Apprendre à renoncer ensemble
La revue En question du Centre Avec a osé titrer sa dernière livraison : Vivre, c’est renoncer ? avec un point d’interrogation rhétorique. Je m’en inspire.
Depuis toujours, sagesses et religions mettent le renoncement au centre du cheminement spirituel. La Bhagavad-Gita hindoue proclame que le « renoncement conduit à la paix du salut » (18, 2). Épicure (342-270 av. J.-C.) prônait aussi la limitation : « Celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien. » Il invitait, à propos de chaque désir, à se poser la question de l’avantage qui résulterait d’y renoncer.
Dans l’Évangile, Jésus prévenait : « Qui veut venir à ma suite qu’il renonce à lui-même » (Mc 8, 34). Et encore : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou de l’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Mt 19,24 et parallèles). Toute la tradition spirituelle chrétienne va dans ce sens. Ainsi François d’Assise, particulièrement populaire, mais si peu imité !
Notre société de consommation va clairement en sens inverse du renoncement avec son obsession de la croissance du PIB, de notre pouvoir d’achat, de notre confort… Il est urgent de limiter notre soif infinie d’expansion et d’accumulation. C’est une évidence. Le 1er août de l’année dernière, notre consommation a dépassé ce que la Terre peut produire en un an. Nous demandons à notre planète plus qu’elle ne peut donner.
Nous sommes esclaves de nos gadgets, nous qui nous croyons libres comme jamais ! Or, être libre, c’est être capable de choisir, et donc de renoncer, pour pouvoir grandir. Un arbre a régulièrement besoin d’être élagué.
C’est finalement à l’individualisme qu’il nous faut surtout renoncer. Il va de pair avec le matérialisme et nous pousse à nous mettre en valeur par des biens de prestige qui soignent notre image sociale. La pauvreté, elle, est un choix d’humilité. Hélas, elle est devenue un mot négatif. Si la misère est dégradante, la pauvreté peut être choisie en vue d’un plus grand bien, d’une valeur plus haute : la croissance spirituelle, le déploiement de la vraie vie. La modération peut sauver la planète et servir la solidarité.
Dans nos rencontres et nos conversations, il faut aussi apprendre à renoncer. Qui ne cherche pas à avoir toujours raison ? Aujourd’hui on parle d’intelligence collective. Cheminer ensemble vers une vérité commune est plus important que d’avoir raison tout seul. C’est le passage du « je » au « nous », possible uniquement en considérant que faire réussir le groupe ou la vérité est plus important que ma victoire personnelle.
Le pape François parle de contraposition plutôt que de contradiction : si la contradiction conduit à choisir entre le vrai et le faux, la contraposition privilégie ce qui est bon et valable dans les deux pôles en tension et non en opposition, elle préfère le « nous » du projet commun, de la vérité la plus universelle.
Pas facile, dira-ton, de renoncer à son point de vue ou à son confort. En effet, si on est seul à faire ce choix. Ici encore, il faut passer de l’individuel au collectif. Ce n’est qu’ensemble que nous y parviendrons. Le politique lui-même peut nous y aider. « Rien n’est possible sans les hommes, mais rien ne dure sans les institutions », dirait Jean Monet. Si le collectif est le but, il en est aussi le chemin.