En Question n°144 - mars 2023

En Belgique, on enferme sans raison

crédit : Halran Pambudi – Unsplash

Il s’appelle Ibrahim (nom d’emprunt). Il a 26 ans et vit dans l’un de ces pays d’Afrique de l’Ouest en butte à d’incessantes luttes intestines et soumis à des incursions de motocyclistes qui sèment la terreur. Son père a été assassiné et l’un de ses frères a disparu. Un ami de la famille lui a permis de prendre un vol pour la Belgique dans l’espoir d’y obtenir un statut de réfugié. À sa grande surprise, dès son arrivée à Zaventem, il a été conduit au centre fermé situé à côté de l’aéroport. C’est une véritable prison, au point qu’on lui a mis les menottes pour comparaître sous escorte à la Chambre du Conseil à Bruxelles. Il ne connaît personne en Belgique et se fait beaucoup de souci pour sa famille qui a dû fuir aussi dans un pays voisin. Il ne reçoit aucune visite sinon parfois un avocat et le soutien du JRS (Jesuit Refugee Service). Après une procédure longue et complexe qui a mis sa patience à rude épreuve, il reçoit finalement un « Négatif ». Entretemps, la région d’où il vient, à la suite de nouveaux troubles, a été déclarée en état d’urgence, ce qui a motivé le dépôt d’une nouvelle demande d’asile qui lui a encore été refusée. Un recours a été introduit pour le libérer, mais cinq jours avant l’audience programmée pour l’examiner, il a été contraint de prendre un vol pour son pays où plus personne ne l’attend.  Cela faisait près de six mois qu’il était détenu sans raison : « demander la protection n’est tout de même pas un délit ! », nous disait-il.

Ce qui devrait constituer une mesure ultime est devenu, en Belgique, une pratique courante. Bien plus, le gouvernement belge a prévu de construire de nouveaux centres fermés pour pratiquement doubler le nombre de places « d’accueil ». Par ailleurs, l’expérience montre que c’est un peu « la crème » des réfugiés qui arrivent en Belgique, tant le parcours pour atteindre le pays exige des ressources physiques, sociales, financières et mentales hors du commun. De plus, ces personnes ont souvent une formation et ne demandent qu’à travailler pour se construire une nouvelle vie dans un environnement de justice et de paix. Que leur offre-t-on sinon une longue privation de liberté sans aucune certitude quant au sort qui leur sera réservé ? Et que dire des demandeurs d’asile auxquels on refuse même un abri pour passer la nuit, ceci en dépit de milliers de décisions de justice contre l’État belge ? Il semble qu’aux yeux de nos gouvernants, cela soit si peu une priorité, qu’ils finissent par renoncer aux valeurs de respect et de justice que nous prétendons défendre.

Parfois, je ressens la honte de vivre en liberté et en sécurité en Belgique.