En Question n°147

Qu’espère-t-on encore de la culture ?

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« No culture no future » entendait-on scander en réaction aux restrictions sanitaires affectant le milieu culturel. Défendre la culture comme un pilier de notre société démocratique apparaît comme un postulat consensuel. Mais comment justifier l’apparente évidence d’une politique culturelle ambitieuse ? Sa vocation change-t-elle dans un monde abîmé, soumis à l’urgence d’une part, et à l’utilitarisme d’autre part ? Faut-il mettre en avant les fécondités politiques de l’art, au risque d’en faire un simple outil inféodé aux exigences du temps présent ? Ou doit-on, à l’inverse, revendiquer l’aspect transcendant et insaisissable des expériences esthétiques, avec le danger de faire de la culture une sphère à part, réservée aux seuls initiés ? En parcourant le travail des artistes, des militants ou des acteurs institutionnels du monde culturel, ce numéro d’En Question esquisse la ligne de crête d’une culture ni complice, ni pure : un art de l’à-côté, de la subversion quotidienne tendue vers l’Autre.

edito

Contempler, espérer, s’engager

Simon-Pierre de Montpellier

Crise, bouleversement, effondrement… Catastrophe, guerre, désastre… Je ne compte plus le nombre de fois que je lis, que j’entends ou que j’utilise moi-même ces termes… J’en ai parfois la nausée. Si nous voulons réorienter notre trajectoire vers un monde (plus) juste, écologique et solidaire, il est certes impératif d’adopter un regard lucide. Les mots mentionnés précédemment sont nécessaires pour évaluer et affronter les défis auxquels nous sommes confrontés. Cependant, la lucidité seule ne suffit pas. Notre existence ne peut se contenter de la simple clarté intellectuelle. Pour nous engager véritablement, nous avons besoin d’espérance. Non pas d’un optimisme béat, mais d’un sentiment de confiance qui nous pousse à réaliser ensemble, avec audace, nos aspirations les plus profondes.

La contemplation peut contribuer à nourrir l’espérance au sein de nos vies. Contempler, c’est adopter le regard d’un enfant. S’émerveiller devant la majesté d’un paysage, la délicatesse d’une fleur, la grâce d’un animal, la magie d’un coucher de soleil, la splendeur d’un ciel étoilé, la sérénité d’une pleine lune, le cycle d’un arbre perdant ses feuilles, le murmure de l’eau qui ruisselle. Devant la complexité d’une architecture, la perspective d’un dessin, la profondeur d’un poème, l’harmonie d’un morceau de musique, le visage d’un inconnu. Savoir s’arrêter, être pleinement présent, mettre de côté ses préjugés, quitter l’indifférence, accueillir ce qui vient, éveiller ses sens, se laisser toucher, s’ouvrir à la gratitude… C’est résister aux injonctions utilitaristes (ça ne sert « à rien »), consuméristes (c’est gratuit), individualistes (c’est une mise en relation).

Ce numéro hivernal d’En Question, depuis le témoignage du collectif Lutte et Contemplation jusqu’à la recension de Rouvrir l’horizon, en passant bien sûr par le dossier sur la culture, nous invite (entre autres) à la contemplation. Saisissons l’occasion de cette période de fin d’année pour nous arrêter, nous décentrer et nous exercer à cette contemplation, non pas passive et solitaire, mais plutôt active et solidaire, afin de nourrir notre espérance et renouveler notre engagement au cœur du monde. Et, si cela peut nous inspirer, pensons à ces mages, qui effectuèrent un long voyage, il y a plus de 2.000 ans, pour contempler un nouveau-né, pauvre et vulnérable, venu renverser les puissants et élever les humbles (Luc 1, 46-55). Après cette rencontre, « ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays » (Matthieu 2, 12). Pour rejoindre nos aspirations les plus profondes, la contemplation pourrait aussi nous amener à « prendre une autre route ».

Caroline Chariot-Dayez et Jean-Paul Dessy : L’art est le témoin de la beauté

Jean-Baptiste Ghins

Caroline Chariot-Dayez peint des plis depuis presque 20 ans. Ses toiles aux nuances claires laissent apparaître des drapés en lévitation, dont chacun est une prière faisant signe par-delà le visible. Jean-Paul Dessy est violoncelliste, compositeur et responsable de la maison de l’écoute Arsonic (Mons). Sa musique, qui s’articule aux techniques contemporaines et se déploie au rythme de créations nouvelles, se veut langage de communion. Entre esthétique et spiritualité, nous discutons des résistances au dictat matérialiste.

Justine Huppe : La littérature a-t-elle encore une valeur politique ?

Manon Houtart

Que peut-on encore attendre de la littérature aujourd’hui, alors même qu’elle est soupçonnée d’inutilité ? Par quels moyens, et à quelles conditions, la littérature peut-elle endosser une fonction politique, capable de produire des effets sur le monde social ? Rencontre avec Justine Huppe, chercheuse en études littéraires à l’ULiège et autrice d’un récent essai, La Littérature embarquée, publié aux éditions Amsterdam.

Ben Kamuntu : Luttes poétiques en RDC

Manon Houtart

Ben Kamuntu est slameur, co-éditeur et activiste. Il est né et a grandi dans la région du Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), avant d’obtenir l’asile en Belgique en 2022. Sa révolte face à l’insécurité et à l’impunité politique qui règnent dans son pays nourrit un double engagement, militant et artistique. En octobre dernier, nous avons recueilli le témoignage de cet « artiviste » indigné.

Oublier Maslow : La culture comme levier

Jean Tonglet

Volontaire permanent du mouvement ATD Quart Monde depuis 1977, Jean Tonglet se consacre aujourd’hui à la diffusion des œuvres et de la pensée de Joseph Wresinski. Il vient d’éditer La culture comme levier, un ouvrage à paraître en février 2024 aux Editions du Cerf, qui reprend une vingtaine de textes du fondateur d’ATD Quart monde sur le thème de la culture, en large part inédits.

Reportage : Bruxelles comme elle se donne

Jean-Baptiste Ghins - Héloïse Nolet

Pour contredire l’impératif d’exotisme en matière de découverte culturelle, nous avons enfourché nos bicyclettes et sommes allés à la rencontre des beautés voisines. Au fil des lieux et des conversations, une question finit par s’imposer : existe-t-il une manière de faire du tourisme qui n’alimente pas la consommation de masse ? Réponse dans le concret, un appareil photo à la main.

Replacer la culture au cœur du projet universitaire

Ralph Dekoninck

Les approches artistique et scientifique sont habituellement décrétées incompatibles. Pourtant, à la fois lieu de culture et de savoir, l’université encourage aujourd’hui les croisements entre ces deux univers. C’est une manière de rejoindre le projet des Lumières elles-mêmes, celui de l’émancipation par la connaissance, qui embrasse tant l’intuition créatrice que la rigueur mathématique. Contre l’actuelle compartimentation des disciplines et la rationalisation à outrance, que gagneraient recherche et enseignement à se nourrir des pratiques issues du monde de l’art ?