésiter à utiliser les moteurs de recherche des sites hoaxbuster et hoaxkiller. Il suffit de copier-coller un passage du texte douteux ou des mots-clés dans les zones de recherche. Souvent, les hoax sont des modifications ou des recyclages d’anciens canulars, ce qui les rend plus faciles à démasquer et permet également à la longue de comprendre leur fonctionnement : style d’écriture, de contenu, etc.

D’autres pages, dites de debunkers (démystificateurs), existent également. En voici, ci-dessous, une liste non exhaustive parmi les sites français.

Où vérifier une information ?

http://decodeurs.blog.lemonde.fr  : blog dédié à la vérification factuelle et à la contextualisation des discours, notamment politiques

www.liberation.fr/desintox,99721 : page web du journal Libération dédiée à la traque aux faux

http://rue89.nouvelobs.com/le-demonte-rumeur : homologue du lien précédent, lié à rue89 (Le nouvel observateur)

http://observers.france24.com/fr/tag/intox : page Les Observateurs (France Médias Monde)

www.debunkersdehoax.org : site de traque spécifique aux hoax d’extrême droite

www.conspiracywatch.info : observatoire des théories du complot et de lutte contre ses dérives

Liste des hoax les plus connus : www.hoaxbuster.com/hoax-les-plus-consultes

Enfin, pour aborder l’éducation aux médias de manière plus transversale, il existe également le site www.arretsurimages.net qui propose un panorama très large et instructif d’outils de décryptage des medias (articles, chroniques, vidéos, etc.).

Une seule certitude : la nécessité de douter…
 

Nous sommes aujourd’hui au cœur d’une guerre de la communication entre une multitude d’entreprises, organismes et individus qui ont tendance à orienter leurs contenus dans leur intérêt et/ou celui de leurs annonceurs. Ce qui est ainsi en train de se façonner progressivement, c’est un autre rapport à la vérité et à l’information.  Il s’agit d’y faire attention.

Pour conclure, il est important de prendre du recul et de multiplier les sources pour se prémunir des pièges les plus grossiers tendus sur la toile. Il est utile également de se méfier de l’info classiquequand on veut faire une analyse pointue de l’actualité car cette dernière glisse au fil du temps vers une logique plus événementielle que didactique.

Au XXe siècle, nous avons eu très peur en Europe d’un autoritarisme centralisé tel que décrit dans 1984 de George Orwell. De nombreux Occidentaux ont craint l’arrivée d’un gouvernement tyran qui cacherait la vérité et censurerait les contenus dissidents, comme c’est encore le cas actuellement en Chine, en Corée du Nord ou en Biélorussie.

Au XXIe siècle, c’est un obscurantisme décentralisé qui aurait de quoi faire tressaillir. Plutôt que de masquer l’information pertinente, il suffit de la rendre invisible en la noyant dans un flux nauséabond et sensationnel bien plus visible. Parmi les champions des simplifications et inventions, se trouve une fachosphère[13] et une complosphère sans chef, donc sans source facile à éradiquer.

Pour le politologue Stéphane François, spécialiste de l’extrême droite, la fachosphère française, « regroupe environ deux à trois mille personnes » qui « comblent un manque d’effectif par un militantisme accru, qui leur permet sur Internet de démultiplier leurs positions. ». L’auteur remarque d’ailleurs des liens entre différentes pages web où « l’on retrouve souvent un même webmaster »[14].

Résultat : un nébuleux mélange de conspirationnisme, antisémitisme, extrême-droite, qui inonde la toile et provoque des réactions virales, difficiles à maitriser.

Yves Eudes, lanceur d’alertes et grand reporter au journal Le Monde, explique que ces théories populaires et populistes sont attractives car elles sont globalisantes et simplificatrices. Néanmoins, il nous rappelle la nécessité de se tenir en éveil :

« Dénoncer le complotisme ne veut pas dire qu’il n’y a pas de complots sur la terre. (…) Les gens qui détiennent le pouvoir économique, politique, militaire ou culturel, le détiennent car eux savent des choses que leurs subalternes ignorent. (…) Donc, le travail du journaliste depuis toujours, c’est d’essayer de pousser les gens qui possèdent la puissance économique et politique à un peu plus de transparence »[15].

Seule notre vigilance et nos bonnes pratiques peuvent à la fois éviter des lectures simplistes des enjeux de notre société et désamorcer la bêtise des canulars, hoax et autres rumeurs.

Enfin, n’hésitons pas à débusquer les hoax !  À cet égard, le site le site hoaxbuster est continuellement à la recherche de bénévoles motivés (www.hoaxbuster.com/missions). A bon entendeur…  

Notes :