En Question n°149 - juin 2024

Comment mettre la finance au service de l’écologie ?

Voici deux domaines que l’on associe rarement : la finance et l’écologie. Pourtant, elles sont intimement liées l’une à l’autre, au point qu’il semble impossible d’imaginer un avenir « durable » (au sens où il ferait face aux gigantesques défis écologiques qui sont les nôtres) sans une remise en ordre radicale du rôle joué par les banques et les marchés financiers dans nos sociétés et un questionnement sur le rôle que pourraient jouer les finances publiques. C’est ce lien, aussi profond qu’ignoré, entre la finance et notre avenir écologique que cet article tente d’expliciter.

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Dans cet article, je commencerai par montrer que le financement de la bifurcation écologique est un enjeu majeur de la mise en œuvre concrète de celle-ci. À telle enseigne qu’aujourd’hui, les difficultés que rencontrent les sociétés occidentales à se donner les moyens de financer cette transition me paraissent constituer l’obstacle majeur, sinon unique, à cette dernière. Pour le reste, nous savons à peu près ce qu’il faut faire, au moins à une échelle macro-économique. Puis, nous aborderons les raisons de ces blocages à l’intérieur même du système financier occidental contemporain et les moyens d’y remédier. Je suggérerai en particulier qu’il en va de l’intérêt même de la survie du secteur financier de consentir à sa propre réforme en vue de se rendre capable de financer des économies post-carbone. En effet, la poursuite du « modèle d’affaire » actuel ne pourra vraisemblablement que conduire à la ruine de la finance telle que nous la connaissons.

Un besoin de financement significatif mais raisonnable

La plupart des pays membres de l’Union européenne (UE) se sont engagés à décarboner leur économie de manière à atteindre la neutralité carbone nette en 2050, c’est-à-dire à faire en sorte que les Européens n’émettent pas plus de gaz à effet de serre au milieu du siècle que nos puits de carbone (comme la forêt) ne peuvent en absorber. En dépit du climato-scepticisme qui semble reprendre vigueur dans plusieurs médias privés francophones, et du climato-défaitisme (« inutile de s’acharner à vouloir décarboner, nous n’y arriverons pas, contentons-nous de nous adapter à un réchauffement inéluctable ») qui gagne une partie des médias publics, cet engagement doit impérativement être tenu si nous voulons conserver quelque chance à la jeune génération d’aujourd’hui de vieillir dans un monde habitable. Mais voilà que plusieurs voix s’élèvent contre la fidélité à nos engagements, au motif que ce serait trop cher, ou que ce serait techniquement infaisable, ou que la guerre en Ukraine aurait relégué la question écologique au bas de la pile des urgences à traiter, voire que la « colère » des agriculteurs (certes légitime) serait une bonne raison de renoncer à la plupart de nos engagements écologiques.

Par ailleurs, le Trilogue du printemps 2024 entre le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission européenne, conduit au durcissement des contraintes budgétaires, de sorte qu’à l’avenir tout investissement public deviendra impossible pour la plupart des pays européens. L’adoption de ces règles budgétaires (qui n’ont aucun fondement scientifique sérieux[1]) revient à un suicide collectif.

Dans le même temps, même s’il n’écoute pas beaucoup les alertes lancées par les scientifiques depuis trente ans ou les admonestations du pape François[2], le monde des affaires sait désormais que le réchauffement climatique est une catastrophe pour l’économie européenne. Ainsi, le réassureur suisse Swiss Re estimait en 2021 que l’Europe perdra en moyenne 10,5% de son PIB chaque année en 2050 si nous poursuivons la trajectoire du business as usual. L’équivalent du coût d’une guerre[3]. Le scenario le plus sévère envisagé par le réassureur suisse conduit à un réchauffement de +3,2°C peu après le tournant de la seconde moitié de ce siècle et une perte annuelle du PIB mondial de 18,1% vers 2050 comparé à ce que serait le PIB de l’économie mondiale si le réchauffement avait pris fin en 2020. Cela représente, tous les ans, l’ordre de grandeur des pertes cumulées induites par la pandémie du covid-19 entre 2020 et 2025. Malheureusement, ces estimations confirment les prospectives plus pessimistes qui avaient été formulées par Dietz et Stern[4] ou celles que j’ai obtenues avec mon équipe de recherche de l’Environmental Justice Program à l’université de Georgetown[5]. La nouveauté est que, cette fois, ce ne sont pas des chercheurs qui annoncent ce type de catastrophe mais l’un des principaux réassureurs privés de la planète.

Or, il existe une alternative à ce suicide comme le démontre le rapport de l’Institut Rousseau, Road to Net Zero, présenté au Parlement européen le 30 février 2024[6].  Le rapport, commandité par les députés écologistes européens, décrit un chemin de décarbonation pour l’ensemble de l’UE d’ici 2050, qui est à la fois physiquement réalisable et financièrement abordable. Y ont contribué plus de cent cinquante ingénieurs, praticiens, économistes, juristes, etc. La bonne nouvelle est que l’Europe des Vingt-Sept peut réduire ses émissions de 95% en une génération et atteindre la neutralité carbone nette en 2050. Qui plus est, le chemin qui permet d’y parvenir n’est pas synonyme de ruine pour l’économie européenne, bien au contraire. En plus de la réorientation de certaines de nos dépenses actuelles, il coûte en moyenne 2,3% du PIB européen, chaque année, soit environ 260 milliards d’euros annuels, jusqu’en 2050. C’est la moitié des subsides européens en faveur des énergies fossiles, qui détruisent notre habitat et auxquelles il est urgent de mettre fin. Or, il est d’ores et déjà clair que le secteur privé européen est trop endetté (130% du PIB) pour pouvoir financer la totalité de cet effort. L’institut Rousseau estime donc que 1,6% de ces dépenses devraient être prises en charge par les États, bien moins endettés que le privé (90% du PIB en moyenne[7]). Bien sûr, il y a de fortes disparités entre États membres : sortir du charbon coûtera 3,6% de son PIB annuel à la Pologne alors que se convertir aux énergies renouvelables coûtera 3,2% à l’Espagne contre 1,4% à l’Allemagne, 2,7% à la France et 2,2% à l’Italie. Certains trouveront qu’une dépense publique européenne supplémentaire de 260 milliards d’euros par an pour financer la décarbonation de l’Union, c’est encore trop. Pourtant, cela représente nettement moins que la dépense publique engagée pour le plan européen de relance post-covid-19 (336 milliards annuels[8]).

Pourquoi le secteur bancaire défend les énergies fossiles

Dans un discours resté célèbre, prononcé au Lloyd’s de Londres le 29 septembre 2015, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait prévenu que le réchauffement climatique entrainerait trois types de risques pour la sphère financière[9] : un risque physique provoqué par la destruction des conditions matérielles d’existence du vivant ; un risque de transition  engendré par la perte de valeur des actifs financiers liés aux énergies fossiles dont nous finirons bien, un jour, par nous passer (que ce soit par sagesse ou par contrainte) ; un risque juridique encouru par les pollueurs que les sociétés civiles de la planète ne tarderaient pas à trainer devant des tribunaux pour leur demander des comptes sur leur responsabilité dans le désastre écologique en cours.

Le troisième risque s’est peu matérialisé jusqu’à présent. Au contraire, comme s’en alarme désormais l’ONU[10], ce sont les militants écologistes et les lanceurs d’alerte qui font désormais l’objet d’une répression violente, surtout en France. Le premier risque, quant à lui, n’est plus un danger abstrait mais une réalité quotidienne pour nombre de populations du Sud global confrontées tous les jours à la destruction du littoral par la montée du niveau de la mer, l’assèchement des sources d’eau potable, la perturbation des pluies, les inondations, les cyclones et les sécheresses. Le Nord commence, lui aussi, à apprendre ce que signifie la survie sur une planète trop chaude : les Allemands, les Néerlandais, les Belges et les Français qui ont fait l’expérience des inondations ces trois dernières années peuvent en témoigner[11]. Toutefois, chez les politiques occidentaux, la prise de conscience n’est pas au rendez-vous : droite comme gauche (sans parler de l’extrême droite) continuent de raisonner dans un monde « froid », de trahir leurs promesses et de renoncer à prendre les mesures d’urgence qui s’imposent.

Le risque de transition ne s’est pas non plus matérialisé. Au contraire, le secteur bancaire continue de financer des projets carbone à coups de milliards : depuis 2015, les soixante plus grandes banques de la planète ont financé des projets liés aux énergies fossiles à hauteur de 5.500 milliards de dollars[12]. Pire encore, beaucoup de banques continuent d’abriter dans leur bilan des actifs financiers directement liés aux fossiles. Pour les onze premières banques de la zone euro, ce stock d’actifs bruns représentait en moyenne 95% des fonds propres de chacune d’entre elles. Tant qu’elles conserveront ces « métastases » fossiles en leur sein, elles ne pourront pas tolérer que les énergies fossiles deviennent « échouées » (stranded), c’est-à-dire que nous renoncions collectivement à les brûler. En effet, cela induirait rapidement la chute de la valeur marchande de ces actifs financiers fossiles. Et, pour une banque, perdre plus de 90% de ses fonds propres, cela signifie la faillite à très brève échéance (quelques jours). Les banques qui possèdent ces actifs fossiles dans leurs bilans ne peuvent donc pas se permettre de favoriser la transition vers un monde post-carbone car, à moins d’avoir entre-temps trouvé le moyen de se débarrasser de ces métastases fossiles qui obèrent leurs bilans, cela signerait à terme leur dépôt de bilan.

Certes, il existe des banques exemplaires, comme la néerlandaise Triodos, qui ne financent aucun projet brun et ne dissimulent pas de « métastase » fossile dans leurs comptes. Mais la plupart des banques plus anciennes souffrent de l’héritage du dernier demi-siècle au cours duquel nos sociétés se sont enivrées de ressources fossiles dont la consommation se reflète dans les bilans bancaires et qui contraignent nos banques à pratiquer le greenwashing sans beaucoup d’état d’âme[13].

Le risque assuranciel

À ce sombre tableau, il faut malheureusement ajouter, aujourd’hui, un quatrième risque qui pourrait bien servir de canal de transmission entre le risque physique et le risque financier de transition. On pourrait le baptiser risque assuranciel. Il renvoie tout simplement au fait qu’il n’est pas possible d’assurer une planète qui brûle. Depuis fin 2022, la plupart des compagnies de réassurance du monde occidental se sont retirées du risque induit par les événements climatiques extrêmes – inondations, sécheresses, ouragans… –, ceux-là mêmes qui vont se multiplier (et dont la sévérité risque dans le même temps d’augmenter) à cause du réchauffement. Cela veut dire que, depuis plus d’un an maintenant, la plupart des réassureurs refusent de réassurer les assureurs sur les dégâts causés par ces événements. Or, l’impact de ces dégâts sur la profession des assureurs est massif. En 2021, puis 2022, le résultat net enregistré par les assureurs domestiques du résidentiel en Floride a été une perte annuelle d’environ 1000 milliards de dollars (un peu moins que le PIB de l’Espagne). En Californie, les pertes provoquées par les incendies géants excèdent 12 milliards en 2017, 5 milliards en 2018, puis à nouveau en 2020. Si aucune action n’est prise, ce qui se prépare, c’est un retrait des réassureurs, puis des assureurs, de l’assurance des risques associés aux événements climatiques extrêmes.

La puissance publique va donc devoir de plus en plus souvent se porter au secours de ses citoyens sinistrés dans les années et les décennies qui viennent. L’obsession des politiques européens pour l’austérité budgétaire aurait donc quelque chose de risible si l’on ne devinait que, face aux urgences climatiques et pour tenter de satisfaire à la contrainte austéritaire, les gouvernements vont pratiquer des coupes claires dans les services publics et sociaux. Dans les pays dont les gouvernements n’auront pas les moyens d’intervenir, des régions entières risquent de ne plus être assurées, et leurs populations livrées à elles-mêmes.

Ce serait déjà suffisamment préoccupant si le secteur bancaire lui-même ne promettait pas d’être directement impacté par les catastrophes à venir. En effet, si un capital, quel qu’il soit, n’est plus assuré, sa valeur marchande s’effondre très rapidement. N’étant plus « sûr », il ne peut plus servir de « collatéral » à un prêt bancaire. Le collatéral, c’est la garantie qui protège le prêteur : en cas d’insolvabilité de l’emprunteur, le prêteur (une banque dans la plupart des cas) saisit le collatéral en lieu et place du remboursement de sa créance[14]. Dans la vie réelle, ce sont le plus souvent des titres « sûrs » ou réputés tels qui servent de collatéral : des titres de dette publique de pays dont le défaut souverain est tenu, à tort ou à raison, pour impossible (les États-Unis, l’Allemagne, par exemple) ; des actifs physiques comme une maison (dans le cas des titres de dette subprimes, par exemple) ou, justement, n’importe quel titre de propriété considéré comme « safe ».

Par conséquent, le retrait des assureurs et la possible démission de responsabilité de l’État ne peuvent, à terme, que provoquer à leur tour le retrait des banques des zones devenues « unsafe ». Ce qui constituerait pour les populations concernées une double peine probablement fatale : livrées sans filet de sécurité aux aléas climatiques induits par le réchauffement, elles pourraient n’avoir plus accès au crédit bancaire. Cela signifierait rapidement l’effondrement économique de leur région.

Pour un Green Deal européen

Si nous voulons éviter de glisser dès à présent sur la pente qui mène à l’effondrement « par morceaux » décrit plus haut, il n’y a guère d’autre option à notre disposition que 1) de trouver un moyen de débarrasser nos banques de leurs métastases fossiles ; 2) d’inventer une nouvelle fonction pour la puissance publique : celle de jouer le rôle d’une assurance publique. Si l’on adopte la perspective la plus pessimiste de Swiss Re et que l’on tient compte du fait que les émissions actuelles de l’UE représentent environ 17% des émissions totales, un rapide calcul montre ceci : même si l’Europe est la seule à décarboner son économie (ce qui est très peu vraisemblable compte tenu des investissements verts pharaoniques de la Chine), le ralentissement du réchauffement induit par un Green Deal européen permettrait de réduire les pertes induites par le changement climatique d’un montant supérieur au coût de la décarbonation. En effet, Swiss Re estime que le PIB européen sera en 2050 de 10,5% inférieur à ce qu’il serait si les émissions mondiales avaient cessé en 2020. Si l’on fait l’hypothèse raisonnable d’une croissance du PIB européen de 1% par an, cela veut dire un manque à gagner annuel de près de 3.000 milliards d’euros en 2050. La suppression des émissions européennes pourrait réduire ce manque à gagner de 500 milliards, soit presque deux fois le coût supplémentaire total de la décarbonation (260 milliards par an). Il est donc urgent que l’UE mette en œuvre un scénario du type de Road to Net Zero.

Or, il y a fort à parier que, tôt ou tard, les institutions européennes proposeront de « libérer » nos banques privées du legs fossile en effectuant une opération similaire à celle qui, en 2009, a permis de sauver ces mêmes banques de la faillite annoncée par la chute de valeur des actifs subprimes. L’astuce consiste à créer une banque de défaisance (bad bank) au niveau national, laquelle achètera les actifs « pourris » (subprimes en 2009, fossiles dans les prochaines années). Les banques échangeront ces actifs promis à disparaitre contre de l’argent, et chaque banque de défaisance nationale essuiera les pertes induites par la chute de valeur desdits actifs. La difficulté de ce scénario est que, chaque bad bank étant publique, ses pertes creuseront le déficit public, de sorte qu’in fine ce seront les contribuables qui, une fois de plus, seront sommés de payer les pertes bancaires. Il n’est pas impossible que ce scénario, inefficace et injuste, ait les faveurs de certains politiciens parce que, justement, il permettra d’accélérer l’abandon du financement de services publics clefs (santé, éducation) au motif que la « dette » (publique) continue mystérieusement d’augmenter !

Toutefois, il existe une alternative à cette accélération du suicide collectif : exiger de la Banque centrale européenne (BCE) qu’elle joue le rôle de banque de défaisance européenne. Étant une banque centrale, elle peut perdre le montant de ses fonds propres (ou davantage) sans faire faillite car elle dispose du privilège de pouvoir se recapitaliser elle-même. Et aucun Trésor national n’aurait à payer la note pour « sauver » la BCE. Cette solution hétérodoxe n’aura pas les faveurs de certains politiciens car, si le grand public venait à comprendre sa faisabilité, cela ouvrirait un débat démocratique embarrassant au sujet des services publics que la BCE pourrait financer (plutôt que de se contenter de faire pleuvoir des milliers de milliards d’euros sur le secteur bancaire comme elle le fait depuis 2009). Si Francfort peut dépenser plus de 500 milliards pour sauver de nouveau nos banques du cancer fossile, qu’est-ce qui l’empêche de financer nos crèches, nos écoles, nos hôpitaux, nos ASBL… ? Voilà un débat démocratique que peu d’élus politiques veulent voir ouvrir. Il est pourtant urgent de l’instruire, à la fois pour sauver le système sanitaire européen, notre système éducatif, nos sociétés civiles… mais aussi pour que la puissance publique soit en mesure de se substituer à terme aux assureurs en matière de risque climatique. La création d’une Sécurité sociale climatique européenne financée en partie par la BCE et par la dette publique européenne (eurobonds) irait dans ce sens. Mieux encore : celle d’une Sécurité écologique européenne, englobant non seulement le climat mais l’ensemble des limites planétaires, serait une manière d’inaugurer enfin l’entrée dans le 21e s21iècle.

Pour les mêmes raisons, ces élus ne seront pas enthousiastes à l’idée de demander à la BCE de financer tout ou partie des 1,6% du PIB européen dont l’Institut Rousseau plaide qu’ils devraient être pris en charge par la puissance publique. Pourtant, en plus de nous éviter les pires conséquences du réchauffement climatique et de servir d’exemple aux autres continents, cela créerait énormément d’emplois au sein de la zone euro – au moins un million, sans doute davantage. Par ailleurs, il n’est nullement démontré que cela aurait des conséquences inflationnistes majeures. Au contraire, l’inflation européenne est actuellement tirée avant tout par le renchérissement des énergies fossiles, justement, et par les marges exorbitantes que certaines entreprises se sont octroyées à la faveur de la panique induite par la résurrection d’une inflation dont la jeune génération européenne fait l’expérience pour la première fois de son existence[15]. Outre un contrôle des prix qui oblige les intermédiaires à réduire leurs marges à des niveaux raisonnables (disons 20%), diminuer notre dépendance aux fossiles reste le plus sûr moyen de lutter contre l’inflation.

Une ultime objection mérite d’être mentionnée, et désamorcée : une telle politique de financement de la bifurcation énergétique provoquerait-elle le discrédit de l’euro, donc sa chute sur les marchés des changes internationaux ? Il faut rappeler que cet épouvantail anxiogène (« l’euro va s’effondrer ! ») agité dans la seule intention de faire peur n’a pas de fondement : un Green New Deal au sein de la zone euro, financé en partie par la BCE et en partie par des banques privées « purgées » (par la BCE encore) de leurs actifs fossiles serait le plus sûr moyen de restaurer la crédibilité de la devise d’un continent dont tous les indicateurs macroéconomiques montrent qu’il est en train de « décrocher » à l’égard de la Chine et des États-Unis.

Quelle serait l’alternative à un tel Green New Deal européen ? Pour aller vite : une Europe dont des régions entières, exposées au réchauffement, risquent de devenir « unsafe », désertées par les assurances, puis par les banques, et où l’effondrement économique « par morceaux » serait sans doute très rapide – à la manière de la chute libre que connaît le Liban, si proche de nous. Des migrations internes colossales d’Européens qui chercheront à se réfugier dans les zones demeurées « safe ». La disparition des classes moyennes européennes des zones « unsafe ». La paupérisation progressive d’une majorité des acteurs financiers d’aujourd’hui, privés des revenus que fournissaient ces classes moyennes. L’appauvrissement aussi rapide des États, sevrés des recettes fiscales que garantissaient lesdites classes moyennes. Une précipitation de la tribalisation de la société européenne sur fond d’accélération de la dérive autoritaire et anti-démocratique que nous observons déjà en Hongrie, en Slovaquie, en Italie, et même en France. Bref, la combinaison entre une « libanisation » du corps social et une « poutinisation » de l’État et des médias européens. Qui a vraiment envie de tenter cette expérience ?

Notes :