Le 31 mai 2018

Á l’écran, des hommes et des blancs

La télévision reflète-t-elle la diversité de nos sociétés ? Pas vraiment si l’on en croit le dernier baromètre « diversité et égalité » du CSA. Les personnes issues des minorités sont peu représentées. Et le plus souvent reléguées dans des rôles secondaires. Ce qui est un vrai problème.

L’information n’a pas tellement fait parler d’elle. Elle a été vaguement relayée par les médias audiovisuels, légèrement plus détaillée dans la presse écrite. Logique : pas plus que d’autres, les journalistes n’aiment s’auto-flageller. Il ne faudrait toutefois pas sous-estimer l’annonce, et encore moins la réalité qu’elle sous-tend : à la télévision, la diversité est (vraiment) mal représentée.

Les chiffres

Du 11 au 17 mai 2017, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a scruté de près les programmes diffusés par les 23 chaînes de télévision présentes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Au total, 644 heures de programmes ont été disséquées. Et le profil de près de 83.000 intervenants a été passé à la loupe. Le CSA avait déjà mené pareil exercice dans le passé, en 2011 et 2013. Ce qui permet d’observer des tendances. Sur certains plans, une faible amélioration se dessine. Mais sur d’autres, la situation s’est aggravée.

La situation des femmes inquiète particulièrement. Près de 66% des personnes qui apparaissent à l’écran sont des hommes ! Un chiffre qui est même en légère hausse par rapport à 2013. Ce n’est pas tout. Quand les femmes interviennent, elles jouent plus souvent le rôle de « simple témoin » plutôt que celui de porte-parole ou d’expert.e. Comme si, de par sa seule nature, l’homme était plus crédible que la femme… Notons enfin que, bien plus fréquemment que les hommes, les femmes apparaissent sans qu’il soit fait mention de leur nom, prénom ou profession.

Une autre situation interpelle : la diversité des origines. En 2011, les personnes perçues comme issues d’une minorité représentaient à peine 10,3% des intervenants médiatiques. Deux ans plus tard, la situation s’était nettement améliorée : en 2013, elles étaient 17%. Malheureusement, la tendance s’est inversée depuis lors : en 2017, les personnes apparaissant comme d’origine étrangère ne sont plus que 14,4%. Ce n’est pas tout : les types de programmes dans lesquels elles sont le moins représentées sont les programmes d’information et les magazines documentaires. Quand elles apparaissent, les personnes issues de la diversité ne sont en général pas des figures d’autorité. En fait, le seul domaine dans lequel elles sont dignement représentés, c’est… le sport !

Ajoutons que certains cumulent les « tares » : « les femmes issues de la diversité font l’objet d’une invisibilisation accrue dans l’espace médiatique », pointe le CSA dans son rapport.

Ici et ailleurs

Durant longtemps, la question de la diversité dans nos médias n’a guère intéressé. Chez nos voisins français, ce n’est que dans les années 2000 que les scientifiques commencent véritablement à se préoccuper du sujet[1]. Un large champ d’exploration apparaît alors. Et les premiers constats tombent : « Certains territoires ne sont couverts par la presse transnationale que dans des circonstances exceptionnelles », découvre-t-on soudainement. En clair : lorsqu’il est question de certaines régions du monde – voire de certains quartiers d’une ville – c’est toujours pour évoquer des situations de crise (guerre, coups d’État, criminalité…). Autre souci : l’utilisation des généralisations et des stéréotypes. Aptes à capter l’attention du téléspectateur, ceux-ci tendent aussi à enfermer celui-ci dans une perception réductrice de la réalité. Alarmés par ces constats, les autorités françaises créent un baromètre de la diversité en 2009.

En matière de diversité, d’autres pays semblent plus avancés. C’est le cas de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis ou du Canada. Comment l’expliquer ? Certainement en constatant que ces Etats sont composés de sociétés particulièrement cosmopolites, et qu’ils sont parvenus à développer des modèles multiculturels forts. Mais ce n’est pas tout : des mesures politiques ont aussi été prises afin de favoriser la diversité à l’écran. En 2004, l’Independant Television Commission britannique a pris des dispositions concernant l’emploi et l’égalité des chances au sein des chaînes de télévision. De même, elle incite explicitement les responsables à favoriser la présence de personnes issues des minorités ethniques dans les programmes généraux.

Pourquoi c’est grave

Les résultats du dernier baromètre « diversité et égalité » du CSA belge sont inquiétants. D’une part en raison de ce qu’ils reflètent. Force est en effet de constater que si les femmes sont peu sollicitées comme expertes, c’est aussi – mais pas seulement – parce qu’elles sont minoritaires dans les milieux académiques. Le fameux « plafond de verre » est une réalité bien connue des universités ; c’est aussi un problème auquel elles commencent à s’attaquer. De même, si nombre d’entreprises choisissent de confier la défense de leur image à un blanc, relativement jeune, et bien propre sur lui, c’est parce qu’elles sont convaincues que c’est ce profil-là qui défendra le mieux leurs intérêts. Ce postulat constitue évidemment un élément du problème.

Ces résultats disent aussi quelque chose du profil des personnes entre les mains desquelles le choix des images et l’écriture des scénarios se trouvent. Journalistes, chefs de rédaction, magnats des médias, directeurs de productions cinématographiques… Le CSA ne l’a pas fait mais il serait intéressant de dresser le portrait-robot de ces hommes (et quelques femmes)-là. Car leur pouvoir est immense ! Consciemment ou inconsciemment, ils posent, en permanence, des choix qui favorisent ou diminuent la diversité véhiculée sur nos écrans. Or, les médias ne se contentent pas de refléter – plus ou moins bien – la réalité ; ils contribuent aussi à la façonner. Par les images qu’ils diffusent, les personnes qu’ils mettent en avant ou les récits qu’ils construisent, ils modèlent l’esprit des gens, orientent leur regard sur le monde, marquent leur perception du réel. Offrent des modèles vers lesquels se projeter. Ou réduisent les horizons. Soyons concrets : un jeune blanc qui verra de beaux blancs bien habillés s’exprimer sur des sujets très sérieux aura facilement tendance à s’imaginer embrasser une carrière prometteuse. Ce qui sera moins aisé pour la jeune noire. Qui, inconsciemment, pourrait ne se sentir légitime qu’en chantant, dansant ou courant. Sur une piste d’athlétisme ou derrière un emploi.

Des solutions ?

Puisque le problème concerne l’ensemble de la société, c’est à tous les échelons que des initiatives doivent voir le jour. De nombreux protagonistes ont donc un rôle à jouer : acteurs de l’enseignement, patronat, responsables syndicaux… En travaillant ensemble, ils pourront transformer des situations de fait, et faire évoluer les mentalités.

La nécessité d’une vision globale ne réduit toutefois en rien la responsabilité spécifique qui incombe au monde des médias. Car, s’il est peut-être légitime que ces derniers témoignent des inégalités à l’œuvre dans nos sociétés, il est choquant de constater que, bien souvent, ils contribuent à les aggraver.

Que faire, alors ? Instaurer des quotas ? Cela ne nous semple pas être la voie prioritaire. Souvent contestables, sans cesse discutés, les quotas sont toujours sources de crispation. Difficiles à mettre en œuvre, ils ne permettraient par ailleurs pas de lutter contre tous les biais. Ainsi, s’ils favoriseraient sans doute la présence à l’écran de personnes issues de minorités, ils n’influenceraient pas nécessairement le traitement journalistique réservé aux thématiques interculturelles, par exemple. 

Deux autres pistes nous semblent plus prometteuses. Celle de la sensibilisation, tout d’abord. Les chiffres du CSA méritent d’être largement diffusés. Surtout, ils devraient faire l’objet d’échanges, tant dans les écoles de journalisme qu’au sein des rédactions. Ils pourraient alors devenir source de réflexion et stimuler l’inspiration des (futurs) acteurs de la profession.

Une deuxième piste consiste à rappeler aux journalistes l’essence de leur métier. Un journaliste ne peut se contenter de faire résonner les idéologies en vogue, d’offrir une caisse de résonnance aux communicants, de s’intéresser aux dominants, de tomber dans les généralisations… Non. Il se doit, avec rigueur, de rechercher la vérité. De dénoncer les injustices. De révéler les réalités cachées. De poser des questions nouvelles. Pour ce faire, inévitablement, il doit élargir ses réseaux, diversifier ses terrains, oser la rencontre, confronter les idées, donner la parole aux populations discriminées, offrir une place aux fragiles… En réalité, de par sa seule fonction, le journaliste est invité à témoigner de la diversité de la société, et à lutter contre les injustices. Le baromètre du CSA vient donc rappeler aux journalistes qu’il importe qu’ils fassent bien leur travail. Il invite aussi notre société à veiller à ce que ceux-ci puissent toujours disposer des moyens et de l’indépendance nécessaires pour le faire.

Le Baromètre « diversité et égalité » 2017 du CSA est disponible via le site web www.barometrediversite.be  

Pour aller plus loin : rejoindre le groupe « Observatoire critique des médias » sur Facebook.


Les chiffres des inégalités

1,48 : parmi les intervenants, c’est le pourcentage de personnes en situation de handicap. Essentiellement présentes dans l’information générale, elles sont pratiquement absentes des fictions.

3,78 : c’est le pourcentage de journalistes issus de la diversité. La tendance est dramatique : en 2013, ils étaient près de 10%.

8,70 : c’est le pourcentage de personnes issues de la diversité, qui agissent dans un rôle de « porte-parole ». En 2011, ils étaient à peine 3,8%. Encourageant…

22 : dans les programmes sportifs, près d’un individu sur cinq est issu de la diversité. 

Notes :

  • [1] Pour les lignes qui suivent, voir Ghosn Catherine, « Minorités ethniques et télévision : quel constat en France et à l’étranger ? Comparaison sélective », dans Les enjeux de l’information et de la communication, 2013/1, p. 53-55.