En Question n°119 - décembre 2016

Egalité entre les femmes et les hommes

Six niveaux pour comprendre et agir

Des femmes actrices dans la lutte contre les inégalités au Sud et au Nord

Le Monde selon les femmes, ONG belge de développement et Centre international de formation en genre, propose depuis plus de vingt ans des formations et des recherches-actions sur l’égalité entre les femmes et les hommes avec des associations partenaires du Sud.

Depuis 1995, lors de la 4ème Conférence internationale de l’ONU sur les droits des femmes à Béjing, l’approche genre – gender en anglais  ̶ fait partie des repères des Organisations internationales de développement. Pour le Monde selon les femmes, il s’agit d’une triple approche. Elle analyse la hiérarchisation des rapports sociaux entre les femmes et les hommes en tant que groupes sociaux et en révèle les évolutions historiques et géographiques. Elle repose sur une vision de la société où femmes et hommes sont égaux en droit. Elle propose des outils méthodologiques pour atteindre cet objectif : plaidoyer, financement de partenaires du Sud, formations, recherche.

Dans le cadre des Objectifs pour le développement durable de l’ONU, il s’agissait de « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles (Objectif n°5) ». Des progrès ont été accomplis dans le monde entier en matière d’égalité des sexes dans le cadre de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (notamment l’égalité d’accès à l’enseignement primaire pour les filles et les garçons), mais les femmes et les filles continuent de pâtir de discrimination et de violences dans toutes les régions du monde. L’égalité des sexes n’est pas seulement un droit fondamental de la personne, mais aussi un fondement nécessaire pour l’instauration d’un monde pacifique, prospère et durable. Garantir l’égalité d’accès des femmes et des filles à l’éducation, aux soins de santé, à un travail décent et à la représentation dans les processus de prise de décisions politiques et économiques nourrira l’instauration d’économies durables et sera bénéfique aux sociétés et à l’ensemble de l’humanité.

L’introduction de l’approche de genre dans la coopération au développement date de 1995 (4ème Conférence internationale de l’ONU sur les droits des femmes). Elle s’inscrit dans l’histoire des luttes sociales des mouvements de femmes depuis deux siècles. Le féminisme ne s’est pas développé seulement au Nord. Les mouvements sociaux pour les droits des femmes existent aussi dans les pays du Sud où ils sont de plus en plus présents et actifs. La Marche Mondiale des femmes en est un des exemples les plus récents. Comme ONG de développement, le Monde selon les femmes cherche à rendre visibles les actions des femmes du Sud, leurs savoirs et leurs savoir-faire.

Références légales et internationales

L’égalité entre les femmes et les hommes est une obligation internationale et nationale. Il existe plusieurs engagements internationaux auxquels la Belgique a souscrit comme la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes (CEDEF) de 1979, la Déclaration du Caire 1994, la Plateforme de Beijing 1995, le gendermainstreaming inclus dans Traité d’Amsterdam de l’Union européenne, la résolution 1325 du Conseil de l’ONU sur les femmes, actrices de la paix et de la sécurité, les Objectifs du Développement Durable et les Accords de Busan… Au niveau Belge, il existe la Loi du gendermainstreaming de 2007 qui inclut le genderbudgeting (budgétisation sensible au genre) et la loi de la coopération de 2014 (art 11.2) qui impose à la coopération belge au développement « l’intégration » de la dimension genre qui vise l’empowerment des femmes et l’égalité des hommes et des femmes dans la société comme thème transversal.

L’approche genre dans les organisations : niveaux d’analyse et d’action

À côté du travail avec des partenaires du Sud et dans les domaines spécifiquement liés aux métiers de la coopération au développement, pour aborder la question de l’approche genre au sein des organisations – et des ONG en particulier  ̶ nous proposons de décliner la grille d’analyse de Jacques Ardoino[1] sous l’angle de l’approche genre et de lui ajouter un sixième niveau, emprunté à Alain Touraine[2] : l’historicité.

Chacun des niveaux de la grille d’Ardoino fait référence à des disciplines de sciences humaines et à des interventions de différents types. Cette grille élargit le champ des possibles mais permet aussi de clarifier ce dont on parle, ce qui permet de gagner en temps et en efficacité ! Cela permettra parfois de proposer des mesures axées principalement sur les femmes ou sur les hommes tout en gardant en vue l’objectif d’égalité.

Niveaux Disciplines en sciences humaines
Individuel Psychologie
Interpersonnel Psychologie relationnelle
Groupal Psychologie sociale
Organisationnel Sociologie des organisations
Institutionnel Macrosociologie
Historicité Politologie

L’idéal sera de procéder à un diagnostic participatif. Il en va de même pour la démarche qui consiste à définir des indicateurs de genre[3]. Ceux-ci sont en effet des éléments concrets définis par les personnes intéressées pour reconnaitre les progrès effectués à chaque niveau et dans plusieurs domaines pour que l’égalité soit effective : disparition des blagues sexistes, présence de femmes dans les organes de direction, nombre de congés de paternité, etc.

Nous proposons ici, et sur base de cette grille méthodologique, quelques éléments d’analyse pour chaque niveau ainsi que des pistes d’action concrètes pour la construction de stratégies[4] visant l’égalité entre les hommes et les femmes.

1. L’approche genre au niveau individuel

L’approche genre permet de démontrer comment les stéréotypes attribués aux femmes et aux hommes, liés aux rôles sociaux, sont relayés dès la plus tendre enfance, via l’éducation, les médias, la publicité, etc. Chacun-e en est plus ou moins imprégné-e et se positionne en accord ou en opposition à ces modèles dans son travail d’individuation. L’objet d’analyse est l’expérience personnelle que l’individu se fait de sa masculinité ou de sa féminité. Ainsi, si on croyait aux assertions du livre « Mars et Vénus », les femmes n’auraient pas le sens de l’orientation ; les hommes seraient moins capables de faire plusieurs choses à la fois ; les hommes seraient plus enclins à marquer leur territoire et à agresser qui empiète sur celui-ci ; les femmes seraient plus tendres et affectueuses… Ces généralisations basées sur l’argument de nature sont des stéréotypes sur lesquels reposent des rôles figés et hiérarchisés. En effet, la naturalisation des différences entre le masculin et le féminin légitime les discriminations entre les hommes et les femmes.

Quelques pistes d’action[5] :

2. L’approche genre au niveau interpersonnel

L’approche genre mettra notamment en évidence la répartition traditionnelle des rôles familiaux qui se rejoue régulièrement dans les interactions entre deux personnes. L’objet d’analyse porte donc sur l’environnement proche où se vivent les interactions interpersonnelles (famille, école, travail, club de loisirs,…) et qui contribue à renforcer ou à ouvrir l’image de la masculinité et de la féminité. La vie de couple est évidemment concernée au premier chef à ce niveau, même si en théorie elle ne trouve pas sa place au sein d’une « organisation » et relève de la sphère privée. Toutefois, à titre d’exemple, la sphère de travail ou militante est régulièrement impactée par des situations de violences conjugales (qui concernent un couple sur cinq) : il sera dès lors important de pouvoir être à l’écoute et relayer, le cas échéant, vers des associations adéquates.

Quelques pistes d’action : l’approche féministe mobilisera des tendances sociétales  ̶ par exemple, la banalisation de la violence envers les femmes dans les médias (certaines publicités et clips font état de femmes clairement violentées ou sur le point de l’être)  ̶ afin de contribuer à ce que les personnes « victimes » puissent sortir de la culpabilisation et comprendre aussi les mécanismes globaux dans lesquels la « catégorie » des femmes est enfermée.

On proposera par exemple comme moyens :

  • La communication non violente, des techniques d’écoute active.
  • Un relais vers des groupes féministes de partage d’expériences dans le cas où les personnes connaissent des violences intrafamiliales ou se sentent objet de harcèlement professionnel.
  • Une répartition des tâches équitable entre une femme et un homme qui sont en charge d’une mission conjointe.

3. L’approche genre au niveau groupal

L’analyse de genre d’un groupe permet d’identifier si son fonctionnement reproduit ou non les rôles traditionnellement dévolus aux femmes et aux hommes. L’objet d’analyse est le groupe comme entité : comment s’y répartissent les rôles et les fonctions ? Des constantes peuvent apparaitre, reflets de stratégies délibérées ou d’influences extérieures puissantes de la société. Conscient-e-s du risque, les collègues essaient-ils-elles, d’un commun accord, de ne pas reproduire les stéréotypes de la répartition des tâches ménagères par exemple ? Comment se répartit la parole dans un groupe, dans une équipe de travail ? Comment se prennent les décisions ? Le leadership est-il réparti équitablement entre les sexes ?

Quelques pistes d’action :

  • Faire un diagnostic des modes de fonctionnement du groupe.
  • Veiller à ce qu’il y ait autant de femmes que d’hommes dans les différentes tâches (mixité à la vaisselle, dans les relations publiques… !) et niveaux de décision.
  • Alterner les prises de paroles des femmes et des hommes dans les réunions et veiller à un temps de parole équitable des un-es et des autres.
  • Créer un label « Group gender friendly ».
  • Mettre en œuvre des pratiques collectives qui favorisent le partage du pouvoir et les actions portées ensemble pour l’égalité.
  • Désactiver le phénomène des blagues sexistes et/ou racistes en veillant aux besoins de rire ensemble d’un groupe.
  • Identifier, puis bannir les actes de paroles qui stéréotypent et excluent.

4. L’approche genre au niveau organisationnel

L’analyse de genre appliquée à une organisation permet de voir comment les femmes et les hommes, en tant que groupes sociaux sexués, se répartissent le pouvoir, les ressources, l’influence et poursuivent des logiques d’intérêts différentes. Cette analyse de l’organisation permet de mettre en évidence la coopération, ainsi que les conflits qui s’y déroulent.

Quelques pistes d’action :

  • Analyser l’organigramme institutionnel grâce à des statistiques sexuées (postes à responsabilités, temps partiels, salaires, avantages, etc.).
  • Comprendre les mécanismes du plafond de verre et du plancher collant[6].
  • Mettre en place des mesures permettant la conciliation vie privée/vie professionnelle autant pour les hommes que pour les femmes : impératifs liés à la garde des enfants (horaires flexibles, heures de réunions,…) ;
  • Intégrer la parité dans les critères de performance.
  • Soutenir la prise de congé de paternité.
  • Etablir un plan de formation en genre.
  • Afficher les procédures mises en place en faveur d’une étude d’impact selon le genre.
  • Organisation de la circulation de l’information par cercles de pairs ou dans des instances transparentes.

5. L’approche genre au niveau institutionnel

Depuis un quart de siècle, les normes européennes et internationales ont intégré explicitement l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette avancée sociale récente reste néanmoins fragile : une analyse de genre montre le fossé qui persiste entre les valeurs prônées et les réalités concrètes de pauvreté, de violence, d’analphabétisme, d’accès aux ressources et aux décisions, qui caractérisent les différences de situations et les inégalités entre les femmes et les hommes. L’objet de ce niveau d’analyse concerne les normes et valeurs des institutions, éléments essentiels des inégalités entre les sexes.

Quelques pistes d’action :

  • Inscrire l’égalité et l’approche genre dans la charte, les règlements, la mission de l’organisation.
  • Porter plainte contre toute image dégradante présentée comme modèle de femmes ou d’hommes (publicités, médias,…).
  • Extirper les stéréotypes sexistes de la communication de l’association (campagnes, représentations externes,…) ; féminiser les noms de métiers, grades et fonctions, constituer une banque d’images illustrant des femmes et des hommes dans toutes les fonctions…
  • Récolter et faire connaitre des statistiques sexuées.
  • Connaitre et faire connaitre le cadre juridique de l’égalité.

6. L’approche genre au niveau de l’historicité

L’objet d’analyse est la capacité de transformation de la société par elle-même. Le féminisme, en tant que mouvement social, traversé par des contradictions d’intérêt (classes sociales, origines, âges, etc.), a permis à la société d’évoluer dans sa capacité à agir sur elle-même, vers une plus grande démocratisation, mettant sans cesse la question de l’égalité au cœur du débat et exigeant des résultats. Cette historicité a notamment abouti à la mixité scolaire, l’égalité des droits, l’accès à la contraception, la dépénalisation de l’avortement, les libres choix affectifs, les nouveaux pères, la parité, etc.

Quelques pistes d’action :

  • Susciter des débats citoyens sur les thèmes liés à l’égalité.
  • Construire des alliances entre associations, mouvements sociaux et syndicats autour de thèmes liés à l’égalité (par exemple dans le cadre de la Marche Mondiale des femmes).
  • Organiser des formations et des cours pour faire connaitre l’histoire des lois en faveur de l’égalité et des droits des femmes et de la manière dont les mouvements sociaux ont obtenu ces changements législatifs (histoire du mouvement féministe, syndical,…).

En conclusion, identifier les 6 niveaux d’une réalité sociale avec l’approche genre représente un moyen privilégié d’expliquer le social par le social pour in fine aboutir à des changements à tous les niveaux vers l’égalité – de droits et de faits  ̶ entre les femmes et les hommes. Les évolutions actuelles sont en effet partagées : des avancées dans les lois et les comportements personnels ; mais également des reculs et des menaces dans certains milieux et de la part de responsables politiques (Donald Trump en est une récente et terrible illustration). C’est pourquoi Le Monde selon les femmes continue de proposer des formations, des accompagnements et des collaborations à différents acteurs (associations, syndicats, centres de recherche, administrations, etc.).

Notes :

  • [1] Ardoino J., 1965, Propos actuels sur l’éducation, Paris, L’Harmattan, 2004 et Propos actuels sur l’éducation, Contribution à l’éducation des adultes, Gauthier-Villars.

    [2] Touraine A., 1973, La production de la société, Paris, Seuil.

    [3] de la Pena Valdivia M., 2015, Les indicateurs de genre, Bruxelles, Le Monde selon les femmes.

    [4] Drion Cl. et Pirotton G., 2015,Genre, 6 niveaux pour comprendre et construire des stratégies, Bruxelles,Collection Les Déclics du genre, Le Monde selon les femmes.

    [5] Les pistes concrètes proposées dans cet article n’ont pas de vocation normative !

    [6] Le plafond de verre est l’ensemble des barrières invisibles excluant les femmes des niveaux hiérarchiques les plus élevés. Le plancher collant est ce qui les retient dans des fonctions moins élevées.