En Question n°140

Peut-on encore vivre sans papiers ?

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Vivre sans droits de citoyenneté est une situation d’une précarité inouïe. Que l’on soit migrant en transit, travailleur ou bénévole irrégulier, mineur non accompagné, ou que l’on ait d’autres raisons de rester dans l’ombre, au quotidien s’invitent des peurs, des discriminations subies, une auto-exclusion, une pression constante, des arrestations… Dans ce numéro de printemps d’En Question, nous tentons de saisir la situation et le vécu des sans-papiers en Belgique. Ce faisant, nous investiguons le paradoxe d’une société qui, sans cesse, tente de faciliter la vie de ses citoyens, notamment au travers de la numérisation, mais qui, ce faisant, érige de nouvelles barrières pour qui n’a pas accès à la citoyenneté, malgré une présence dans notre pays depuis parfois des décennies. Quel est le prix social et psychologique d’une vie sans papiers ? Peut-on encore, aujourd’hui, (sur)vivre sans papiers ?

edito

Sans papiers, sans dignité

Simon-Pierre de Montpellier

Un enfant nous est né. Mon épouse et moi avons donc tout naturellement entrepris les démarches auprès de la commune – par voie électronique, Covid oblige – pour déclarer sa naissance, afin qu’il puisse être reconnu et recevoir ses premiers documents d’identité. Rien de bien compliqué, puisque, né de deux parents belges, notre enfant reçoit automatiquement la nationalité belge. Ses droits fondamentaux lui sont garantis. Toute sa vie, il pourra participer à la vie sociale et contribuer à la société belge. Sa dignité d’être humain lui est reconnue.

Ainsi, nous avons pu inscrire notre enfant à la mutuelle. Il bénéficie d’une sécurité sociale, d’une assurance maladie et hospitalisation. Lorsqu’il tombera malade, il aura accès à des soins de qualité à des prix abordables. À l’école, il pourra participer à toutes les activités qui lui seront proposées. Plus tard, il pourra travailler, dans des conditions dignes, pour un salaire décent. S’il perd son emploi, subit un accident de travail ou devient lui-même papa, il recevra des aides dans le cadre de la protection sociale. Il sera libre de se marier avec l’amour de sa vie.

Non seulement ses droits (et devoirs) lui seront théoriquement reconnus, mais surtout, il pourra les exercer en pratique, sans préjugés, sans se cacher, sans s’auto-exclure, sans craindre d’être expulsé. L’accès aux services devrait même lui être facilité, grâce à la numérisation. Car notre enfant possède des documents d’identité, il a ses papiers, sa dignité est reconnue.

Ce n’est pas le cas d’environ 150.000 personnes – enfants, hommes et femmes – qui vivent sans papiers en Belgique, dans des conditions déplorables. Mais que pouvons-nous y faire ? Tout d’abord, ouvrir les yeux sur cette situation, voir les personnes sans papiers autour de soi, mettre des mots sur ce qu’elles vivent. Ensuite, tenter de comprendre comment on en est arrivé là, et essayer d’en retirer des pistes de solutions politiques. Enfin, s’engager, par exemple en apportant une aide matérielle, en valorisant les droits humains, en soutenant une association de terrain ou en participant à une mobilisation collective. Voir, juger, agir : autant d’étapes que vous invite à franchir ce dossier d’En Question. Plus que des papiers, il en va de notre dignité.

Les « sans-papiers » en Belgique, entre invisibilité et visibilité

Elsa Mescoli

Estimés à au moins 110.000, les migrants et migrantes en séjour irrégulier en Belgique sont des personnes –  hommes, femmes et enfants – qui résident sur le territoire depuis des années pour certaines, plus récemment pour d’autres. Les profils, les origines et les trajectoires migratoires sont divers, difficiles à répertorier de manière exhaustive de par l’impossibilité de « compter » et « décrire » des individus qui, pour l’État, n’existent pas[…]

Sotieta Ngo : « La fabrique des sans-papiers tourne à plein régime ! »

Simon-Pierre de Montpellier - Frédéric Rottier

À la tête du CIRÉ, sa directrice générale Sotieta Ngo déborde d’énergie. Pour défendre la dignité et les droits humains des personnes exilées (avec ou sans papiers), elle est au contact direct avec le terrain, mobilise les associations, citoyens et citoyennes, intervient dans la presse (écrite, radio et télévision), n’hésitant pas même à croiser le fer avec le secrétaire d’État à l’asile et à la migration Sammy Mahdi[…]

Sans papiers, sans droits ?

France Blanmailland

Est-il possible de vivre en Belgique sans papiers, et si oui, comment ? La réponse à la première question est dans les chiffres – et d’autres que moi les détaillent dans ce dossier. Oui, de très nombreuses personnes, hommes, femmes et enfants, vivent dans notre pays sans titre de séjour. Les unes parce qu’elles n’en ont jamais eu, qu’elles avaient tenté leur chance, ou ne faisaient que passer et sont restées[…]

Mehdi Kassou : Face à l’immobilisme, le mouvement citoyen

Frédéric Rottier

On se souvient du « Wir schaffen das » (nous y arriverons) de la chancelière allemande Angela Merkel le 31 août 2015. À ce moment-là, plus d’un million de réfugiés frappent à la porte de l’espace Schengen. Mais peu de dirigeants emboîtent le pas à la dirigeante allemande. Le secrétaire d’État belge à l’asile et la migration de l’époque, Theo Francken, freine des quatre fers[…]

« Les sans-papiers sont les nouveaux esclaves »

Frédéric Rottier

Le 14 janvier 2022, un des tout derniers jours de l’occupation de l’église Saint-Jean-Baptiste-au-Béguinage par des sans-papiers, nous sommes allés à la rencontre de Daniel Alliët, prêtre flamand proche des sans-papiers de Belgique. Avant qu’il nous reçoive dans la modeste maison paroissiale, nous découvrons les drapeaux et panneaux accrochés sur la façade comme à l’intérieur de l’église. Sur le parvis, nous écoutons les récits de plusieurs sans-papiers engagés dans les occupations, manifestations et mobilisations. Leurs histoires et visages nous marquent.

Coline Billen : L’art comme moyen d’exister

Claire Brandeleer - Frédéric Rottier - Simon-Pierre de Montpellier

Depuis toute petite, Coline Billen ne supporte pas l’injustice et veut changer le monde. C’est une conviction qui l’anime depuis son plus jeune âge, et qui ne l’a jamais quittée : la paix est possible, si on prend le temps d’apprendre à se connaître, et on peut apprendre à vivre ensemble et à s’aimer, quelles que soient les cultures, les différences. Dans ses racines, il y a une histoire de déracinement : sa grand-mère a dû traverser l’Europe en cachette, à l’âge de 12 ans, pour survivre aux pogroms et aux camps de concentration qui existaient déjà bien avant la Seconde Guerre mondiale en Europe de l’Est[…]

Notre politique doit retrouver sa boussole : la dignité

Baudouin Van Overstraeten

Ils sont invisibles, non répertoriés. Même leur nombre reste un mystère et semble n’intéresser aucune autorité publique. Probablement 150.000 personnes, en tout cas plus d’un pourcent de la population belge, vivent sans papiers. Si leur parcours de vie, leur nationalité, leur stratégie de survie sont très divers, ils partagent le même rêve : être reconnus par la Belgique, pouvoir y étudier ou y travailler légalement… et y payer des impôts[…]

Pascal Debruyne : « Les personnes sans-papiers, ces citoyens sans titres de séjour »

Frédéric Rottier

Le 3 octobre 2021, Pascal Debruyne prononçait un discours emblématique lors de la manifestation des sans-papiers « We are Belgium too ». Monsieur Debruyne est philosophe et docteur en sciences politiques. Chercheur et auteur sur les questions d’asile, de migration et d’intégration, il enseigne à Bruxelles à la haute école Odisee. Il préside plusieurs associations flamandes qui viennent en aide aux familles et jeunes en situations précaires. Nous l’avons rencontré pour prendre de la hauteur, tout en interrogeant les politiques à l’égard des personnes sans papiers[…]