Le 18 novembre 2008

Eradiquer la pauvreté ! Quelle volonté politique en Belgique ?

Version actualisée en mai 2009

Les personnes n’ayant pas accès au minimum vital sont en Belgique (trop) nombreuses. Cette situation de pauvreté constitue une violation évidente d’un droit garanti par la Constitution belge, celui de vivre d’une manière conforme à la dignité humaine. Le Centre Avec examine les initiatives qui ont été préconisées et prises pour mettre fin à cette situation. Il faut bien reconnaître que, malgré les bonnes intentions proclamées et l’abondance des projets, il n’y a pas jusqu’ici de véritable politique efficace en la matière. Dans le contexte actuel, la perspective n’est pas très encourageante ; pourtant le défi est là et notre société ne peut plus l’éluder.
 

Est-il bien nécessaire, encore et toujours, de parler de la pauvreté ? Ne ferait-on pas mieux de s’en accommoder ? L’existence de pauvres au sein d’une société n’est-elle pas un mal nécessaire, une fatalité ? Ne lit-on pas dans l’évangile de Jean : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (12 ,8). L’inégalité des chances ne fait-elle pas partie de notre condition humaine ? Sans compter que les uns travaillent dur pour accéder au bien-être alors que d’autres se résignent à manquer du nécessaire.

Oui, n’en déplaise aux satisfaits, nous parlerons de la pauvreté et des pauvres. Parce que l’humanité a atteint un état de développement tel que l’existence de populations pauvres, constituant dans certains pays une minorité et dans d’autres la majorité des habitants, n’est ni une conséquence inéluctable de la rareté des ressources de la planète, ni un simple dégât collatéral d’un système politique, économique et social, pourtant juste et démocratique : « liberté, égalité, fraternité ». Nombreux sont ceux, et nous en sommes, qui pensent que le refus délibéré d’une société d’éradiquer la pauvreté présente dans une partie de sa population est le fruit d’un détournement scandaleux du pouvoir et, de plus, une erreur stupide.

Notre objectif n’est pas ici de refaire une analyse détaillée et compréhensive de la pauvreté en Belgique. Il y a heureusement pour cela des recherches scientifiques excellentes[1] et, qui plus est, largement diffusées ; elles sont entre les mains de nos responsables politiques. Nous y ferons cependant écho brièvement en nous remémorant quelques réalités vécues par les personnes en situation de pauvreté ainsi que les statistiques évaluant la prévalence de la pauvreté monétaire. Le fait qu’une fraction importante de la population de notre pays n’a pas accès au minimum vital constitue une violation évidente d’un droit garanti par la Constitution belge, selon laquelle « Tout citoyen a le droit de vivre d’une manière conforme à la dignité humaine » (art. 23). La question à laquelle nous voudrions répondre est de savoir quelles sont les actions qui ont été entreprises pour mettre fin à cette situation. Peut-on en conclure qu’il y a une volonté politique d’y mettre fin ?

1. La pauvreté en Belgique
 

1.1. La pauvreté monétaire

Le critère de Laeken, communément accepté pour mesurer le risque de pauvreté, en fixe le seuil au niveau de 60% du revenu national médian équivalent. Lorsque le revenu total d’un ménage se situe en dessous de ce seuil, on parle d’un risque accru de pauvreté. Selon les données d’EU-SILC (European Union Statistics on Income and Living Conditions), 14,7% de la population appartenait en 2006 au groupe à risque accru de pauvreté. Concrètement, ces personnes disposent donc de moins de 860 € par mois pour un isolé et de 1.805 € par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants[2].

Le rapport sur la pauvreté de 2005 motive sa résolution 5 – Agir sur le montant, la régularité et l’autonomie budgétaire – en ces termes : « Il est unanimement reconnu que la pauvreté est un phénomène multidimensionnel qui ne se limite pas exclusivement à l’aspect monétaire. Ceci ne peut cependant occulter le fait qu’être pauvre, c’est aussi devoir vivre – ou survivre – avec un revenu insuffisant. Il est d’autant plus utile de le rappeler que la tendance est à l’érosion du pouvoir d’achat des bas revenus. On constate en outre que l’inégalité des revenus ne cesse de s’accroître[3] . Le revenu digne doit se concevoir comme un outil qui permet de se projeter dans l’avenir, de construire et de se construire, de s’épanouir, non de subsister au jour le jour. »
 

1.2. Pauvreté et travail

De ce fait, le lien entre pauvreté et travail est évident, les personnes et les ménages en situation de pauvreté sont ceux dont l’insertion sur le marché du travail est ou a été déficiente[4]. Les femmes sont plus souvent dans cette situation que les hommes, de même les jeunes demandeurs d’emploi, les chômeurs, les handicapés, les invalides, les pensionnés, en particulier ceux qui ont travaillé comme indépendants ou qui n’ont pas eu une carrière complète. Les personnes issues de l’immigration sont également plus souvent touchées que les Belges d’origine[5].

Il ne suffit cependant pas de créer de l’emploi pour lutter contre la pauvreté..« Un autre phénomène, qui n’est pas neuf mais tend à s’amplifier, doit aussi être épinglé : il y a de plus en plus de travailleurs pauvres, d’hommes et de femmes dont les conditions de travail et le niveau de salaire ne permettent aucun espoir de meilleur statut »[6]. La lutte pour un travail décent ne concerne pas seulement les pays du Tiers-Monde ou les économies émergentes ; elle est d’actualité dans les pays du Nord et même parmi les plus riches, comme la Belgique[7]. La pression exercée sur les entreprises par les gros actionnaires et la Finance afin d’obtenir des « taux de profit à 2 chiffres » est telle que les managers se doivent d’aligner, de trimestre en trimestre, des résultats substantiels. La course au profit nécessite une diminution des coûts de production et donc des salaires. Pour accéder à l’emploi, le travailleur devra donc se satisfaire d’un bas salaire et de visées à court terme : travail intérimaire, contrat à durée déterminée, flexibilité des horaires. Sa situation devient précaire.

Les trouvailles récentes en matière de promotion de l’emploi doivent aussi être considérées avec beaucoup de circonspection. Les cocoricos, qui saluent le succès des titres-services et des milliers d’emplois nouveaux dont ils sont crédités, oublient que leur mise en oeuvre, souvent faite avec beaucoup de dignité et de satisfaction, n’empêche pas, tout aussi souvent, la création d’une nouvelle classe d’hommes de peine et de bonnes à tout faire rappelant étrangement les domestiques d’autrefois. Il semble de plus que les emplois titres-services ne débouchent sur des perspectives de travail durable à court ou à long terme que s’ils sont accompagnés par un suivi très spécifique tant des travailleurs que des conditions de travail qui leur sont offertes Ces bonnes pratiques existent mais sont loin d’être généralisées par tous les opérateurs[8]. Il ne suffit pas de prendre une bonne mesure ; il faut aussi penser à suivre son application si l’on veut que soit instauré un réel parcours de réinsertion pour des personnes souvent précarisées.
 

1.3. Le vécu de la pauvreté

Les approches de la pauvreté par les revenus, l’emploi et les conditions de travail sont certes utiles pour mesurer l’importance du phénomène, mais elle ne suffisent pas pour rendre compte de ce qui est vécu lorsque l’on se trouve en situation de pauvreté. Amartya Sen, prix Nobel d’économie, propose d’élargir l’attention à un ensemble de dimensions en lien avec le bien-être : « il faut juger le niveau de vie d’une personne à sa capacité de prendre des décisions informées et de vivre longtemps et qui plus est en bonne santé. »[9]. D’autres, comme ATD Quart Monde, s’y emploient en donnant la parole à ceux qui la vivent et en les écoutant[10]. Une telle approche, plus personnalisée ne peut manquer, pour être complète, de prendre en compte les processus sociaux d’inclusion ou d’exclusion sociale : sans emploi, sans papier, sans écriture (analphabète), sans…

Nous nous limiterons ici à reprendre quelques indicateurs construits par l’enquête EU-SILC (voir l’Annexe 2, ci-dessous). On constate ainsi que, dans tous les secteurs de la vie, les personnes en situation de pauvreté se trouvent défavorisées : logement[11], nourriture, relations sociales, loisirs. Les conséquences sur la santé sont particulièrement dramatiques. Une étude récente de la Mutualité chrétienne montre ainsi que le risque de mortalité des personnes socialement les plus défavorisées est accru de 21% par rapport à la moyenne et de 45% par rapport à ceux de la classe supérieure[12]. De même leur risque d’être atteint de maladies respiratoires est de 24% plus élevé et, pour les maladies cardio-vasculaires, de 16%. Malgré notre remarquable système de santé, malgré ses nombreux services et professionnels, malgré le statut Omnio bénéficiant aux personnes à revenus modestes, l’accès aux soins reste parfois difficile et trop coûteux. Pour y remédier, des citoyens, des professionnels se mettent ensemble pour aller vers ces exclus[13].

Un élément qui ne se prête guère à statistiques est le sentiment de culpabilité que génère l’attitude de beaucoup de citoyens, mais aussi de services publics pourchassant les « profiteurs ». A priori, le pauvre serait coupable de n’avoir pas fait tout le nécessaire pour en sortir. Qu’il s’agisse d’emploi, de logement, ou d’aide sociale, il doit faire la preuve de son innocence. Il en oublie qu’il est un « sujet de droit » et  en arrive à penser « Je ne suis rien – Ik ben niks », ou encore « Nous ne sommes personne, nous ne comptons pas » [14].

2. L’action des pouvoirs publics en Belgique
 

Pour aborder un tel sujet, lequel se limitera aux années récentes, on ne peut oublier l’importance de l’héritage reçu des générations précédentes. Les luttes sociales qui ont abouti à l’instauration de la Sécurité sociale et au Droit du travail ont largement fait reculer les frontières de la pauvreté dans notre pays. La concertation sociale y a également contribué. Sans les pensions et autres transferts sociaux, le taux de pauvreté serait de 41% supérieur à ce qu’il est aujourd’hui. Ces acquis, qui en fait ont été conquis, sont précieux, ils doivent être défendus et il faut continuer le combat. Le droit à une vie digne est inscrit dans la constitution, avons-nous dit ; mais, y a-t-il une volonté politique de travailler à ce que ce soit une réalité ?
 

2.1. Le cadre légal de la lutte contre la pauvreté

De nombreux services publics et organes de décision, aux différents niveaux de pouvoir, sont concernés par la pauvreté dans l’exercice de leurs compétences propres. La création d’un partenariat entre ces instances et avec les organismes défendant les plus démunis fut proposée en 1994 par le 1er rapport général sur la pauvreté. Ce projet aboutit le 5 mai 1998 à un Accord de coopération entre l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions relatif à la continuité de la politique en matière de pauvreté (cfr annexe 3) et, en 1999 à la création du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale[15]. Le Service organise la concertation entre des associations auxquelles les personnes pauvres font confiance, des CPAS, des interlocuteurs sociaux, des professionnels de divers secteurs, des administrations. A partir de ces travaux, il formule des analyses et des recommandations destinées aux responsables politiques du pays. Depuis 2001, elles font l’objet d’un rapport bisannuel.

Un service public fédéral de programmation (SPP) a été spécialement créé avec en charge : l’intégration sociale, la lutte contre la pauvreté, l’économie sociale et la politique des grandes villes. Il est notamment chargé du suivi des recommandations des rapport fédéraux sur la pauvreté. Actuellement Mme la Ministre Marie Arena, Ministre de l’Intégration sociale, des Pensions et des Grandes villes, en a la charge et Mr le Secrétaire d’État Jean-Marc Delizée lui est adjoint pour la lutte contre la pauvreté.
 

2.2 Les actions récentes de lutte contre la pauvreté

Au cours des années 2000, la promotion de l’emploi a certes été une préoccupation constante des pouvoirs publics. Cette préoccupation se trouve parfois en contradiction avec le souci de garantir à chacun un revenu décent et donc d’augmenter les allocations sociales. Pour motiver les jeunes en recherche d’un premier emploi et les chômeurs à rechercher un travail, il faut évidemment qu’ils trouvent plus d’avantage à travailler qu’à rester bénéficiaires d’allocations sociales. L’Union des Villes et des Communes de Wallonie a effectué une analyse remarquable de ces pièges à l’emploi [16]. Le Chapitre II énumère ainsi une dizaine d’aides, exonérations et avantages divers venant au secours de l’allocataire social, pour autant bien sûr qu’il ait été suffisamment bien informé pour en bénéficier et au risque de le transformer en « assisté ». Le rapport suggérait notamment que chaque augmentation des allocations sociales soit toujours accompagnée d’une augmentation équivalente du salaire minimum garanti. Sans cela, le différentiel restera trop important pour susciter la motivation à travailler. Par ailleurs, il proposait de fixer un « salaire de référence » (p.e. 1.350 € bruts) en deçà duquel toute personne pourrait continuer à percevoir certains avantages sociaux.

Dans le même temps, les rapports fédéraux bisannuels sur la pauvreté faisaient un constat alarmant quant à la gravité de la situation. Celui de 2005 soulignait le fait que de nombreuses allocations sociales étaient inférieures au seuil de pauvreté et ne pouvaient donc atteindre le but qui leur est fixé, à savoir de garantir aux allocataires sociaux le droit à une vie digne. Il recommandait une augmentation rapide des allocations sociales et du salaire minimum ainsi que la suppression du statut de cohabitant.

Deux ans plus tard, le rapport Pauvreté de décembre 2007 constate une aggravation de la situation : de plus en plus de ménages ont des revenus insuffisants ou traversent des périodes où leurs revenus sont aléatoires. L’inégalité des revenus est croissante. Le pouvoir d’achat diminue de telle sorte que même les personnes à revenus moyens doivent restreindre leur niveau de vie. Alors que le rapport précédent recommandait de s’orienter résolument vers des mesures globales relevant l’ensemble des revenus, les avancées en ce sens ont été très limitées. Parmi celles-ci, on note la décision de relever le Revenu minimum moyen garanti[17] et le vote d’une Loi[18] permettant d’appliquer un programme de liaison progressive au bien-être des pensions et autres allocations sociales.. Une enveloppe annuelle de 0,057% du produit intérieur brut (PIB) est affectée à cette liaison, à partir de 2007. Toutefois l’application de cette mesure est conditionnée par l’application de la Loi sur la compétitivité.

Depuis le 1er avril 2007, le statut Omnio[19], autrefois limité aux catégories de Veuves, Pensionnés, Invalides et Orphelins est octroyé à toute personnes confrontée à des difficultés économiques, et permet donc de bénéficier de l’intervention majorée. Mais la demande doit être adressée par l’intéressé à sa Mutuelle qui doit vérifier s’il y a droit. A ce jour, 10% à peine du public potentiel en bénéficie réellement.

Les autres mesures qui ont été prises, certes très utiles et nécessaires, visent à corriger divers disfonctionnements dont sont victimes les personnes à bas revenus ; elles ne permettent pas d’espérer des changements substantiels dans la prévalence de la pauvreté. Au contraire, celle-ci va s’aggraver dans des proportions que l’on n’ose à peine imaginer en raison de la détérioration récente du pouvoir d’achat et des conséquences de la crise financière.

Le 20 mars 2008, le gouvernement Leterme 1er est mis en place. La Déclaration Gouvernementale, élaborée dans le climat communautaire difficile que l’on sait, comprend une résolution importante concernant la lutte contre la pauvreté. « Le gouvernement proposera de mener un plan ambitieux de réduction de la pauvreté et d’augmentation du pouvoir d’achat, visant en priorité les plus vulnérables de notre société. À cet égard, il fera un effort annuel. » La pauvreté est évoquée également à propos de l’emploi: « Nous voulons être un gouvernement qui donne aux demandeurs d’emploi de meilleures chances d’arriver sur le marché du travail et qui les pousse à les saisir. Le travail est en effet le meilleur moyen de sortir quelqu’un de la pauvreté et de lui procurer un revenu. ». La préoccupation est louable, encore faut-il que les conditions de travail et le salaire soient décents.

Par ailleurs, la Déclaration gouvernementale envisage d’appliquer la décision prise précédemment visant l’adaptation bisannuelle des allocations au bien-être. Concernant la suppression du statut de cohabitant, il est seulement prévu de « ne plus tenir compte, pour l’allocation d’intégration, du revenu du partenaire d’une personne handicapée ».

Le 4 juillet 2008, le Secrétaire d’État J-M. Delizée a présenté au Conseil des Ministres, qui l’a approuvé, son Plan fédéral de Lutte contre la pauvreté. Ce plan poursuit le travail effectué par le Service de lutte contre la pauvreté. Il est synthétisé autour de grands axes d’action et reprend les préoccupations majeures exprimées par les Rapports de 2005 et 2007. Rien cependant n’est prévu pour amener rapidement le RIS (revenu d’intégration sociale) au niveau du seuil de pauvreté, ni pour supprimer le statut de cohabitant. Des 59 mesures qui sont présentées, plusieurs étaient déjà d’application et d’autres sont annoncées comme étant à l’étude. L’approbation de ce Plan par le Conseil des Ministres est un acte politique important, mais l’expérience nous apprend qu’il ne faut croire aux mesures annoncées que lorsqu’elles se concrétisent en décisions.

Au chapitre des réalisations ultérieures, on notera les interventions pour le chauffage tant du fonds mazout que pour le gaz et l’électricité et un effort certain pour informer la population du tarif social. Mais on n’est pas encore arrivé à automatiser ces avantages sociaux pas plus que le statut Omnio pourtant essentiel pour l’accès aux soins des personnes à bas revenus.

Le 13 juin 2007, une proposition de Loi avait été déposée à la Chambre par Mme Zoé Genot (écolo) en vue de porter le niveau du revenu d’intégration au dessus du seuil de pauvreté et d’aligner le montant octroyé aux cohabitants sur celui octroyé aux isolés.

Sous la présente législature, le texte a été examiné en Commission de la santé publique, environnement et renouveau de la société. Des amendements ont été déposés par Mme Genot. La nouvelle proposition a été transmise à la Commission des Affaires sociales le 16 octobre 2008. Elle détaille la mise en œuvre de cet objectif pour plusieurs allocations sociales : revenu d’intégration sociale (RIS), allocations pour personnes handicapées, chômage, incapacité primaire et d’invalidité, pensions de retraite et de survie, garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA). Il est prévu que l’alignement sur le seuil de pauvreté des montants de ces allocations se ferait en 4 ans. La Cour des Comptes a évalué que, pour porter le RIS et l’ensemble des allocations sociales minimales au niveau du seuil de pauvreté, il faudrait 1,25 milliard d’euros ; tandis que, pour supprimer la catégorie de cohabitant, il en coûterait 227,3 millions d’euros au Budget de l’État[20].

Les Régions s’efforcent également de mieux connaître l’état de la pauvreté au sein de leur population et de promouvoir des mesures favorables aux personnes en situation de pauvreté. Il faut à la fois rendre hommage à leurs initiatives et se lamenter sur leur manque de moyens particulièrement en Région bruxelloise.
 

2.3 Quelles perspectives

Les Ministres en place font des plans qu’ils estiment ambitieux.

Prenons à titre d’exemple, le logement à Bruxelles, un secteur particulièrement en crise dans la Région la plus atteinte par la pauvreté. Le plan 2004-2009 : « Un avenir et une ambition pour Bruxelles » prévoyait de : « mettre en oeuvre le Plan pour l’avenir du logement (construction de 5.000 logements publics dont 70% à caractère social et 30% à caractère moyen) ». En fait ce Plan datait de 2002 et n’avait encore engrangé aucun résultat. Ambitieux, peut-être, mais notoirement insuffisant alors que la demande insatisfaite de logements sociaux s’élevait à quelque 25.000 ménages. En 2008, la Ministre du logement se réjouit des avancées réalisées. Ses services ont déjà identifié la localisation des 5.000 logements prévus. A la fin de la législature, ils seront en cours de réalisation. On aura remarqué que, le temps ayant passé, il ne s’agit plus de logements construits mais de logements se trouvant à des stades divers de mise en œuvre. Mais, même cela, peut-on vraiment y croire ?  Lorsque l’on consulte le site où est présentée la réalisation du Plan logement, on dénombre, en décembre 2008, 347 logements dont la construction a été attribuée, 649 pour lesquels un permis de bâtir a été accordé et 1.186 dont le dossier est « en préparation ». Soit au total 2.182 logements + 7 projets d’immeubles localisés mais non chiffrés. Entre-temps, la situation des logements sociaux a continué à se dégrader, malgré les rénovations réalisées. Le nombre de logements sociaux inoccupés parce qu’inhabitables a augmenté. Quant à la situation générale du logement à Bruxelles, l’augmentation du prix de l’immobilier et des loyers s’est poursuivie et aggrave la difficulté des ménages à se loger décemment. Le Gouvernement bruxellois n’a pas pu prendre une mesure inversant la tendance, telle qu’aurait pu l’être le blocage des loyers.

Le Plan fédéral visant à « Abolir la pauvreté » a certes le mérite d’exister ; on ne peut qu’encourager les Pouvoirs Publics à le mettre en œuvre. S’il est réalisé au terme de la législature, aura-t-on vraiment progressé ?  En clair, y aura-t-il moins de personnes en situation de pauvreté, leurs perspectives de vie présente et à venir, et celles de leurs enfants, seront-elles meilleures ?  Au mieux, on aura évité que la situation ne se détériore et adouci quelques conséquences des situations les plus criantes de pauvreté, pour autant que les mesures prévues par le Plan soient effectivement réalisées. Bien des observateurs de la vie sociale ne croient ni à la capacité du Plan d’obtenir une avancée significative vers l’abolition de la pauvreté, ni d’ailleurs à la capacité du Gouvernement à réaliser le Plan qu’il a approuvé[21].

La proposition de Loi concernant les minima sociaux, actuellement à l’examen au Parlement, est de nature à modifier les données du problème de manière radicale et rapide. Son coût n’est pas exorbitant. Mais sera-t-elle votée ?  Le gouvernement actuel n’ayant pas retenu cette priorité, il est difficile d’espérer un vote positif d’une majorité de députés, même de ceux dont le programme électoral reprenait cet objectif[22]. Peut-on espérer que les représentants démocratiquement élus par la Nation considèrent comme un devoir de veiller à ce que le droit à une vie décente, reconnu à tout citoyen par la Constitution qu’ils ont juré d’observer, soit effectivement mis en œuvre ?  On peut y croire, mais les objections sont importantes et de puissants intérêts sont en jeu. Si les minima sociaux sont relevés, il faudra également, pour éviter les pièges à l’emploi, augmenter le revenu minimum garanti. On se heurte alors à la sacro-sainte compétitivité, autrement dit à la nécessité de peser sur les salaires pour garantir les taux de profit attendus par les actionnaires de nos entreprises et le marché financier. Face à la faillite du système financier mondial à laquelle nous venons d’assister, il va sans doute être nécessaire de revoir les priorités de la vie économique en fonction du développement durable de l’homme et de la planète.

Conclusion
 

A la question posée : « Y-a-t-il une volonté politique pour éradiquer la pauvreté en Belgique ? » notre réponse est : Non.

Bien sûr le sujet préoccupe et l’objectif est politiquement correct. La multiplicité des plans stratégiques, des rapports et des études statistiques en témoigne, à l’évidence. Certes, beaucoup d’actions sont menées par les pouvoirs publics, les fondations et les associations de toutes couleurs et obédiences et, bien sûr, par beaucoup de simples citoyens pour pallier les conséquences de l’inacceptable pauvreté. C’est bien la moindre des choses que l’on puisse attendre d’un pays riche et civilisé ! Mais, pour l’essentiel, les pauvres sont abandonnés à eux mêmes, avec des revenus insuffisants pour mener une vie digne. Et tout est en place pour que la situation actuelle déjà dramatique devienne catastrophique.

Nous aimerions entendre nos responsables politiques nous dire qu’ils se sentent impuissants face à la pauvreté, qu’ils sont juste capables de prendre des demi-mesures pour éviter que cela n’aille plus mal. Pour aller plus loin, il faudrait disposer de fonds supplémentaires et opérer des choix douloureux. Tout se passe actuellement comme s’il suffisait pour satisfaire l’opinion publique de dire qu’on veut agir sans pour autant réclamer les moyens pour mettre en œuvre ce que l’on veut réaliser. Cela c’est une velléité pas une volonté. Et pourtant, « Réduire l’extrême pauvreté et la faim », c’est possible et l’ONU s’est  fixé cette tâche comme premier « Objectif millénaire du développement». 

En tant que citoyens, sommes nous prêts à soutenir une telle politique, ne fût-ce qu’en nous acquittant de nos impôts, à donner notre voix aux hommes politiques qui s’engagent en ce sens et là où nous sommes, individuellement ou en association avec d’autres, de travailler à ce qu’il y ait plus d’égalité, de liberté et de fraternité, même pour ceux que la société met à genoux.

Notes :

  • [1] Nous pensons par exemple aux diverses publications du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale et à celles de l’Observatoire de la Santé et du Social à Bruxelles (voir bibliographie).

    [2] http://www.luttepauvrete.be/chiffres_nombre_pauvres.htm. Notre Annexe 1 en reprend les principaux résultats.

    [3] Le coefficient de Gini est un indicateur qui permet de mesurer la disparité des revenus. Le coefficient est de 0 en cas d’égalité complète et de 1 lorsque l’inégalité est totale. L’évolution de cet indice en Belgique est claire. De 1985 à 2001, il s’élève, après impôt, de 0.267 à 0.319 (Institut National de Statistiques).

    [4] Selon l’enquête EU-SILC 2006, 4,2% des personnes qui travaillent sont pauvres contre 31,2% des chômeurs et 20,3% des retraités.

    [5] Selon l’étude menée par les universités de Liège et Gand, 59% des allochtones d’origine turque et 56% de ceux d’origine marocaine vivent sous le seuil de pauvreté. La pauvreté ne diminue pas à la deuxième et à la troisième génération. Voir Van Robaeys Bea, Perrin Nathalie, La pauvreté chez les personnes d’origine étrangère. Rapport d’une recherche à propos du lien entre immigration et pauvreté, Onderzoeksgroep Armoede, Sociale Uitsluiting en de Stad, Gent ; Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations, Liège, 2007.  Voir http://www.kbs-frb.be/publication.aspx?id=217970&LangType=2060.

    [6] Régis de Muylder, secrétaire général d’ATD Quart-Monde, interview à La Libre Belgique, 18-19/10/2008.

    [7] Le concept de travail décent a été créé par l’Organisation internationale du travail en 1999. Il fait l’objet d’une campagne internationale (www.decentwork.org), relayée en Belgique par la coalition belge pour le travail décent (www.travaildecent.be). Une journée mondiale est consacrée au travail décent le 7 octobre. Lire à ce sujet le livre publié sous la direction d’Arnaud Zacharie et Alexandre Seron, Mondialiser le travail décent, Luc Pire, Bruxelles, 2008.

    [8] Thierry Martin et Henk Termote, ‘Les emplois titres-services : marche-pied ou chausse-trappe pour les personnes pauvres ?’,  L’Observatoire, N°56/2007-08, pp. 67-70.

    [9] Amartya Sen, Un nouveau modèle économique – développement, justice, liberté, éd. Odile Jacob, Paris, 2000, cité par Dominique Cabiaux in « Le ‘seuil de pauvreté’ : quand les mots servent de cache-nez à l’inacceptable », L’Ère nouvelle (CSC Services publics), nov. 2008, pp. 14-15.

    [10] Voir le site d’ATD Quart Monde en Belgique : http://www.atd-quartmonde.be/.

    [11]  Nous avons développé cet aspect concernant la situation à Bruxelles dans une étude disponible sur le site du Centre Avec : Promouvoir l’accès à un habitat décent en Région bruxelloise, 2007, http://www.centreavec.be/pages/Pub_etudes.htm.

    [12] Avalosse H., Gillis O., Cornelis K., Mertens R., Inégalités sociales de santé : observations à l’aide de données mutualistes, Bruxelles, Mutualité chrétienne, 2008. Consulté sur : http://www.mc.be/cm-tridion/fr/135/Resources/Inegalites%20de%20sante%20lres_tcm183-51631.pdf

    [13] Médecins du monde a ouvert à Bruxelles, le 1er avril 2008 un Centre d’accueil, de soins et d’orientation (CASO) à l’intention des exclus du système. Le CASO comprend trois pôles : social, médical et psychologique. Il fait appel à des volontaires médicaux et non médicaux. Voir « Soigner ceux que le monde oublie peu à peu », Santé conjuguée, n°46, 2008, pp 19-21. En outre, la Campagne d’Avent d’ Action Vivre Ensemble invite cette année à participer à son travail de solidarité envers les exclus autour du thème « La pauvreté nuit gravement à la santé ». Cette campagne de sensibilisation se double d’une récolte de fonds pour soutenir 87 projets de lutte contre l’exclusion sociale en Wallonie et à Bruxelles. Par exemple, le projet infirmières de rue.  Pour plus de détails voir www.entraide.be .

    [14] Observatoire bruxellois de la Santé et du social, Rapport pauvreté 2008 : Pauvreté et vieillissement, p57.

    [15] Voir le site du Service de lutte contre la pauvreté : http://www.luttepauvrete.be/. Il donne accès, parmi les « Publications », aux rapports bisannuels du Service et aux autres publications du SPF Sécurité sociale et de chaque entité régionale ou communautaire, ainsi que parmi les « Faits et Chiffres » aux résultats des enquêtes EU-SILC.

    [16] Ricardo Cherenti, Analyse 2005 des Pièges à l’emploi, Fédération des CPAS, Service Insertion professionnelle (sept. 2005). Consulté sur : http://www.uvcw.be/no_index/cpas/insertion/pieges-emploi-2005.pdf

    [17] Accord interprofessionnel 2007-2008 : de 25€ au 01/01/2007 et 25€ au 01/01/2008. Consultable sur : http://www.cnt-nar.be/Faccord-interprof.htm.

    [18] Loi du 23 décembre 2005 sur le pacte des générations, Moniteur belge, 30 décembre 2005.

    [19] INAMI : Statut Omnio : Pour bénéficier du ticket modérateur réduit, les revenus bruts annuels ne peuvent pas dépasser 13.312,80 euros par ménage et 2.464,56 euros par enfant à charge.

    [20] Disponible sur : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/52/0051/52K0051002.pdfAvis de la Cour des comptes. La méthodologie de calcul et le détail des estimations sont brièvement présentées en annexe 4.

    [21] Voir les articles du N° 63 de Solidarité contre l’exclusion.

    [22] Voir les articles du N° 62 de Solidarité contre l’exclusion.