Le 20 décembre 2005

Objectifs du millénaire et réforme de l’O.N.U.

La 60° Assemblée générale de l’ONU de septembre 2005 aurait dû être un moment historique important, non seulement parce qu’il s’agissait de célébrer les soixante ans de l’organisation, mais aussi parce qu’on devait y entériner les projets de réformes proposés par Kofi Annan. Dans son rapport Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et droits de l’homme pour tous, il proposait en effet une réforme des institutions et revenait sur les objectifs du millénaire. En effet, il est interpellant que rien ou presque n’ait été fait pour qu’ils soient atteints en 2015 et, que comme le constate le premier Ministre français Dominique de Villepin, si le monde n’a jamais été aussi prospère, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. 

Des réformes en profondeur s’imposent donc : donner plus de place à la société civile, élargir le Conseil de sécurité, donner la priorité au Conseil économique et social pour toute politique de développement et mettre en place un Conseil des droits de l’homme. Ce n’est qu’à ce prix que l’ONU pourra être « la voix des nations, voix de justice, d’égalité et de paix ». Mais les 750 amendements déposés par les Etats-Unis au projet de réforme, présagent que le chemin pour y arriver sera particulièrement long et difficile… 
 

Avant d’arriver là, le Secrétaire général de l’ONU déclarait à la presse le 8 septembre 2003, avoir « le sentiment inconfortable que le système ne fonctionnait pas comme il le devrait ».  Il remettait en question « l’architecture » des institutions internationales et invitait à se demander si elle était adaptée aux tâches que l’on attendait d’elles. Estimant qu’il convenait d’envisager « une réforme radicale », il invitait à ne pas retarder plus longtemps les transformations du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale, du Conseil économique et social (ECOSOC) et du Conseil de tutelle.

D’où la création d’un groupe de personnalités chargé de réfléchir à une réforme du système international. Ce groupe a remis son rapport, diffusé le 2 décembre 2004. Celui-ci a été suivi par un autre rapport sur les objectifs du millénaire. Ce sont ces deux rapports qui ont permis à Kofi Annan de soumettre en mars dernier aux États Membres un ensemble de propositions détaillées dans son rapport précité.

Comme l’écrit Kofi Annan, « Ce sont les espoirs des peuples du monde qui doivent nous servir de guide. Il faut agir dans trois domaines à la fois, le développement, la sécurité et les droits de l’homme, faute de quoi on ne réussira sur aucun front. Il n’y a pas de sécurité sans développement, il n’y a pas de développement sans sécurité, et il ne peut y avoir ni sécurité ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés. »[iii]

Les Objectifs du millénaire

Depuis l’adoption en l’an 2000 par les États membres des huit Objectifs du millénaire, le monde n’a pas vraiment progressé dans ces domaines. En les choisissant, les États membres voulaient qu’ils soient atteints à l’horizon 2015.

Le premier des Objectifs est d’éliminer l’extrême pauvreté et la faim. Il s’agit de  réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour  et de réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim.

Le deuxième est d’ assurer une éducation primaire pour tous, c’est-à-dire, donner à tous les enfants, garçons et filles, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires.

Le troisième objectif est de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation de la femme, ce qui se traduit par : Éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d’ici à 2005, si possible, et à tous les niveaux de l’enseignement en 2015, au plus tard.

Le quatrième, c’est de réduire la mortalité infantile ce qui veut dire : réduire de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans. Ensuite, le cinquième est d’améliorer la santé maternelle en réduisant de trois quarts le taux de mortalité maternelle.

En matière de santé, combattre le sida et d’autres grandes maladies reste une priorité. Les nations s’engagent à stopper la propagation du VIH/sida. Elles s’engagent également à commencer à inverser la tendance actuelle ainsi qu’à maîtriser le paludisme (malaria) et d’autres grandes maladies, et à commencer à inverser la tendance actuelle.

Garantir un environnement durable  est le septième objectif annoncé. Pour ce faire, il convient d’intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales et d’inverser la tendance actuelle à la déperdition de ressources environnementales ; de réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable ; enfin, d’améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis, d’ici à 2020.

Pour clore cette liste d’objectifs à atteindre, les États se sont engagés à mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Il s’agit pour eux de poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier multilatéral ouvert, fondé sur des règles prévisibles et non discriminatoires. Cela suppose un engagement en faveur d’une bonne gouvernance, du développement et de la lutte contre la pauvreté, aux niveaux tant national qu’international. Cela exige de s’attaquer aux besoins particuliers des pays les moins avancés. La réalisation de cet objectif suppose l’admission en franchise et hors contingents de leurs exportations, l’application du programme renforcé d’allègement de la dette des pays pauvres très endettés, l’annulation des dettes bilatérales envers les créanciers officiels, et l’octroi d’une aide publique au développement plus généreuse aux pays qui démontrent leur volonté de lutter contre la pauvreté, de répondre aux besoins particuliers des États enclavés et des petits États insulaires en développement, de traiter globalement le problème de la dette des pays en développement par des mesures d’ordre national et international propres à rendre leur endettement viable à long terme. Tout cela en coopération avec les pays en développement (créer des emplois décents et productifs pour les jeunes) ; en coopération avec l’industrie pharmaceutique (rendre les médicaments essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement) ; en coopération avec le secteur privé, (mettre les avantages des nouvelles technologies, en particulier des technologies de l’information et de la communication, à la portée de tous).

Pour assurer l’avenir et la paix de notre monde, ces objectifs  ne semblent pas être superflus.

L’espoir qu’ils pouvaient susciter est retombé, car rien ou presque n’a été fait. Le terrorisme est venu réinstaller un sentiment d’insécurité en bon nombre de pays. Et les États semblent impuissants devant cette menace constante. La pauvreté, si elle semble reculer dans certains pays, affecte encore trop de personnes, principalement en Afrique subsaharienne. La catastrophe du tsunami a touché des populations déjà précarisées. C’est un sixième de la population mondiale qui vit aujourd’hui avec moins d’un dollar par jour.

Les droits de l’homme sont un bien universel. Pourtant, il y a parfois un fossé qui sépare principes et réalité. Dans de nombreux régimes, il n’est pas rare d’avoir recours à la torture. Et certaines conditions de détention ne sont pas dignes de l’être humain. Guantanamo et Abu Ghraib en sont des exemples patents.

Le Premier ministre français, Monsieur Dominique de Villepin en a fait le constat lors de la réunion distincte sur le financement du développement[iv]. « Jamais le monde n’a été aussi prospère. Et pourtant jamais les inégalités n’ont été aussi grandes.

Voici cinq ans, rompant avec les logiques de dépendance et d’assistance, nous avons choisi de placer la responsabilité et la solidarité au cœur d’un nouveau partenariat international pour le développement.

Aujourd’hui, nous mesurons le chemin qui nous reste à accomplir pour atteindre les objectifs du Millénaire, en particulier en Afrique.

Portés par un puissant mouvement de la société civile et par les organisations non gouvernementales, les États ont augmenté leur aide publique au développement. La France et l’Europe se sont engagées sur un calendrier précis pour atteindre l’objectif de 0,7% de leur PNB.

Cet indispensable effort budgétaire est néanmoins insuffisant au regard de l’ampleur des besoins. Aujourd’hui, les esprits sont mûrs pour mettre en place de nouveaux mécanismes : nous devons tirer parti des richesses engendrées par la mondialisation pour mobiliser des ressources stables et pérennes au profit des pays pauvres. C’est une exigence de justice, de solidarité et de paix.

Avec l’Algérie, l’Allemagne, le Brésil, le Chili et l’Espagne, la France, par la voix du Président de la République Jacques Chirac, appelle la communauté internationale à aller de l’avant. Dès l’an prochain, un groupe pionnier du pays établira un premier prélèvement international de solidarité sur les billets d’avion.

Celui-ci permettra, sans entraver l’essor du transport aérien, de mobiliser, sur une base permanente, des moyens nouveaux que la France propose d’affecter en priorité au combat contre le sida, la tuberculose et le paludisme. »

Des réformes nécessaires

Face à tout cela, le Secrétaire général de l’ONU invitait à des réformes en profondeur. L’Assemblée générale devrait pouvoir inclure dans ses débats des points de vue émanant de la société civile.

Le Conseil de sécurité devrait être élargi pour être plus représentatif des réalités géopolitiques modernes. Une telle réforme exige un amendement de la Charte de l’ONU. Le principal organe de décision de l’ONU est actuellement composé de 15 membres. Cinq d’entre eux (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) possèdent le droit de veto. Les 10 autres sont élus par l’Assemblée générale pour deux ans. Kofi Annan propose de passer à 24 membres. Il s’agit de « Réformer le Conseil de sécurité pour le rendre plus largement représentatif de la communauté internationale dans son entier et des réalités géopolitiques d’aujourd’hui. » Le Secrétaire général ne tranche cependant pas la question cruciale de la répartition des sièges entre permanents et non permanents. L’Allemagne, le Brésil, l’Inde, le Japon sont officiellement candidats à des sièges permanents tandis que l’Union africaine (UA) en demande deux pour l’Afrique.

Le Conseil économique et social devrait être réformé pour devenir le premier pilier  de toute politique de développement. Cela permettrait d’avoir un interlocuteur de même poids à la Banque mondiale et au Fond monétaire international. La Commission des droits de l’homme devrait disparaître pour laisser la place à un Conseil des droits de l’homme qui siégerait en permanence et dont les membres seraient élus directement par l’Assemblée générale. Enfin, pour prévenir l’enlisement des conflits, Kofi Annan proposait la création d’une commission de consolidation de la paix, chargée d’accompagner les processus des pays ayant à se reconstruire après une guerre.

Le dépôt par les États-Unis de près de 750 amendements au projet de Kofi Annan a vidé de sa substance la réforme attendue. Ce n’est pas le seul État à avoir proposé des modifications mais il vient de loin en tête dans l’opposition au projet. Pas question de réaffirmer la nécessité pour les pays riches de consacrer 0,7 % de leur PIB à l’aide au développement. Comment dès lors penser à la fin du terrorisme lorsqu’on sait que la pauvreté l’alimente ? Pas question de parler de désarmement. Pas question de mettre en évidence le rôle que pourrait avoir la Cour pénale internationale.  Pas question de toucher à la composition du Conseil de sécurité.

Certes, la commission de consolidation de la paix sera installée le 31 décembre prochain.  Elle pourra être un élément positif dans la gestion des situations post-conflit, si elle contribue effectivement à travailler à remettre les leviers sociaux, économiques, politiques et militaires dans les mains de représentants des citoyens du pays visé et dans l’intérêt de sa population.

Mais en terme de réforme, il y a encore du chemin à parcourir pour arriver à ce que l’ONU devienne  vraiment la voix des nations, une voix de justice, d’égalité et de paix.

Notes :

  • [i] L’ensemble des documents concernant cette 60e Assemblée générale se trouve à http://www.un.org/french/ga/60/.

    [ii] Kofi Annan, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et droits de l’homme pour tous, Département de l’information de l’ONU, New York, avril 2005, 95 pp.

    [iii] Résumé du rapport précité, p. 3.

    [iv] Cette réunion s’est tenue le mercredi 14 septembre. On trouvera le texte complet de l’intervention du Premier ministre français à http://www.un.org/webcast/summit2005/statements/fra050914fre.pdf.