étude sur la situation des sans-papiers en Belgique publiée en mars 2022, nous constatons qu’en tant que collectivité, société et État, nous faisons de la vie des sans-papiers un enfer. Aux personnes en situation de responsabilité politique, nous demandons avec insistance de tout faire pour rendre leur dignité aux personnes qui vivent actuellement sans titres de séjour sur notre territoire. Nos demandes citoyennes et politiques se lisent en sept points essentiels

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Le 19 mai 2022

Plaidoyer pour plus d’humanité vis-à-vis des personnes sans papiers

crédit : Frédéric Moreau de Bellaing

Au terme de notre étude sur la situation des sans-papiers en Belgique publiée en mars 2022, nous constatons qu’en tant que collectivité, société et État, nous faisons de la vie des sans-papiers un enfer. Aux personnes en situation de responsabilité politique, nous demandons avec insistance de tout faire pour rendre leur dignité aux personnes qui vivent actuellement sans titres de séjour sur notre territoire. Nos demandes citoyennes et politiques se lisent en sept points essentiels :

  1. Utiliser les mots justes. Nous demandons aux responsables politiques comme aux médias et aux citoyens de choisir les mots justes pour désigner avec humanité et sans connotations péjoratives les situations des personnes sans papiers. Parler d’« illégaux » est une manière d’associer à la situation des personnes ainsi désignées l’idée d’une faute. Mais d’autres mots s’avèrent également piégés. Évitons de parler de « migrants » lorque l’on parle de personnes qui vivent ici depuis 10 ou 15 ans : n’est-ce pas une manière de les écarter de la société ? De même, l’usage croissant du concept de « transmigrants » révèle lui aussi une association néfaste, à savoir l’idée que l’avenir de ces personnes se situe ailleurs, alors qu’une personne qui voyage sans titre de séjour est constamment amenée à revoir ses plans.
  2. Démonter l’argument de l’appel d’air. En politique comme dans la société, on entend souvent qu’un trop bon accueil inciterait les étrangers à venir en masse. Cet argument sert à justifier des politiques répressives et discriminatoires vis-à-vis des personnes sans papiers. Stopper l’aide locale en Belgique diminuerait-il le nombre de primo-arrivants ? Ce raisonnement est fallacieux, car il surestime une série d’hypothèses qui le sous-tendent. En effet, (i) les migrants n’ont en réalité pas ou très peu la connaissance de notre système d’accueil, (ii) ils n’ont souvent pas l’entière maîtrise de leur trajectoire migratoire, (iii) lorsqu’ils choisissent la Belgique, c’est souvent pour des raisons d’attaches (famille, relations). Ce raisonnement est non seulement immoral, mais il est également faux. Notre devoir citoyen est de le dénoncer et démonter chaque fois qu’il refait surface en politique et dans l’opinion publique, car il tend à nous rendre moins accueillants, ouverts, tolérants et, finalement, moins soucieux de justice.
  3. Connaitre pour agir. Des chercheurs estiment sur base d’extrapolations qu’environ 150.000 personnes vivent sur le territoire belge sans titre de séjour, certains depuis plus de 20 ans. Nous demandons aux pouvoirs publics de reconnaitre cette situation de fait et de dégager les moyens nécessaires pour connaitre les réalités de ces personnes. Sans informations, les politiques resteront inadaptées aux besoins sur le terrain. Qui sont ces personnes sans-papiers, depuis quand vivent-ils ici, comment (sur)vivent-ils, où vivent-ils , dans quelles conditions, avec quelles discriminations ? Ce n’est pas parce que l’Etat prévoit un circuit légal de migration (qui est insuffisant tant du point de vue du marché du travail que du point de vue humanitaire) qu’il ne peut s’intéresser à ce qui se passe dans les circuits parallèles. Il est urgent que l’Etat organise ou commandite la collecte de données et des études qualitatives sur les conditions de vie des sans-papiers.
  4. Réécrire cette loi qui ne tient plus. La loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers a fait son temps. Elle a été modifiée 113 (!) fois et est devenue selon les dires de Myria un instrument opaque et parfois contradictoire. Tout le monde attend le futur Code de la migration. C’est un des chantiers du gouvernement fédéral en 2022. Un élément qui sera particulièrement attendu est la question des régularisations (article 9bis). Les experts que nous avons rencontrés dénoncent en effet le pouvoir discrétionnaire et le flou qui entourent la régularisation. 
    Va-t-on enfin présenter des critères ou directives pour donner un sens à la régularisation de personnes vivant sur le territoire sans titre de séjour ? Cette question est au cœur du conflit entre les sans-papiers qui ont mené la grève de la faim au Béguignage en 2021 et les représentants de l’État. Les sans-papiers se sentent trahis par l’Office des étrangers et le secrétaire d’État. Ils avaient compris, et les négociateurs avec eux, que des éléments concrets qui témoignent de leur intégration en Belgique joueraient en leur faveur. Ce n’est pas le cas et cela montre le côté arbitraire, opaque et injuste de la procédure.
  5. Rendre les droits effectifs. Les droits les plus fondamentaux sont souvent garantis sur papier, mais dans les faits, les situations des personnes sans papiers sont tout simplement tragiques. Nous demandons aux responsables politiques de concentrer leurs efforts sur l’effectivité des droits les plus fondamentaux. Actuellement, ces droits ne sont malheureusement et honteusement pas effectifs : pas de droit au travail reconnu, complexité de l’aide médicale, crainte permanente d’être arrêté pour ensuite être renvoyé et donc crainte de la police, difficulté d’obtenir un avocat pro deo, délais administratifs au CPAS, difficulté d’obtenir un logement, insalubrité du logement, asymétrie et abus des relations professionnelles, etc. La vie sans papiers est d’une précarité inouïe.
  6. Contrer la discrimination par le numérique. La digitalisation de la société représente une chance pour qui l’embrasse, mais aussi et surtout une malédiction pour qui ne jouit pas des droits liés à la citoyenneté. C’est un constat rarement fait dans le débat public, mais, pour qui ne peut pas prouver son identité numérique, les portes de la participation à la société se ferment petit à petit sous l’effet de la digitalisation. Il y a en effet des contrôles d’identité insidieux dans à peu près tous les niveaux de la vie sociale et de l’État-providence, tout particulièrement dans l’utilisation du smartphone (abonnement GSM, banque, mutuelle, hôpital, achats en ligne, abonnements, déplacements, CST,…). Du point de vue humanitaire, la protection des personnes en situation irrégulière doit tenir compte de la digitalisation. Le législateur et le pouvoir exécutif ont le devoir moral de développer des solutions adaptées aux discriminations digitales quotidiennes des personnes sans papiers.

En conclusion, nous pensons qu’il est temps de légiférer pour plus de moralité. Il y a trois urgences pour le législateur : clarifier, humaniser et régulariser. Clarifier les textes légaux et rendre plus limpide les procédures. Humaniser, par un accompagnement personnel, un coaching qui ne soit pas asymétrique. Régulariser, au vu du nombre de personnes qui vivent ici, souvent depuis longtemps, sans droits de citoyenneté. Une approche à la fois plus morale et plus pragmatique est souhaitable. Il est intolérable que notre société s’accommode d’une caste de sans-droits, les sans-papiers de Belgique. Une société qui bannit la mobilité sociale n’est ni égalitaire ni démocratique. La question des sans-papiers met à mal la cohabitation dans les grandes villes. Elle demande des solutions adaptées à la vie urbaine et à la fois une culture hospitalière à travers le pays. Cette culture peut être portée à différents niveaux, comme en témoigne l’exemple réjouissant des Communes hospitalières.